Citation:
J'ai écouté votre cours du dimanche 19/07 dans lequel vous soulignez le fait qu'il faille absolument connaître son Talmud avant de commencer à espérer avoir une comprehension du Zohar. Dans ce cas, comment approcher convenablement les livres, assez populaires, comme le Nefesh Hahaïm qui utilise beaucoup de notions de kabala ? Doit-on l'éviter le temps d'avoir une bonne idée des différentes souguiot du Talmud, ou peut-on l'étudier en se disant que même si ces notions nous dépassent probablement largement, la compréhension qu'on en aura pourra tout de même avoir des effets bénéfiques ?
Enfin comment comprendre la volonté de Rabbi Haïm de Volozhin d'expliquer ces notions barabim en les publiant ?
Avant de vous répondre, une petite précision.
Vous m’attribuez une idée :
Citation:
vous soulignez le fait qu'il faille absolument connaître son Talmud avant de commencer à espérer avoir une comprehension du Zohar
je précise :
1) que c’est en effet l’opinion que j’ai mentionnée, mais en mentionnant aussi des positions plus nuancées.
2) il faut corriger les mots « espérer avoir une compréhension
du Zohar » en : « espérer avoir une compréhension
de la Kabala ».
Concernant votre question, il subsiste tout de même une différence entre la lecture du
Nefesh Ha’haim et étudier la Kabala.
Il n’a pas été question d’interdire de lire une citation du
Zohar non plus.
Mais en laissant de côté la définition précise de la limite dans ce domaine (qui ne sera pas unanime de toute façon), le livre
Nefesh Ha’haim est étudié dans les Yeshivot qui s’opposent pourtant à l’étude de la Kabala pour les jeunes.
Cependant, puisque le sujet est abordé, je dois vous faire part d’un sentiment très personnel -je le précise par souci d’honnêteté, pour que vous n’alliez pas penser que ce qui va suivre refléterait l’opinion rabbinique majoritaire.
J’estime que la lecture du
Nefesh Ha’haim DE NOS JOURS, pour CERTAINS lecteurs, est source de sérieux problèmes de Hashkafa.
Cette étude les trompe et les fait dévier de la vraie Torah.
Comprenez-moi bien, je ne viens pas critiquer
Reb ‘Haim Volozhiner, ‘has veshalom, et qui serais-je pour me le permettre ?
Je dis juste que l’évolution des choses, de la société et de la mentalité des jeunes de nos jours au XXIème siècle, n’est pas adaptée pour faciliter une bonne « digestion » spirituelle du livre
Nefesh Ha’haim.
Je ne viens pas non plus m’opposer aux fans de ce livre, je sais que de nombreuses personnes ont trouvé ce sefer magnifique et ont eu plaisir à le lire te le relire
(et c’est aussi le cas de mon propre père).
Cependant, j’ai pu constater que ce sefer a aussi entraîné des dégâts spirituels conséquents sur certains de ses lecteurs, sans qu’on puisse le reprocher à son auteur, c’est l’époque qui a changé qui en est responsable, pas lui.
Il y a en effet des lecteurs du
Nefesh Ha’haim qui en retiennent que le sens ou le but ultime des Mitsvot serait de parfaire les mondes supérieurs, les réparer, ou colmater les Tsinorot/canaux nous reliant à eux.
Nos Mitsvot n’auraient d’autre but que d’arranger ces mondes lointains et supérieurs, une sorte de plomberie céleste.
Cela pousse lesdits lecteurs à ne pas appréhender les Mitsvot sous l’angle du Tikoun Hanefesh et cela permet ipso facto quelques égarements hashkafiques en découlant.
La première erreur étant de détacher les Mitsvot du « bon sens », envers et contre toutes les mises en garde de nombreux Rishonim.
On aboutit parfois à des absurdités halakhiques, comme des pseudo-‘houmrot qui ne sont rien moins que des Aveirot.
Dès qu’on déshumanise notre rôle, dès qu’on cherche à opérer comme des machines
(au lieu de pratiquer les Mitsvot dans le but de nous parfaire), l’action Mitsvatique n’est plus de nature à nous rapprocher de D.ieu.
Et on pourra dès lors s’égarer dans l’adoption de ‘Houmrot nous ELOIGNANT de D.ieu, tant la Mitsva est mal perçue, on pourra aussi simplement s’éloigner doucement de D.ieu tout en pratiquant des tas de ‘Houmrot, au point de tout laisser tomber un beau jour, jusqu’aux Mitsvot elles-mêmes.
[voir à ce sujet le témoignage du
Steipler (dans
Hasteipler p.69) certifiant connaître des personnes ayant fait trop de ‘Houmrot au point de finalement ne même plus faire la Tfila.
Selon lui, à faire trop de ‘Houmrot, on peut devenir fou ou en tout cas déstabilisé (mentalement).]
Il y a deux types de critiques sur ce que j’ai écrit ici ; un premier groupe : ceux qui diront qu’au contraire, le
Nefesh Ha’haim leur donne une proximité incroyable à D.ieu et ne détache pas du tout les Mistvot du bon sens prôné par les Rishonim.
Et un second groupe : ceux qui diront que si j’écris cela, c’est que je n’ai pas compris le Sod et que je n’ai pas entrevu la lumière du Nistar.
Aux premiers je répondrais que mon message ne les concerne pas, si leur étude du Nefesh Ha’haim ne les détache pas de la conception des Mitsvot
telle que comprise par les Rishonim, ils ne font pas partie de ce que j’ai appelé la jeune génération.
Quant aux seconds, j’hésite à répondre car ils se persuadent tellement que ceux qui voient les choses autrement qu’eux seraient forcément dans l’erreur, que ça ne servirait à rien.
Mais je réponds tout de même pour les autres lecteurs, que je ne cherche pas à empêcher cette lecture à ceux qui y trouvent bénéfice spirituel, je souligne juste que le
Nefesh Ha’haim peut aussi entraîner l’inverse et qu’il faut savoir y être attentif.
Que ce soit pour soi-même si l’on voit que son propos nous propulse dans un monde hostile à la (vraie) Yirat Shamayim, ou pour nos enfants/élèves si l’on craint que le message véhiculé ne soit pas adapté/constructif.
Un livre de Moussar peut être un bon livre en soi mais dangereux pour certains lecteurs, un peu à l’instar de ma mise en garde concernant le Pélé Yoets ici :
https://www.techouvot.com/livres_quil_serait_bon_de_traduire_en_francais-vt15869.html
voyez mon message du 2 décembre 2012, puis mon message du 20 décembre 2012, celui adressé à Catman.
J’ajouterai encore que le
Steipler en personne a déconseillé (
Hasteipler p.70) à une personne l’étude du
Reshit ‘Hokhma en expliquant que c’est un sefer Moussar qu’il apprécie personnellement, mais qui comporte des idées de Kabala et qu’il n’est donc adapté qu’aux personnes ayant déjà une connaissance dans ce domaine.
ראשית חכמה לא טוב בשבילך, כי יש שם קבלה, ומי שאין לו יד בזה, זה לא טוב בשבילו
Le Sefer est un bon Sefer, mais sa lecture n'est pas convenable pour les débutants ou non initiés en kabala.
C'est une lecture nocive pour les novices.
Citation:
Enfin comment comprendre la volonté de Rabbi Haïm de Volozhin d'expliquer ces notions barabim en les publiant ?
Il ne faut pas négliger le contexte politique qui a motivé la rédaction de ce livre ; Il y avait eu une grande tension -puis séparation, entre le monde ‘Hassidique et les Mitnagdim.
Ces derniers prônaient l’étude acharnée du Talmud, assez austère, souvent dans le dénuement, sans plaisirs physiques, se lever tôt pour étudier en « mangeant du pain avec du sel, buvant de l’eau en quantité mesurée et en dormant à même le sol ».
Alors que les ‘hassidim passaient à côté pour de bons vivants.
Chez eux, il fallait bien manger, chanter, boire et dormir pour avoir des forces pour faire de bonnes tfilot et louer l’Eternel afin d’ouvrir les portes de la bénédiction céleste pour une bonne Parnassa.
Leurs rabbanim (-du moins selon ce qu’ils disaient) côtoyaient les anges et Eliahou Hanavi quotidiennement et racontaient aux ‘hassidim de jolies histoires et des Divrei Torah
(assurément très profonds puisqu’on n’y comprenait que rarement chaque détail) qui les propulsaient vers une Dveikout inégalable en monde « Litvak ».
Chaque Mitsva se transformait en une arme spirituelle contre les forces du mal et les Tikounim opérés par une simple Mitsva étaient puissants au point de bouleverser des mondes invisibles.
Les clans étaient bien séparés, mais de nombreux jeunes Mitnagdim étudiant à la yeshiva étaient tentés et attirés par cet aspect plus sympathique qui apporte aussi une satisfaction spirituelle puisque les ‘hassidim étaient dans un perpétuel sentiment de Dveikout et de Aliya Rou’hanit.
Voilà pourquoi
R. ‘Haim Volozhiner a tenu à écrire ce livre qui indique que le monde Litvak n’est pas dénué de ces aspects spirituels, qu’en étudiant la Torah BeAmal on répare les mondes supérieurs etc.
Il fallait donc leur parler de notions mystiques pour rassurer leur aspirations.
Ce type d’ambition n’est plus unanime, et plus généralement, l’appréhension des notions mystiques n’a plus le même effet qu’elle pouvait avoir il y a encore peu.
De nos jours, de nombreux jeunes sont totalement repoussés (pour ne pas dire révulsés) par tout ce qui est mystique, alors qu’auparavant, cela produisait souvent l’effet inverse.
Une autre catégorie existe : ceux qui acceptent volontiers les notions mystiques dans le cadre de la religion, sans prendre conscience que cela les éloigne de la Torah.
Car au fond d’eux, ils ne sont pas « en phase » avec le mysticisme, en l’acceptant dans le domaine de la Torah, ils font de cette dernière, à leurs yeux, une discipline qu’ils excluent de leur quotidien.
La Torah sera souhaitée et appréciée lorsqu’ils seront à la synagogue, ou en présence de rabbins, mais une fois sortis et dans un lieu éloigné ou en vacances, ils n’auront plus du tout la même motivation dans les Mitsvot.
C’est à eux que mon message s’adresse.
Celui qui est allergique aux notions mystiques ne supportera pas le
Nefesh Ha’haim de toute façon.
Celui qui au contraire recherche la mystique dans tous les domaines (=même au travail etc.) et s’en nourrit, appréciera le
Nefesh Ha’haim et est adapté pour la lecture de ce type de livre.
Quant à celui qui accepte volontiers la mystique mais uniquement dans le domaine religieux
(pas au travail, pas dans le monde ‘hol, pas dans la vie de tous les jours), c’est celui dont je parle, celui pour qui la lecture du
Nefesh Ha’haim peut être nocive, car elle va contribuer à consolider le détachement de son âme de la Torah, détachement basé justement sur cette vision très mystique des Mitsvot.