Et enfin mon dernier message sur ce fil aujourd’hui :
A
Michaelmkl 1 :
Citation:
Je vois remercie pour votre extraordinaire réponse extrêmement enrichissante !
Il me reste tout de même une question ( ou deux ) :
D'où Rachi sait il que אורגיז était אמגושי ? Ce n'est mentionné nulle part !
Pourquoi vous dites ça ?
Rashi lui-même indique qu’il a lu ça dans une Tshouva (un responsum).
C’est une des Tshouvot Hagueonim, elle se trouve dans
Otsar Hagueonim (Shabbat, ‘helek Hatshouvot §49).
Citation:
De plus quel intérêt pour nous de le savoir dans ce sujet ( dans Chabbat par ex. )?
Avant tout, je rappelle ledit sujet,
Shabbat (19b), la Gmara dit :
ההוא תלמידא דאורי בחרתא דארגיז כרבי שמעון, שמתיה רב המנונא
Et
Rashi :
חרתא - שם מקום. דארגיז - אדם אחד היה אמגושי שבנה לאותה העיר ורב המנונא דר בה ועדיין מערת קבורתו קיימת שם כך מצאתי בתשובה.
Je n’ai vu aucune explication dans les Sfarim à ce propos, je vous en propose donc de mon cru :
1) on pourrait imaginer que le nom
Arguiz étant incompatible avec la Halakha (cf.
Yoma daf 38) qui interdit de donner le nom d’un Rasha et dans le cadre de cette halakha on exclut aussi les noms dont l’interprétation même est négative, comme Nimrod
(qui veut dire « nous nous révolterons » -contre D.ieu), ainsi,
Arguiz signifie « je vais contrarier » -D.ieu, serait comme Nimrod, un prénom à proscrire.
Du coup Rashi viendrait expliquer que ce Arguiz n’était pas juif mais Amgoushi -pas dans le sens de « sorcier » mais dans celui de « Min » (cf. plus haut et
Shabbat 75a à propos de la traduction du terme
Amgoushi).
2) ‘Harta deArguiz est le nom de la ville, Arguiz est un prénom et l’ensemble signifie « la ville ‘Harta de M. Arguiz », c-à-d la ville ‘Harta construite/fondée par Arguiz.
Il faut savoir que חרתא ne se lit pas ‘Harta comme le veut le prononciation sfarade, mais plutôt ‘Harsa, car c’est un Thav sans daguesh, qui ressemble un peu au son S selon la lecture des Ashkenazim et des yéménites (et selon tout le monde il y a 2000 ans. C'est un T affaibli qui se rapproche du S , comme le TH anglais).
Ce qui fait que חרתא signifierait « Kishouf », « sortilège », « sorcellerie » ou « magie », comme חרשא (‘Harsa) en araméen [c’est le lien qui explique les permutations entre le Shin/Sin hébraïque et le Thav araméen. L’exemple classique étant שור qui se dit תורא, ou le verbe שבר qui se dit תבר].
Le choix du nom étant étrange
(comme voulant dire que cette ville est un sortilège, et aurait été créée par de la magie…),
Rashi aurait tenu à préciser ce qu’il a lu dans une « Tshouva »
(il se trouve que dans Erouvin 63a Rashi nous dévoile qu’il a lu cette Tshouva dans des Tshouvot Hagueonim. Et nous la retrouvons dans Otsar Hagueonim sur Shabbat -Tshouvot §49), que ce Arguiz était lui-même Mekhashef (sorcier). Voilà pourquoi il aurait ainsi étrangement baptisé sa ville.
Ceci expliquerait pourquoi
Rashi nous dit qu’il était sorcier et fondateur de la ville, mais pourquoi ajouter un autre détail qui se trouve dans cette Tshouva des Gueonim, que la tombe de Rav Hamnouna s’y trouve toujours ? D’autant que cet ajout figure dans le
Rashi sur
Shabbat (19b) et non dans celui sur
Erouvin (63a).
Le
Ein Eliahou (Shabbat 19b) vient expliquer ce point, d’une manière qui expliquera aussi l’absence de cet ajout dans
Erouvin.
[Je précise le contexte pour ceux qui ne l’ont pas lu ; dans Shabbat 19b Rav Hamnouna a mis en ‘Hérem un élève rabbin qui a été moré halakha dans cette ville –‘Harta deArguiz- comme Rabbi Shimon concernant la loi de Mouktsé, alors que cet endroit était sous l’autorité de Rav qui tranche comme R. Yehouda dans Mouktsé. R. Hamnouna lui-même suivait l’opinion de R. Shimon (=pas comme Rav mais comme Shmouel), mais il reprochait à l’apprenti rabbin d’enseigner la halakha comme R. Shimon dans un endroit sous autorité de Rav où la halakha était comme R. Yehouda.]
Le
Ein Eliahou ajoute que l’interdit d’être Moré Horaa contraire au Rav local après sa mort ne s’applique que tant que le souvenir dudit Rav est encore vivace et respecté par la population.
Il explique donc que c’est pour cela que
Rashi précise que le Kever de Rav s’y trouve toujours, comme pour dire que les habitants de cette ville le vénèrent toujours et il y est donc encore interdit d’être Moré Halakha lekoula contre ses psakim.
C’est sympathique comme explication, et on comprendra pourquoi
Rashi omet ce détail dans
Erouvin, car là-bas il n’est pas question de reproche ni de ‘Hérem, la mention du nom étrange de cette ville l’aurait donc poussé à indiquer un élément des
Tshouvot Hagueonim pour expliquer l’origine étrange de ce nom, mais inutile de parler du cimetière local.
Cependant -et c’est fort étrange de la part du
Ein Eliahou, Rashi parle du Kever de
Rav Hamnouna, pas de celui de
Rav comme l’écrit le
Ein Eliahou, voilà qui invalide toute son explication.
Par la suite, le
Ein Eliahou souligne que le
Shakh (H’’M §25, sk.20) cite le
Ba’h qui dit que si un Rav interdisait une chose et que le Rav qui lui succède pense que c’est autorisé, il peut changer la halakha dans cette ville.
Il considère que cela invalide son explication, et dit qu’il faut donc comprendre que lorsque la Gmara dit que c’était la localité de Rav, cela signifie que Rav était encore vivant
(et du coup son explication de Rashi s’envole à nouveau).
Mais il me semble que ce n’est pas très pertinent, en effet, le talmid en question n’avait pas été nommé Rav de l’endroit. De plus les Mefarshim comprennent que Rav était déjà décédé
(Tashbats III, §210), et le
Shearim Metsouyanim Bahalakha demande pourquoi c’est Rav Hamnouna qui a mis l’élève en ‘Hérem et non Rav lui-même, et il répond que Rav était nécessairement déjà mort.
(Le
Min’hat Yehouda Epstein propose une tout autre lecture, quand la Gmara dit que c’est l’endroit de Rav, elle veut dire que c’est l’endroit du Rav de cet élève, c-à-d l’endroit de Rav Hamnouna (et non de Rav) et on lui reproche d’enseigner la Halakha Bimkom Rabo).