A
Juifjuif que je cite :
Citation:
Bonjour rav Wattenberg,
Je souhaitais vous demander comment la discussion sur l'abstention au registre des refus commence, pourtant une des données de base est qu'il semble que dans notre situation (j'entends dans notre pays), le rov des potentiels bénéficiaires d'un don d'organes seraient akoum, la Torah a pourtant conditionné le dichuy des aveirot dans un cas de pikuach nefesh au fait qu'il soit question d'un ben brith? (Bien sur à la condition qu'il soit question d'un issur véritable de manquer de kavod à son propre corps après la mort- j'en profite pour vous demander quel en est le mekor?)
Il en ressort que dans le rov des cas nous concernant, le don d'organes seraient une 'aveirah (quel que soit son niveau) et dans certainement miuta demiuta, une mitzvah, à partir de là, comment commence le vikuach (concernant les solutions du désaccord médecine/rabbins sur la définition de l'instant de la mort etc)?
Vous écrivez :
Citation:
la Torah a pourtant conditionné le dichuy des aveirot dans un cas de pikuach nefesh au fait qu'il soit question d'un ben brith?
D’où tirez-vous que la Torah ait posé cette condition pour le « dichuy des aveirot » ?? ça a été dit au sujet du ‘Hiloul Shabbat, comment se permettre de l’étendre à tout péché ?
Je vous pose la question autrement : si on vous dit : « parle pendant la ‘Hazarat Hashats, ou je tue cette personne (qui n’est pas Bat Brit) », que faites-vous ?
[et j’ai choisi-là une Aveira parmi les graves péchés, on pourrait poser la même question avec « ne fais pas Mayim A’haronim sinon je tue cette personne »]
Or, il n’est pas ici question de ‘Hiloul Shabbat, mais d’un péché infiniment moins grave : Nivoul Hamet.
Ce n’est pas un Lav min hatorah défini en tant que tel parmi les 613 mitsvot, c’est juste une notion de respect d’autrui que l’on rattache à ואהבת לרעך כמוך.
D’autres déduisent le Issour à partir de celui de הלנת המת.
Il faut respecter les gens vivants, ainsi que ceux qui sont morts.
Mais il est difficile d’affirmer que ce soit un Issour Deorayta et en tout cas, il reste incomparable à celui de Shabbat qui entraîne Mitat Beit Din et Karet, ce qui n’est pas le cas de הלנת המת.
Au point que le
Shoel Oumeshiv (I, §231) écrive que l’interdit de Nivoul Hamet ne s’applique que lorsqu’on manque de respect au corps du mort
sans raison (=mais pas s’il y a une nécessité).
Je ne veux pas entrer dans les détails ici, ça serait long et fastidieux et surtout ça risquerait d’être imparfaitement -voire mal- compris, mais il y a des tas de responsum traitant de Heitérim constituant un certain niveau de Nivoul Hamet dans certaines conditions.
Ceci pour dire que votre application d’une règle a priori énoncée au sujet du ‘Hiloul Shabbat n’est pas d’actualité ici
[même sans avoir recours au fort discuté Méiri (Yoma 84a) qui met à mal votre règle elle-même].
J’ajouterais encore un élément de réflexion en citant une tshouva du grand
Rabbi Yossef Messas à ce sujet dans son
Shout Mayim ‘Hayim (II, Mayim Kdoshim §109) où il est question d’une greffe de la cornée à partir d’un mort juif vers un non-juif, que le Rav encourage car «
cela montrerait l’amour entre les hommes sans distinction de religion, car tous sont les créatures d’Hakadosh Baroukh Hou ».
Rav Messas ajoute encore que c’est une Mitsva et que l’on crédite ainsi le mort d’une Mitsva et qu’il en aura satisfaction dans le monde de vérité.
La question venait du Beit Din de Rabat, ce qui laisse supposer que le bénéficiaire fut musulman et donc respectueux des 7 Mitsvot.
Il est logique d’imaginer que pour un terroriste/bandit qui enfreint les 7 Mitsvot ça puisse être différent, mais on ne peut désormais plus parler de majorité écrasante comme vous le faisiez.
Vous noterez aussi que
Rav Messas autorisait cette greffe bien qu’il n’y soit pas question de danger de mort, le patient ne risquait « que » la cécité.
A plus forte raison s’il est question de sauver une vie, selon
Rav Messas, on devra opérer un Nivoul Hamet pour cela
(même si le bénéficiaire n’est pas juif).
Attention, encore une fois, s’il s’agît de prélever un organe d’une personne en état de « mort cérébrale », comme expliqué plus haut, ce n’est pas autorisé selon les nombreux Poskim qui considèrent que seul l’arrêt cardiaque (ou de la respiration) définit l’arrêt de vie.
Nous parlons donc d’une personne morte
SELON la Halakha, par exemple s’il ne respire plus (de manière irréversible) et que son cœur s’est arrêté (de manière irréversible).
C’est dans ce cas que
Rav Messas autorise la greffe.
Celle de la cornée ne correspond pas à un danger de mort
(=ne représente pas une nécessité vitale) pour le malade, mais celle d’un rein ou de la peau peut être vitale.
Bien entendu, on ne décidera pas seul dans ce domaine, il faut toujours confier le dossier à un Rav Talmid ‘Hakham digne de ce nom, tant les paramètres sont multiples et les situations différentes.
Pour en revenir à votre question, j’indique encore deux choses :
1) le fait qu’il y ait un Rov de receveurs qui ne « seraient » pas éligibles ne suffirait pas à négliger le Miout éligible, car nous parlons de Pikoua’h Nefesh où l’on craint même le Safek du Safek du Safek…
2) ma « pseudo-solution » qui consiste à (sans s’inscrire sur le registre) faire savoir autour de soi et à laisser un document écrit chez soi indiquant « qu’on s’oppose à tout prélèvement SAUF indication contraire de tel ou tel rabbin », peut permettre aussi de faire la distinction entre les bénéficiaires.
Il reste difficile de savoir si le bénéficiaire est ou non un terroriste/malfrat/gangster/assassin, mais il y a toujours l’idée du Rov.
J’ajoute pour finir que
Rav Méir Mazouz dans son shiour de motsaé shabbat Tazria Metsora 2 Iyar 5780 – 25 avril 2020 parle de
Rav Avraham Yeshayahou Heber (Rav Mazouz prononce Haber, mais il se trompe souvent dans la prononciation des noms ashkenazes, son nom est Heber -même s’il s’écrit Haber chez les anglo-saxons, qui se lira comme Heber), victime du coronavirus, qui est Niftar le 23 avril 2020 à 55ans.
Il était enseignant en yeshiva en Israël. תנצב"ה .
Rav Mazouz raconte que
Rav Heber avait ouvert un centre pour greffes de rein en Israël, basé sur le volontariat et motivé par l‘altruisme. Voir ici :
https://kilya.org.il/fr/
Au bout de quelques années,
Rav Heber a été accusé de réserver les reins aux membres de sa famille et de ne pas offrir de possibilité de greffe aux autres ou aux non-religieux
(car de nombreux donneurs étaient religieux « ‘Harédim »).
Il a montré la liste de ses greffés et a prouvé qu’il acceptait de sauver tout malade, que ce soit des non-religieux (« ‘Hilonim ») ou même des non-juifs -en l’occurrence des arabes.
Car en matière de Hatsalat Nefashot (sauvetage de vie), on sauve tout le monde.
Rav Mazouz ajoute : «
les arabes ne pourront pas dire qu’on éprouve de la haine envers eux, on sauve tout le monde ».
---fin de citation---
Et pourtant, vous savez quelles sont les tensions entre juifs et arabes en Israël, il eût été facile d’assimiler tout arabe à un terroriste et de lui dire qu’on le contactera lorsqu’on trouvera un donneur compatible...
Concernant notre sujet, vous voyez bien qu’en matière de greffe d’organe on se soucie aussi des non-juifs et ce, alors que nous parlons d’une greffe à partir d’un vivant !
La greffe à partir d’un vivant est d’un certain point de vue plus Me’houdeshet en cela qu’il s’agit de se mettre en danger pour sauver autrui
(ce qui n’est pas le cas de la greffe post-mortem).
Du point de vue halakhique il est très grave de se mettre en danger, c’est un véritable issour Torah, alors que le respect du corps d’un mort est une notion de kavod, et ne peut pas se comparer à un danger de mort.
Pour conclure, je répète une nouvelle fois que
personne ne doit prendre de décision par soi-même dans ce domaine trop complexe pour permettre des généralités. Que chacun consulte son Rav en lui présentant convenablement sa situation.
Mon présent message n’a pour but que de répondre à votre question et de vous montrer qu’il peut y avoir des aspects qui vous échappaient, mais ce message n’a pas vocation à faire office de Kitsour Halakha, il faudra exclusivement s’en remettre à son Rav pour toute question pratique dans ce domaine.