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Ma cousine, juive de père et mère, va bientôt se marier à un non-juif de père et mère à la mairie et organise par ailleurs une cérémonie laïque suivie d'une réception. Quelle est, selon vous, la marche à suivre ?
Je suis orthodoxe, puis-je lui souhaiter mazal Tov ? Si oui, dois-je lui faire part de la position de la Torah ? Puis-je assister à la mairie ou à la cérémonie ? Ou dois-je complètement ignorer cette union ?
Bien sûr je respecte chacun des deux conjoints et j'apprécie ma cousine. Mais concernant cette union, c'est une autre histoire.
C’est très triste.
Ça fait plus de 2000 ans qu’on se fait taper dessus et persécuter un peu partout dans le monde et que, périodiquement, certains décident de tout faire pour éradiquer le peuple juif et la religion juive de la planète.
En dépit de toutes ces tentatives parfois très poussées et colossales
(la plus terrible et excessive était celle de l’Allemagne nazie), les juifs se sont débrouillés pour préserver et faire survivre le judaïsme tant bien que mal.
Durant des siècles on retrouve des interdictions diverses de pratiquer le judaïsme dans différents pays d’Europe et d’Afrique, tout le monde a entendu parler de l’inquisition espagnole, on voulait faire disparaitre le judaïsme, et nos ancêtres se sont battus et ont sacrifié leurs vies pour ne pas abandonner ce judaïsme.
Et maintenant que nous vivons une période bénie où les autorités non-juives nous permettent de pratiquer le judaïsme librement (du moins en France), les descendants et enfants de ces mêmes juifs épousent des non-juifs et assassinent par-là le judaïsme
(car les enfants d’un couple mixte n’auront plus grand-chose de juif et même s’ils le seront halakhiquement dans votre cas -car c’est leur père qui ne serait pas juif-, à la génération suivante ça va continuer de se perdre et se dissoudre et finalement, il ne restera rien du judaïsme de cette famille).
Certes c’est une méthode douce, rien à voir avec la brutalité de l’inquisition et similaires, mais au niveau du résultat pour le judaïsme, il y a un certain parallèle.
Venons-en à votre question.
Certains vous diraient qu’il faut protester, refuser ostensiblement d’y aller et le faire savoir, et ne plus parler à cette cousine, etc.
C’est plus ou moins la réponse que vous donneront les « rabanim israéliens », c’est la réponse « classique » dans le monde ‘harédi, je n’en doute pas.
J’ai demandé à
Rav Mordekhaï Gross (Possek israélien très connu en Israël, il est de Bnei Brak et il vient en France fréquemment), c’est tout à fait le profil type du Rav israélien sur ce genre de sujets, donc je connaissais sa réponse avant de la lui demander, mais je voulais avoir sa formulation.
Il a répondu que «
c’est un des péchés les plus graves de la Torah et par conséquent il est évident qu’il ne faut pas s’associer à celui qui contrarie D.ieu » (ses mots en hébreu : הוא מהאיסורים החמורים שבתורה, ופשוט שאל לו להשתתף במי שמכעיס את בוראו).
Je suis convaincu qu’en questionnant 100 rabanim ‘Harédim israéliens, on aura une majorité écrasante en ce sens, voire l’unanimité.
Mais je ne suis pas convaincu qu’il y ait UNE seule règle à appliquer à tous ces cas.
Je distinguerais en premier lieu le « pourcentage » de « Tinok Shenishba » qu’il peut y avoir en elle.
Par exemple si elle est née dans une famille laïque, voire même si elle est née dans une famille orthodoxe mais en mode « Baalei Tshouva qui s’y prennent mal », c’est un autre aspect de Tinok Shenishba.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, il y a eu en France beaucoup d’enfants de familles « religieuses » qui ont abandonné peu ou prou la Torah.
Pas à cause des téléphones et d’internet, non, ces derniers n’étaient pas encore répandus lorsque le fléau dont nous parlons a commencé, dès les années 90.
C’est plutôt en raison de la méconnaissance de la (vraie) Torah.
Il y a eu beaucoup de Baalei Tshouva et ils ne connaissaient pas vraiment la Torah et le judaïsme authentique, indissociable du Limoud.
Les rabanim français n’ont pas assez poussé à l’étude de la Gmara
(on parlait plus volontiers de belles idées et de notions de ‘Hassidout et mysticisme, ou alors de Halakha braquée et bornée) et de nombreux juifs Baalei Tshouva étaient finalement assez perdus dans leur judaïsme.
Ce qui fait qu’ils éduquaient leurs enfants sans l’intelligence et le discernement que le Limoud apporte dans la pratique religieuse.
La grande majorité (des enfants) s’en est bien sortie, mais une minorité (conséquente) d’enfants n’a pas su (di)gérer les incohérences des parents.
Le résultat s’est avéré parfois tragique.
Surtout lorsque les écoles orthodoxes aggravaient et accentuaient le problème, en sélectionnant des enseignants eux-mêmes Baalei Tshouva sans réelles connaissances et diffusant une Torah dénaturée
(pour ne pas dire tordue) qui allait aggraver les choses encore plus, ou en se montrant rigoureusement incapables de comprendre le problème des enfants.
Les Korbanot ont été nombreux.
A l’heure actuelle, nous n’en sommes pas totalement sortis, loin s’en faut, mais j’ai espoir que cela puisse s’atténuer grâce à différents facteurs, l’un d’eux est -paradoxalement- internet, qui donne accès à différentes visions de la Torah, de sorte que l’enfant écœuré du judaïsme qu’on lui a imposé, pourrait -avant d’abandonner tout- se rendre compte qu’il y a une autre vision de la Torah qui lui correspondrait mieux.
Mais je m’écarte du sujet.
Revenons à la question d’assister à un mariage mixte.
Je trouve que l’argument d’interdire d’y assister car cela apporterait une caution morale, est à analyser avec plus d’honnêteté intellectuelle, le Yetser Hara a tendance à nous faire arrêter de réfléchir dès que l’analyse qu’on a d’une situation parait extérieurement pieuse et religieuse.
En réalité, souvent, cela n’est aucunement une caution, tout simplement parce que le fauteur sait très bien que c’est un péché et que son cousin religieux ne vient à cette fête que par politesse et courtoisie familiale, mais n’encourage pas les mariages mixtes pour autant.
Il n’y a pas d’obligation d’orchestrer une « pression morale », boycotter le mariage de ladite cousine (pour la forcer à faire marche arrière).
D’abord ça ne marche pas du tout, si vous n’allez pas à son mariage, elle ne va pas l’annuler pour autant.
Et ensuite, tout ce que vous allez gagner, c’est de couper les ponts avec elle, alors que vous êtes peut-être la personne la mieux placée pour matérialiser un lien entre elle et la Torah.
Il n’y a pas non plus un Din de וכל ישראל ישמעו ויראו au titre de Messit
(Dvarim XIII, 12) [et encore moins en tant que Ben Sorer
(Dvarim XXI, 21)].
Il faut analyser chaque point qui pourrait être problématique ; Dans l’idée de « caution », il peut y avoir différents aspects et différentes visions de ces aspects, je vais donc les formuler et reformuler sous différentes coutures, afin que chacun puisse y retrouver plus ou moins ce qu’il ressent:
a) Un encouragement à fauter.
C-à-d que c’est un Messit qui « incite » les autres à fauter.
C-à-d que les gens vont déduire de sa présence que c’est autorisé ou pas tellement interdit.
Je pense que -de nos jours, dans nos conditions, dans notre situation, au XXIème siècle en France- ce n’est pas vrai.
Car tout le monde sait que les religieux considèrent que ce n’est pas bien.
Et si l’on entend par « encouragement à fauter » le fait que certains pourraient être freinés dans une telle union par crainte que leur famille ne vienne pas au mariage, et maintenant que l’on sait que le religieux viendra au mariage, il n’y aura plus ce moyen de pression, il ne s’agit pas d’une incitation à la faute, mais seulement de l’affaiblissement d’un moyen de pression que nous ne sommes pas tenus de mettre en place.
La Halakha ne nous demande pas de créer une pression sociale sur les autres pour les contraindre à la Avodat Hashem, et la Yirat Shamayim ne nous le commande pas non plus.
Il ne peut s’agir que de mesures coercitives lorsque la personne nuit au Yishouv/la société/la communauté, et elles sont mises en œuvre par le Beit Din seulement.
S’il y avait une telle notion, si nous devions créer une telle pression morale, pourquoi ne le faisons-nous pas sur toutes les autres Aveirot, comme le ‘Hiloul Shabbat et autres ?
Même les plus excessifs Netourei Karta qui lançaient des pierres sur les voitures circulant à Shabbat, ne le faisaient qu’aux voitures voisines de leur secteur, ils n’allaient pas dans les autres villes pour y empêcher les juifs de fauter (je pense que certains l’auraient tout de même fait volontiers, histoire de changer un peu de décor).
b) Messayea Leovrei Aveira :
A ce sujet,
Reb Dovid Kohn me dit que ce n’est pas applicable
(en se basant sur une réponse du Netsiv dans son Meshiv Davar), tant qu’il y a espoir que cela puisse maintenir un lien qui permettrait éventuellement de rapprocher et amener un peu son enfant à la Torah.
c) Offense au Kavod de D.ieu.
C-à-d qu’en étant présent à un tel mariage on offense D.ieu, on montre que ce péché n’est pas grave à nos yeux.
Cet argument ne tient pas compte des réalités dont nous parlions plus haut.
En fait, le juif religieux est bien entendu conscient que c’est un grave péché, mais il est aussi conscient que son proche parent qui le commet est, d’une certaine manière, dans l’écrasante majorité des cas, un Tinok Shenishba
(et comme je l’écrivais plus haut, même si ses parents étaient orthodoxes depuis sa naissance).
d) être présent c’est s’associer et prendre part :
Je pense qu’on peut prouver l’inverse de
Yoma (70a -
Maï Mitsva ? Berov Am…).
Comme c’est un sujet délicat, j’en ai parlé avec des Rabanim desquels je suis proche ; j’ai posé la question au
Rav Moshé Tsuriel-Weiss de Bnei Brak, il m’a dit que pour ces sujets, en France, il convient de s’inspirer du Rav qui a mené une véritable guerre contre les Réformés : le
Rav Shimshon Refael Hirsch.
Ce dernier écrit dans une lettre
(en allemand, et traduite en anglais et publiée par Feldheim) dans
Collected wrintings (tome VI, p.206-207) [Rav Tsuriel est né avant la guerre, en Allemagne, et après la guerre il a vécu aux Etats-Unis, puis il s’est installé en Israël il y a soixante ou soixante-dix ans. Du coup, il comprend l’allemand comme l’anglais] où il dit qu’il faut mener la guerre au mouvement réformé (qui cause -entre autres- les mariages mixtes), mais pas aux individus eux-mêmes
(sauf s’il s’agit des leaders).
Car ils sont généralement comme des Anoussim de par leur éducation, on leur appliquera donc le statut de Tinok Shenishba.
Il faudra donc maintenir un lien fraternel avec les juifs égarés. Mais l’institution elle-même, il faut lui déclarer la guerre fermement, tout en gardant de bonnes relations avec les juifs adhérant aux thèses de Kfira qu’elle prône.
«
We must maintain peaceful and friendly contacts with those of our contemporaries who have been raised in the ideas and lifestyle of מינות and אפיקורסות , of opposition in principle to the truth and the law of Judaism. We must translate into reality, in our lives, the views and ways of true Judaism in a manner that will command the respect of others, hoping that by such contacts we well be able to win their hearts and minds for all that is genuinely Jewish. We should not, therefore, withdraw from contact with non-Orthodox individuals. »
(Voir aussi un résumé en hébreu de la position de
Rav Hirsch sur ce point, dans un Maamar de
Rav Yehouda (Leo) Levi imprimé dans
Shana Beshana 5753-1993, p. 421. Voir plus précisément la
page 428.)
Le Rav dit donc, en se basant entre autres sur ce que disait
Rav Hirsch, qu’il ne convient pas de créer une tension familiale autour de cela, tout le monde sait que vous êtes religieux et que vous êtes par définition non-favorable aux mariages mixtes, il faut s’y opposer fermement, mais pas en s’opposant aux personnes elles-mêmes, surtout si elles sont de votre famille.
J’ajoute qu’il me semble convenir de montrer une certaine retenue dans l’expression de votre joie, cette dernière ne saurait être excessive, mais il ne faut pas non plus « boycotter » la fête pour manifester votre désapprobation.
J’en ai aussi parlé avec
Rav Dovid Kohn de Flatbush qui fait partie des plus grands Poskim aux Etats-Unis, il me dit que si c’est un juif qui épouse une non-juive, il ne faut pas y aller, mais si c’est une juive qui épouse un non-juif, il faut tout faire pour être « mekarev ota », garder un bon contact avec elle, car l’enfant qui naitra de cette union sera halakhiquement juif et c’est une Mitsva de le « sauver ».
Donc couper les ponts revient à la condamner à s’écarter du judaïsme et ce n’est pas bien.
[Il est intéressant de noter qu’il semble considérer l’espoir de rapprocher le parent comme infime, et s’intéresse plutôt à l’espoir concernant l’enfant.
A la différence de
Rav Tsuriel qui n’établit pas cette distinction entre homme-femme.]
L’argument de
Rav Gross est de dire qu’on ne peut pas s’associer à quelqu’un qui fête un si grand péché.
Tentons une comparaison, un juif qui se fâche avec son père car il va se marier avec une non-juive.
Le père, très contrarié n’ira pas au mariage.
Qu’en est-il du frère ? doit-il aller au mariage de son frère ?
Il faut mettre de côté l’aspect humain du père qui pourrait le pousser à une colère humaine et irréfléchie. Imaginons un père très calme et très peiné, qui décide donc de ne pas aller au mariage de son fils sans « se laisser emporter par la colère », il domine sa colère et estime qu’il ne doit pas aller au mariage de son fils qui lui fait une insulte en épousant une non-juive.
Que doit faire l’autre fils ? S’il y va, il donne l’impression d’être insensible au désarroi de son père.
Mais s’il n’y va pas, il coupe les ponts avec son frère.
Il ne peut pas questionner son père, mais ce dernier serait du genre à ne pas vouloir que toute la famille coupe tout lien avec ce fils rebelle, histoire d’espérer qu’un jour il y ait un rapprochement et un possible repentir. Que faire ?
C’est un peu notre situation.
En allant à un tel mariage, vous pourriez donner l’impression d’être insensible à la gravité de ce péché.
En n’y allant pas, vous jouez peut-être contre la volonté du « père » qui vous aurait peut-être dit d’y aller quand même afin de préserver un certain lien, même faible, pour qu’une porte soit toujours ouverte.
On ne sait pas ce que le « père » dirait dans notre cas.
On sait seulement qu’il n’est pas de ce genre de personne qui aime les disputes familiales, il préfère de loin -et le répète souvent à ses enfants- que tous soient dans le Shalom et réunis.
Vous comprenez à présent que la notion de Tinok Shenishba, dans la limite de son application, sera très décisive dans cette réflexion.
Si le fils rebelle ne se rend pas compte de ce qu’il fait, plus encore : s’il n’est pas vraiment au courant que ça contrarie son père, ça change tout.
(Plus haut j’ai parlé d’une dispute, où le fils sait donc qu’il s’oppose durement à son père, mais le Tinok Shenishba peut ignorer la gravité de ce qu’il fait et s’imaginer que ça déplait légèrement à son père mais pas au point d’en faire une maladie.)
En conclusion, on peut dire qu’il y a différentes approches, il faut savoir apprécier convenablement les situations qui sont toutes différentes, peser le pour et le contre.
Quoi qu'il en soit:
-Si vous y allez, il faudra veiller à garder conscience que c'est très triste pour le judaïsme et surtout pour le judaïsme de SES parents et ancêtres, et non une grande réjouissance.
-Si vous n'y allez pas, il faudra veiller à garder -dans la mesure du possible- de bonnes relations avec la famille et avec elle, afin de ne pas l'éloigner encore plus que ce qu'elle ne l'est déjà -fort probablement par effet de Tinok Shenishba.