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ADMOUR de AMCHINOV et transgression de la halakha ?

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Ynone
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Bonjour Rav,

Avez-vous entendu parler du Amchinover Rebbe ? Et si oui, que pensez-vous de sa façon de prier qui ne respecte pas du tout les zmanimes exemple: chaharit le soir etc. ?
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6815
Citation:
Avez vous entendu parler du Amchinover Rebbe et si oui, que pensez-vous de sa facon de prier qui ne respecte pas du tout les zmanimes exemple : chaharit le soir etc.. ?


On est vendredi, ce n'est pas une question pour le vendredi, je risque de ne pas avoir le temps, mais je me lance quand même:

Oui, effectivement, il y a -et surtout il y a eu- des Rabbis ‘hassidiques (et des ‘hassidim) qui pri(ai)ent à des heures incongrues, sans respect aucun pour les temps fixés par la Halakha.
C’est le cas du Rabbi de Amshinov que vous évoquez et ça a été le cas, dans le passé, de nombreux Rebbes, dont
R. Lévi Its’hak de Berditshev,
R. Mikhel de Zlotshov,
le Rabbi (Mendel) de Kotzk,
le Rabbi de Ziditshov,
le Rabbi de Rufshitz,
le Rabbi Rimanov,
le Rabbi de Gur (‘Hidoushei Harim),
le Botshatsher Rouv,
le Rabbi (Israel) de Rouzhin,
le Rabbi (Mordekhaï) de Nadvorna,
le Rabbi (Yoel) de Satmar,
le Rabbi (Aharon) de Belz
,
et beaucoup d’autres.

Ils priaient Sha’harit après les 4 heures de la matinée (sof zman), voire même après ‘Hatsot hayom!
Idem pour Min’ha qui avait lieu parfois une ou deux heures après la tombée de la nuit, voire même jusqu’à ‘Hatsot Layla (cf. Halakhot Vehalikhot Be’hassidout p.88).

Je dois insister en prélude sur un point : je ne suis pas du tout à leur niveau de Tsidkout, même si leurs agissements paraissent incompatibles avec la halakha, il ne convient pas de s’exprimer sur le ton du reproche ou de la critique parce que nous respectons les horaires.
Nous devons continuer de respecter les horaires et ne PAS suivre leur exemple, mais ça ne veut pas dire qu’ils soient pécheurs pour autant h’’v [cf. Siftei Tsadik (Piltz) (Vaéra §3)].
Quand on parle de plus grand que soi, il faut savoir rester à sa place.
Mépriser ou se répandre en invectives contre le ‘Hidoushei Harim ou le Satmer Rouv serait uniquement un signe de bêtise, on ne peut techniquement pas remonter les bretelles à quelqu’un lorsqu’on ne lui arrive pas à la cheville.

Il s’agit donc d’émettre une analyse halakhique sans tenir compte de leur niveau supérieur de Tsidkout.
(Bien entendu, il y a aussi des gens simples -même parmi les Rabbis ‘Hassidiques- qui se permettent de dépasser les horaires du Shema et de la Tfila, eux sont effectivement pécheurs, mais je veux dire qu’il faut savoir accorder le bénéfice du doute aux personnalités reconnues comme étant des gens pieux par ailleurs.)
Le Rabbi de Amshinov (que je ne connais pas) est réputé Tsadik donc je le juge « lekhaf zkhout » et ne le condamne pas pour ces transgressions. [Certains se le permettent pourtant, estimant que rien ne justifie ses agissements.]

[Voyez ce qu’écrit le Rabbi de Komarno dans Shoul’han Hatahor (§109, Zer Zahav sk.2) à propos de certains qui, après s’être séparés et éloignés des attirances matérielles de ce monde et avoir ressenti une élévation spirituelle, s’imaginent être à un niveau inégalé. Ces gens (que nous pourrions souvent qualifier de Tsadikim mais qu’il qualifie d’imbéciles) seront trompés par le Ciel en leur donnant un certain pouvoir qui les amènera à emprunter des chemins erronés, comme prier en dehors des horaires halakhiques… sauf s’il s’agit d’un Tsadik Gamour qui est « perturbé » par la Dveikout et la Ahava etc. après lequel on ne doit pas avoir de suspicion… Voyez ses mots pour plus de détails, mais il ne nous indique pas un moyen infaillible de distinguer ces deux catégories de personnes.]

Cette mise au point étant terminée, passons à la question Halakhique.

Halakhiquement parlant, c’est interdit.
Des dizaines de sources dans les Poskim s’y opposent fermement.
Le Rivevot Ephraïm écrit (Igrot Malkhei Rabanan §1) « quant aux ‘hassidim qui prient tard, [les poskim] ont déjà crié contre cette habitude, mais personne (parmi ces ‘hassidim) n’y prête attention ». (ובענין החסידים שמתפללין מאוחר כבר צוחו בזה ואין מי שישים לב)

C’était un fléau très répandu chez les ‘hassidim dans le passé. Depuis, plusieurs Rabbis ‘Hassidiques se sont opposés à cette pratique, le Imrei Emet, dès son accession à la tête de la ‘Hassidout, l’a officiellement interdite à ses adeptes (‘hassidim de Gur) (Mevasser Tov -Eizikzohn- O’’H §1).

Le Tiféret Hayehoudi (§82 -Piotrkow 1912, daf 20a) comprend des paroles du Kotzker Rebbe qu’il y avait une possibilité de rejoindre le « but » par ce chemin « dévoyé », mais qu’à partir du moment où trop de monde l’a emprunté, il devient impraticable et il est nécessaire de revenir au chemin normal en faisant la prière à l’heure.

Le Rav Moshé Midner (grand Talmid ‘Hakham, très humble et ‘hassid Slonim) s’est aussi opposé aux prières tardives, selon lui, il y a eu dans le passé des Tsadikim qui vivaient dans les mondes supérieurs, donc ils étaient déconnectés des heures de ce monde-ci, mais de nos jours il faut respecter les horaires de Tfila (Dmouyot Hod II, Bnei Brak 1968, p.107).

Dit comme ça, je ne sais pas trop ce que ça veut dire ; ça signifie quoi « vivre dans des mondes supérieurs » ? ça dispense de respecter la Halakha ? Alors autant manger du ‘Hamets pendant Pessa’h puisque dans les mondes supérieurs il n’est pas la même heure… C’est un concept flou et incontrôlable, on peut faire dévier tout le judaïsme avec des arguments pareils, en se synchronisant sur un fuseau horaire « supérieur » calé sur le méridien du Gan Eden.


Pour une explication halakhique, on peut peut-être tenter de dire ceci :
La Halakha indique de ne pas prier si l’on n’est pas en état d’être Mekhaven (se concentrer sur ce qu’on dit). Le Shoul’han Aroukh (o’’h §98,2) écrit :
לא יתפלל במקום שיש דבר שמבטל כוונתו ולא בשעה המבטלת כוונתו. (on ne priera pas dans un endroit ou à un moment qui perturbe la Kavana/la concentration)
Néanmoins il poursuit en écrivant :
ועכשיו אין אנו נזהרין בכל זה מפני שאין אנו מכוונים כ"כ בתפלה (de nos jours on ne fait plus attention à cela car nous ne prions pas tellement avec grande kavana).

Nous pourrions donc dire que ces Rebbes estimaient qu’ils priaient chaque prière avec grande Kavana et donc qu’ils étaient au niveau d’être concernés par cette Halakha qui stipule de ne pas prier si l’on n’arrive pas à être Mekhaven, et ils attendaient donc d’être aptes à prier Bekavana.

Néanmoins, il subsiste des difficultés à cette justification:

1) Au mieux cela autorise à ne pas prier, mais il n’y aurait pas de Heiter de prier après l’heure, c’est brakha levatala après l’heure. Enfin, jusqu’à ‘Hatsot on peut s’arranger, mais pour ceux qui priaient Sha’harit après ‘Hatsot, c’est interdit. (Cependant, voir Shout Maharam Shik §90.)

2) On pourrait dire que c’était Betorat Nedava, mais cela signifierait qu’ils n’avaient donc pas « Skhar Tfila Bizmana » (comme le distinguo de la Gmara pour après le Zman mais AVANT ‘Hatsot dans Brakhot 26a).

3) Et même si c’est Betorat Nedava, ça marcherait pour la Amida mais pas pour les Brakhot du Shema, et même d’après d’éventuelles shitot (non retenues par le Shoul’han Aroukh) (=Pri ‘Hadash, Atéret Zkénim) qui considèrent que le zman des Birkhot Kriat Shema est toute la journée (comme le Rambam), mais il reste d’autres Brakhot comme Baroukh Sheamar et Yishtaba’h etc. qui ne peuvent être récitées après ‘Hatsot.

[Toutefois, certains, en se basant sur le Netivot dans ‘Havot Daat (§110 -Kountras Beit Hassafek), disent que le problème de Brakha Levatala ne se poserait que dans le cadre d’une Brakha prononcée en tant que devoir obligatoire (Betorat ‘Hiyouv), mais pas dans le cas d’une Brakha en tant que « Nedava », et de la même manière qu’une Amida Betorat Nedava n’est pas considérée Brakhot Levatala, on pourrait aussi faire les autres Brakhot Betorat Nedava. Cf. Hadrat Kodesh (Nasaud) (daf 28b).

4) autre difficulté : chez certains Rebbes c’était quasi-quotidien, tous les jours les prières étaient tardives. Comment se dire que TOUS les jours ils n’étaient pas aptes à prier le matin à l’heure ?

5) Et par quel miracle tous les (autres) Tsadikim arrivent plus ou moins à avoir la Kavana dans leurs prières en les maintenant aux horaires officiels, et tous les Rebbes (‘hassidiques) n’y arriveraient pas ?

6) Et aussi, il y a leurs ouailles qui les imitent, voire qui participent à leur « minian » tardif. Et le Rebbe lui-même ne leur en dit rien, voire les y encourage (il faut bien assurer le minian…).
[Certains Rabbis qui ne respectaient pas les horaires de prières indiquaient tout de même à leurs ouailles de ne pas les imiter sur ce point, comme l’ont fait le Rabbi de Satmar (Israel Vehazmanim p.137) et le Rabbi de Rouzhin (Halakhot Vehalikhot Be’hassidout p.93 note 56).]

Pour le Rebbe lui-même, on trouve des pistes de justification, le Shout Erets Tsvi (I, §36) explique qu’en réalité celui dont la Torah est la seule occupation (Torato Oumanouto) est totalement dispensé de Tfila et à plus forte raison des horaires de Tfila qui sont Miderabanan.
Par contre, ils restent tenus d’accomplir les autres Mitsvot, parmi lesquelles celle de la Tfila qui est Min Hatorah (selon certains), du coup, même après l’heure ils doivent prier pour accomplir cette Mitsva (néanmoins, lorsqu’on connait un peu leurs emplois du temps, on a du mal à appliquer le principe de Torato Oumanouto à de nombreux rabbis ‘hassidiques… S’il fallait mettre en application cette Halakha à notre époque, de nombreux autres rabanim passeraient avant.)

Quant au problème de Brakha Levatala, son idée consisterait à dire que les Birkhot Hasha’har peuvent, selon certains, être récitées toute la journée (cf. Mishna Broura §53, sk.10), les brakhot du Shema aussi selon le Rambam, bien que le Rosh et le Shoul’han Aroukh tranchent autrement [cf. Biour Halakha (fin de §58) et Shout Erets Tsvi (I, §36)], et la Amida peut se faire en tant que Tfilat Nedava à condition d’être « Me’hadesh Ba Davar » (Shoul’han Aroukh o’’h §108,7), voyez Shout Pri Eliezer (Polak) (Jér. 2013, I, p.515) [voir aussi l’idée du Hadrat Kodesh (op cit) et Minhag Israel Torah (o’’h I, §89,3)].

Néanmoins ces justifications sont extrêmement « Bediavad » et ne justifieront pas cette habitude lekhate’hila tous les jours, ni non plus n’autoriseront aux participants au Minian du Rebbe qui ne sont probablement pas « Me’hadshim Ba Davar » et qui ne sont certainement pas « Toratam oumanoutam » (= ils ne s’occupent pas exclusivement de Torah).

[Cependant, le Darkhei Moshé Ha’hadash (§75) rapporte que lorsque le Maharam Shik a été nommé rabbin à ‘Houst (=Khoust), il a remarqué que la Tfila de Shabbat se faisait après le Sof Zman Tfila (et entrainait donc de multiples Brakhot Levatala) et a eu l’intention de faire une Drasha à ce sujet pour avancer l’heure de la prière. Mais il s’est finalement ravisé en se rendant compte que tous les fidèles se connectaient à D.ieu avant la Tfila, qui par la lecture de Tehilim, qui par l’étude de la Parasha, ou pour les Bnei Torah par de l’étude de Gmara (alors qu’après la Tfila, chacun vaquait à ses occupations et loisirs sans étudier la Torah). De sorte qu’il a préféré se baser sur les opinions qui considèrent que ça ne serait pas Brakha Levatala, pourvu qu’on évite le Bitoul Torah.
Nous voyons qu’il peut y avoir des calculs qui ne nous sembleraient pas justifiés de prime abord, mais il faut pouvoir tenir compte de chaque génération avec ses particularités.]

Il y a aussi une lettre du Rabbi de Liska (Olaszliszka) imprimée dans Or Hayashar Vehatov (p.141), dans laquelle il justifie les ‘hassidim qui dépassent le sof zman Kriat Shema en disant qu’on ne peut pas leur reprocher de mal accomplir la mitsva du Shema puisqu’ils s’y apprêtent justement en se préparant à recevoir le joug de Malkhout Shamayim (par le Mikve et l’étude), tandis que d’autres accourent à la synagogue pour déclamer des mots sans y penser. On voit bien que les sages (Rosh Hashana 9b, Brakhot 8b, Psa’him 68b, Yoma 81b) ont dit que celui qui mange le 9 Tishri sera considéré comme s’il avait jeûné le 9 et le 10, c’est donc que la préparation au jeûne est considérée comme le jeûne, ici aussi, la préparation à la prière (ou au Shema) est considérée comme la prière (ou le Shema).
Il ajoute encore que le Zman du Shema du soir débute à la nuit et pourtant le minhag était de le faire plus tôt et les Rishonim n’ont pas dit que ces juifs avaient tort mais ils ont essayé de trouver une justification halakhique, eh bien il convient d’en faire de même avec le Shema du matin pour les ‘hassidim.
[NDLR il y a de quoi distinguer entre un minhag validé par des générations entières de Tsadikim pendant des siècles, et une nouvelle habitude naissante qui n’est validée que par les concernés et qui est et a été vivement critiquée depuis sa naissance par d’autres Tsadikim.]

Le Rabbi de Liska termine par dire que si toute la faute des ‘hassidim est cette infraction, il ne faut pas occulter le fait que dans tout le reste ils sont parfaitement en règle, et les quatre points soulignés par ‘Hazal comme étant à l’origine du mérite de la Sortie d’Egypte (ils n’ont pas changé leurs noms ni leur langue, il n’y avait pas de délateurs parmi eux et ils respectaient les Gdarim de Arayot. Il existe plusieurs autres versions de ce Midrash et la liste n’est pas toujours exactement la même) sont scrupuleusement respectés par les ‘hassidim.
Fin de citation.

Je dois avouer qu’en le lisant je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce qu’a écrit le Shout Pri Eliezer (Polak) (Jér. 2013, I, p.512) ; il dit avoir vu dans les Sfarim beaucoup de Svarot, d’explications et de justifications de cette attitude ‘hassidique contraire à la halakha, mais qu’il ne s’agit que de « Droush » et qu’aucune de ces Svarot ne serait prise au sérieux dans un contexte halakhique pour autoriser un Issour.

Pas que ces idées soient nulles et non avenues mais elles ne s’inscrivent pas dans un registre halakhique.
Peut-être peuvent-elles concerner certaines personnes, mais il nous incombe de suivre le Shoul’han Aroukh et les Poskim.
Les horaires de Tfila ont été fixés par ‘Hazal et il faut s’y conformer, même si nous voyons que certains Tsadikim estiment qu’ils ont le droit d’y déroger.

[Rav Kook écrit dans Olat Reïya/Raaya (Tfila Vetorah §3, p.20) : אלא שהזמנים הכלליים הקבועים לתפלה נקבעו ע"פ מדת הכלל, שראוי אז להיות נוטה בהם לתפלה].

Bref, au niveau Halakhique, il semble compliqué de les justifier, en tout cas, leurs disciples sont encore moins excusables car il faudrait déjà prétendre à la Kavana dans chaque Tfila (pour ne pas être concerné par la halakha du S.A. qui dit que de nos jours etc. comme indiqué plus haut).

[Il y a aussi une idée selon laquelle l’os « Louz » continue à dormir 2 heures après le lever, par conséquent, pour pouvoir être Makayem « Kol Atsmotay Tomarna », il ne faut pas prier dans les 2 premières heures après s’être levé. Cf. Beit Israel Hashalem (Rabbi de Matersdorf) (début du tome VIII).

Vous me direz qu’il est encore possible de se lever deux heures plus tôt, mais le Gaon de Vilna (Adéret Eliahou, Bereshit daf 13a) écrit que même si un homme se lève avant le jour, sa Neshama ne lui revient qu’au lever du jour.… 😊.
Enfin, il reste possible de se lever deux heures avant le lever du jour, et le retour de la Neshama sera synchronisé avec le réveil du Louz…]

Le Rabbi de Klausenburg (Divrei Yatsiv likoutim VII, §14) explique que la Mitsva de Tfila est -selon le Rambam- min Hatorah, tandis que le Sof Zman est miderabanan. C’est pourquoi, les Tsadikim qui sont sûrs d’être Mekhavnim après l’heure s’autorisent à ne pas respecter le Zman Derabanan afin de pouvoir accomplir la Mitsva Min Hatorah. (voir aussi Vikou’ha Raba, II, §14.)

Cette explication me laisse sur ma faim, car il semble évident que ces Rebbes pouvaient avoir la Kavana simple des mots durant la première Brakha de la Amida en priant à l’heure, c’est pour un surplus de Kavanot (des « kavanot kdoshot ») qu’ils repoussaient l’heure, mais il ne s’agit pas d’avoir les Kavanot du Arizal pour pouvoir accomplir la Mitsva de Tfila min Hatorah.
Voyez aussi les objections que lui oppose le Shout Pri Eliezer (Polak) (Jér. 2013, I, p.515-6).

De plus, ça n’autorise pas les Brakhot Levatala.
Et enfin, on peut accomplir la Mitsva min Hatorah selon le Rambam avec n’importe quelle prière personnelle, pas nécessairement la Amida.

Sans parler du fait que cette explication très classique qui consiste à mettre en avant la nécessité d’un temps de préparation avant de pouvoir prier, s’heurte à quelques difficultés :

1) Pourquoi ne pas se lever plus tôt pour commencer la préparation plus tôt ?

2) et même s’il était impératif que la préparation ait lieu pendant le Zman de la Tfila concernée (et je me demanderais bien pourquoi la préparation devrait être dans les temps alors que la Tfila elle-même pourrait se faire en dehors des temps ?), il y a bien 6 heures Zmaniot avant d’arriver à ‘Hatsot.

3) et comment se fait-il que tous les Tsadikim de toutes les générations (Amoraïm, Rishonim, etc.) arrivaient à se préparer en moins de temps ?

4) et pourquoi ces mêmes Rebbes priaient aussi Min’ha après la tombée de la nuit ? N’avaient-ils pas eu assez de temps pour se préparer avant ? Et ne pouvaient-ils pas utiliser la préparation de leur Sha’harit qui s’est déroulé après ‘Hatsot pour enchainer directement avec Min’ha tant qu’il fait encore jour ?

Contrairement à ce qu’on raconte, le Baal Shem Tov, père de la ‘Hassidout, priait au « Nets », hiver comme été. Voir Tsavaat Harivash (§16).
[Certains Amei Haarets ont imaginé, à tort, que le Besht fût nécessairement à l’origine de cette habitude des prières tardives, voir par exemple Isaac Bashevis Singer, Histoire du Baal Shem Tov (éd. Stock 1983, p.66). (A part des fautes de frappe, ce livre comporte aussi quelques erreurs.)]

Le premier à prier tard sous prétexte ‘Hassidique et qui a innové cette « Hanhaga », fut Rabbi Mikhel Zlotshover (alias le Maguid de Zlotshov), élève du Baal Shem Tov.
Mais il faut souligner qu’il était de faible constitution physique.
On dit que s’il avait prié « dans les temps », il aurait précipité la venue du Mashia’h (cf. Shout Mevasser Tov I, §2 au nom du Rabbi (Aharon) de Belz).

Reb Mikhel dépassait l’heure du Sof Zman Tfila, il habitait à Yampola (Jampol) où le Noda Biyehouda était le rabbin.
Ce dernier n’acceptait pas qu’on transgresse haut la main la Halakha de la sorte et menait une ma’hloket contre lui. Jusqu’à ce que le Haflaa s’en soit mêlé, car ayant entendu de son frère, Reb Shmelke de Nikolsburg (=Mikulov), que ce Reb Mikhel était un grand Oved Hashem dont toute l’intention était Leshem Shamayim, il a demandé à Rav Tébel de Lissa d’écrire au gendre du Noda Biyehouda, R. Yossef de Pozna, pour lui demander d’intervenir auprès de son beau-père pour qu’il laisse R. Mikhel poursuivre sa Avoda (Dor Déa –‘Hassidout, p.84-85).

C’est donc quasiment dès les débuts de la ‘hassidout que cette attitude se retrouve, et elle était déjà dénoncée dans le ‘Hérem à l’encontre des ‘Hassidim qui date de 1772 (Halakhot Vehakilhot Be’hassidout p.89).

Ça ne veut pas dire que tous les ‘hassidim faisaient fi du sof zman tfila, le Maguid de Mezricz et la majeure partie de ses élèves respectaient les horaires des Tfilot (Halakhot Vehalikhot Ba’hassidout p.90).

Néanmoins celui qui a popularisé ce « Dérekh » était Rav Yaakov Its’hak Rabinowicz (1766-1813), alias « le saint juif » (Der Yid Hakudosh / Der Heiliger Yid / HaYehoudi Hakadosh), il priait Sha’harit tard (après ‘hatsot) et ses adeptes suivaient son exemple.
Beaucoup d’autres Rabbis ‘Hassidiques se sont opposés à cela, notamment parmi les disciples du ‘Hozé de Lublin.

Le Mei Hashiloa’h (II, Behaalotekha -Lublin 1922, daf 29a, sv. al pi) justifie ce retard des prières en disant que le Yehoudi Hakadosh aurait vu, à son époque, que c’était une nécessité de Avodat Hashem que de prier plus tard.
C’est étrange.
Voici ses mots :
על פי ה' יחנו ועל פי ה' יסעו את משמרת ה' שמרו על פי ה' ביד משה. הסתלקות הענן ושכינתו לא נראה רק למשה רבינו ע"ה, וכן בכל דור ודור מי שהוא צדיק הדור רואה רצון השי"ת כמו שכתוב שפתי צדיק ידעון רצון, והיהודי הקדוש זללה"ה בדורו ראה רצון השי"ת באיחור זמן תפלה ונסמך על מאמר הכתוב לא תעשון כן לה' אלקיכם, כן רומז על קביעות בלי חיים, וכשראה רצון השי"ת בזה לכן התאחר בתפלתו, ונשמתו מאירה בגן עדן מזה כי כוון לאור רצון השי"ת, אף כי יכול זאת בשנוי זמנים להשתנות מ"מ נאמנה את אל רוחו עד עת קץ.

Je dois avouer trouver cela très bizarre.
De plus, selon cette explication, cela concernait tout le monde et pas seulement lui.
Et d’une certaine manière il y aurait là une porte ouverte à la Réforme, il faudrait pouvoir définir ce qui permet à un Rav de changer la Halakha (car il aurait vu ou su par Roua’h Hakodesh que la volonté divine aurait « changé » en fonction de l’époque), sans que cela justifie les changements opérés par la Réforme -voire même par le christianisme.

Le Beèr Moshé (Parshat Vaye’hi, sv. Naftali -daf 39a) écrit avoir entendu plusieurs fois son père (le Maguid de Kozhnitz) critiquer ceux qui trainent et prient tard sous prétexte qu’ils ne sentent pas encore avoir l’esprit assez clair.
Mais la Avoda consiste à provoquer l’enthousiasme pour la prière même s’il ne nous est pas venu naturellement.
Ce même Rabbi de Kozhnitz a dit à propos du Yid Hakadosh qui priait tard, le passouk (Shir Hashirim VII,8) « Zot Komatekh Damta LeTamar » (זאת קומתך דמתה לתמר) en l’interprétant comme Tamar la bru de Yehouda : זאת קומתך c’est ta Amida (koma signifiant aussi se tenir debout), et bien qu’elle transgresse la Halakha, elle ressemble au cas de Tamar qui n’a finalement pas été punie car elle a agi Leshem Shamayim. C’est le cas du Yehoudi Hakadosh qui agit totalement Leshem Shamayim (Niflaot ‘Hadashot cité dans Hayehoudi Hakadosh al hatorah oumoadim -Jér. 2010 p.283).

Le Heikhal Habrakha (Parshat Lekh Lekha daf 94b) dénonce lui aussi l’erreur de ceux qui cherchent stupidement à s’ingénier dans des préparations pour finalement prier Sha’harit 3 heures après ‘Hatsot Hayom.

Rabbi Aharon de Karlin, dans son testament, met en garde contre les prières tardives.

Le Bnei Yissoskhor (ajouts sur le Sour Mera §36, daf 19a) s’élève contre les ‘hassidim qui retardent l’heure de la prière en se disant qu’ils ne sont pas encore prêts, il écrit qu’en suivant cette logique ils retarderaient aussi l’heure de consommation de la Matsa à après Pessa’h (c-à-d après la nuit du Seder), ou accompliraient la Mitsva de Souka après Soukot. Et ils s’appuient à tort sur un Tsadik qui priait après l’heure, car si ce Tsadik savait par son Roua’h Hakodesh qu’il devait prier tard, en quoi cela permet aux autres de l’imiter ?

Le Or Pnei Yehoshoua (Buksbaum)(Toldot au début du sefer, éd. Jér. 1964, p.30) disait qu’il n’y a pas (d’acte) de ‘Hassidout à prier après l’heure indiquée par le Shoul’han Aroukh et que ceux qui prétendent s’inspirer de Tsadikim qui le faisaient auront des comptes à rendre.

Le Rabbi de Komarno écrit (Heikhal Habrakha parshat Bereshit) qu’un simple juif qui se permet de prier après l’heure, ira directement au Guéhinom.
Ailleurs (Shoul’han Hatahor §109, Zer Zahav sk.2), il écrit que prier après la 4ème heure (=après le Sof Zman Tfila) est un grand danger (סכנה עצומה).

Le Rabbi de Munkacz (Divrei Torah IV, §96) explique que certains Rebbes, de par leur grand âge ou parfois en raison d’une Avodat Hashem très poussée, se sont retrouvés affaiblis et il leur arrivait de prier après l’heure, il ne faut ni les imiter ni avoir des doutes sur leur Yirat Shamayim car ils sont semblables à Eliahou sur le Mont Carmel (qui a fait un sacrifice sur une Bama, c-à-d que c’est une sorte de Horaat Shaa).
Voir encore dans ses Divrei Torah (I, §16) où il présente une autre sorte de Limoud Zkhout, mais dans tous les cas il insiste pour dire qu’il ne faut pas les imiter (Divrei Torah I, §17 et IV, §96).

Voir encore Romemout Hatfila (§91 -Piotrkow 1911, daf 27b) qui dit que s’il ne faut pas être « maharher » après son maître, cela n’autorise pas pour autant à l’imiter lorsque sa conduite nous semble contraire à la Halakha. Voir aussi Imrei David (o’’h §46).

Le Mishméret Shalom (Koïdinov) (Hil. Kriat Shema) écrit que Rabbi Pin’has de Koretz faisait très attention au respect des horaires de prière en soulignant que puisque le Baal Shem Tov respectait ces horaires (cf. Tsavaat Rivash op cit), qui pourrait s’en dédouaner ?
Il acceptait toutefois que certains Tsadikim prient après l’heure (et même après ‘Hatsot), cf. Mevasser Tov (Eizikzohn) (O’’H §1, p.54 sv. Gam) au nom de Rabbi Pin’has de Koretz.

Rabbi Naftali de Ropshitz (1762-1827) écrit dans son Zéra Kodesh (Vaet’hanan -Jér. 1954, daf 132c) qu’il faut apprendre du verset « Vaet’hanan el Hashem Baet Hahi » (où Moshé dit qu’il a imploré Hashem « à ce moment ») sans préciser de quel moment il s’agit, que cela vient nous dire qu’il ne faut pas remettre à plus tard sa prière en se disant qu’on ne serait pas encore prêt et qu’on n’aurait pas encore l’esprit assez clair pour prier, mais il faudra prier à chaque fois que le moment de prier se présentera à nous.
Il faut mentionner que ce Rabbi très ‘Hassidique, élève du ‘Hozé de Lublin, du Maguid de Kozhnitz, de Rav Mendel de Rymanow et d’autres sommités de la ‘Hassidout, s’est un peu ravisé sur le tard et a voulu « annuler » le mouvement ‘hassidique car il était exaspéré par ces masses ‘hassidiques qui attachaient grande importance aux fioritures et détails ‘hassidiques tout en enfreignant et transgressant les choses essentielles du judaïsme.
Comment peut-on transgresser Shabbat en déplaçant (par ignorance) des objets Mouktsé, tout en étant Makpid le jour même de s’immerger 310 fois dans le Mikve ? (Dor Déa –‘Hassidout- p.239).

Quand il a entendu certains ‘hassidim qui considéraient comme un devoir ‘hassidique le fait de prier tard et de rater l’heure du Shema et de la Tfila, c’est là qu’il a décidé « d’annuler » la ‘Hassidout et de revenir aux fondamentaux, le Derekh Hatorah fidèle au Shoul’han Aroukh et aux Poskim (Dor Déa p.240). Mais le Or Lashamayim (Rabbi Méir Rotenberg de Apta – Opatow) lui a demandé de ne rien faire de nuisible à ce mouvement (Dor Déa p.269).

On raconte que lorsque le Min’hat ‘Hinoukh (Rav Yossef Bavad) est venu chez Rabbi Naftali de Ropshitz pour devenir son ‘Hassid, R. Naftali l’a encouragé à ne pas rester auprès de lui, à ne pas chercher de « nouveau Derekh », mais de retourner chez lui et étudier plein de Torah (Toldot Hamin’hat ‘Hinoukh -N.Y. 1996, p.19) (Dor Déa p.240) (et il semble qu’il ait bien suivi son conseil).

Le Rabbi de Ropshitz s’est aussi soucié que ses (propres) enfants soient des Rabanim classiques, des Talmidei ‘Hakhamim et non des Rabbis ‘Hassidiques (Dor Déa p.269). Et de manière générale il disait aux jeunes de ne pas devenir ‘Hassid avant l’âge de 25 ans et s’être préalablement rempli de Shas & Poskim (Dor Déa p.240) [le seuil des 25 ans rappelle le ‘Hérem du Rashba contre la philosophie qu’il interdisait d’étudier avant d’avoir 25 ans et de s’être rempli de Shas & Poskim. Cf. Shout Harashba (I, §418)].

Dans une lettre à son neveu (Ohel Naftali §337) où il lui donne une Hadrakha (des directives spirituelles), Rav Naftali lui conseille d’étudier beaucoup de Torah et de Moussar et de réviser, respecter les horaires du Shema et de la Tfila, ne PAS aller trop souvent au Mikve, n’aller visiter les Rabanim qu’occasionnellement, et être constamment dans la joie.

Toujours à propos des horaires, il a quand même défendu les ‘Hassidim de la critique émise par le Yeshouot Yaakov (Rav Yaakov Ornstein 1775-1839) en lui répondant que si les ‘Hassidim ne respectent pas l’heure du Shema, ils accomplissent la Mitsva du Shema d’aimer D.ieu de tout son cœur, de toute son âme et de tous ses moyens, et s’ils dépassent l’heure du Zman de Tfila, ils accomplissent néanmoins l’idée de la Tfila, servir D.ieu de tout son cœur. Tandis que les Mitnagdim respectent les horaires, la lettre de la Mitsva, mais pas son esprit… (Dor Déa p.239).

Rabbi Lévi Its’hak de Berditshov priait tard. R. Avraham Katznellenbogen de Brisk lui envoya une lettre pour demander une explication à cette coutume ‘hassidique qui méprise la halakha et ces rebbes qui font fauter leurs disciples en les entrainant dans leur minian tardif.
Il semblerait qu’il ne lui ait pas répondu. En tout cas, aucune réponse n’a été retrouvée (Halakhot Vehakilhot Be’hassidout p.89).

Rabbi Avraham Landau (1784-1875), alias le Rabbi de Tshékhanow (Ciechanów en Pologne), a dit (Tiféret Hayehoudi §118, daf 26d) qu’on ne peut pas prétendre s’appuyer sur le Yid Hakadosh pour prier après l’heure, car ce dernier, à l’âge de 33 ans déjà, n’avait plus une seule dent en bouche, tant il vivait dans la peur et la crainte du Ciel (כאשר הי ל"ג שנים לא הי' לו שן אחד בפיו הקדוש מפני פחד ויראת שמים).

[Le lien de cause à effet n’est pas d’une clarté évidente, je ne trouve pas l’argument mordant, et il ne me semble pas indispensable de rappeler qu’il fut édenté bien jeune pour convaincre de sa Tsidkout.
Le fait qu’il indique l’âge de 33 ans me fait penser au Midrash Talpiot (sv. Evarim, daf 12d) qui rapporte que les juifs ont 32 dents alors que les non-juifs en auraient 33.
C’est le lien entre ל"ג שנים et ל"ג שינים.
Mais le Yehoudi Hakadosh, comme son surnom l’indique, était Yehoudi, il ne devait en avoir que 32 à la base.

Et ces 33 dents chez les non-juifs est une idée fort étrange, si ça avait été le cas, nous aurions un moyen de vérifier le Safek
(mentionné dans le Talmud) de l’enfant trouvé dans une ville à 50% juive et 50% non-juive (Yoma 84b) pour savoir s’il est autorisé à se marier avec une juive, il suffirait de vérifier ses dents (une fois adulte).
Bref, je ne sais comment expliquer ce Midrash Talpiot
(et ce n’est pas le seul passage que je ne saurais expliquer dans le Midrash Talpiot…Je précise que le Midrash Talpiot n’est pas un Midrash contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, il s’agit d’un livre écrit vers le début du XVIIIème siècle par Rabbi Eliahou Hacohen, l’auteur du Shevet Moussar), à moins de dire que cette idée soit née à une époque où l’antisémitisme était tellement répandu que l’on pouvait dire de chaque goy, qu’en plus de ses 32 dents, il avait une dent contre les juifs, ça lui en faisait donc 33 😊.

J’en ai parlé avec le Gaon Reb Dovid Kohn, il m’a dit qu’il ne faut pas exclure une possibilité de « Shinouy Hatéva » au fil des siècles, car même Aristote a écrit que les hommes et les femmes n’ont pas le même nombre de dents !
Il aurait pourtant pu compter les dents de sa femme Pythias d'Assos ou Herpyllis, il semble étrange de se tromper sur une information si facile à vérifier.
C’est pourquoi il ne faut pas exclure qu’il y ait pu y avoir des changements de Téva sur ce point… ça reste étrange, et si l’on dit comme Rav Kohn, cela signifie que ça a changé puis que c’est revenu à ce que c’était à l’origine, puisque du Talmud dans Yoma (op cit), on comprend qu’à l’époque des ‘Hazal il n’y avait pas cette différence entre juifs et non-juifs.

Il me semble encore préférable de rattacher l’origine de cette information à une idée née d’un « dentiste » de l’époque
(c’était plutôt un arracheur de dents à cette période) qui aurait compté quelques fois les dents dans la bouche de ses patients et aurait trouvé cette différence 2 ou 3 fois et en aurait fait une règle.
Pour arriver à 33 il faudrait dire qu’il aurait mal compté, mais c’est vrai qu’à cette époque les dentitions étaient souvent mal soignées et c’était un peu un terrain vague
(ou alors il aurait menti comme un arracheur de dents !).
Le Min’hat Yehouda (Strizower) (Jér. 1927, p.15) écrit que les non-juifs auraient 31 dents ! Cette différence avec les juifs serait un peu plus facile à imaginer selon le scénario proposé, car de nombreuses personnes n’avaient pas toutes leurs dents en bouche…]


Il est à noter que le Rabbi de Tshékhanow lui-même, à ses débuts, priait tard (après les 4 heures de journée mais avant ‘Hatsot quand même -il semblerait) et avait adopté le Nossa’h Sfard (comme les ‘Hassidim), puis il est revenu au Nossa’h Ashkenaz et s’est mis à prier Kevatikin (Nets) (Vayaas Avraham, Landau, Atéret Zkénim, Lodz 1936, p.385).

Il aurait aussi expliqué qu’en vertu de la règle qui stipule qu’un péché en entraine un autre (Avéra Goréret Aveira), si les Tsadikim qui priaient tard commettaient en cela une Aveira, elle n’aurait pas manqué d’en entrainer d’autres dans son sillage, or nous constatons qu’au contraire ce sont des gens dévots et pieux dans tous les domaines de la Halakha (à part ce point), c’est donc qu’il ne s’agissait pas d’une Aveira (pour eux). [Vayaas Avraham (op cit) et Shout Erets Tsvi (I, §36)].

Il me semble que l’on pourrait repousser cette preuve en disant que le principe de Aveira Goréret Aveira ne s’applique que lorsque la personne est consciente que ce qu’elle fait est une Aveira, mais si elle pense accomplir une Mitsva (lorsqu’elle commet une Aveira), ce sera certes une Aveira mais celle-ci ne l’entrainera pas vers d’autres Aveirot.
[Bien qu’une Aveira Beshogueg (involontaire) soit en mesure d’enclencher un processus de Aveira Goréret Aveira (cf. ‘Hida dans Peta’h Enayim ‘Houlin 5b et ‘Homat Anakh Mishlei V,20), le fait de croire qu’on est en train d’accomplir une Mitsva est différent d’une Aveira où l’on est Shogueg.]

Par conséquent, puisqu’il est clair que ces Rebbes qui priaient après l’heure considéraient qu’ils agissaient positivement et que c’était la volonté de D.ieu, il n’y a rien à prouver du fait que cette attitude ne les a pas entrainés vers d’autres péchés.

Le Erets Tsvi (I, §36), suite à ça, explique encore qu’en voyant que ces Tsadikim arrivaient à « Hitpashtout Hagashmiout », il est évident qu’ils accomplissaient la volonté divine par leur prière, bien que tardive, car le « contact » avec la Shkhina est incompatible avec l’action de Aveira (Zohar II, daf 128).
Il justifie donc halakhiquement leur démarche en disant qu’accéder à « Hitpashtout Hagashmiout » constitue en soi un ‘Hidoush (un « supplément », dans le sens de Me’hadesh Davar Betfilato) et on appliquera donc la sentence de la Gmara (Brakhot 21a) « Oulevay Shéyitpalel Adam kol Hayom koulo » (qui ne s’applique que lorsqu’il est Me’hadesh Davar betfilato).

Cependant, poursuit-il, cela revient à conférer à leur prière un statut de Tfilat Nedava et il aurait peut-être été préférable de prier dans les temps afin de préserver le caractère de ‘Hova ? ce à quoi il répond en se basant sur le Shoul’han Aroukh Harav (Hil. Talmoud Torah §IV,5) qui écrit à propos des « ‘Hassidim Harishonim » qui consacraient à la prière et sa préparation 9 heures par jour (Brakhot 32b) sans se soucier du Bitoul Torah que cela représente, alors que les ‘Hazal disent (Péa §I,1) que Talmoud Torah Kenegued Koulam ! Ce à quoi il répond que la Dveikout totale par « Hitpashtout Hagashmiout » est supérieure au Talmoud Torah et passe avant.
A partir de là, le Erets Tsvi reprend cette idée et l’applique à ces Rebbes qui priaient tard dont il a dit qu’il s’agissait d’une Tfilat Nedava, pour dire que cette Tfilat Nedava est donc préférable à une « Tfilat ‘Hova sans arriver à Hitpashtout Hagashmiout ».

[Le Baal Hatanya justifie son assertion selon laquelle la Dveikout par « Hitpashtout Hagashmiout » est supérieure au Talmoud Torah, en citant le verset (Tehilim 111,10) Reshit ‘Hokhma Yirat Hashem.
Il me semble difficile de se suffire de ce verset pour en déduire ce qu’il en déduit.
On ne peut pas venir après les ‘Hazal qui ont dit que Talmoud Torah est la Mitsva numéro 1, et expliquer que la Dveikout passe avant en se basant sur ce verset que l’on pourrait aisément expliquer autrement.
Il m’apparait donc évident que le Baal Hatanya n’y voyait pas de contradiction aux dires des ‘Hazal parce qu’il comprenait que le but ultime du Limoud est précisément d’atteindre ce niveau de Dveikout.
C’est là qu’on voit à quel point une Hashkafa peut orienter le Possek jusqu’à des décisions aussi cardinales.
S’il s’était contenté de se dire qu’il faut étudier la Torah parce que « Gzeirat Hakatouv ! », il ne serait pas arrivé à cette conclusion.
Idem si pour lui le but ultime du limoud était de pouvoir être Possek la halakha la plus juste. Etc.
Je crois avoir déjà écrit à ce propos ailleurs sur Techouvot, quel est le but ultime et la raison profonde de la Mitsva d’étudier la Torah.]


Rabbi Israel Friedman de Rouzhin priait tard. Il est allé visiter le Rabbi de Apta (qui priait tôt) et le fils de ce Rabbi lui a dit que s’il venait prier (tôt) avec son père demain matin, ça ferait très plaisir à son père. Le Rabbi de Rouzhin lui répondit que lorsqu’on prie pour tout le Klal, il n’y a pas d’horaire. (cf. Romemout Hatfila §87 -Piotrkow 1911, daf 26b).

A une autre occasion, ce même Rabbi de Rouzhin a expliqué qu’avant la faute d’Adam, toute la journée était un bon moment pour prier, mais la faute a abîmé l’atmosphère jusqu’à ce qu’arrive Avraham Avinou qui l’a purifiée pour le Zman de Sha’harit, Its’hak pour celui de Min’ha et Yaakov pour Arvit.
Puis à Matan Torah « Paska Zohamatan », les juifs sont revenus au niveau d’Adam avant la faute, puis à la faute du Eguel ils ont rechuté. Mais celui qui est au niveau d’Adam avant la faute, peut prier à n’importe quel moment, c’est le cas de ces Tsadikim. cf. Shout Erets Tsvi (§36) et Divrei David (Tshortkov) (Houssiatyn, daf 48c , ou éd. Jér.2000, p.154).

Je ne comprends pas trop ces explications ; depuis l’époque de ‘Hazal n’y a-t-il pas eu des Tsadikim ? Les Tanaïm, les Amoraïm, les Gueonim, les Rishonim, les A’haronim… Pourquoi seuls les ‘Hassidim auraient atteint ce niveau d’être « au-dessus du temps » (alors que le Baal Shem Tov lui-même priait dans les temps)?
Et de plus, même si leur niveau le leur permettait, ça n’arrange toujours pas le problème du Marit Haayin et du Mikhshol que risque de constituer une telle attitude auprès des ‘Hassidim qui eux ne sont pas à ce niveau et imiteront leur maître, sans parler de ceux qui sont nécessaires pour former le Minian du Rebbe…

Le ‘Hidoushei Harim (Rav Its’hak Méir Rothenberg-Alter 1799-1866, Rabbi de Gur) (qui priait tard) a lui aussi donné différentes explications à cela à chaque occasion.
Le petit-fils de son petit-fils, alias le Beit Israel (Rav Israel Alter 1894-1977), a dit qu’à chaque fois qu’un grand Rav lui demandait pourquoi il priait après l’heure autorisée, le ‘Hidoushei Harim donnait une autre réponse ( !) mais qu’il ne dévoilait pas la vraie raison (Birourei ‘Haim IV, §2, p.31 note 4).
[Le fait qu’il donnât des réponses différentes à chaque fois mérite réflexion, surtout lorsqu’on sait à quel point la ‘Hassidout de Gur met l’accent sur la Mida de Emet.]

Le Sheérit Israel (Shaar Hitkashrout -Likoutim, Monsey 2005, p.64) ira jusqu’à voir un avantage aux prières post-zman de Tsadikim qui sont comme le Shevet Dan et qui « amassent » les prières du peuple dites sans kavana pour les faire monter au Ciel.
On donne aussi cette explication au sujet de R. Mikhel Zlotshover qui permettait donc par sa prière tardive de récupérer dans son sillage toutes les prières avortées (Zikaron Tov -Landau- Tfila §2).


Le Maor Vashemesh était opposé aux prières tardives des ‘hassidim, il écrit (Nitsavim -éd. 1842, daf 238c) qu’une des conditions de la Avodat Hashem est de ne pas s’écarter d’un cheveu de la halakha fixée par les décisionnaires.
Quant à ceux qui s’autorisent à passer outre les décisions des Poskim en se disant qu’en priant après l’heure licite, leur prière serait de meilleure qualité, leur Avodat Hashem est vaine et futile.
(ועוד מתנאי העבודה התמימה לבל יפסיע האדם אפילו כחוט השערה שיעבור על ובעלי אזהרות התורה ואזהרות חז"ל האסופות האחרונים אשר דבריהם מלאו פני תבל בשלחן אשר ערכו וכל הפורש מדבריהם כפורש מחייו. והאנשים אשר יעשה להם כהיתר לוותר על דברי הפוסקים בחשבם כי באם לא יתפללו בזמנם תפילתם יותר מעולה וכדומה עבודתם אך שוא והבל)

Il disait aussi (Tiféret Hayehoudi §2 -Piotrkow 1912, daf 4c) qu’on ne peut pas apporter de preuve à partir de la conduite du Yehoudi Hakadosh (qui priait tard), car à force de purifier et sanctifier son corps quotidiennement (il s’est immergé 310 fois dans le Mikve glacial de Apta), il est devenu comme un Malakh en cela que ses perceptions étaient au-delà du temps.
(כי הוא סיכן גופו בכל יום ויום וטבל ש"י טבילות בהמקוה הקרה אשר באפטא וזיכך את עצמו עד שגופו הגשמי נתהפך לרוחני ממש כמו מלאך והיה השגתו למעלה מהזמן) .

[Je ne saisis pas trop en quoi cela dispenserait des règles Halakhiques, et même s’il fallait dire qu’il avait le Din d’un Malakh (qui est dispensé des Mitsvot), d’une part les implications halakhiques n’ont pas été respectées (par exemple cela voudrait dire qu’il ne pouvait acquitter autrui d’une Mitsva comme le Kidoush etc.) et d’autre part il reste encore le problème du Marit Haayin, le fait qu’il ait entrainé que des centaines ou des milliers de juifs soient trompés par sa conduite et ont raté des milliers de Tfilot et ont prononcé des milliers de Brakhot Levatala…]


Quoi qu’il en soit, la règle est qu’on ne doit pas déroger des directives du Talmud et l’on doit par conséquent s’efforcer de respecter ces horaires de Tfila. C’est aussi ce qu’écrit Rabbi Shimon Grünfeld dans son Shout Maharshag (I, §35), pour qui aucune justification ne saurait autoriser de déroger à ce qui est indiqué par le Talmud, et les légitimations et apologies de certains qui priaient tard ne sont que des niaiseries :
יש אנשים שמאחרים זמן תפילה ואומרים בקצת ספרים טעמים לזה אבל הוא הבל הבלים אין בו ממש דכיון שמבואר במשנה ובגמ' דילן עד כמה זמן יש אפי' יתקבצו כל טעמים שבעולם אין כח ח"ו בשום טעם לבטל דברי חכמי הש"ס

Tout ‘hassidique qu’il était, le Rav Wozner dans son Shout Shevet Halévy (X, §104, 2), insiste pour dire qu’il n’y a aucune espèce de Heiter à prier après l’heure et, qu’ayant connu quasiment tous les Tsadikim de la génération passée, il leur a souligné la gravité de cet égarement halakhique et la réponse de chacun d’entre eux était identique : « Halvay que l’on puisse arriver à corriger cet égarement ».
Voici les mots de Rav Wozner :
ואין שום מקום להקל בזה. זכיתי להכיר כמעט כל המנהיגים הצדיקים מדור שעבר בין מן החסידים בין מן הפרושים ועוררתי אותם על עון זה של בטול זמן ק"ש ותפילה וכולם הודו לי בזה ותשובתם שוה דהלואי שיעלה בידינו לתקן זה

Idem pour le Rav Zilber qui écrit dans son Shout Az Nidberou (VII, §86) qu’il n’y a aucun Heiter à prier après l’heure, et que le faire Betsibour est encore plus grave car c’est un Zilzoul Befarhassia.

De plus en plus de Rabbis ‘hassidiques reviennent vers un respect de la halakha sur ce point, l’actuel Rebbe de Psheworsk (Reb Leiboush Leiser) en fait partie, contrairement à son père Reb Yankel Leiser (2ème rabbi de Psheworsk) et son grand-père Reb Itsikel Gewirtzman (1er Rabbi de Psheworsk) qui, le shabbat et jours de fêtes, dépassaient allégrement les horaires indiqués par la halakha.

[Cette ‘Hassidout faisait partie des cours ‘hassidiques en exil à Paris après la guerre, Reb Itsikel (1er Rabbi) est resté à Paris plus longtemps que d’autres Rabbis ‘hassidiques, il priait dans le marais, souvent dans le Shtibl ‘hassidique du 25 rue des rosiers (Adath Yeshouroun) (il s’asseyait sur le premier banc tout de suite à gauche après l’entrée. Avant lui, le Rabbi de Loubavitch venait aussi prier dans cette synagogue durant sa période parisienne).
L’actuel Rebbe, Reb Leiboush, a donc grandi à Paris
(depuis ses 10 ans jusqu’à ses 19 ans, sachant qu’il est parti vers 17 ans pour aller étudier en yeshiva. Je ne sais pas où il allait à l’école, Yabné ? Lucien de Hirsch ?). Ce n’est qu’en 1957 (9 ou 10 ans après y être arrivé) que Reb Itsikel (accompagné de sa famille et de son gendre Reb Yankel) a quitté la capitale française pour s’installer à Anvers en Belgique.
Il a donc fait le chemin inverse de Rav Rottenberg qui a fait (en 1964) Anvers-Paris, alors que Reb Itsikel l’a fait à l’envers ; Paris-Anvers (imaginez ça en vers !).]



Le Rabbi de Strelisk (Rav Ouri Klughaft 1757-1826) priait tard, mais disait à ses ‘Hassidim de ne pas l’imiter et de prier en respectant les horaires du Shoul’han Aroukh (Imrei Kodesh Hashalem §22).

Le Mevasser Tov (Eizikzohn) (O’’H §1, p.55) explique que seuls les Tsadikim qui consacrent le jour comme la nuit à la Avodat Hashem peuvent prier à n’importe quelle heure et leur Tfila passera toujours via le canal d’une communauté située dans un autre fuseau horaire qui prierait à ce moment ailleurs sur la planète.
Mais il explique que pour cela il faut être « Sam Leilot Keyamim » -ou bien faire partie du Minian du Rebbe. Si l’on prie avec le Rebbe, on pourrait aussi prier après ‘hatsot et profiter de son « passe-droit ». L’idée étant : « lorsque tu es avec le Rabbi, le Rabbi est le Shoul’han Aroukh. Et lorsque tu es ailleurs, le Shoul’han Aroukh est le Rabbi ».


Le Divrei Ye’hezkel de Shinova se plaignait des ‘hassidim qui ne respectaient pas l’heure et priaient après le Sof Zman Tfila, et ajoutait que si le Botshatsher Rouv le faisait, on peut dire sur lui « Rav Tana Hou Oupalig » (~qu’il était au niveau de se le permettre), mais ça demeure strictement interdit pour un simple juif.

Le Divrei Ye’hezkel aurait aussi dit qu’il était possible que lorsque le Botshatsher priait Sha’harit après ‘hatsot, il s’agissait en fait de la Amida de Min’ha, quant à celle de Min’ha qui suivait, c’était la Tfilat Tashloumin pour Sha’harit, comme la Halakha l’indique pour celui qui n’a pas pu prier Sha’harit en cas de force majeure. Cf. Hadrat Kodesh (Nasaud) (éd.1942, daf 28a).

[Je trouve que c’est une proposition assez étrange ; même en supposant que l’on puisse appliquer le Din de Oness en raison d’une incapacité à se préparer aux Kavanot plus tôt, la Tfila de Tashloumin ne doit pas être reportée à plus tard, mais doit suivre la Amida de Min’ha.
Or, le Botshatsher Rouv ne faisait pas deux Amidot à la suite.
De plus, la prière en tant que Tashloumin justifie la Amida, mais pas les Brakhot de Baroukh Shéamar, Yishtaba’h et du Yotser.
De plus, fréquemment ces Rebbes qui priaient Sha’harit après ‘Hatsot, priaient aussi Min’ha après Tset Hakokhavim, du coup ça ne peut plus faire office de Tashloumin pour Sha’harit.]


Mais il me semble que la conception du Zman Tfila était différente dans l’esprit du Botshatsher Rouv, en effet, il écrit (Eshel Avraham §89 sv. Skhar) que celui qui a un ‘Hiyouv et ne pourra prier au Amoud (pour faire la ‘Hazara et le Kadish) qu’après le Sof Zman Tfila, peut prier après le Sof Zman, car Kiboud Av ou Em l’emporte sur le Zman Tfila.

C’est a priori incompréhensible ; il n’y a aucun Kiboud des parents en transgressant la Halakha en leur honneur (-même lorsqu’ils sont vivants et nous demandent de transgresser la Halakha il ne faut pas leur obéir).
Le Rabbi de Munkacz (Nimoukei Ora’h ‘Haim §89 sk.1) dénonce cette position et s’y oppose fermement. La Halakha suit clairement le Munkaczer sur ce point, mais il faut tout de même arriver à comprendre le Botshatsher, il n’est pas envisageable de se dire qu’il se serait ainsi bêtement trompé.
Il me semble donc que Rabbi Avraham de Botshatsh percevait la notion de Sof Zman Tfila comme une sorte de lekhat’hila, un « plus », mais pas que ce soit une obligation rabbinique rédhibitoire (la Gmara dit qu’il reste au retardataire Skhar Tfila, mais pas Skhar Tfila Bizmana). Cette conception du Zman Tfila changerait tout…

[Impossible de poster la suite, mon message est trop long, je poste la suite dans un second message.]
Rav Binyamin Wattenberg
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[Suite et fin du message précédent qui ne passait pas en raison de sa longueur.]


Dans le sefer Boutsina Kadisha (§296, Bnei Brak 2006, p.97) il est rapporté que le Rabbi de Belz qui priait après le Sof Zman ajoutait dans « Ashamnou » le fait qu’il priait après l’heure ( !).
Il aurait aussi dit qu’il était un moins bon juif qu’un juif simple en raison de ses retards de prière, et qu’il ne fallait pas croire que ces retards étaient liés à des « choses élevées » (préparations mystiques), et que « le Rasha » (Hitler) lui avait « chamboulé les horaires ». Voir encore Shout Hadar (§17 et §18).

Dans le même registre, le Rabbi de Its’hak de Neshkhiz reconnaissait qu’il aurait été mieux de prier à l’heure, mais disait que sa faible santé ne le lui permettait pas (Zikaron Tov -Landau- Tfila §10).


Le Rabbi de Amshinov (Rav Milikovsky) (que vous mentionnez dans votre question) est très excessif dans ces notions d’horaires, il lui arrive de poursuivre son shabbat jusqu’au mardi (même son Yom Kipour déborde sur le lendemain), ses Tfilot sont très longues…
Il faut comprendre que si l’on se décale ainsi dans le temps, on rate énormément de Mitsvot. Si on ne mange pas le Kazayit Matsa le soir de Pessa’h, on rate la mitsva. Pareil pour le Kazayit de pain dans la souka le premier soir de Soukot. Le manger au matin ne revient pas à l’accomplissement de la mitsva.
Et même si l’on a de bonnes excuses (par exemple qu’on n’avait pas fini la Tfila), il n’en demeure pas moins qu’en ayant la volonté de faire les choses parfaitement (et prier avec grande Kavana etc.) on passe toute sa vie en mode « Bediavad » à rater les mitsvot dépendantes du temps.

Ma critique plus globale de ce système, c’est qu’il ne convient pas d’entrer dans des excès de Tsidkout dont on n’a pas trace chez les Rishonim, ni chez les ‘Hazal.
Les Tanaïm et Amoraïm ne priaient pas Sha’harit ou le Shema après l’heure limite, et s’il leur arrivait de ne pas pouvoir être Mekhaven, ils ne priaient pas [la Gmara Erouvin (65a) dit de R. ‘Hanina, que le jour où il s’énervait, il ne priait pas de la journée], comme la Halakha l’indiquait [cf. Erouvin (65a) הבא מן הדרך, אל יתפלל שלשה ימים , Brakhot (30b) לעולם ימוד אדם את עצמו, אם יכול לכוין את לבו יתפלל, ואם לאו אל יתפלל ] mais ne se permettaient pas de prier après l’heure pour autant. Ce sont deux choses, il y a le fait de ne pas prier à l’heure, et le fait de prier en retard.
Donc même si l’on ressent un besoin de prier après l’heure (après ‘Hatsot), il faut respecter la Halakha qui l’interdit au titre de Brakha Levatala.

La raison pour laquelle je pense qu’il faut rester respectueux du Amshinover Rebbe, c’est que si le seul péché d’une personne c’est de prier, ce n’est pas elle qu’il faut combattre.

L’interdit de Brakha Levatala, même s’il n’est considéré que Miderabanan selon nombre de décisionnaires ashkenazes, reste un interdit établi et malgré les nombreuses explications proposées dans les Sfarim, je n’ai pas trouvé de justification halakhique convaincante.

On n’imitera donc pas ces Tsadikim dans ce qui parait être une infraction de la Halakha.
Voir aussi le Deguel Ma’hané Ephraïm (Parshat Bamidbar, sv. Velo) qui parle d’un Tsadik qui, en raison d’une faiblesse physique [« Be’hinat Katnout » cf. Metsouvé veossé (Friedman) (I, Jér. 2013, p.252)] buvait son café en ayant encore sur lui Talit et Tfilines.
Un ‘hassid l’ayant vu se l’est aussi autorisé, mais c’était une erreur de sa part. Il faut donc savoir ne pas tout reproduire du Tsadik.

[Concernant le "Issour" de boire un café avec les Tfilines, ça se discute car c’est considéré « Aray » et le Shoul’han Aroukh (o’’h §40,8) l’autorise explicitement.
Certains A’haronim (Shoul’han Shlomo §40,6, et voir aussi Shout Teshourat Shaï 1, §215) ont pensé se montrer plus rigoureux en distinguant notre époque du fait que nous ne gardons les Tfilines sur nous que durant la Tfila du matin et non toute la journée comme il le faudrait, ce qui aurait pour incidence de devoir nous montrer plus strict sur une consommation « Aray ».
Le Shout Teshourat Shaï (1,§215) s’y oppose et écrit qu’on ne peut pas décider de nous-mêmes une Gzeira d’interdire Akhilat Aray car nous ne mettons les Tfilines que peu de temps par jour, c’est pourquoi ça restera Moutar.
Il y aussi le Adéret (Kountras Over Ora’h du Or’hot ‘Haim Spinka, §40,8) qui n’est pas d’accord avec cette idée du Shoul’han Shlomo, et estime que si le fait de manger ou boire avec les Tfilines (une consommation Aray, s’entend) permet de les garder plus longtemps sur soi et d’étudier avec, c’est parfaitement autorisé (et préférable au choix de les enlever plus tôt pour pouvoir prendre le café).

Le ‘Hazon Ish aussi va dans ce sens et ne distingue pas entre les époques (Dinim Vehanhagot §3,15).
Le ‘Hatam Sofer lui-même buvait son café avec les Tfilines sur lui car il restait étudier avec les Tfilines (Minhaguei Baal Ha’hatam Sofer §1,18).
Et le Léket Hakéma’h Ha’hadash (§40,8, sk.34) cite le Teshourat Shaï (op cit) et indique aussi qu’un élève du Maharam Schik (lui-même élève du ‘Hatam Sofer), lorsqu’une collation était offerte à l’occasion d’un Yohrzeit, mangeait Akhilat Aray avec sur lui les Tfilines de Rabénou Tam.]


Néanmoins, nous trouvons une similitude à la conduite de tous ces Rebbes dans la Hanhaga du Manchester Rosh Yeshiva, le Tsadik Rav Yehouda Segal, qui intercalait la traduction (en yiddish) au milieu de ses Brakhot (par exemple il disait Baroukh Ata Hashem, traduisait, Elokeinou Melekh Haolam, traduisait, Boré Peri Haets, et traduisait, puis mangeait, ou encore, dans la Amida, il traduisait tous les quelques mots en yiddish), ce qui -sur le papier- est assurément un Hefsek, et revient à manger sans Brakha et aussi à prononcer le nom de D.ieu en vain.

Malgré tout, Rav Moshé Feinstein, questionné à ce sujet, n’a pas souhaité critiquer ce Rav, il s’est contenté de dire (Igrot Moshé O’’H III, §8) qu’il ne faut pas l’imiter, que celui qui fait ça dans sa Tfila n’est pas quitte et doit prier à nouveau, et que « nous ne sommes pas responsables des actions du Tsadik » (אין אחריות מעשי הצדיק עלינו).

Le Divrei Israel (Veltz) (II, §109), questionné lui aussi à propos du même Rosh Yeshiva (Rav Segal), dit plus ou moins la même chose que le Igrot Moshé : c’est un Hefsek mais peut-être que certains Tsadikim avaient des raisons d’agir ainsi. Il indique aussi que le Birkat Retsé (Rav Tsvi Hirsch Ornstein 1816-1888) traduisait en yiddish de la même manière le Shema.

Le Rabbi de Loubavitch (Shaarei Halakha Ouminhag I, §64) considère lui aussi qu’il vaut mieux éviter d’ajouter des expressions en yiddish en pleine Tfila.

D’autres Poskim se montrent plus indulgents, le Rav Kluger dans Haelef Lekha Shlomo (O’’H §58) parle de ceux qui ajoutent quelques mots en yiddish dans la Tfila, par exemple dans la Brakha de Ata Guibor (donc dans la Amida) (Leibediker Got, Helf Unz !) et explique que si c’est en minian, comme il est licite de prier en d’autres langues si on est beminian, c’est comme s’il ajoutait quelques mots en hébreu, cela ne constitue pas un Hefsek. Mais s’il prie Beya’hid, c’est un Hefsek. Néanmoins, même là, si c’est « sorti tout seul », Beshogueg, on ne reprendra pas la prière qui sera valide bediavad.

Le Rav Zilber (Az Nidberou X, §20) semble avoir été sollicité (en 1979) sur ce point par le concerné lui-même, c-à-d le Rav Segal, Rosh Yeshivat Manchester, qui lui demande son avis car il a l’habitude de traduire sa prière simultanément, mais il a lu dans une lettre de R. Akiva Eiger que cela pourrait constituer un Hefsek, il demande donc l’avis du Rav Zilber.
Ce dernier lui répond dans une première lettre qu’a priori c’est autorisé et cite le Mishné Halakhot (V, §26) à propos des ajouts de type « Heiliger Baschefer ! » en pleine Tfila, que le Tsafnat Panéa’h (§277) interdit et que Rav Kluger (op cit) autorise Betsibour, et (le Mishné Halakhot) conclut que c’est Moutar même Beya’hid.

Quelques mois plus tard, Rav Zilber envoie une nouvelle lettre pour compléter sa réponse en disant qu’il a vu dans le Igrot Moshé (op cit) qu’il se montre rigoureux et interdit, Rav Zilber trouve cela étonnant et souligne qu’au moins pour les Brakhot Emtsaïot ça devrait aller, mais que, quoi qu’il en soit, il ne convient pas de s’habituer à ce recours pour favoriser la Kavana, il vaut mieux s’habituer à être Mekhaven en hébreu.

Le Imrei Yosher (II, §139) aussi parle du « Heiliger Baschefer » en pleine Tfila et considère que ce n’est pas un hefsek [et il le prouve du Méiri qui écrit que celui qui répond Amen à sa propre Brakha (par exemple après avoir dit Shehakol et avant de manger) n’est pas en infraction bediavad], même s’il ne convient pas de le dire pendant la Tfila. Quant au fait que des Tsadikim qui le disaient, il ne revient pas pour autant à chacun de s’en arroger le droit (לא כל הרוצה ליטול את השם יבוא ויטול ויבנה במה לעצמו).

Voir aussi Rav Sternbuch dans Tshouvot Vehanhagot (I,§70) à propos d’un autre Rav en Angleterre, Rav Moshé Schneider, qui lui aussi lançait parfois quelque demande à l’aide à destination de D.ieu dans sa prière (« Heiliger Tate, Helf Unz ! ») et Rav Sternbuch (son élève) considère que si ça aide à la Kavana, c’est acceptable, bien qu’il vaille mieux s’habituer à s’en passer. Il mentionne le Tsafnat Panéa’h (§277) qui interdit, mais ne suit pas son opinion.
Il mentionne aussi que certains Poskim estiment que s’il est autorisé de prier en d’autres langues, cela n’autorise pas à prier en deux langues à la fois.
Le Beit Yossef (o’’h §690) cite le Rivash pour qui de nos jours on ne peut plus lire la Meguilat Esther en d’autres langues car nous ne savons pas comment traduire avec précision certains termes qui y figurent, alors que le Beit Yossef considère qu’on se contentera de ne pas traduire ces termes mais les lire tel qu’ils figurent en hébreu dans la Meguila. Rav Sternbuch voit donc que l’opinion du Rivash est qu’il n’est pas possible d’utiliser deux langues distinctes.

[Je ne sais pas pourquoi il préfère suivre le Rivash plutôt que le Beit Yossef, mais même en ce qui concerne le Rivash, c’est tout de même un peu différent, car dans la lecture de Meguila refusée par le Rivash, il s’agit d’obtenir le tout en jouant sur deux langues, mais dans notre cas, la traduction en yiddish ou l’ajout de quelques mots en yiddish, ne se substitue pas au texte hébraïque. L’enjeu reste essentiellement une question de Hefsek.
Je ferai le même type de remarque sur le Rabbi de Munkacz qui, dans son Nimoukei Ora’h Haïm (§101, sk.2) cite le Imrei Yosher (op cit) (qui apportait une preuve à partir du Méiri) et dit qu’il devait avoir oublié le Shoul’han Aroukh (o’’h §101,4) qui autorise de prier en toute langue si on est Beminian, car il n’était pas nécessaire d’aller chercher un Méiri.
Je ne pense pas qu’il soit envisageable de penser que Rav Méir Arik (le Imrei Yosher) puisse avoir oublié un Shoul’han Aroukh (surtout un passage si connu !).
La raison pour laquelle il est allé chercher le Méiri, c’est tout simplement parce que le Shoul’han Aroukh ne parle que de tfila Betsibour (sans quoi les autres langues sont prohibées), et aussi car il parle de prier (entièrement) en une autre langue, mais pas d’insérer des mots superflus (dans une autre langue)! ça c’est seulement du Méiri que ça se voit.]


Plus tard, toujours dans Tshouvot Vehanhagot (III, §35), nous trouvons une lettre du Rabbi de Toldot Aharon (R. Avraham Its’hak Kohn) envoyée à Rav Sternbuch, ou le Rebbe raconte qu’il avait demandé un demi-siècle plus tôt à son beau-père s’il était autorisé de placer quelques « Heiliger Baschefer » en pleine prière, et il lui avait répondu que c’est interdit, mais que « si ça sort tout seul » c’est Moutar.

Le Shout Imrei David (Rav David Horwitz de Stanislav) (§172,3) se montre lui aussi indulgent envers ces expressions (comme « Ribono Shel Olam ! ») en plein Tfila.
Ainsi que le Nimoukei Ora’h 'Haïm (§101, sk.2) qui l’autorise (totalement).


Voyez encore dans Israel Vehazmanim (Harfenes) (Siman 9, perek 5, §29) ainsi que dans le Kobets Guinat Vradim (XIX, p.213 et suivantes) où vous trouverez moult anecdotes sur des tas de Rabbis ‘Hassidiques et leur rapport au respect des horaires de Tfila.
Je ne les rapporte pas ici afin de ne pas charger de trop ma réponse qui est déjà longue sans cela, d’autant qu’une grande partie d’entre eux sont des Rabbis de ‘hassidouyot que peu de gens connaissent provenant de bourgades aux noms imprononçables et qui n’apparaissent sur aucune carte d’Ukraine ni de Russie (-les juifs donnaient des noms spécifiques à leurs villes, voyez ce que j’ai écrit dans mes notes sur le Safa Leneemanim, éd. Varsovie 2021, p.317).

Certaines sont assez étonnantes, notamment les Rabbis qui réprimandaient vertement leurs ‘hassidim qu’ils attrapaient en train de terminer Sha’harit à un horaire dépassant le Sof Zman Tfila, alors qu’ils arrivaient eux-mêmes pour prier Sha’harit.
Le Satmer Rouv fait partie de ceux-ci et il est précisé qu’il insistait pour n’avoir qu’un « minian metsoumtsam » pour son sha’harit tardif (considérant que d’autres s’ajoutant au minian ne seraient que des fauteurs).

J’y ai aussi lu (Guinat Vradim XIX, p.217, §24) au nom du Avodat Binyamin (Rabinovitz)(p.557) que « celui qui dit que les ‘Hassidim n’ont pas respecté la Halakha, ne mérite pas le titre de ‘hassid, ni même d’être humain, car c’est un mensonge, ils ont fait très attention au respect de la halakha ». (מי שאומר שהחסידים לא הקפידו על ההלכה, לא רק שאינו חסיד אלא אינו בגדר אנושי כי הוא שקר כי בודאי הקפידו מאד למשור על ההלכה)
C’est assez stupéfiant quand on y pense, mais le fait de le dire avec aplomb ne changera pas la réalité: les ‘hassidim ont transgressé la halakha -et ce sont de grands Tsadikim et grands rabbis ‘hassidiques qui l’ont dit.

[Quant aux Tsadikim eux-mêmes qui transgressaient, comme on l’a dit, on n’a pas à les juger. Nous trouvons par ailleurs des « exceptions » halakhiques, comme Ben Azay qui n’a pas accompli la Mitsva de Piria Verivia, pourtant Min Hatorah, sous prétexte de "‘hashka nafshi batorah". Il se peut aussi qu’Eliahou Hanavi ne se soit jamais marié, idem pour Elisha.]


Je termine avec mon habituelle conclusion, mais doublement nécessaire à cette occasion : je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes que j’imagine nombreuses vu la longueur du message.

La relecture m’aurait aussi permis de réordonner un peu les choses, car j’ai été un peu brouillon en écrivant, j’aurais dû mettre les idées en ordre avant de commencer à écrire au lieu de me laisser guider par mon clavier. A présent, et surtout pour un vendredi, mon texte est trop long pour que je puisse le relire et le réordonner, mais j’espère qu’il sera tout de même assez clair.
Rafa2007
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Rafa2007
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yhbtysey
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