Citation:
Est-ce que prendre des enzymes digestives sous forme de complément alimentaire, le shabbat, serait assimilé à l'interdit de consommer des médicaments?
Je vous demande cela car des fois le samedi midi je suis un peu lourd, et cela me cause des troubles digestifs.
Je précise que ce n'est pas à proprement parler un médicament, mais plutôt un complément alimentaire comme on peut en trouver sur Amazon, quelque chose de théoriquement moins " médical "
Je vous demande cela en pensant peut-être au principe de oneg shabbat
Les compléments alimentaires, voire même les vitamines que l’on prend pour un bon maintien de la forme (et pas parce qu’on est malade), ne sont pas à considérer comme des médicaments et n’ont pas à être interdits le shabbat.
C’est comme boire un café ou un jus d’orange pour se donner un peu de tonus, il ne s’agit pas d’un médicament.
Je tiens de mon grand-père, qu’au début du XXème siècle, en Pologne du moins, les oranges étaient très rares et couteuses, elles étaient réservées aux malades. Lorsque quelqu’un était malade, on lui donnait une orange (
Pomerantz) pour qu’il guérisse.
A cette époque (dans ces pays), l’orange avait effectivement le statut d’un médicament, ce que n’ont pas les compléments alimentaires de nos jours (en France) puisque des gens en parfaite santé en prennent aussi.
Par contre, si vous prenez ce complément alimentaire parce que vous êtes ballonné ou ne vous sentez pas bien, c’est donc en vue de corriger un problème (en mode curatif et non en mode préventif), dans ce cas, c’est interdit.
Toutefois, si vous les prenez à titre préventif, alors que vous êtes encore en forme, si ces compléments alimentaires sont parfois pris par des gens en parfaite santé, uniquement en vue de maintenir une bonne forme, d’après
Rav Moshé Feinstein, c’est autorisé.
Le
Tour (o’’h §328) écrit que si l’on consomme un ‘médicament’ parce qu’on a faim ou soif et qu’on n’est pas malade, c’est autorisé. Le
Beit Yossef (o’’h §328) autorise donc les médicaments aux personnes en bonne santé, même s’il ne s’agit pas d’aliments « classiques » (mais de gélules ou comprimés), car il comprend du
Tour qu’à partir du moment où la personne n’est pas malade du tout, il n’y a pas d’interdit.
Le
Maguen Avraham (o’’h §328, sk.43) se montre plus rigoureux et comprend des mots du
Tour que si cette personne en bonne santé prend ce médicament dans un but préventif, pour éviter de tomber malade, pour renforcer son immunité (etc.), c’est interdit
(l’autorisation du Tour ne concernant que celui qui avalerait le remède pour calmer sa faim ou sa soif).
Rav Moshé Feinstein (Igrot Moshé o’’h III, §54) explique dans une longue réponse que le
Maguen Avraham ne veut certainement pas interdire cela à celui qui est en pleine forme, il ne parlerait que d’une personne en forme, qui ne serait pas du tout malade, mais qui serait de faible constitution et donc sujette à des maladies (/faiblesses etc.). C’est dans ce cas qu’on aura le désaccord entre le
Beit Yossef et le
Maguen Avraham, mais si l’on parle d’une personne en pleine forme et qui ne craint rien de particulier
(mais qui prend des vitamines parce que le médecin dit que c’est bien, ou pour faire plaisir à sa mère etc.), le
Maguen Avraham serait d’accord que c’est autorisé.
Rav Feinstein estime qu’en cas de ma’hloket entre le
Beit Yossef et le
Maguen Avraham il convient de suivre le’houmra le
Maguen Avraham puisqu’il est plus tardif (Batraa) et établit donc une distinction entre une personne en pleine forme et une personne en forme qui est de faible constitution. Cette dernière ne pourra pas prendre de vitamines pendant shabbat, mais celui qui est en pleine forme le pourra.
Plusieurs A’haronim ont souligné que ce qu’écrit le
Igrot Moshé va à l’encontre de la compréhension du
Pri Megadim (§328, sk.49) pour qui le
Maguen Avraham interdit sans distinction dans la mesure où la démarche est prophylactique.
Cf.
Az Nidberou (VI, §72) et
Avnei Yashfé (II, §33,2).
Nous avons donc, concernant celui qui est en bonne santé mais dont l’intention est de prévenir une faiblesse et l’éviter, une ma’hloket entre le
Igrot Moshé et le
Pri Megadim sur la compréhension du
Maguen Avraham dans le
Tour ; Pour le
Igrot Moshé c’est moutar (s’il est en parfaite santé), pour le
Pri Megadim c’est assour. Et bien entendu, pour le
Beit Yossef (op cit) et le
Shoul’han Aroukh (O’’H §328, 37), c’est moutar.
A ce stade, dans votre cas, il y a de quoi interdire. Et d’autres A’haronim considèrent aussi qu’il est préférable d’interdire toutes les vitamines et similaires, cf.
Brit Olam (Refoua §38),
Shmirat Shabbat Kehilkhata (§34,20),
Mishné Halakhot (IV, §51)
Shevet Halévy (VIII, §82)
Shraga Haméir (II, §40)
Az Nidberou (VI, §72)
Néanmoins, tant qu’on est en bonne santé et qu’on prend des vitamines pour éviter de tomber malade ou une faiblesse, il y a de quoi autoriser de nos jours où les vitamines (et à plus forte raison les compléments alimentaires) sont à considérer comme « maakhal briim »
(aliments consommés par des gens en parfaite santé) (cf.
Shout Beèr Moshé I, §33) et en considérant aussi la Svara du
Shout R. Akiva Yossef Schlesinger (I, §122) d’après laquelle la crainte d’en venir à la confection de médicaments
(She’hikat samemanim) n’est plus tellement d’actualité de nos jours.
Ainsi, plusieurs Poskim autorisent les vitamines à shabbat, cf.
Tsits Eliezer (XIV, §50), Or Letsion (II, §36,10), Tshouvot Vehanhagot (III, §104), plus particulièrement en prenant ces vitamines de manière inhabituelle (shinouy)
(en les mélangeant à un aliment ou une boisson) [
Tshouvot Vehanhagot (V, §94, 1) et
Beèr Moshé (I, §33)].
Voyez encore ce que j’ai écrit, à propos des vitamines à shabbat, ici :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=55305
Pour conclure:
Les compléments alimentaires sont encore plus «
maakhal briim » que les vitamines et sont consommés par des gens en excellente santé, comme leur nom l’indique, il ne s’agit que d’un complément alimentaire.
Si vous le prenez systématiquement, pas une fois malade mais en prévention, il y assurément de quoi autoriser.
Mais si vous utilisez les compléments alimentaires comme on utiliserait un médicament contre la nausée et les ballonnements, a priori c’est interdit, à moins d’être dans un état vous le permettant.