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Crainte du Ciel ?

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Bonsoir Rav

Pourquoi parle-t-on de crainte du Ciel (Yîrat Chamaïm) et non de crainte de D., alors que l'on fait bien référence à Hashem ?
Rav Binyamin Wattenberg
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Citation:
Pourquoi parle-t-on de crainte du Ciel (Yîrat Chamaïm) et non de crainte de D., alors que l'on fait bien référence à Hashem ?


C’est une image, une façon de parler que les ‘Hazal aimaient bien, depuis longtemps les juifs disent Ciel dans le sens de D.ieu, on retrouve cela même chez les juifs de Kaifeng en Chine, comme l’indique Rav Eliahou Benamozegh dans « De la tradition » (§III, 16, édité par le Rabbin Zini à ‘Haïfa en 2019, page 128, ou dans l’édition traduite en hébreu et éditée en 2020 sous le titre « Massoret, Vehi Torah Shebeal Pé », p.152) (Note : oui, le Rav Benamozegh a écrit certains Sfarim en français ! D’autres en italien et enfin d’autres en hébreu. Celui-ci a été écrit en français avec quelques passages en italien) en précisant que ces juifs se sont séparés des autres il y a 1850 ans (le rav Benamozegh étant décédé en 1900, cela donne donc une séparation au 1er siècle, époque de la destruction du second Temple).

Et il se trouve que cette expression est partagée encore aujourd’hui dans plusieurs langues. (Dont le français, certainement de par l’influence du christianisme, lui-même dérivé du judaïsme. On dit bien « aide-toi et le Ciel t’aidera » et personne n’imagine qu’il s’agisse de météo. Cette expression existait déjà à l'époque de La Fontaine, qui identifie ce Ciel à Hercule, dans Le Chartier embourbé)

Rav Moshé Tsuriel dit que parmi ce qu’on connait/voit depuis la terre, c’est ce qu’il y a de plus grand (à nos yeux), plus encore que les océans etc., on n’en perçoit pas les limites.
Voilà pourquoi c’est le symbole de D.ieu lorsqu’on parle de crainte.

Cependant, je lui ai fait remarquer qu’on dit aussi hayoshvi bashamayim (Tehilim §123, 1), rokhev bashamayim (Dvarim 33, 26) et min hashamayim yera’hamou (Avoda Zara 18a et Yevamot 42a) etc. où il n’est pas question de crainte.
Lui-même m’a ajouté les psoukim dans Melakhim (I, VIII, 32-34-36) et aussi dans Divrei Hayamim (II, VI, 27) où il est dit « Veata tishma hashamayim » qui veut dire Et toi D.ieu tu entendras depuis le Ciel.

Je pense qu’il veut dire qu’à l’origine on a pris l’habitude de parler du Ciel pour dire D.ieu en considérant la crainte de D.ieu (et donc du ciel), et de là, l’habitude s’est élargie de parler du « Ciel » pour parler de D.ieu.

[Le fait est que le ciel est souvent mentionné lorsqu’on parle de D.ieu, qui est appelé « le D.ieu du ciel ». Voir Bereshit (XXIV, 7) ou Yona (I, 9).
Cette expression est très fréquente dans le Sefer Ne’hémia (I, 4), (I, 5), (II, 4), (II, 20) et Ezra (I, 2).
Selon Avraham Kahana (Hasfarim Ha’hitsonim II, p.350) c’était une formule courante à l’époque des Perses, c’est pourquoi elle se retrouve surtout dans Sefer Ne’hémia (et Ezra qui est le même Sefer). Voir aussi Divrei Hayamim (II, XXXVI, 23).]

Je soulignerais quand même au passage qu’il y a une différence entre YIRAT shamayim et MORA shamayim ; Yirat Shamayim c’est la Yirat Haromemout, c-à-d la crainte qui découle de l’acquisition de la sagesse.
Alors que Mora Shamayim est une crainte liée à la peur de la punition, Yirat Haonesh.
Cette distinction est indiquée par le Iyoun Tfila (Otsar Hatfilot tome 1, p.137-8). [Voir encore le Malbim (Bereshit IX, 2) qui indique la différence entre מורא et חתת.]

Voyez aussi dans le sefer Ora Zou Torah (Wilheim) (Bereshit, p.12) au nom du ‘Hidoushei Harim sur le Rashi (Bereshit I, 6) « yehi rakia : ye’hazek harakia… ». Rashi explique que bien que les cieux étaient déjà créés le 1er jour, ils étaient encore « humides » et ils se sont asséchés et « matérialisés » le 2ème jour en tremblant devant l’ordre divin « Yehi Rakia ».
Le ‘Hidoushei Harim dit que c’est pour cela que nous parlons de « Yirat Shamayim », c-à-d de peur de D.ieu à l’instar des cieux qui ont eu peur de D.ieu.
L’idée serait de dire que la Yirat Shamayim ne s’arrête pas à nous empêcher de commettre un péché (ou nous encourager à accomplir une bonne action), mais elle est supposée changer notre nature et nos intentions, elle doit « assécher » notre Yetser Hara, comme le ciel a été « asséché » par sa crainte de D.ieu et il a « changé de nature ».

Nous trouvons aussi dans le Kouzari (IV, 3) que l’on dit Yirat Shamayim ou encore Min Hashamayim Yera’hamou, car le ciel est entièrement dépendant de la seule volonté de D.ieu (à la différence de ce qu’il y a sur terre où la volonté de l’homme peut aussi agir, mais l’homme ne peut rien changer au ciel -du moins à l’époque).

J’en ai parlé avec Reb Dovid Kohn qui m’a indiqué le Ramban Bereshit (I, 8) qui dit qu’il y a un Sod Nisgav Veneélam dans le terme Shamayim, car il y a un Shamayim aux (au-dessus du) Shamayim.
C’est ce dont parle le Zohar (I, 211b) et l’idée est que chaque Mida s’appelle Shamayim par rapport à celle qui lui est inférieure (Maarekhet Elokout §XI, daf 160a).

Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Etant donné que le Ramban appelle ça un « secret sublime et dissimulé », il ne convient pas de le dévoiler.
Contentons nous simplement d’une approche ‘hassidique que je vous propose :
On parle de Yirat Shamayim, car ce terme rappelle qu’il y a toujours un plus haut niveau à atteindre, il ne faut pas croire que, dès que nous arrivons au niveau qui nous définit comme étant « Yerei Shamayim », nous soyons déjà arrivés « là où il le faut ».
Il y a encore des progrès à faire, et des progrès tels, qu’une fois que nous y serons, nous pourrons considérer notre précédent niveau comme n’étant même pas qualifiable de Yirat Shamayim, tant il est éloigné du niveau acquis.

C-à-d que l’accession à un niveau de Yirat Shamayim, quel qu’il soit, ouvre des portes vers de nouveaux horizons de Yirat Shamayim.
C’est la notion du Tehilim (84, 8) Yelkhou Me’hayil el ‘Hayil.
Voilà pourquoi il faut toujours viser plus haut et plus loin en Yirat Shamayim, on indique même (Avot IV, 12) de « régler » sa crainte du Rav au niveau adapté à la crainte du Ciel, afin d’élever la crainte du Ciel à un niveau encore plus haut.

Aussi, le terme Shamayim retenu, nous rappelle ce que disent les Sages dans le Talmud ‘Haguiga (12a) que Shamayim signifie Esh & Mayim, c-à-d le mélange du feu et de l’eau, D.ieu aurait mélangé du feu et de l’eau pour obtenir Shamayim (cité dans Rashi Bereshit I, 8).
A priori, le feu et l’eau ne font pas bon ménage, le plus puissant des deux annulera l’autre, lorsque c’est l’eau, elle éteindra le feu, lorsque c’est le feu, il transformera l’eau en vapeur, mais la particularité du Shamayim, c’est de faire cohabiter les deux.
Ainsi, la Yirat Shamayim ne doit pas pousser l’homme à l’extrémité d’une Mida, il faudra savoir adapter ses Midot à la Avodat Hashem en fonction de chaque situation.
La Yirat Shamayim demande d’être miséricordieux, mais elle demande parfois d’être cruel (כל שנעשה רחמן על האכזרי, לסוף נעשה אכזר על הרחמנים). Elle demande d’être calme, souple et de pardonner, mais nécessite parfois d’être rigide, dur et rancunier (Cf. Shabbat 63a et Yoma 23a où l’on enjoint au Talmid ‘hakham d’être נוקם ונוטר כנחש). Etc.
La Yirat Shamayim demande de faire cohabiter des Midot contradictoires, ne pas s’installer dans le confort des extrêmes, mais n’être dirigé que par le bon et le juste.
Voilà qui pourrait expliquer ce choix du terme [Yirat] Shamayim, plus évocateur de cet aspect qu’une autre formulation.

[Si vous vibrez plus aux explications mystiques, je peux continuer sur ma lancée de Shamayim qui réunit deux aspects différents, en soulignant que l’isopséphie de Shamayim שמים (390) équivaut à זכר ונקבה ainsi qu’à אנדרוגינוס (je sais, c’est étrange d’établir une valeur numérique sur un terme emprunté à une langue étrangère à l’hébreu et qui n’apparait pas dans la Torah, mais je suis innocent, c’est le Yaabets (Tsitsim Oufra’him -éd. NY 2016, p.107) qui indique cette surprenante équivalence), c-à-d la réunion de deux opposés, comme le feu et l’eau.

Après si on se lance dans la Guematria, on peut « justifier » le choix du terme שמים (qui vaut 390) pour parler de D.ieu car c’est la même valeur numérique que השכינה (390), ou que הוא אחד ושמו אחד (390), ou ישעי (390) dans (Tehilim XXVII) ה' אורי וישעי.

C’est encore « Youd Ké » x « Havaya » (c-à-d 15x26=390).

Le Yaabets (op cit) indique aussi la Guematria de השכינה, et celle de 15x26 mais le 15 correspond selon lui à זח qui sont les initiales de זכות חובה…]

Ceci étant dit, je rappelle qu’on ne s’interdit pas pour autant l’expression « Crainte de D.ieu », que vous retrouvons plusieurs fois dans les Psoukim, surtout dans Mishlei [par exemple : (I, 7), (I, 29), (II, 5), (VIII ,13), (IX, 10), (X, 27), (XIV, 2), (XIV, 26), (XIV, 27), (XV, 16), (XV, 33), (XVI, 6), (XIX, 23), (XXII, 4), (XXIII, 17), (XXXI, 30)] et Tehilim [par exemple : (XV, 4), (XIX, 10) , (XXII, 24), (XXV, 12), (XXXIII, 8), (XXXIV, 12), (CXI, 10), (CXV, 11), (CXV, 13), (CXVIII, 4), (CXXVIII, 1), (CXXVIII, 4), (CXXXV, 20)] et aussi ailleurs dans le Nakh [par exemple : Yeshaya (XI, 2) (XI, 3), (XXXIII, 6), (L, 10). Malakhi (III, 16). Divrei Hayamim (II, XIX, 9)].
Il y a aussi l’expression de crainte de Elokim qui revient même dans le ‘houmash.
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