Citation:
Comment concilier ce que dit le Ravad ( Hil'hot Téchouva 3;7 ) sur la corporalité de D-ieu avec Son unité et Son omnipotence ? Ne dépendent-elles pas toutes l'une des autres ?
Si.
Citation:
Note: malgré qu'il n'adhère pas à cette vision, il ne la disqualifie pas…
Je ne suis pas d’accord avec votre lecture. Je comprends qu’il « disqualifie » l’anthropomorphisme et s’y oppose, sans pour autant disqualifier ceux qui y adhèrent involontairement (Beshogueg). Le
Rambam les condamne comme s’ils étaient responsables, tandis que le
Raavad condamne la Hashkafa seulement, ainsi que ceux qui y adhéreraient Bemezid (« volontairement »), mais pas ceux qui auraient été trompés par les Agadot (האגדות המשבשות את הדעות).
Citation:
Par ailleurs, la corporalité ne se conçoit que dans un espace, et donc dans un temps: cela reviendrait à dire ( H"V ) que D-ieu n'est pas primal ou que l'espace-temps n'est pas une création mais existe depuis l'éternité…
Certains Rishonim vous auraient répondu que D.ieu n’est pas forcément Gashmi mais peut le devenir, selon son souhait.
Ils comprenaient donc qu’au départ (avant la création de la matière, de l’espace, du temps…) D.ieu n’avait pas de corps, et qu’ensuite, D.ieu pourrait passer d’un statut à l’autre, avec ou sans corps.
C’est l’idée de
Rav Moshé Tako, voyez
Knesset Me’hkarim (tome 1, ashkenaze, Jér. 2004, le Maamar de Ta-Shma sur le Sefer Hamaskil, p.148, note 23).
Mais cette vision est tout autant étonnante et fait penser aux idées très catholiques…
Je ne pense pas que ce soit la réponse que vous donnerait le
Raavad, il répondrait plutôt : Effectivement, mais il ne convient pas pour autant de condamner celui qui professe l’anthropomorphisme sans prendre conscience que cela revient à limiter D.ieu.
Celui qui le comprend et l’assume est un Kofer, d’accord. C’est le « Mézid » dont on parlait. Mais celui qui est Shogueg, c-à-d qu’il n’est pas au fait des réflexions philosophiques de base qui permettent de comprendre le lien entre l’espace et le temps, ne devrait pas, selon le
Raavad, être condamné.
Le
Sefer Haïkarim (I,§2) partage cette vision « indulgente » des choses.
Citation:
Enfin, pourquoi dire "et plusieurs grands et sages..." :
- peut importe comment comprndra-t-on la suite ( "plus que lui", "d'entre nous" etc...): en quoi sont-ils sages: j'ai plutôt l'impression que leur vision est totalement branlante !
Ils étaient grands et sages dans le reste. Ce point de Hashkafa est certes crucial, mais ce n’est qu’un point de hashkafa. Ces grands sages étaient des sages dans le reste et se trompaient sur un point. Ils ne considéraient pas D.ieu comme étant limité dans le temps (ni créé), bien que Le considérer comme ayant un corps implique -quand on y réfléchit- qu’Il soit limité dans le temps, mais ces Tsadikim ne le réalisaient pas. C’est en cela qu’ils furent Shogueg.
Citation:
- qui seraient ces fameux sages ?
On ne les connait pas tous mais il y avait quelques Rishonim assez connus, comme
Rabbi Moshé Tako, l’auteur du
Ktav Tamim, qui véhiculaient cette idée. Cf.
Ktav Tamim dans
Otsar Ne’hmad (III, p.64) où
R. Moshé Tako s’oppose à
Rav Saadia Gaon qui s’oppose à la Gashmout.
[Le nom de ce
Rabbi Moshé Tako indique qu’il était peut-être originaire de Dachau, ou plus probablement de Tachov en Bohême (République Tchèque). Il a étudié à Paris, chez
Rabbi Ye’hiel de Paris (cette Yeshiva était la plus grande/prestigieuse du monde à son époque, avec plus de 300 élèves.
Le bâtiment a ultérieurement été, comme souvent, spolié par l’Eglise après l’expulsion des juifs (au plus tard celle de 1306, mais possiblement avant), on dit que c’est sur cette Yeshiva qu’a été construite l’église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux (les débuts de cette église remontent à 1257-1258, approximativement une quinzaine d’années après la fuite de
Rabbi Ye’hiel vers Erets Israel car sa vie était menacée à Paris, suite à la disputation qui lui avait été imposée par (le « malsaint »)
Louis IX).
Rabbi Ye’hiel de Paris étant plus ou moins contemporain du
Rambam mais beaucoup plus jeune, ce n’est pas à son élève que devait penser le
Raavad, mais cette « école » existait.]
D’autres sages estimaient qu’en disant aux Amei Haarets que D.ieu n’a pas de corps, que c’est une « idée », un « concept », mais pas une personne avec deux bras et deux jambes, ils en viendraient à ne plus croire en D.ieu.
Et d’un autre côté, ils se refusaient à leur dire que D.ieu aurait réellement un corps, ils avaient donc opté pour leur dire que D.ieu était une lumière (compromis, dans leur esprit, entre présence et absence de matière).
Voyez le
commentaire du Shem Tov sur le
Moré Nevoukhim (I,§35, daf 56b), suivant en cela l’avis d’
Ibn Rushd (Averroès). Voir aussi les
annotations de Rav Yaakov Bakhrakh sur le Moré Nevoukhim (ad loc) qui s’étonne de cette explication du
Narboni et demande: האין גם זה חלוף האמת? הבזה נמלט אותם מאמונת ההגשמה? האור איננו גשם?! ומה ההבדל בזה בין גשם עב לגשם דק?!
(j’ai copié l’intégralité de sa note, car cet écrit n’est pas facile d’accès. Les notes du Rav se trouvent au JTS à New York et la grande Sefria de Jérusalem dispose d’une copie. Dr Eli Gurfinkel de l’université de Bar-Ilan a publié ces notes, ici : https://www.academia.edu/125702629/%D7%97%D7%95%D7%91%D7%91_%D7%A6%D7%99%D7%95%D7%9F_%D7%A7%D7%95%D7%A8%D7%90_%D7%90%D7%AA_%D7%9E%D7%95%D7%A8%D7%94_%D7%94%D7%A0%D7%91%D7%95%D7%9B%D7%99%D7%9D_%D7%94%D7%A2%D7%A8%D7%95%D7%AA_%D7%95%D7%94%D7%92%D7%94%D7%95%D7%AA_%D7%A8_%D7%99%D7%A2%D7%A7%D7%91_%D7%91%D7%9B%D7%A8%D7%9A_%D7%9C%D7%9E%D7%95%D7%A8%D7%94_%D7%94%D7%A0%D7%91%D7%95%D7%9B%D7%99%D7%9D_%D7%95%D7%9C%D7%A4%D7%99%D7%A8%D7%95%D7%A9%D7%99_%D7%A0%D7%A8%D7%91%D7%95%D7%A0%D7%99_%D7%95%D7%A1%D7%98%D7%90%D7%A0%D7%95%D7%91 ).
Citation:
Note: j'ai l'impression que cette théorie de la corporalité que veut défendre le Ravad n'est pas sans rappeler les théories des Sefirot (et Cie.) si on les comprend de manière littérale. Vouliat-il peut-être défendre cette corporalité, lui qui est l'un des sages à l'origine du renouveau de la Kabbala moderne ?
Non, non, certainement pas. Comme dit, il est d’accord pour condamner la Hashkafa de Gashmout, mais pas pour condamner celui qui s’y trompe. Ce n’est qu’une erreur, ça n’en fit pas un Apikoros pour autant.
Quant au lien entre les Sfirot et la Gashmout/la Trinité, j’en ai parlé dans un cours, peut-être celui-ci :
https://www.centre-alef.fr/7784/