Vous posez une très bonne question, mais vous commettez deux erreurs, une petite et une grande.
La petite : la notion de dina démalkhouta n’entre pas vraiment en considération ici, lorsque l’enjeu est une « messira ».
La grande : vous écrivez : « Ma question est simple ».
En réalité elle est loin d’être simple ou évidente, il y aurait de multiples paramètres à prendre en compte de telle sorte qu’on ne peut pas –je pense- produire une réponse générique.
Il faudrait détailler votre question convenablement pour qu’elle soit « simple » à répondre.
Mais vous vouliez peut-être seulement dire qu’elle est simple à poser, mais pas suffisamment claire pour autant…
Je vais tenter tout de même une esquisse de réponse, mais je répète qu’il y a trop de paramètres pour parler de réponse halakhique.
Disons que c’est une réflexion.
Tout d’abord, Baroukh Hashem, le judaïsme ne connait pas ce problème (-dans ces proportions), il n’y a aucune commune mesure entre ces deux religions au sujet de ce péché.
Je ne viens pas nécessairement dire « nous sommes tsadikim », je dis seulement que les rabbins sont mariés et donc beaucoup plus à l’abri de ces aveirot.
Si ça arrive parfois chez les juifs, ça n’arrive pas plus que chez les non-juifs athées –et certainement même beaucoup moins !
Mais vous demandez que se passerait-il si jamais un rabbin venait à commettre un tel crime?
Je pense qu’il serait assurément « radié » -voire excommunié.
Ça ne veut pas encore dire qu’il serait « nimsar » aux autorités, mais il ne pourrait certainement pas continuer à exercer !
On en a renvoyé pour beaucoup moins que ça.
Je suppose que si l’Eglise se montre « protectrice » envers les bourreaux plutôt qu’envers les victimes, c’est parce que c’est trop fréquent.
S’il fallait dénoncer chaque homme d’église ayant fauté, ça ferait scandale constamment.
(déjà comme ça, en dissimulant et en protégeant souvent les coupables, il y a des tas de scandales qui ternissent l’image de l’Eglise.)
Comme c’est vraiment très rare chez les rabbins, si jamais l’un d’eux s’aventure à commettre un tel péché une seule fois, il n’aurait que très peu de chances de s’en sortir indemne.
Pour s’en convaincre, il suffit de constater les quelques rares scandales sur des rabbins accusés d’avoir eu des rapports consentis avec des femmes majeures !
Cela reste un péché au regard de la Halakha (puisqu’ils ne sont pas mariés ensemble), c’est pourquoi, ils se font « massacrer » et pourchasser.
Un rabbin à Amsterdam, il y a quelques décennies, avait été reconnu coupable d’une relation avec sa secrétaire non-juive (majeure et consentante).
Sa vie s’est effondrée, sa famille l’a renié, il a perdu son travail, sa dignité, ses amis, sa famille…
(Alors qu’aux yeux de la justice civile, son crime n’est pas bien grave, il n’a « que » trompé sa femme.)
En plus récent, il y a par exemple le rabbin Berland accusé et traqué depuis des années, je ne sais pas grand-chose de ce dossier, mais je vois bien que ça fait du bruit et qu’il doit fuir et qu’il est jugé etc.
Je ne crois pas qu’il soit question de pédophilie dans son dossier (quoi que cette accusation pourrait fuser par la suite, à force de le charger, il suffit de lui trouver une partenaire mineure, de 17 ans, mais ça reste loin de la gravité des affaires qui touchent l’Eglise), mais on parle de viols (-à vérifier).
De manière générale, je dirais que ces délits concernent plutôt des enseignants (dans des écoles juives religieuses) que des « rabbins ».
Ils seront appelés rabbins par la presse pour que ça se vende mieux, mais ils ne sont pas réellement rabbins ni responsables de communautés juives.
Et même là, généralement ça se borne à des attouchements ou à des téléchargements de contenus pédopornographiques.
N’allez pas imaginer que je tente de les blanchir -‘has veshalom, mais je souligne qu’il y a encore un gap entre ça et certains scandales en milieu catholique.
Et ces enseignants sont souvent fustigés, renvoyés et jugés. Personne n'est totalement "couvert" ni protégé. Ils sont toujours renvoyés.
Toutefois, dans certains milieux juifs orthodoxes, nous trouvons une malheureuse similitude avec la religion catholique, il y a une fâcheuse tendance à dissimuler et taire ces affaires.
Encore une fois, il ne s’agît pas de rabbins, mais de juifs « pratiquants », d’enseignants ou de simples « fidèles » qui seraient couverts par « la synagogue » de leur communauté pour éviter le scandale.
La communauté la plus accusée est celle de Satmar aux Etats-Unis, selon certains ressortissants de cette communauté, il y aurait eu plusieurs cas et scandales soigneusement étouffés.
Certes, il n’y est souvent question « que » d’attouchements, pas plus.
Et il ne s’agît pas de « rabbins ».
Mais quand même !
Il faut surtout préciser, qu’à la différence des catholiques, ces enseignants ne gardent pas leur poste, ils sont renvoyés poliment et discrètement (lorsque les autorités rabbiniques apprennent le délit), ils ne sont pas gardés en poste.
Ce qui aurait été scandaleux c’est s’ils restaient en poste par peur du scandale, ça , je ne crois pas que cela arrive.
[Maintenant, tant qu’on ne le sait pas, on ne peut pas le savoir…
Mais j’ai tout de même du mal à imaginer des responsables religieux ou des rabbins tolérer cela et lorsqu’on voit la sévérité envers le rabbin d’Amsterdam et d’autres, pour des crimes pourtant moins grave, on devine qu’il n’y a pas de pitié pour les rabbins…]
(En fait, à la réflexion, quand on analyse la grande sévérité avec laquelle les rabbins sont jugés par leurs ouailles et coreligionnaires, on devine que s’ils commettaient un dixième de ce que certains prêtres ont fait, ils seraient déjà décapités et trucidés sans jugement.
Si un rabbin se trompe lorsqu’il donne une halakha dans sa synagogue, il y a déjà scandale.
Si sa conduite n’est pas parfaitement irréprochable au niveau des midot ou de la halakha, il est déjà critiqué par tous les prétentieux de sa communauté, franchement, ils ont la vie dure à ce niveau, ils sont jugés de manière très rigoureuse par leurs propres fidèles.)
Le seul point en « commun » avec les catholiques, c’est –parfois- cette volonté d'étouffer le scandale (que l’on retrouve aussi parfois chez les juifs), mais pas au point de laisser le coupable en contact avec des enfants.
Il y a quelques années, il y a eu un juif qui venait d’Israël pour ramasser de l’argent en France et restait un peu de temps dans les communautés et sympathisait avec les autochtones.
Je ne sais pas à quel point il convient de le considérer rabbin, mais il avait une barbe et un chapeau et était considéré en tant que tel par les juifs français qui le voyaient débarquer.
Il est venu durant plusieurs années pour des périodes d’une semaine ou plus dans une kehila parisienne et se faisait inviter pour shabbat chez les fidèles.
Une fois, il a touché une fillette (-pas par inadvertance…) (durant une ou deux secondes) et ça a été un grand scandale.
Il s’est fait renvoyer de la kehila avec interdiction d’y remettre les pieds.
Personne n’a essayé de le couvrir.
Il y a eu un scandale bien plus grave, qui a été étouffé (en dépit de mes vociférations).
C’était à Lakewood (où j’habitais), à la fin du XXème siècle, de mémoire c’était précisément en 1999 (ou alors en 1998 ?). Un juif new-yorkais qui était venu habiter à Lakewood s’est retrouvé impliqué dans une affaire de pédophilie : Sa femme tenait un playgroup (sorte de Gan à la maison pour les enfants de moins de cinq ans) et il s’était acoquiné avec un Goy de New York qui lui payait de belles sommes d’argent s’il le laissait venir dans son playgroup (pendant un moment) avec un ami muni d’une caméra et qu’ils pouvaient rester tous deux avec les enfants pour réaliser des films en l’absence du juif et de son épouse et qu’ils n’en parlent à personne.
Bref, des vidéos pédopornographiques étaient réalisées sous son toit avec son consentement tacite et pseudo-innocent.
Le goy avait expliqué aux enfants (de 3 ou 4 ans) que s'ils en parlaient à leurs parents ou à quiconque, le gros méchant chien viendrait les manger.
Yima'h Shemo.
Le FBI est intervenu un beau jour, sans crier gare -comme le veut la coutume.
Le Goy a été arrêté.
Le juif a dit qu’il ne savait rien de ce qui se faisait chez lui et que son seul délit était d’avoir gagné de l’argent au noir.
Ben voyons.
Il a été arrêté lui aussi.
Les rabanim ont été impliqués, ils ont essayé de le défendre (pour lui éviter la prison, qui pourrait lui être fatale) et ont surtout tout fait pour étouffer l’affaire à Lakewood même.
Il y avait un petit journal hebdomadaire et gratuit, qui arrivaient dans chaque boîte aux lettres de la Kehila, le « Masa u'matan newsletter » (ou l’autre : « BP graphics » ?), dans lequel il y avait eu une annonce rabbinique signée par rav Mittisyohou Salomon (anciennement de Gates Head, il était récemment arrivé à Lakewood pour prendre la relève en tant que Mashguia’h ; le Rav Nosson Wachtfogel commençait à fatiguer, il est décédé vers fin 1998 à 88 ans) qui insistait sur le fait qu’il ne s’était absolument rien passé, qu’il ne s’agissait que de rumeurs mensongères auxquelles il ne fallait pas prêter oreilles etc.
J’en étais révulsé.
Je savais pertinemment que c’était vrai car je connaissais les parents d’une des victimes du playgroup, je savais aussi que les rabanim avaient été mêlés et je trouvais odieux et abominable de mentir ainsi en disant qu’il ne s’était rien passé. Beurk.
On m’a expliqué que faire du bruit autour de cette affaire nuirait aux victimes elles-mêmes, qui auraient du mal à se marier plus tard.
Hélas, c’était vrai.
Il s’avère qu’en plus de cela, il y avait un autre danger à crier la vérité : le procès du Goy new-yorkais réalisateur de vidéos nécessitait des témoignages et les parents ont été avertis que s’ils témoignaient, ils risquaient gros;
D’une part, leurs identités étant diffusées, ils compliquaient la tâche à leurs enfants pour se marier plus tard et d’autre part, il semblerait qu’un réseau criminel (non-juif) cherchait à étouffer l’affaire et laissait entendre que celui qui témoignerait contre ledit Goy, le regretterait…
Ces gens-là n’avaient pas le sens de l’humour très développé.
Je sais que l’un des parents pensait malgré tout témoigner.
Je sais aussi qu’il est mort accidentellement juste après.
Etait-ce vraiment un accident ? Je n’en sais rien (mais ça serait une sacrée coïncidence...).
Ce que je sais c’est que cette histoire est abominable et la gestion rabbinique de la crise m’a laissé comme un mauvais goût.
J’avoue ne pas trop savoir ce qu’il convenait de faire, car il est hélas vrai qu’une telle rumeur est de nature à plomber les chances de shidoukhim des enfants dans le futur.
Mais de là à nier les faits avec autant d’aplomb... je ne sais pas.
Je suppose qu’il y avait mieux à faire.
Mais comme je suis en droit de supposer aussi que des éléments clés de l’affaire m’échappent, je ne peux pas porter un jugement.
Tout ce que je dis, c’est que j’en ai été scandalisé, mais j’avais peut-être tort et si je connaissais tous les détails et toutes les menaces potentielles, j’aurais probablement été plus indulgent.
Il n’est pas exclus par exemple d’imaginer que le texte du rabbin lui avait été dicté par les mêmes bandits qui promettaient de se charger de ceux qui témoigneraient…
Dans ce cas, en effet, ce n’est pas un cas de Yehareg Veal Yaavor.
Mais je trouve anormal/injuste que le coupable (juif) s'en sorte "si bien".
Bref, en conclusion :
il a des étouffements d’affaires chez les juifs aussi, mais avec ces cinq différences de taille (par rapport aux scandales dont vous parlez qui touchent des prêtres catholiques):
1) on ne parle généralement que de « juifs », pas de rabbins.
2) on ne parle généralement que d’attouchements (et même dans le cas de Lakewood où ça a dépassé ce stade, le juif n’était qu’impliqué en « fournissant les enfants », mais il n’avait même pas assisté aux scènes. C’est tout de même grave et il en a pris pour son compte. Et bien sûr son playgroup a fermé, mais sans que ce soit officiellement lié à l’affaire, pour préserver l’anonymat des victimes).
3) il n’est jamais question de laisser le coupable en place de telle sorte qu’il puisse continuer ses crimes.
4) l’étouffement des affaires est souvent motivé par des raisons autrement plus nobles que le fait d’éviter le scandale sur un groupe religieux qui le mériterait (comme par exemple pour protéger les victimes…).
Mais je n’exclue pas la possibilité que certaines affaires aient été dissimulées essentiellement pour protéger un groupe et non les victimes.
5) Même si un groupe religieux dissimule une affaire, ce n’est jamais avec le consentement de tous les juifs ; les autres groupes religieux trouvent nécessaire de dénoncer l’acte (s’ils l’apprennent).
Alors que l’Eglise catholique dans son ensemble à protégé des coupables durant des décennies (et les a laissé en poste et il ne s’agissait pas seulement d’attouchements, et il s’agissait pourtant de responsables de paroisses, prêtres etc.)
Mon texte est long, je ne prends pas le temps de me relire, désolé pour les fautes.