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Comment expliquer que le Hatam Sofer écrive dans une de ses techouvots:" Amrou Hazal ein navi léiro" (Hoshen Mishpat 22:8 et aussi plus loin 196:6 mais sans le "Amrou Hazal")alors qu'à priori ce proverbe ne trouve pas sa source dans Hazal mais plutôt dans le Nouveau Testament (Marc 6:4 - Matthieu 13:57.. )?
A
(sa majesté?) Albert 1er :
Vous posez une bonne question, qui indique que vous êtes bien informé et connaissez bien les textes du Nouveau Testament.
Avec un nom pareil, si vous êtes belge, permettez-moi de vous déconseiller l’alpinisme et l’escalade.
Je voudrais aussi vous remercier pour la précision dont vous savez faire preuve en citant vos sources, c'est un plaisir.
Toutefois, lorsque vous indiquez le Shout du ‘Hatam Sofer Hoshen Mishpat 22:8 ou 196 :6, ça ne correspond à rien, si ce n’est une précision de programme informatique, car dans le livre, il suffit de dire siman 22 ou 196, il n’y a pas de sous-numérotation.
Ceci étant dit, permettez-moi aussi d’ajouter deux autres occurrences dans le
‘Hatam Sofer sur la Torah (début de Lekh Lekha) et (Shoftim, 3ème Dibour).
(On pourrait aussi ajouter ses
Likoutei Tshouvot, Mikhtavim §9).
Quant à
Marc 6:4 et
Matthieu 13:57 que vous indiquez, vous auriez aussi pu mentionner
Luc (4 :24) et
Jean (4 :44).
Vous trouverez 3 de ces 4 références dans
Mishlei Israel Veoumot Haolam (p.455, §856).
Cette expression du Nouveau testament se retrouve aussi dans les
Fables de La Fontaine (VII, 12), comme indiqué par
Rav Shmouel Ashkenazi zts’’l dans Yeroushaténou (IV, Bnei Brak 2010, p.317).
Venons-en à présent à votre étonnement.
Tout d’abord, il faut savoir qu’il est partagé.
En 2005, je donnais des shiourim à la Rachi Shul à Paris, sous les auspices de
Rav Rozenberg z"l et il nous arrivait de discuter ensuite de différentes choses.
(Ah! quelle belle époque, quand je pouvais discuter en privé avec Rav Rozenberg...)
Une fois, sur un sujet similaire,
Rav Rozenberg m’a parlé de ce
‘Hatam Sofer et m’a dit que cette phrase que le
‘Hatam Sofer attribue aux ‘Hazal est en fait tirée des Evangiles !
Il n’avait pas d’explication à cela, il constatait seulement que le ‘Hatam Sofer se serait royalement trompé sur ce point.
Ce que je ne savais pas à l’époque
(et n’ai pas eu l’occasion de le dire à Rav Rozenberg depuis), c’est que bien avant le ‘Hatam Sofer, nous trouvons exactement le même phénomène/la même erreur, chez
Rabbi Yossef Yaabets dans son
commentaire sur Avot (III, 15) , ainsi que dans le
Midrash Shmouel (au même endroit) qui le cite.
Il semblerait qu’il n’y ait aucun Maamar ‘Hazal qui dirait cela
(de cette même manière), j’en veux pour preuve le témoignage de
Rav Wolf Leiter dans son
Shout Beit David (§101) et
Rav Mendel Kasher dans
Torah Shléma (Shemot II, 11, §83).
Ces deux rabbins ne sont pas du genre à avoir loupé quelque chose. S’ils nous disent qu’il n’y a pas de tel maamar ‘Hazal, on peut leur faire confiance.
(Le Torah Shléma propose des parallèles.)
Certains ont opté pour dire que le
‘Hatam Sofer peut écrire « ‘Hazal » en pensant à des rabbanim tardifs
(qui auraient, eux aussi, écrit cette phrase. Ne serait-ce que le Rav Yossef Yaabets op cit).
On trouve en effet quelques auteurs qui ne réservent pas l’appellation « ‘hazal » aux seuls rabbins de l’époque talmudico-midrashique, mais il ne semble pas que le
‘Hatam Sofer en fasse partie.
J’ai écrit un peu plus longuement sur ce sujet dans un livre à paraitre, j’espère bientôt bez"h (mais en hébreu).
Parmi les auteurs qui soulignent l’erreur apparente de ce
‘Hatam Sofer en indiquant que ce « Maamar » se trouve dans le Nouveau Testament, mentionnons :
Rav Yehouda Henkin dans son Shout Bnei Vanim (IV, §26),
Rav Shmouel Ashkenazi dans Yeroushaténou (IV, Bnei Brak 2010, p.317)
Rav Krol dans ses Shiourim sur Sanhedrin (II, p.253) (mais il indique Matthieu §3 au lieu de 13),
Otsar Divrei ‘hakhamim Oupitgameihem (p.49) (qui indique quant à lui avec plus de précision Matthieu 13 :58, mais il faut corriger en 13 :57),
Otsar Hamashalim Vehapitgamim (p.38)
Hermann Strack und Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch (München 1922, Band I, Seite 678).
Bref, le fait d’être aussi grand que le
‘Hatam Sofer n’est pas encore une garantie d’éviter de telles erreurs.
Après, si on admet l’idée selon laquelle il se permettait de nommer « ‘Hazal » des Rishonim et A’haronim, il n’y a plus de problème, car ce Maamar est plus ou moins cité par plusieurs auteurs
(sans toutefois l’attribuer aux ‘Hazal), comme :
Rabbi ‘Haim Aboulafia, dans le Shout Ohel Yossef (Molko) (§29),
Rabbi Shem Tov Melamed dans son Keter Shem Tov (Parshat Lekh Lekha -Venise 1601, daf 11c),
Rabbi Moshé ‘Hefets dans Melekhet Ma’hshévet (parshat Toldot, Venise 1710, daf 21c),
Ahavat Olam (Algazi) (Droush IV et XVIII),
Abrabanel dans Zeva’h Pessa’h (Lemberg 1872, daf 30a),
Et encore d’autres, et ceux cités plus haut.
Voir aussi
Mendelssohn dans Jérusalem (Gallimard 2007, p.154).
Bref, c’est un “maamar” très répandu, dans tous les milieux juifs et même parmi les Kadmonim, de telle sorte qu’il ne serait pas non plus absurde d’imaginer qu’il y ait eu un tel Maamar ‘Hazal dans un des nombreux Midrashim perdus (ou dans une des parties égarées du Yeroushami par exemple).
Il ne faut donc pas s’affoler à la lecture de ce ‘Hatam Sofer, même si l'on refuse de croire qu'il appelait des Rishonim "'Hazal".
Dans mon livre
(mentionné plus haut), j’ai indiqué qu’il demeurait toutefois légitime de remettre en cause l’opinion de
Rabbi Eliahou Shreim z"l dans
Daat Eliahou (Tel Aviv 2004, p.52) selon qui un véritable Talmid ‘Hakham ne peut pas se tromper entre un Maamar ‘Hazal et une phrase tirée des maximes d’une autre religion
(en l’occurrence, il parle da la religion musulmane) et reconnaitra immédiatement s’il ne s’agit pas d’un Maamar ‘Hazal.
Qu’il me permette d’en douter, surtout que de très nombreuses maximes chrétiennes comme musulmanes trouvent souvent racine dans la tradition juive. Jésus avait appris la Torah et le Talmud (oral) à bonne source et Mahomet avait aussi fréquenté un maître juif.
Je ne me relis pas par manque de temps, sorry pour les probables fautes.