J’ai dit au début de ce cours et je l’ai répété maintes fois après le cours aussi -
lors de la séance de questions-réponses : je n’ai pas eu le temps de dire tout ce que j’aurais souhaité dire et j’ai -hélas, dû faire un abrégé de pas mal de choses, sans citer de nombreuses shitot.
Lorsque j’ai mentionné ceux qui disent que «
la kabbala a disparu de nos jours » etc., j’ai pris la peine de souligner qu'il n'est pas difficile de deviner que les kabbalistes contrediront cet avis.
Il en va de même pour plusieurs autres points, dont celui qui nous occupe.
Je ne suis pas sans savoir que plusieurs kabbalistes justifient l’étude de la Kabbala en expliquant que les mises en garde d’antan ne sont plus applicables de nos jours.
L’idée que le Nistar sera beaucoup plus accessible à l’approche de la venue du messie, se trouve déjà dans le
Zohar (I, 118a).
Reste à définir à partir de quand il convient de considérer que nous sommes «
peu avant la venue du messie »…
Rabbi Avraham Azoulay (ancêtre du ‘
Hida) dans la préface de son
Or Ha’hama (d’’h oumatsati katouv) http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=21493&st=&pgnum=7&hilite= écrit que l’interdiction qui était
de mise est désormais
démise et ce, depuis l’an 1490.
De plus, dès l’an 1540 (5300), il serait devenu particulièrement bénéfique d’étudier la kabbala en public, grands et petits ( !).
Il indique pour source le
Raya Meheimna, mais cette source ne parle que de « la fin des temps » sans en donner l’agenda ni les dates des principaux rendez-vous.
Difficile de décider de la date du «
début de la fin des temps » tant qu’on ignore la date réelle de la venue du messie, mais s’il avait raison, il faudrait dire que nous sommes à la « fin » des temps depuis plus d’un demi-millénaire (depuis 1490) ! … ça fait un peu beaucoup (/long) pour une « FIN des temps» sur 5700 ans -et il est difficile de qualifier cela de «
proche » de la venue du messie.
Et puis vous imaginez où peut nous mener une telle assertion, si un interdit peut non seulement s’annuler mais même s’inverser avec le temps, c’est dangereux…
En tout cas, la masse des poskim qui s’oppose à ce qu’il dit, l’a fait APRES l’an 1490 ou 1540, il est donc en minorité sur sa position.
Vous citez
Rabbi Haim Vital au nom du
Arizal qui dirait que justement à notre époque il faut dévoiler la cabale etc.
Je pense que vous avez lu cela dans le
Tanya (ou autre écrit ‘Habad citant ce Tanya ou se basant dessus), car c’est ce que le
Baal Hatanya écrit dans
Igueret Hakodesh (§26) au nom du
Arizal, mais j’ai tout de même quelques doutes…
Vous avez bien fait d’écrire que c’est plutôt «
Rabbi Haim Vital au nom du
Arizal », car le
Arizal n’a pas écrit cela !
Le
Baal Hatanya /Admour Hazaken commet parfois quelques erreurs et imprécisions de ce type.
Mais même pour
Rabbi Haim Vital, je ne crois pas que ce soit exactement ses mots.
Il faudrait chercher dans les écrits du
Mahar’hou (=Rabbi Haim Vital), on indique généralement la
Hakdama du Ets ‘Haim.
Ou encore le
Shaar Haguilgoulim (fin de §XVI), mais –là-bas, il ne fait qu’écrire qu’il faut accomplir les 613 mitsvot par l’action, la pensée et la parole (donc l’étude) et qu’il faut impérativement étudier toute la Torah selon ses 4 niveaux (PARDES) et que tant que ça ne sera pas fait, l’homme revient en guilgoul (NB : d’autres sources plafonnent les retours sur terre à 2 –soit 3 "guilgoulim"/corps en tout).
Quoi qu’il en soit, le
Mahar’hou n’y écrit pas que nous serions tous tenus d’étudier la kabbala dès aujourd’hui (=son époque).
En tout cas, ce qu’il faut retenir de cela, c’est que l’obligation d’étudier le PARDES comporte aussi le Niglé (le pshat –la Torah dévoilée) !
Et
Rabbi Haim Vital écrit bien qu’il n’est pas question de tenter l'étude du Nistar avant de passer par le Niglé -voici ses mots dans la
Hakdama du 8 Shearim :
ואמנם אל יאמר אדם אלכה לי ואעסוק בחכמת הקבלה מקודם שיעסוק בתורה במשנה ובתלמוד כי כבר אמרו רז"ל אל יכנס אדם לפרדס אא"כ מלא כריסו בבשר ויין
Ce qui veut dire (traduction libre):
que personne ne se dise « je vais aller étudier la cabale » avant d’avoir étudié la Torah, la Mishna et le Talmud. Car l’homme ne doit pas pénétrer l’étude du Nistar sans s’être rempli de l’étude du Niglé.
Nous voyons bien que le
Mahar’hou était d’accord là-dessus, dès lors, même s’il écrivait quelque part qu’il est autorisé « de nos jours » d’étudier le Nistar, ça ne serait qu’après avoir étudié le Niglé.
Je sais que le dernier
Rabbi de Loubavitch écrit que chaque mot et même chaque lettre du
Tanya est pesée et calculée et que ses citations sont d’une très grande précision
(cf. Likoutei Si’hot IV, p.1212 note 3, Shaarei Limoud Ha’hassidout p.87), mais –qu’y puis-je, ce n’est pas tout à fait exact.
En l’occurrence, pour cette citation du
Arizal, je doute que nous puissions trouver précisément ces mots-là de sa plume.
Il est possible que l’intention du (dernier)
Rabbi de Loubavitch ne portait QUE sur le
Tanya –partie
Likoutei Amarim- et non sur la partie
Igueret Hakodesh (qui est imprimée à la suite et où se trouve notre citation imprécise et douteuse).
Car ce même
Rabbi écrit que la
Baal Hatanya faisait attention et s’appliquait à écrire
Vekhoulei suite à un maamar (non terminé) et
Vegomer suite à un passouk (non terminé)
[cf. Tishbi sous l’entrée Gamar,
cette règle est étrangement bien mieux respectée chez les auteurs ahskenazes que chez les sfarades pourtant souvent bien plus enclins à sur-considérer la grammaire et le Dikdouk].
Or, il se trouve que dans
Igueret Hakodesh, le
Baal Hatanya ne respecte pas cette règle (voir par exemple
§XXI).
Le Rabbi le souligne dans l’introduction à son
Mafte’hot Lessefer Hatanya (note 3), il y écrit que le
Baal Hatanya -dans ses Lettres- n’a pas respecté cette règle.
Dès lors, nous pourrions dire aussi que la prétendue précision de ses citations ne se retrouverait que dans son
Tanya mais pas dans les
Lettres.
Il ne faudrait donc pas s’étonner outre-mesure de son inexactitude concernant le
Arizal.
[J’ajouterais tout de même que je ne suis pas persuadé de l’idée d’une précision extrême dans le
Tanya.
Nous trouvons même parfois des phrases étranges, comme l’expression «
velo ya’hlif velo yamir dato leolamim » dont on ne peut s’empêcher d’en trouver la source dans le Yigdal, pourtant contesté et supprimé par le
Baal Hatanya lui-même dans son fameux
Sidour !
Voir à ce sujet le
Mishmeret Shalom (Perlow) du rabbi de Koïdanov (§VIII, note 6) qui s’étonne de cette « contradiction interne » chez le
Baal Hatanya.
Mais le dernier
Rabbi non plus n’était pas toujours extrêmement précis et il lui arrivait même de s’embrouiller
(comme cela arrive à tout le monde) dans ses citations.
Par exemple, au début des
Reshimot, ‘hovéret 1 page 5, il cite un
Maharshal dans le
Shout, sur les
hilkhot guitin.
En fait c’est un
Maharshal dans son
Yam shel Shlomo sur massekhet Guitin (IV, §26) auquel il pensait
(mais ça n'est pas dans le Shout).
Il n’y a là rien de grave, mais je l’indique pour comprendre que lorsqu’on parle d’une très grande précision dans les écrits du
Tanya, il ne faut pas s’étonner si elle ne s’avère pas tout à fait précise.
]
[il y a à peine quelques heures, je lisais dans le
Tanya (partie
Igueret Hatshouva, §IX, daf 99a) une citation qui ne se trouve pas.
Le
Baal Hatanya indique un texte comme étant écrit dans le
Tana Debei Eliahou –il ne donne pas la référence précise- mais ce texte n’y figure pas ! vous pouvez lire et relire tout le
Tana Debei Eliahou vous ne l'y trouverez pas.
Il s’est certainement embrouillé les pinceaux avec un autre Midrash, probablement le
Vayikra Raba (XXV, 1).
Mais bon, l’idée existe bien chez les ‘
Hazal, ce n’est qu’une erreur de référence.
Plus haut (dans le
Likoutei Amarim cette fois ,
§2) il indique un
Zohar qui n’existe pas, c’est déjà plus embêtant.
On retrouve toutefois la notion chez des Rishonim.
Jusque là, il s'agît d'erreurs de référence, alors que l’idée existe bien chez les ‘Hazal, ou au moins chez les Rishonim, mais il y a aussi un autre type d’erreurs, plus perturbant.
Par exemple lorsqu’il écrit
(Igueret Hatshouva XI) quelque chose qui semble contredit par les Rishonim.
]
Quoi qu’il en soit, même en suivant totalement le
Baal Hatanya, il ne faut pas oublier que dans cette même
Igueret (26) il écrit aussi que
Rashbi et son fils -même dans la fameuse grotte, ont concentré l’essentiel de leur étude sur le Shas (=le Niglé/les mishnayot) et NON sur le Zohar et les tikounim qui ne nécessiteraient pas plus de deux ou trois mois d’étude (!), ce qui n’est pas le cas du Niglé qui a pu les occuper durant toutes ces années.
Qu'on se le dise. Il y a là de quoi méditer...
Il faut aussi savoir que lorsque des rabanim conseillent d’étudier le
Zohar, cela ne veut pas nécessairement dire étudier la
Kabbala ; le
Zohar est un Midrash et comporte des parties typiquement midrashiques.
Nombreux sont ceux qui conseillaient d’étudier le
‘Hok Leisrael qui comporte des passages du
Zohar, il ne s’agît pas encore d’étudier la cabale.
En ce qui concerne la ‘Hassidout, c’est souvent assimilable au
Zohar ou au Moussar et ne pose donc pas de problème à ce niveau.
Il ne faut pas s’affoler de l’enseignement de la ‘hassidout, cela n’est pas comme l’étude de la kabbala.
Je conclus brièvement : il y a en effet des auteurs pour qui il faut étudier la cabale à chaque coin de rue « de nos jours » (et ce depuis 500 ans), mais ce n’est pas l’opinion retenue par les gdolim et les poskim.
PS : et pour votre PS, je ne sais pas de quoi il s’agît, je comprends que c’est un mail que j’ai dû recevoir, mais sachez que j’ai actuellement plus de 950 non-lus, je le dis aussi pour d’autres qui s’étonneraient de ne pas recevoir de réponse.
J’en profite pour rappeler à tous ceux qui me posent des questions par mail, que -dans la mesure du possible, il faut m’écrire sur Techouvot.
Le mail ne doit être utilisé que pour les messages trop privés, merci.
Ma boite mail ne désemplit pas, même lorsque je réponds à des dizaines de questions (parfois 50) en un jour, d’autres arrivent dans la même journée, désolé, je fais ce que je peux (-voire même plus).
J’ajoute encore, que même sur Techouvot, il ne faut pas s’affoler si on ne reçoit pas toujours la réponse dans la semaine… Je fais mon possible, sachez que beaucoup d’autres attendent depuis plus longtemps, je réponds comme je peux aux messages sur lesquels je tombe au bon moment.
Je termine par une demande devenue assez habituelle après mes longs messages: Veuillez excuser les fautes, je ne peux pas prendre le temps de me relire.