# 005 (suite)
Jusqu'ici j'ai traité des sujets dans lesquels je pense que vous ne m'aviez pas compris. A présent je passe peut-être au plus crucial, là où nous ne sommes a priori pas d'accord. Ou bien là où c'est éventuellement moi qui ne vous ai pas bien compris. Ce sera à vous de me le dire.
CONCERNANT L'APTITUDE HUMAINE À JUGER DE L'EXISTENCE DE D.IEU.
14) Vous me citez : "Vous dites : « Et si cette entité que l'on appelle D.ieu existe réellement, nous avons une réponse complète à notre étonnement », ce besoin de complétude et cette aversion pour l’incompréhension sont parfaitement humains et font partie du shohad dont je parlais en début de discussion avec le Rav."
Oh la la ! Non, là je ne suis pas du tout d'accord avec vous !
Lorsque vous parliez de Sho'had avec le Rav en évoquant la difficulté de remettre en cause sa propre religion pour diverses raisons comme : "besoin d'appartenance sociale, avoir l'impression de rompre une lignée, peur de la punition divine sur terre ou du manque de « protection », peur de l'après-mort, peur de ne plus pouvoir s'appuyer sur des certitudes, angoisse de ne plus pouvoir expliquer sa souffrance, etc…". Je vous suivais tout à fait.
Lorsque vous voyiez une forme de Sho'had dans la démarche d'une personne qui pour donner un sens à sa vie à la suite d'une épreuve se tourne vers la religion, je trouvais que vous aviez déformé l'idée de Sho'had, mais ne voyais pas de raison de le relever.
Mais à présent que vous considérez le besoin de complétude et "l'aversion pour l'incompréhension" (sic) comme du Sho'had, là je tire directement la sonnette d'alarme !
Le besoin de complétude ? Mais c'est un des rares tuteurs de notre connaissance ! C'est l'un des sens de la raison. Un de ceux qui nous guident constamment à travers le brouillard des alternatives et des dilemmes ; nous aident à faire de l'ordre dans le déferlement de conjectures dont nous submerge notre propre esprit. Vous voulez vous en séparer sous couvert de Sho'had ? Mais pour rester avec quoi ?
Et qu'entendez-vous par "l'aversion pour l'incompréhension" ? Attendez-vous de l'homme qu'il développe un amour pour l'ignorance peut-être ? Le moteur de toute connaissance n'a jamais été autre que la recherche de compréhension. Si vous pensez pouvoir cohabiter en toute quiétude avec l'incompréhension, vous serez certainement en bonne compagnie avec quelques-uns des Sceptiques les plus coriaces de l'Antiquité, mais pourquoi vous étonneriez-vous si pour ma part je cherche autre refuge ?
Plus concrètement : Je mettais en avant le fait qu'il n'existe aucune explication scientifique (ou autre) à l'existence du monde (ce sur quoi vous semblez d'accord). Et que par contre il existe une explication à celle-ci sous la forme de D.ieu (là aussi vous êtes apparemment d'accord, ne serait-ce qu'en tant qu'hypothèse).
Alors D.ieu ne m'est pas accessible, mais je comprends pourquoi Il ne l'est pas (comme dit plus haut, au point n° 9, merci de vous y reporter).
Et sur Son existence je ne rencontre aucune contradiction logique (comme dit plus haut, au point n° 12. Si ce n'est pas votre cas, nous pouvons toujours en parler. Mais me concernant c'est ma position à l'heure actuelle.)
A partir de là pourquoi devrais-je donc être taxé de propension à pencher vers le pot-de-vin que me tends mon esprit, si je suis simplement la logique la plus humaine ?
Alors oui c'est humain, mais quel rapport avec le Sho'had ?
Vous espériez peut-être une preuve surhumaine de l'existence de D.ieu ? Une certitude absolue, une forme de science infuse, de Roua'h Hakodesh ?
Ça existe, parait-il, mais c'est hors de notre portée. Et surtout, au risque de vous choquer, c'est inutile ! Nous vivons constamment avec des connaissances qui n'ont rien d'absolu.
J'ai constaté avec intérêt que vous citez Popper en rapport à son épistémologie, au sens français du terme (philosophie des sciences). Voilà qui me donne bon espoir que son épistémologie au sens anglo-saxon du terme (philosophie de la connaissance) ne vous soit pas totalement étrangère non plus, vu qu'il entremêle constamment les deux.
Vous devez alors bien être conscient du fait que pratiquement aucune de nos connaissances ne peut être considérée comme absolue. Popper pour son compte va même jusqu'à remettre en cause la solidité du moi cartésien ! (Entre autres dans "La connaissance objective" chez Flammarion, p.88.) Mais inutile d'en arriver là pour saisir la légèreté de la justification de nos connaissances, et donc leur fragilité.
Voyez par exemple, si demain matin vous avez soif, pourquoi perdre votre temps à faire bouillir de l'eau pour vous préparer un café ? Prenez un verre d'Eau de Javel, l'effet sera le même. Que craignez-vous, le gout ? Qui vous dit que le café sera meilleur ? Hume a très bien démontré que rien ne nous garantit que ce qui était vrai hier le sera aujourd'hui. L'expérience n'établit strictement rien d'absolu pour l'avenir. Le danger ? Mais vous-savez qu'un verre de café peut aussi cacher bien des dangers. L'eau risque d'être empoisonnée. Les graines de café pourraient renfermer de mauvaises surprises. Avez-vous la certitude que ce n'est pas le cas ?
Je crains fort que la douce odeur de café ne soit à deux doigts de corrompre votre esprit.
Plus sérieusement : Expliquez-moi s'il vous plait pourquoi lorsqu'il s'agit de la connaissance de D.ieu il faudrait tout à coup annihiler toutes les fonctions de notre système cérébral, pour ne laisser passer qu'une certitude qui surpasse tout le reste ?
En quoi le fait qu'une fois croyant on se sent (selon vous) "mieux", devrait m'interdire d'arriver à une conclusion sur l'existence de D.ieu ?
Si on me propose un emploi avec un gros salaire à la clef, je comprends tout à fait que la somme promise est à même de me faire pencher pour l'accepter. Mais suis-je alors totalement incapable d'en juger, au point de devoir a tout prix refuser cette proposition, pour rester bêtement sans emploi ?
J'ai l'impression que c'est précisément ce que vous dites concernant la question de l'existence de D.ieu. Expliquez-moi pourquoi, ou bien détrompez-moi !
15) Autre point où je me trouve en net désaccord avec vous, vous dites au départ : "Pourquoi être obligé de prendre position quand on ne sait vraiment pas ? Si je ne sais pas, je cherche, je ne me précipite pas sur la conclusion qui me plaît."
Pourquoi être obligé de prendre position ? Prenons un exemple tout d'actualité.
On m'a dernièrement demandé ce que je pensais de la candidature de M. Éric Zemmour à la présidentielle.
A vrai dire à l'heure qu'il est je n'en pense pas grand-chose. J'ai bien sûr comme tout le monde entendu des bribes d'information de ci et de là à propos de ses idées, de son parcours, etc. Je me suis donc fait une petite opinion de ce qu'il est, et de ce qu'il pourrait être une fois au poste de président, mais franchement pas assez pour trancher si cette option est la pire ou la meilleure, ni même simplement bonne ou mauvaise.
Et comme j'ai bien d'autres préoccupations que celle-ci (par exemple vous répondre sur Techouvot 😊) je laisse ce sujet – certainement passionnant – à d'autres.
Mais voilà qu'au mois d'avril on va me demander de voter.
A ce moment-là je devrai bien trancher. Il me faudra alors réunir plus d'informations sur les différents candidats, leurs programmes, leurs capacités, leur sincérité, leur expérience etc. etc.
On peut s'attendre à ce que j'obtienne ainsi une image plus complète des différents enjeux, mais ce ne sera probablement pas assez pour pouvoir affirmer avec certitude que telle ou telle candidature est LA meilleure. Je ne suis pas prophète.
Malgré tout il faudra que je vote. Ne pas voter, c'est voter pour les autres, c'est connu. Dire que mon vote n'a aucune importance, c'est faux. Les résultats sont entièrement constitués du vote de gens exactement comme moi, qui n'ont pas d'importance.
Alors je voterai (bon, bli neder 😊) pour celui qui me paraitra être la meilleure option (ou la moins mauvaise).
Voilà pour l'exemple.
Eh bien, pour ce qui est de l'existence de D.ieu comprenez que c'est AUJOURD'HUI qu'il faut voter !
Chaque jour est un jour de vote par ma conduite, mon investissement dans la vie etc.
On ne peut pas attendre de voir avec le temps. Parce qu'en attendant alors quoi ?
Si D.ieu n'existe pas, je vais perdre mon temps à apprendre la Torah, à faire le zouave avec un Loulav à la main etc. Au lieu d'investir mon temps et mon énergie dans des projets bien plus productifs pour moi-même ou pour l'humanité.
Et si D.ieu existe, pas besoin de vous dire ce que je perds en ne respectant pas Sa volonté. Mais même si je fais les Mitsvot (dans le doute, on ne sait jamais) quelle perte au niveau du zèle tant que je n'en suis pas convaincu !
Imaginez par exemple si rav Wattenberg au lieu de s'investir autant dans la Torah était encore en train de s'interroger sur la pertinence des preuves de l'existence de D.ieu… Quelle perte ! (Ne serait-ce que pour nous, lecteurs de Techouvot !)
Eh bien, c'est la même chose pour rav Leowil !
Ce que je veux dire, c'est qu'il est totalement faux de se dire que tant que je n'ai pas tranché sur le sujet, je suis en droit de me bercer tranquillement dans une sorte de statu quo avec moi-même.
L'homme ne vit pas qu'avec lui-même, il vit dans un monde avec lequel il se doit d'être interactif, sous peine de lui être nuisible.
Mais me direz-vous comment trancher alors que le sujet me parait aussi imperceptible ? Croyez-moi que si vous sentiez la même urgence que rav Wattenberg, vous finiriez par trancher.
Permettez une citation du rav (que vous trouverez plus haut en date du 28 Juin 2021) qui rejoint ce que je viens de vous écrire :
"Si les chirurgiens refusaient d’opérer tant qu’ils n’obtenaient pas la preuve mathématique et irréfutable de la réussite de l’opération, il y aurait des tas de morts stupides.
Lorsque l’opération semble jouable, on la pratique si elle est nécessaire. Ici aussi, il ne s’agît pas d’un éventuel plus à prendre ou à laisser, si on ne « s’inscrit » pas dans la bonne religion (que l’on s’inscrive ailleurs ou non), on risque très gros, comme le malade qui risque de mourir si on ne l’opère pas."
Vous remarquerez que le rav considère la question de l'existence de D.ieu avec autant de gravité qu'une question de vie ou de mort.
Il y a encore une petite subtilité à saisir : quelle est la question que vous posez ? Si vous posez la question purement théorique "d'où vient le monde ?", vous pouvez considérer que vous n'avez pas la possibilité de réponde de manière exhaustive et tranchée à cette question.
D.ieu est une possibilité, une éventualité. Mais il y en a peut-être d'autres. Donc vous êtes susceptible d'estimer devoir laisser cette question ouverte, tant que vous n'apercevez pas d'approche réellement décisive.
Mais lorsque la question est "est-ce que D.ieu existe ?", et qu'elle est posée dans le but final d'arriver à une conclusion pratique si je dois par exemple oui ou non mettre les téfilines, face à une question d'ordre pragmatique il faut trancher. Et pour cela nous possédons largement assez d'éléments. Il faudra juste s'en donner la peine.