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Rimes dans la torah

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Trouve-t-on des rimes dans la bible et chez les 'hazal et les rishonim ?
Rav Binyamin Wattenberg
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Citation:
Trouve-t-on des rimes dans la bible et chez les 'hazal et les rishonim ?


Dans la Bible, pas vraiment.
Certains auteurs le prétendent pourtant avec assurance, mais les exemples qu’ils daignent exhiber ne sont pas convaincants du tout.
Généralement il s’agit de rimes pauvres (que l’on pourrait même qualifier de mendiantes) et il n’y a qu’une rime ou deux.
Il est plus que probable de dire que l’auteur n’avait pas l’intention de faire rimer sa prose.

C’est souvent dans Yirmiya et Yeshaya qu’on retrouve des semblants de rimes un poil plus conséquentes, par exemple :
Yeshaya (63,16-18) :
כִּי־אַתָּה אָבִינוּ / כִּי אַבְרָהָם לֹא יְדָעָנוּ / וְיִשְׂרָאֵל לֹא יַכִּירָנוּ / אַתָּה ה' אָבִינוּ / גֹּאֲלֵנוּ מֵעוֹלָם שְׁמֶךָ.
לָמָּה תַתְעֵנוּ ה' מִדְּרָכֶיךָ / תַּקְשִׁיחַ לִבֵּנוּ מִיִּרְאָתֶךָ / שׁוּב לְמַעַן עֲבָדֶיךָ / שִׁבְטֵי נַחֲלָתֶךָ.
לַמִּצְעָר יָרְשׁוּ עַם קׇדְשֶׁךָ / צָרֵינוּ בּוֹסְסוּ מִקְדָּשֶׁךָ.

Et dans Yirmiya (1,5) :
בְּטֶרֶם אֶצׇּרְךָ / בַבֶּטֶן יְדַעְתִּיךָ / וּבְטֶרֶם תֵּצֵא מֵרֶחֶם הִקְדַּשְׁתִּיךָ / נָבִיא לַגּוֹיִם נְתַתִּיךָ

Mais on voit bien que l’intention n’y était pas (et si elle y était, ce phénomène serait beaucoup plus fréquent dans la Bible).

Il y a aussi des chants où l’on peut plus facilement imaginer que l’effet de rime soit voulu, par exemple dans la Torah (dans la Shira) (Shemot 15,2), ceci :
עָזִּי וְזִמְרָת יָה / וַיְהִי לִי לִישׁוּעָה / זֶה אֵלִי וְאַנְוֵהוּ / אֱלֹהֵי אָבִי וַאֲרֹמְמֶנְהוּ

Et dans Shmouel (I,18,7) : הִכָּה שָׁאוּל בַּאֲלָפָיו / וְדָוִד בְּרִבְבֹתָיו

Le Mekor Baroukh (Epstein) (p.770) cite plusieurs exemples de rimes dans les Psoukim et estime (p.771) que ces rimes n’étaient pas recherchées. Voir aussi Otsar Kol Minhaguei Yeshouroun (§52,3, p.148).

Il n’y a rien d’étonnant qu’il y ait si peu de rimes (voire pas du tout en fait) dans la Bible, à l’époque de sa rédaction, ce n’était pas en vogue, on n’y trouvait pas plaisir ni intérêt.
C’était peut-être utilisé en Chine (cf. le Classique des vers, qui date d’il y a 3000 ans), mais pas en Israël, ni dans la région.

Etrangement, on en trouve un peu plus dans le livre de Ben Sirah (qui a quand même 2200 ans).
Par exemple dans Chap.1 versets 2 &3, 4&5, 9&10, 19&20, 30&31. Dans le chapitre 2 il y a des rimes entre les deux propositions d’un même verset, comme dans les versets 12,13,15,17.

Mais d’une part c’est rare et irrégulier (et il s'agit de rimes pauvres, donc probablement involontaires) et surtout, le livre de Ben Sirah nous est parvenu en grec, c’est une traduction du grec et il est difficile d’être sûr de l’original.
Et même en consultant les manuscrits en hébreu (qui sont incomplets) on constate qu’aucun d’eux ne comporte le début du livre (qui est perdu dans cette langue), on a un manuscrit qui débute à la fin du 6ème verset du 3ème chapitre, ce qui précède a été perdu…
Le texte hébraïque dont nous disposons pour les 2 premiers chapitres est une traduction du texte qui avait été traduit en grec par le petit-fils de Ben Sirah.

C’est donc plus tard que les poètes juifs ont commencé à s’exprimer en rimes.

Le Sefer ‘Hassidim (§781) fait remonter l’intérêt pour les rimes chez les Juifs, au début de l’exil (début du IIème siècle) !
En vivant parmi les Nations, les Juifs se seraient inspirés des autres peuples et auraient commencé, eux aussi à produire des vers rimés.
Cela suppose que la rime fut en vogue déjà avant cela chez ces autres peuples, ce qui ne semble pas ressortir des textes qui nous sont parvenus.

R. Yehouda Halévy (Kouzari II §73-78) aussi attribue la forme des poèmes (la métrique et vraisemblablement aussi la rime) chez les Juifs à leur exil et semble considérer cela comme un tort (ויתערבו בגוים וילמדו מעשיהם) (Kouzari II §78).

Moïse Ventura (Le Kuzari, extraits traduits de l’arabe et présentés par M. Ventura, Paris 1932, p.13) écrit que R. Yehouda Halévy souhaitait créer un art juif différent sur le fond comme sur la forme, « Convaincu que la langue hébraïque avait un caractère sacré, il craignait de la profaner en écrivant des vers hébreux d’après la métrique arabe ».
Il a pourtant adopté ladite métrique ainsi que cette mode des rimes dans ses poèmes, et il est peut-être un autre domaine où il n’aurait pas échappé à l’influence arabe mais sans en prendre conscience cette fois ; Shadal écrit dans ses notes critiques sur le Diwan de R. Yehouda Halévy (éd. de l’éclat, Montpellier 1988, §105, p.264, voir note de Shadal en page 338) lorsqu’il souhaite la punition « d’Edom et d’Arab », qu’il a été influencé par les poètes musulmans qui aimaient la guerre et les vengeances et qui détestaient ceux qui n’étaient pas de leur religion. Mais qu’il ne convient pas à un juif de souhaiter la souffrance d’autrui, ce que les poètes juifs n’ont jamais fait. [Remarque : je ne sais pas comment Shadal expliquait le Tehilim 137,9.]

[Je souligne que Shadal écrit dans une lettre datée du 3 juillet 1849 et adressée à Geiger, que notre versification (en hébreu) est née à Babylone, et que les premiers Paytanim furent babyloniens. (Epistolario, Padova 1890, p.555-556).]

Voir aussi Ta’hkemoni (§18) qui écrit que notre peuple a appris les rimes des Arabes.

Cependant, le Darkhei Noam [R. Moshé (ben Shem Tov) Ibn ‘Haviv, écrit vers 1486 -ce n’est pas le Maharam ben ‘Haviv, mais un homonyme né 200 ans avant lui] (Rödelheim 1806, daf 6b) rapporte avoir vu à Murviedro la Matseva (pierre tombale) d’un des généraux du roi Amatsia (cela remonte à peu près à 2800 ans) et la partie de l’épitaphe qui était encore lisible (qu’il retranscrit pour les curieux, et je l’imite : שאו קינה בקול מרה, לשר גדול לקחו י-ה ... לאמציה) montre qu’elle était rédigée en rimes. Il en a été convaincu que les Juifs écrivaient des vers en rime depuis l’époque du Temple alors qu’ils étaient encore en Erets Israël.

Le Meor Enayim (Imrei Bina §60, p.479) le rapporte et y souscrit.
Voir aussi Hate’hia (II, Berlin 1857, p.37).

Il est allé un peu vite en besogne, rien ne pouvait lui confirmer qu’il s’agissait effectivement de la Matseva d’un général du roi Amatsia, le seul indice est que ce nom figurait sur la pierre, c’est faible.

D’autant que cette pierre se trouvant à Murviedro/Morvedre, à Valence en Espagne, on pourrait légitimement se demander ce qui est passé par la tête de celui qui a trouvé un intérêt à trimballer une lourde pierre tombale depuis Israël jusqu’en Espagne. Le général serait-il mort lors de vacances au Club Med dans la péninsule ibérique ? ou y serait-il venu pour bâtir des châteaux en Espagne ?

Plus encore, selon toute vraisemblance, à cette époque (il y a 2800 ans) on n’écrivait pas sur les pierres tombales qui ne servaient qu’à indiquer l’emplacement d’un mort pour éviter de s’impurifier, mais pas pour faire l’éloge ou raconter les hauts faits du défunt comme le semble faire cette épitaphe rimée.

Au mieux on inscrivait le nom du mort, mais rien d’autre, et souvent rien du tout, car la taphophilie est un phénomène relativement récent chez les (chez une partie des) juifs.

Cette Matseva est donc certainement beaucoup plus tardive et désigne la sépulture d’un juif espagnol, contrairement à ce qu’ont cru Rabbi Moshé Ibn ‘Haviv et Rabbi Azaria dei Rossi. Voir encore Ma’hberot Itiel (Tel Aviv 1951, p.311).

Dans le périodique Hashiloa’h (tome 1, 1896, p.234-235) il y a un Maamar qui dénonce cette absurdité en rappelant que l’épitaphe en question était rédigée en caractères classiques (Ktav Ashouri) (je ne sais pas d’où il le sait, si ce n’est du fait que R. Moshé Ibn ‘Haviv ne précise pas l’inverse) alors que si elle datait du roi Amatsia elle aurait été rédigée en Ktav Ivri.
Sa conclusion est qu’il s’agirait de la Matseva de Rabbi Shlomo Ibn Gvirol (Gabirol) qui serait effectivement mort à Morvedre près de Valence. Voir aussi Hashiloa’h (tome 1, p.228).

Rav Reouven Margulies (Me’hkarim Bedarkhei Hatalmoud §21, p.102, note 4) admet cette conclusion, repousse le Meor Enayim et considère l’apparition des rimes dans les écrits juifs comme bien plus tardive.

Voir encore Kobets Rabbi Yehouda Halévy (Fishman-Maïmon, Jér. 1941, §12, p.173) ou Sinaï (IX, p.173) et Matsevot Kodesh Beerets Israel (Jér. 1963, p.207).

Il appert que R. Moshé ibn ‘Haviv se serait tout simplement trompé à la lecture de l’épitaphe et n’aurait pas compris qu’il s’agissait d’une tournure poétique qui parle de Rabbi Shlomo Ibn Gvirol (Gabirol) le grand poète.

[Melitsa d'ailleurs ultérieurement reprise pour d’autres Matsevot, comme celle de David Morpurgo, cf. Beveit Almin Shel Yehoudei Saloniki (Salonique 1933, IV, §33, p.20) (Tel Aviv 1974 תשל"ה, §1264, p.452) et Korot Hayehoudim BeTourkia VeArtsot Hakedem (V, p.35).]


Selon le Abrabanel (Yeshaya 5,1, p.39), il n’y a pas de rimes dans la Bible ni dans le Talmud.
(voir encore Abrabanel Shemot 15,1.)

Il faut souligner qu’il y a tout de même des expressions rimées dans le Talmud comme dans
Taanit (23a) : או חברותא או מיתותא
Sanhédrin (95a) : בת דינא בטל דינא
Baba Batra (5a) : ארבעה לצלא, ארבעה לצללא
Erouvin (65b) : בִּשְׁלֹשָׁה דְּבָרִים אָדָם נִיכָּר בְּכוֹסוֹ, וּבְכִיסוֹ וּבְכַעְסוֹ
Guitin (30b) : חברך מית אשר, איתעשר לא תאשר

[Rav Margulies (Me’hkarim Bedarkhei Hatalmoud §21) en indique encore d’autres et celles-ci aussi (à part celle de Erouvin il me semble), elles ne sont pas très convaincantes. Voir encore Sinaï (126 p.303) un Maamar qui ajoute d’autres exemples.]

Mais je suppose que le Abrabanel voulait dire qu’on n’y trouvait pas grand intérêt et qu’on ne recherchait pas spécialement la rime à l’époque Talmudique.

Car en dépit des quelques petites rimes que nous pouvons trouver à l’époque des Tanaïm et Amoraïm, il semblerait que la mode n’étant pas encore adoptée, ils n’y trouvaient guère intérêt et devaient plus probablement considérer cet effort de formulation comme autant de perversion du message qu’ils souhaitaient faire passer ; pourquoi rechercher et choisir ses mots en fonction de la rime plutôt qu’en fonction de leur sens le plus précis ?
C’est plus ou moins ce qu’écrit un Rishon, Rabbi Shlomo Ben Hayatom, dans son commentaire sur Moed Katan, Piroush Massekhet Mashkin (sur daf 25b, p.118) : expliquant que R. Zeira a formulé un éloge funèbre en langage biblique et que les sages ne souhaitaient pas formuler leurs allocutions et Hespedim en rimes, bien qu’ils auraient pu le faire, mais c’était leur choix de s’opposer aux rimes. Comme on le voit aussi chez David Hamélekh qui a composé de nombreux hymnes et chants et a refusé d’avoir recours aux rimes, en estimant que la recherche de la rime pervertit l’expression.
Voici ses mots:
פתח עליה קינה בלשון מקרא בצחות לשון, ולא היו רוצין לומ' בחרוזות כי לא מפני חסרון דעתן היה אלא שלא רצה. וכן את מוצא בדוד שעשה כמה זמירות ושירות ולא רצה לאמרם בחרוזה כי החרוזה פעמים שמתקלקל הדיבור מפני דוחק המשקל

Je ne suis pas convaincu de cette opposition ferme qu’il leur prête, surtout pour l’époque de David, il se peut aussi qu’ils n’y aient tout simplement pas pensé puisque ça ne se faisait pas et ça n’aurait pas forcément été apprécié.

D’autres Rishonim vont toutefois dans ce sens, voir Kouzari (II, §70) et (II, §78), et Tshouvot Talmidei Mena’hem (éd. Kokhav Tov, p.27 et suiv.) : ולא נכון לעשות פן תשחת הלשון.

Voir aussi Rav Baroukh Epstein dans Mekor Baroukh (p.769-770) au nom de son grand-père qui n’aimait pas les rimes car elles déforment le sens et on voit bien que la Bible s’en passait même dans ses chants.
On comprend qu’il pensait que les Sages du Talmud connaissaient -mais méprisaient- les rimes.
Plus encore, le Mekor Baroukh (p.773-774) propose d’interpréter une phrase ambiguë dans la Gmara ‘Houlin (95b) où lorsque Rav Houna demande à Rav si on peut considérer comme un Siman pour la viande (laissée sans surveillance) le fait que les morceaux soient attachés ensemble d’une certaine manière appelée בחרוזין , Rav lui répond « ne soit pas idiot avec les חרוזין c’est un Siman » :
בעא מיניה רב הונא מרב בחרוזין מהו? א"ל אל תהי שוטה בחרוזין הרי זה סימן

Cette réponse est interprétée par les commentateurs, mais il demeure étrange que Rav ait choisi de la formuler ainsi.
Rav Epstein propose d’y voir une volonté de glisser une allusion de dédain envers l’utilisation des rimes (חרוזין voulant aussi dire des « rimes »), ne soit pas stupide en utilisant les rimes.

Il avoue ne pas en être convaincu, car il est difficile d’établir que ce style poétique avait cours à l’époque de ‘Hazal.
Pour ma part je dois avouer en être encore moins convaincu que lui.
Généralement, tous ceux qui se sont penchés sur le sujet considèrent que les rimes sont bien plus tardives en hébreu et n’apparaissent que sous influence de la poésie arabe.

Voir aussi le Maamar « Mekor Vehitpashtout Melekhet Hashir Haïvri » de Yossef ‘Hotsner (Joseph Chotzner, 1844-1914, 1er rabbin de Belfast en Irlande) imprimé en préface de son Zikhronot (London 1885) et plus particulièrement à partir de la page XI.
Le livre est en hébreu, mais le Maamar de préface est en anglais avec un peu d’hébreu, de grec, d’allemand et de français (dans les notes).


Mais cette explication dont nous parlions (le choix des mots plutôt que celui des rimes) est surtout valable pour les siècles suivants, une fois que les rimes furent appréciées par les Arabes, certains ont refusé de les adopter, n’y trouvant que peu d’intérêt, eu égard aux inconvénients qu’elles imposent (sur le choix des termes).

[Il y a aussi en ce sens le Biour du Netivot Hashalom sur la Shira (Shemot 15,1) (Wien 1795, daf 65b).]

C’est seulement après la rédaction du Talmud que les Arabes se sont timidement initiés à la rime et ça s’est développé durant les siècles suivants vers la fin du Haut Moyen-Âge (/Gueonim).
Donc à l’époque des Rishonim, oui, forcément, ça se trouve plus facilement, la mode étant répandue en Europe s’inspirant des poètes arabes de la péninsule ibérique. Voir Kouzari (II, §78), Sefer ‘Hassidim (§781), Ta’hkemoni (§18) et Abrabanel (Yeshaya V,1).

Ainsi, même si les rimes sont absentes de la Bible, nous les retrouvons dans les sli’hot et piyoutim (qui sont post-talmudiques).

Il y a certes un texte rimé dans la Tfila, au Vidouy, avant les 13 Midot, אל ארך אפיים אתה.
Voici ce texte car je crois que chez les Sfaradim il est différent :
אֵל אֶרֶךְ אַפַּיִם אַתָּה, וּבַעַל הָרַחֲמִים נִקְרֵאתָ, וְדֶרֶךְ תְּשׁוּבָה הוֹרֵיתָ.
גְּדֻלַּת רַחֲמֶיךָ וַחֲסָדֶיךָ תִּזְכֹּר הַיּוֹם וּבְכָל יוֹם לְזֶרַע יְדִידֶיךָ.
תֵּפֶן אֵלֵינוּ בְּרַחֲמִים, כִּי אַתָּה הוּא בַּעַל הָרַחֲמִים.
בְּתַחֲנוּן וּבִתְפִלָּה פָּנֶיךָ נְקַדֵּם, כְּהוֹדַעְתָּ לֶעָנָו מִקֶּדֶם.
מֵחֲרוֹן אַפְּךָ שׁוּב, כְּמוֹ בְּתוֹרָתְךָ כָּתוּב.
וּבְצֵל כְּנָפֶיךָ נֶחֱסֶה וְנִתְלוֹנָן, כְּיוֹם וַיֵּרֶד ה' בֶּעָנָן.
תַּעֲבוֹר עַל פֶּשַׁע וְתִמְחֶה אָשָׁם, כְּיוֹם וַיִּתְיַצֵּב עִמּוֹ שָׁם.
תַּאֲזִין שַׁוְעָתֵנוּ וְתַקְשִׁיב מֶנּוּ מַאֲמָר כְּיוֹם וַיִּקְרָא בְשֵׁם ה' וְשָׁם נֶאֱמַר

C’est rare d’avoir autant de rimes, ce n’est pas un hasard, c’est un effet voulu.
Mais ce texte semble tardif et ne remonte pas à l’époque des Anshei Knesset Hagdola comme on pourrait le croire.
En réalité, le texte d’origine était plus court et dépourvu de rimes qui ont été ajoutées justement en ajoutant des mots.
Voici la version courte qui doit être (plus ou moins) la version du sidour Sfarade :
אֵל אֶרֶךְ אַפַּיִם אַתָּה
וּבַעַל הָרַחֲמִים
גְּדֻלַּת רַחֲמֶיךָ וַחֲסָדֶיךָ
הוֹדַעְתָּ לֶעָנָו מִקֶּדֶם
וְכֵן כָּתוּב בְּתוֹרָתָךְ
וַיֵּרֵד ה' בֶּעָנָן
וַיִּתְיַצֵּב עִמּוֹ שָׁם
וַיִּקְרָא בְשֵׁם ה'


On estime que le premier (juif) à utiliser les rimes serait R. Yenay, contemporain de Rav Saadia Gaon [Mekor Baroukh (p.772) et Otsar Kol Minhaguei Yeshouroun (§52,3, p.147-8)].
Voir aussi R. David Sinzheim dans le Kountras Shéva ‘Hakirot (fin de réponse 4, p.99) qu’à l’époque du Halakhot Gdolot (un peu avant Rav Saadia Gaon) les Juifs ne s’étaient pas encore inspirés des Arabes pour les chants.

C’est donc à l’époque des Rishonim que les rimes sont en vogue, plus généralement chez les espagnols au départ, les Ashkenazes ne s’y intéressaient pas trop, à part quelques-uns qui avaient la fibre poétique, dont Rabénou Tam, au grand étonnement du Ibn Ezra devant un français poète et qui s’exclama à son sujet : וּמִי הֵבִיא לְצָרְפַתִּי בְּבֵית שִׁיר?
Voir aussi Beit Habe’hira Otsar Divrei Shir (Lemberg 1889, Mavo Le’hokhmat Hashir, §1,14, p.5) sur Rabénou Tam et comment s’est-il initié à cet art espagnol.

Nous trouvons même dans les Tosfot sur le Shas une rime de Rabénou Tam (Tosfot Avoda Zara 34a tout en bas) : והמורה יורה כבן סורר ומורה, ועלי יערה רוח הבורא
[Une rime ressemblante est rapportée par le Kol Bo (§96) : וכן דעת הר״מ שכתב ומאן דשרי ירה יירה כבן סורר ומורה. ועל המחמיר רוח חן יערה מאת הבורא]

Toujours dans Tosfot (Meguila 31b sv. Rosh ‘Hodesh) mais seulement « à propos » de Rabénou Tam (et non par sa plume):
וכן פירש רבינו תם ולא כדברי רב החובל ההופך ומבלבל... אלא כדברי רבינו תם עם ישרים נחתם, שוש אשיש בראשיתו ושובה באחריתו
Il avait donc laissé une influence sur ses élèves (les Tosfot de Meguila semblent être de R. Yehouda Sir Léon, le rav de R. Ye’hiel de Paris).

Bon, je m’arrête-là, non sans avoir le sentiment que ma réponse est très décousue (en raison de multiples interruptions pour des urgences), ceci aggravé du fait que je ne puisse guère prendre le temps de me relire… J’espère que ça sera tout de même compréhensible.
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