C’est une très bonne question et la réponse fait l’objet d’un long débat depuis des siècles.
Cette question a été posée à Rashi qui a répondu l’avoir déjà posée à son maître Rabbi Yaakov Bar Yakar qui lui a répondu qu’il faudra faire 2 fois netilat Yadaïm.
Mais selon Rashi, une seule fois suffira en ayant l’intention qu’elle serve pour les deux besoins (et il le prouve de ‘Houlin 106b).
Cette divergence d’opinion est rapportée dans de très nombreux sfarim, le plus connu est le Tour (Ora’h ‘Haim §165) qui cite cette ma’hloket entre Rashi et son maître, mais la source se retrouve déjà
dans le Sefer Haoré (II, §151, p.228),
dans les Tshouvot Rashi (§85),
dans le Ma’hzor Vitry (I, §67, p.35),
dans le Shibolei Haleket (§135, p.54a),
dans le Or Zaroua (I, §74, p.16b),
dans le Tashbats Katan (§281, p.20b),
dans le Mordekhaï (Brakhot §204)
et dans plusieurs autres Poskim.
Aussi, lorsque nous trouvons dans le Sidour Rashi (§102, p.51) que rabbi Yaakov Bar Yakar aurait répondu qu’une seule netila suffit, il n’y a pas à douter qu’une erreur de copiste s’y est glissée et que mot « ein » est à effacer, au point que je suis étonné que R. Shlomo Buber ne l’ait pas vraiment souligné dans ses annotations sur le Sidour Rashi.
Dans le Sefer Haparnas (§96) aussi, l’opinion du Rav Yaakov Bar Yakar est mentionnée comme dans la majorité des sfarim : elle indique de faire deux fois netilat yadaïm.
Le Maharam de Rottenburg (Tashbats Katan §280) et (Tour o’’h §165) suit l’avis de Rabbi Yaakov Bar Yakar et le Tour (§165) nous indique que son père le Rosh faisait aussi deux fois netila dans ces cas-là.
Cependant, il semblerait que c’était une mesure de rigueur que s’imposait le Rosh car lorsqu’on lui posait la question, il indiquait que l’on pouvait se contenter d’une seule netila en récitant Asher Yatsar après s’être versé de l’eau sur les deux mains mais avant d’avoir terminé la netila, après quoi on terminera la netila puis on récitera la brakha Al netilat Yadaïm. (Cf . Prisha sur Tour ad loc.)
C’est aussi ce qui est préconisé par le Tour.
Le Shoul’han Aroukh (o’’h §165, 1) lui, donne la préférence à la double netila, mais permet aussi de se contenter d’une seule netila.
Il faut préciser que celui qui choisira de faire deux fois netila devra prendre garde à ce que la première netila ne soit PAS parfaite (Maguen Avraham et Mishna Broura §165, sk.2), sans quoi, la brakha sur la seconde serait levatala.
Par exemple, le premier lavage se fera sans utiliser un ustensile (sans Kli), uniquement en passant ses mains sous le robinet.
Car ce lavage est suffisant pour le lavage hygiénique de la sortie des toilettes mais insuffisant pour le lavage rituel avant le repas.
C’est ainsi que procédait le Rav Shlomo Zalman Auerbach (Halikhot Shlomo XXVI, 26).
Idéalement, on touchera quelque chose de malpropre (-le cuir chevelu, le dessous d’une chaussure…) de manière à rendre les mains impropres et s’assurer de l’obligation de netilat yadaïm d’après tous.
Cette technique ne sera utilisée que comme complément surérogatoire, mais il ne conviendra pas de s’en contenter (c-à-d d’opérer deux véritables netilot dans les règles de l’art et de se salir les mains entre les deux pour éviter la brakha levatala). Car on entrerait alors dans un problème de Brakha Sheeina tsrikha selon le Maguen Avraham qui s’oppose en cela au Shla hakadosh.
Je précise tout de même que le Kaf Ha’haim (§165, sk.4) et le Ben Ish ‘Haï (Shmini IX) soutenaient le Shla sur ce point.
Mais même pour les sfaradim, pourquoi rentrer dans ces problèmes alors que procéder à une netila imparfaite en sortant des toilettes semble être tellement simple à exécuter.
Je sais que certains soulignent l’importance de se laver les mains à la sortie des WC en utilisant un kli et en prenant soin de verser l’eau trois fois etc. mais étant donné que c’est une pratique plutôt ashkenaze (sous l’influence du ‘Hazon Ish), généralement les sfaradim qui se soucient de l’opinion du Ben Ish ‘Haï et du Kaf Ha’haim ne se sentent pas concernés par les ‘houmrot du ‘Hazon Ish.
D’autant que pour le coup, le rav Méir Mazouz (Shout Mekor Nééman §XVI) s’oppose virulemment au lavage des mains avec un kli en sortant des toilettes (-de manière générale, sans parler spécifiquement du cas où l’on veut manger du pain).
Selon lui, celui qui se lave les mains avec un Kli en sortant des WC, pèche par orgueil.
Il considère comme prétentieux de vouloir s’astreindre à une pratique surérogatoire à laquelle tous les grands maîtres sfarades n’adhéraient pas du tout.
Si ces rabanim se permettaient la « koula » à ce niveau, celui qui suit la « ‘houmra » et se démarque de l’habitude générale n’est qu’un bigot, à moins d’être lui-même un remarquable dévot.
Voir encore ce que l’auteur cite au nom de son Me’houtan, pages 243-244 qui concerne directement notre sujet (le double lavage des mains).
D’ailleurs le Ben Ish ‘Haï lui-même (Od Yossef ‘Haï, fin de Vayetsé, p.28), écrit (au nom du Birkat Aharon) que l’on aura recours au Kli seulement pour la Netila du matin (-parmi les lavages hygiéniques, mais pour le lavage rituel avant le motsi, il faudra aussi un kli, bien entendu). Mais le lavage d’après les toilettes ne nécessitera pas de Kli.
Dans les annotations sur le Shout Mekor Nééman (p.254) il est écrit que lorsque le kabbaliste ‘hakham Salman Moutsapi sortait du Mikve, il se lavait les mains simplement, sans kli, sous le regard interloqué des ashkenazim.
Quoi qu’il en soit, on pourra se contenter de ne faire qu’une seule netila en disant Asher Yatsar avant de terminer la netila, cependant, il me semble qu’il faudra veiller à verser moins d’un reviit d’eau lors de ce premier jet, sans quoi la netila étant déjà valable, réciter asher yatsar à ce moment constituerait un hefsek. (cf. MB §165, sk.3)
Il sera préférable dans ce cas, de dire en premier la brakha Al netilat yadaïm, de s’essuyer, puis de dire Asher Yatsar et enfin de dire Hamotsi -comme indiqué dans le Aroukh Hashoul’han (o’’h §165, 2) et dans le Mishna Broura (cf. sk.2), c’est d’ailleurs ce que faisait le Mishna Broura (le ‘Hafets ‘Haim) lui-même selon ce qu’écrit le Rav Sternbuch dans Tshouvot Vehanhagot (I, §168).
[Ce qui est tout de même un peu dérangeant dans la mesure où le Mishna Broura termine (sk.3) en écrivant que la meilleure solution est de suivre la première proposition du Shoul’han Aroukh, à savoir de se laver deux fois les mains.]
Le ‘Hazon Ish (§XXIV, 30) aussi écrivait que l’habitude est de ne faire qu’une seule netila et c’est ainsi qu’il procédait lui-même comme indiqué dans Dinim Vehanhagot (VI, 8).
Et si c’est l’option retenue par le ‘Hazon Ish, il est assez logique que ce soit aussi celle retenue par son admiratif beau-frère, le Steipler et c’est d’ailleurs confirmé dans Or’hot Rabeinou (I, p.78).
Mais on ne repoussera pas le Asher Yatsar à après la consommation de la première bouchée de pain comme vous le préconisiez (cf. Mishna Broura §165, sk.2).
Surtout qu’il y aurait lieu de craindre qu’en repoussant le Asher yatsar à après le motsi, on en viendrait à l’oublier et lorsqu’on s’en souviendra (lors du prochain passage aux WC généralement), il sera trop tard pour rattraper cet oubli.
Même si le Shoul’han Aroukh écrit (o’’h VII, 3) que l’on récitera DEUX fois asher Yatsar dans ce cas, cela n’est pas accepté par les poskim (cf. Mishna Broura ad loc.) et l’on ne suivra pas cette décision du Shoul’han Aroukh.
En conclusion :
On pourra se laver une seule fois les mains et dire Asher Yatsar avant de dire Hamotsi (et ce n‘est pas considéré Hefsek), ou alors faire deux fois netila en n’utilisant pas de kli pour la première (celle d’asher yatsar) et éventuellement on se salira en plus les mains avant la seconde netila.