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Abraham Bloch, rabbin et aumonier militaire

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yoho
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Bonjour Rav,

J'ai lu récemment un article sur le Rabbin Abraham Bloch, rabbin et aumonier militaire pendant la Première Guerre Mondiale.

Un de ces actes m'a interpellé d'un point de vue halachique. Wikipédia le rapporte ainsi "Selon un courrier adressé à sa veuve par un jésuite, Abraham Bloch, durant un combat, aurait tendu un crucifix, à sa requête, à un soldat catholique mourant. Durant cette action, il aurait été mortellement blessé. Cette scène est située au col d'Anozel, près du village de Taintrux, dans les Vosges."

J'ignore peut être les circonstances exactes de ce fait, ni le contexte de cette époque (? אימת הגוים), ni plein d'autres détails qui pourraient justifier ou pas d'un point de vue halachique, cet épisode, donc j'aimerai avoir un regard halachique sur l'acte du Rabbin Abraham Bloch.

Has Vechalom, loin de moi, l'idée de juger ses actes ou de porter atteinte à l'honneur de ce Rav (D'autant plus qu'il ne serait pour certains qu'un mythe, nécessaire alors pour un symbole d'union nationale après l'affaire Dreyfus), j'aimerais juste avoir un contexte halachique sur ce sujet.

Et si possible, si vous aviez quelques éléments biographiques sur ce Rav.

Merci pour votre réponse
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6640
Citation:
J'ai lu récemment un article sur le Rabbin Abraham Bloch, rabbin et aumonier militaire pendant la Première Guerre Mondiale.
Un de ces actes m'a interpellé d'un point de vue halachique. Wikipédia le rapporte ainsi "Selon un courrier adressé à sa veuve par un jésuite, Abraham Bloch, durant un combat, aurait tendu un crucifix, à sa requête, à un soldat catholique mourant. Durant cette action, il aurait été mortellement blessé. Cette scène est située au col d'Anozel, près du village de Taintrux, dans les Vosges."
J'ignore peut être les circonstances exactes de ce fait, ni le contexte de cette époque (? אימת הגוים), ni plein d'autres détails qui pourraient justifier ou pas d'un point de vue halachique, cet épisode, donc j'aimerai avoir un regard halachique sur l'acte du Rabbin Abraham Bloch.
Has Vechalom, loin de moi, l'idée de juger ses actes ou de porter atteinte à l'honneur de ce Rav (D'autant plus qu'il ne serait pour certains qu'un mythe, nécessaire alors pour un symbole d'union nationale après l'affaire Dreyfus), j'aimerais juste avoir un contexte halachique sur ce sujet.
Et si possible, si vous aviez quelques éléments biographiques sur ce Rav.


Le rabbin Abraham Bloch est un rabbin français très connu pour les circonstances de sa mort.
Il est né à Paris en 1859, d’un père Yeke (alsacien) et d’une mère sfarade (italienne).
Il a d’abord été rabbin de Remiremont de 1883 à 1897 (il se marie en 1891 avec Berthe Eudlitz -descendante du Rav Shlomo Wolff Klein), puis il est grand-rabbin à Alger de 1897 à 1908, année où il devient grand-rabbin de Lyon.
En 1914, c’est la 1ère Guerre mondiale, il est aumônier. Pas pour longtemps car il meurt le 29 août 1914, vraisemblablement d’un éclat d’obus.

Sa date de naissance est le 7 novembre 1859, comme indiqué par l’Univers Israélite de 1915 (p.159) et par d’autres sources.
Néanmoins, bien qu’il soit difficile de la déchiffrer entièrement, son épitaphe semble indiquer sa date de naissance à deux reprises, l’une, claire, est le 18 novembre, l’autre le 7 novembre ! C’est ce qu’on appelle « Mezouyaf Mitokho », il y a une contradiction sur la même pierre tombale, je ne sais comment l’expliquer.

Pour la date du décès, elle est largement documentée et aucun doute ne peut subsister, c’était le 29 août 1914, même si certaines imprécisions à ce propos ont pu être imprimées, notamment dans « Histoire du rabbinat français » (Roger Berg, Paris 1992, p.83, note 22) où il est écrit que le rabbin Abraham Bloch est mort en septembre 1914. (voir aussi dans ce même ouvrage en p.176.)

Je ne sais pas si la légende autour de sa mort est véridique.
On raconte que, sur le front, un soldat français, catholique, mortellement blessé, le prit pour un aumônier catholique (bien qu’il ne fût pas en uniforme militaire, la soutane et le chapeau des deux cultes se ressemblant) et lui demanda de lui apporter un crucifix pour son dernier soupir.
Le rabbin Bloch s’exécuta et fut mortellement touché peu après par un éclat d’obus. Selon d’autres versions, touché par une balle.

Certains disent que ces circonstances auraient été largement romancées afin d’apporter un peu de calme, de cohésion et de fraternité suite à l’affaire Dreyfus qui avait déchiré la France.
Difficile de savoir qui dit vrai.

A l’époque, peu après sa mort, quasiment tout le monde semble y croire.
Maurice Barrès, pourtant antisémite et antidreyfusard notoire, en parle dans « Les diverses familles spirituelles de la France » (Paris 1917, p.93) et nous révèle le nom du témoin jésuite de la scène qui en a informé la veuve du rabbin, c’est l’aumônier catholique, le Père Jamin.
C’est un texte que Barrès avait déjà publié dans « L’Echo de Paris » du 15 décembre 1915.

Et Edmond Fleg aussi rappelle cette histoire dans une comédie, « La maison du Bon Dieu », jouée au théâtre en 1920.

Le grand rabbin Jacob Kaplan en parle à différentes occasions et l’écrit aussi dans « N'oublie pas » (dans le chapitre sur l’incendie de la synagogue de Drancy), dans « Le grand rabbin Kaplan » (de Pierre Pierrard -1977, p.52) (où il dit même être allé voir la pièce de Fleg), et voir aussi « Gardien de mes frères, Jacob Kaplan » (Haïm Korsia, 2005, p.22).

Voir encore « L’amiral Bloch » (il s’agit de L’amiral René Bloch) (de Emmanuel Hecht, Paris 2023) au début du 4ème chapitre.


Il y a aussi un ouvrage qui lui est dédié : « Un grand rabbin dans la Grande Guerre », biographie du rabbin Abraham Bloch, écrite par son arrière-petit-fils Paul Netter (le rabbin Bloch a eu deux enfants, un garçon, Moïse, mort étant jeune, et une fille, Jeanne, qui a épousé un Netter) et publiée en 2013.

Philippe Landau, dans « Les Juifs de France et la Grande Guerre » (Paris 2008, chapitre XII, p.195 à 210), explique que cette histoire de crucifix pourrait être un mythe.

J’ai un peu de mal à croire qu’il y ait eu toute cette fumée sans feu, les circonstances exactes restent floues, mais il y a certainement dû y avoir un petit quelque chose. Peut-être n’a-t-il pas amené lui-même le crucifix mais serait allé appeler l’aumônier catholique ?


Quoi qu’il en soit, selon la version classique où il apporte en personne le crucifix au fantassin catholique, vous demandez ce qu’il en est du point de vue halakhique.
Nous n’allons pas faire son procès 120 ans après son décès, mais intéressons-nous à la question en tant que cas d’école.

Peut-on accéder à la dernière requête d’un mourant catholique qui souhaite embrasser un crucifix ?
A priori, cela dépend d’une Ma’hloket entre les A’haronim quant à savoir si les non-juifs qui croient en la Trinité enfreignent en cela leur Issour de Avoda Zara, auquel cas il y aurait un Issour Lifnei Iver (=faire fauter autrui) pour le juif dans cette situation.

La Halakha retenue est, comme l’indique le Rama, que la Trinité n’est pas considérée Avoda Zara pour les non-juifs (mais les définitions de Avoda Zara pour les juifs sont plus strictes, et pour un juif c’est interdit au titre de Avoda Zara).

Donc, il semblerait que le rabbin Bloch ait agit en conformité avec la loi juive et ne se serait pas rendu coupable de Lifnei Iver en faisant fauter ce catholique, car ce n’est pas une faute pour un non-juif.

D’autres diraient que dans la mesure où un juif accorde de l’importance et donne une valeur au crucifix, il serait déjà en infraction, mais je ne vois pas en quoi le fait d’accepter que le crucifix ait une valeur pour le catholique, fasse du juif un « complice » qui reconnaitrait cette appréciation.

Ça pourrait se discuter et il y aurait de quoi développer, mais il me semble que, concernant ce point, il a agi convenablement (et noblement).

Quant à faire un lien avec sa mort immédiate qui serait un signe du Ciel, je n’y crois pas trop. Nous ne sommes pas à l’époque de Ouza pour « mériter » des punitions instantanées de manière si flagrante, il y a généralement un temps entre crime et châtiment (même Dostoïevski est d’accord).
Et comme du point de vue Halakhique, il me semble difficile de lui tenir grief de son acte (d’après le Rama), ça serait plutôt un Kidoush Hashem que ce rabbin Bloch aurait réalisé.

[Après, il faut aussi souligner que la date de sa mort, le 29 août 1914, tombait un samedi (eh oui), ce qui implique un autre problème en portant un objet (crucifix ou non) dans un domaine public ou Karmelit…
Mais c’est une autre question qui s’inscrit dans une problématique beaucoup plus large, celle du respect de la Halakha dans le cadre du service militaire en temps de guerre.
Les juifs français (et religieux) de cette époque étaient fiers et empressés de servir sous les drapeaux, alors que de multiples infractions religieuses, notamment concernant le Shabbat, y étaient absolument inévitables…]

De nombreux soldats juifs se sont illustrés par leur bravoure et leur sacrifice pour la Nation durant la Grande Guerre. Cela a assurément eu un impact sur les positions de quelques antisémites qui ont été parfois relativisées (pas chez tous…).

Barrès rapporte dans « Les diverses familles spirituelles de la France » (Paris 1917, p.178) qu’Henri Lagrange a écrit : « Que de jeunes juifs auxquels je refusais absolument la solidarité française sont tombés au champ d’honneur après s’être héroïquement comportés ! ».

[Je souligne au passage ceci : Barrès écrit, un peu plus bas, que Lagrange est mort le 30 octobre 1915 « âgé de vingt ans », c’est inexact, il avait 21 ans, puisque né le 21 novembre 1893.]

Voir aussi en (p.73).


Il y a une rue Abraham Bloch à Lyon (ville dont il était le grand-rabbin), rue du cimetière juif.
Il y avait aussi une place Abraham Bloch à Alger, c’est ainsi que la place Randon (où se trouvait la grande synagogue) avait été renommée vers 1925, en l’honneur de l’ancien grand-rabbin d’Alger.
Je suppose qu’elle a dû depuis être rebaptisée autrement et qu’elle n’est plus la place sur laquelle il y a la synagogue…

J’ai aussi lu dans The Universal Jewish Encyclopedia (II, p.395) que notre rabbin Abraham Bloch aurait été rabbin à Constantine avant de passer à Alger, toujours selon cette source, une rue aurait aussi été nommée d’après ce rabbin Bloch à Constantine.
C’est étrange car personne ne fait mention de ce passage à Constantine et si une rue lui a été dédiée c’est qu’il y est resté plus que quelques jours.
De toute manière, j’imagine que celle-ci aussi a dû être débaptisée depuis.

Je souligne quand même que les éléments fournis dans cet article sont imprécis par ailleurs ; le retour en métropole pour assurer le poste à Lyon aurait eu lieu en 1905 selon cette source, c’est contredit par toutes les autres qui indiquent 1908.

Le Rabbin Bloch est donc décédé le 29 août 1914, soit le 7 Eloul (5674), c’est aussi la date de Yohrzeit de Rav Reouven Margulies (en 1971), de Rav ‘Haim Yaakov Rottenberg (en 1990), et de Rav Aharon Moshé Schechter (en 2023).

PS: je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes, merci.
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