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Les Loubavitchs interdisent de représenter les tables de la loi en forme arrondie en haut. Pourtant c’est la tradition. N’y a-t-il pas dans la littérature rabbinique une position qui défendrait cette forme habituelle ?
Si, il y a le
Rav Fischer (Shout Even Israel VIII, §57) qui prend la défense de la représentation traditionnelle des Tables de la loi.
Tout d’abord il souligne que la preuve apportée pour indiquer qu’elles étaient carrées ne prouve rien ; il s’agit de la Gmara dans
Baba Batra (14a) qui en donne les mensurations (longueur, largeur et profondeur) sans préciser une éventuelle extrémité arrondie.
La valeur catégorique de la preuve est donc à relativiser.
De plus, il ajoute qu’on pourrait soutenir l’inverse en se basant sur nos textes, puisque la Mishna dans
Avot (V,6) mentionne les Lou’hot (Tables de la loi) parmi les dix choses créées à la toute fin des six jours de la création du monde, or, le Tamud
Yeroushalmi [il indique Shviit §6 et Nedarim §5. J’aurais plutôt dit Nedarim §3,2 -daf 9a, et Shvouot §3,8 -daf 17a, ainsi que Maasrot §5,3 -daf 25b)] nous enseigne que lors des six jours de la création, rien n’avait de forme carrée (אין מרובע מששת ימי בראשית).
[Il est intéressant de souligner que le sel prend naturellement une forme carrée, cela pourrait contredire ce
Yeroushalmi, mais la conclusion est qu’il existe des Okhalin carrés, c’est pour le reste qu’il n’y a rien de carré.
Cependant, le sel ne peut que difficilement se faire inclure dans Okhalin (cf.
Mishna Erouvin 3,1 soit daf 26b)…
De toute manière, une autre lecture du
Yeroushalmi indiquerait que c’est seulement à propos des animaux vivants qu’il est dit que rien n’est carré, lorsque l’on exclut les aliments, on exclurait aussi tout le reste à part les « Briot » vivantes (cf.
Korban Haéda ad loc). Voir aussi
Shout Avnei ‘Hefets (§34).
Cependant, cela ne correspondra pas à l’explication donnée par
R. David Ganz dans son
Ne’hmad Venaïm (§28 et §29). J’entre plus en détails sur ce sujet dans ma correspondance avec
Rav Dovid Kohn שליט"א].
Donc les Lou’hot ne devaient pas être carrées. (Selon cet argument, il faudrait les imaginer arrondies en bas aussi.)
Ensuite,
Rav Fisher ajoute que si les Lou’hot étaient malgré tout carrées, nous aurions bien raison de les représenter arrondies car le Talmud
(Avoda Zara daf 43) interdit de reproduire les ustensiles du Temple à l’identique.
Et bien que le
Min’hat ‘Hinoukh (§264) pense que cela ne concerne que les ustensiles et objets dont la Torah a précisé les mensurations
(sans quoi on ne ferait jamais « exactement » comme l’original), il semble qu’il en soit de même pour les Lou’hot puisque leurs mensurations nous sont précisées par le Talmud (bien qu’absentes de la Bible).
De plus, l’idée du
Min’hat ‘Hinoukh est discutable car la
Mekhilta (fin de Yitro) indique qu’il est aussi interdit de reproduire les Krouvim, alors que leur taille n’est jamais précisée
(cependant, ce din de la Mekhilta n’est pas rapporté dans le Rambam).
Et bien qu’une représentation en deux dimensions ne puisse être concernée par l’interdit
(Ritva Avoda Zara daf 43) et ne nécessiterait pas d’arrondir les Lou’hot
(pour éviter l’interdit), nous les dessinons malgré tout de forme arrondie étant donné que dans certaines synagogues il y en a des représentations en trois dimensions, c’est la forme qui s’est imposée et nous la gardons même pour un simple dessin.
[NDLR. Je ne connais pas beaucoup de synagogues où l’on aurait reproduit des Tables de la loi grandeur nature, c-à-d chacune de 6x3x3 Tfa’him
(approximativement 60x30x30 cm), il n’aurait donc jamais été nécessaire d’en arrondir l’extrémité afin d’aviter le Issour de reproduction fidèle des objets du Temple.
De plus, cet interdit ne concerne a priori que les ustensiles et objets du service du Temple et non tout objet qui trouvait sa place au Temple.
Va-t-on interdire de reproduire un Sefer Torah sous prétexte que celui de Moshé y était déposé ? (
Rav Fisher répondrait certainement qu’on n’a pas les dimensions exactes du Sefer de Moshé…)]
Puis,
Rav Fisher conclut en disant qu’avec des Lou’hot carrées en bas et arrondies en haut, on s’en sort parfaitement car on ne les aura pas reproduites à l’identique, qu’elles fussent arrondies (des deux côtés) ou carrées (
rectangulaires).
Quoi qu’il en soit, les Loubavitch ne sont pas les seuls à tenir à une représentation carrée des Lou’hot, ils ont un allié de Bnei Brak : le
Steipler insistait pour que l’on représente les Lou’hot sous forme carrée, c’est pourquoi vous verrez plusieurs synagogues de Bnei Brak (et depuis: ailleurs aussi) les représentant rectangulaires ou parfaitement carrées.
Rav Shakh (Mikhtavim Oumaamarim tome 1-2, §94, p.148) ayant été consulté (par une synagogue) sur la forme à adopter, répondit que le Minhag a une valeur et si on les a toujours représentées arrondies, ce n’est pas en vain. Puis il ajoute qu’étant donné qu’il voit que le
Steipler a ordonné de les représenter carrées, il se plie à sa décision et indique lui aussi de représenter les Louh’ot de forme carrée.
Le
Steipler voyait la source de la représentation arrondie chez un artiste non juif qui aurait inventé cette forme et les juifs l’auraient bêtement suivi, voilà pourquoi il y était durement opposé.
Je ne sais pas s’il a vu le tableau de
Rembrandt (1659), celui d’
Aron de Chaves (1674), l’illustration de
Gustave Doré (1866), ou la Déclaration des droits de l'Homme, mais les représentations arrondies ne datent pas du XVIIème siècle, nous les trouvons déjà au XIIIème siècle, époque à laquelle les juifs de Grande-Bretagne devaient porter sur leurs habits un signe distinctif en forme de Tables de la loi arrondies en haut.
Voir le dessin qui date de 1275 reproduit dans
Halevoush Hayehoudi (Bnei Brak 2013,p.51), et dans «
Le peuple juif, quatre mille ans de survivance » (de
Max Wurmbrand & Cecil Roth, Albin Michel 1967, p. 142, qui date ce dessin du siècle suivant. Voir aussi
p.137).
En réalité, cela n’indique que la conception non-juive puisque cet insigne a été imposé par eux aux juifs.
On voit aussi, sur des églises, des statues représentant la Synagogue aveugle et elle porte parfois des Lou’hot arrondies, voir
« Le peuple juif, quatre mille ans de survivance » (p.148).
Il existe aussi des artistes non juifs qui imaginaient les Lou’hot carrées, par exemple
Philippe de Champaigne (en 1663), et c’est étonnamment aussi la forme que l’on remarque sur le Moïse de
Michel Ange (1515).
Chez les juifs aussi la forme carrée se retrouve, notamment sur la page de garde de l’édition d’Amsterdam du
Shla (1698)
[illustration signée Avram Bar Yaakov אברם ב"ר יעקב. S’il connaissait la Gmara Baba Batra (14a), il ne devait pas connaitre celle de Brakhot (13a) qui interdit d’appeler Avraham par son ancien nom « Avram ».
Néanmoins, certains pensent qu’il n’y a aucun problème à se prénommer ou prénommer son enfant Avram, il est juste interdit d’appeler Avraham avinou par ce nom.
Preuve en est, nous trouvons un Avram ‘Hozaa dans Guitin (50a). Toutefois, certaines versions (Ritva Guitin 50a, Ktsot Ha’hoshen §39,1, Gvoul Yehouda Guitin 50a) portent (à la place de « Avram ») Avraham ou Avimi, voir Safa Leneemanim (Varsovie 2021, p.222)].
Pour conclure, je dirais qu’il est autorisé de représenter les Lou’hot comme on le souhaite, et si certains s’astreignent à les représenter carrées, on ne peut pas vraiment l’imposer à autrui.
