Le fait que le prophète Yirmiya ait sorti et montré cette urne (Tsintsenet Haman) est indiqué dans Rashi sur Beshala'h (Shemot XVI, 32) et votre question est excellente.
Même si le bocal n’était entreposé DANS le Aron, mais près de ce dernier, le problème demeure identique ; comment pénétrer dans le Kodesh Hakodashim ?
Le prophète Yirmiya était certes Cohen, mais l’accès au Saint des Saints était très réduit : seul le Cohen Gadol y accédait et uniquement lors de Yom Kippour pour le service spécifique du jour.
La question étant excellente, je l’ai partagée avec des collègues qui n’ont guère trouvé d’explication satisfaisante.
L’un d’eux, le Rav Moshé Tsuriel-Weiss de Bnei Brak (enfin je dis l’un d’eux, mais je ne pourrais pas me qualifier de "collègue" à son égard, il est nettement plus âgé et instruit que moi), auteur de très nombreux Sfarim et armé d’une très grande Bekiout, m’a indiqué un Sefer d’un contemporain qui pose la question.
Il s’agît du Degan Shamayim (p.93) qui répond en disant que puisque la Mitsva est d’entreposer ce bocal témoin justement afin de pouvoir le montrer aux Bnei Israel en temps voulu, c’est donc une Gzeirat Hakatouv autorisant l’entrée au Saint des Saints si c’est dans cette intention.
Yirmiya pouvait donc pénétrer cet endroit, puisque sa démarche le lui autorisait.
Pour ma part, je trouve cette réponse hasardeuse et bien rapide en besogne ; bien que le sujet ne puisse porter à conséquence de manière immédiate, c’est faire preuve –à mon sens- d’un laisser aller et d’une facilité dangereuse que d’utiliser le joker « Gzeirat Hakatouv » à tout bout de champ.
Certains A’haronim ne craignent pas l’abus dans ce domaine, c’est toujours facile et indiscutable, mais je trouve cela excessif et nocif, cela déforme la Torah et nous éloigne souvent du bon sens.
Le Rav Tsuriel-Weiss propose quant à lui une autre réponse :
Le Cohen Gadol aurait –durant Yom Kippour- fait passer le bocal en question du Kodesh Hakodashim vers le Heikhal, ce qui ne pose pas de problème halakhique de Hotsaa Mirshout Lirshout (les deux étant le même domaine) et APRES la fin de Yom Kippour, les Cohanim l’aurait amené à Yirmiya (ou il l’aurait récupéré tout seul comme un grand).
Ce dernier en aurait fait l’usage moralisateur dont il est question et l’aurait ensuite ramené au Beth Hamikdash où il aurait attendu patiemment le Yom Kippour suivant pour regagner sa place de prédilection par la même voie et le même processus à l’envers.
Quoi que vaille cette réponse, elle permet déjà d’établir une certaine suspicion à l’égard de la réponse du Degan Shamayim et de son « invention » d’une Gzeirat Hakatouv.
Cette dernière ne saurait se justifier si une autre réponse pouvait expliquer de quelle manière Yirmiya pouvait sortir le bocal sans enfreindre la Halakha ; ce n’est qu’en dernier recours qu’il est possible d’admettre l’existence d’une Gzeirat hakatouv qui n’aurait laissé aucune trace dans la littérature talmudique et midrashique.
A ce stade, je considère donc la réponse du Degan Shamayim comme nulle et non avenue.
Pour en revenir à l’explication du Rav Tsuriel-Weiss, je dirais que si le problème du Mouktsé peut certainement être contourné, ce qui m’embête réellement dans cette réponse, c’est le côté compliqué et la longueur de la procédure, il faut (parfois) attendre près d’un an pour pouvoir sortir le bocal et ensuite une année supplémentaire pour pouvoir le remettre en place !
On dirait qu’il s’agît d’une procédure administrative avec des fonctionnaires qui réagissent au ralenti.
C’est pourquoi je vous propose ma réponse, que je trouve plus sensée (oui, je sais, je suis « Noguéa Badavar ») en présentant tout d’abord une difficulté encore plus évidente:
La Mitsva d’entreposer aux côtés du Aron (=l’Arche) la Tsintsénet Haman (=le fameux bocal contenant de la manne) est clairement présentée dans les versets, il s’agît d’un petit musée, c’est un bocal témoin qui est préservé dans l’intention d’être montré/exposé aux futures générations qui n’auraient pas connu la manne dans le désert.
Dès lors, une question se pose et s’impose : pourquoi Moshé dit à Aharon de déposer ce bocal à côté du Aron Hakodesh (=l’Arche) puisque c’est -par définition- l’endroit le moins accessible aux Bnei Israel ?
Si le but est de servir de témoin, d’être présenté aux juifs des générations à venir, pourquoi l’entreposer dans un endroit si difficile d’accès et qui ne permettrait de « l’utiliser » à dessein qu’avec grandes difficultés et en devant attendre une date précise dans l’année (Yom Kippour) etc. ?
Soyons clair ; si le but est que les juifs des générations suivantes puissent voir la manne et s’en souvenir, c’est raté ! Ils ne la verront quasiment jamais, tant que l’urne est en place, au Saint des Saints.
Le Rambam dans le Sefer Hamitsvot (Shoresh 3) écrit que cette Mitsva (d’entreposer l’urne à côté de l’Arche) n’est pas une « Mitsva Ledorot » (=commandement permanent, même pour les générations futures), elle ne concernait que cette première génération, celle de Moshé.
Ce qui permet de répondre aux deux questions à la fois ; la manne devait être entreposée dans un lieu sûr (-tout musée est fermé à clé la nuit et est équipé d’un dispositif de sécurité pour éviter de se faire dérober l’objet de son exposition), mais il doit être accessible facilement et constamment (ou presque).
Or, Moshé Rabénou –à la différence d’un Cohen Gadol autorisé à pénétrer dans l’endroit le plus saint (où se trouve l’Arche) qu’une fois l’an- pouvait aller à la rencontre de D.ieu à tout moment quelle que soit la date ou l’heure, ainsi, l’entreposer proche de l’Arche représentait bien la meilleure solution (un lieu à la fois sûr et accessible -par Moshé).
Mais pour les générations suivantes, après le décès de Moshé, une fois les juifs en Israël et durant des siècles où le Beit Hamikdash abritait l’Arche, il aurait été absurde de laisser l’urne à côté du Aron puisqu’elle y aurait quasiment perdu sa raison d’être.
C’est pourquoi la mitsva de déposer la Tsintsénet à cet endroit ne concernait que la génération de Moïse car il pouvait l’en sortir n’importe quel jour sur demande pour la montrer aux juifs qui auraient (déjà !) oubliée.
(en fait, ceux de la génération de Moshé n’avaient probablement pas besoin d’un rappel, il aurait fallut avoir la mémoire bien courte ! C’est surtout pour les générations suivantes et là, le bocal était entreposé dans un endroit saint/sécurisé, mais accessible.)
Le Min’hat ‘Hinoukh (mitsva 95) ainsi que le Ibn Ezra dans son Yessod Mora (dans l'édition que je possède, Jérusalem 1931, page 5) (cités par le Degan Shamayim p.95) disent que la Mitsva (de déposer l’urne près du Aron) ne concerne QUE Moshé et Aharon (et pas les autres juifs).
Le rav Yerou’ham Perlo s’en étonne, que signifie une Mitsva qui ne concerne que Moshé et Aharon ?
Le Degan Shamayim ajoute à l’étonnement une question très claire : pourquoi dès lors, Yirmiya devait impérativement remettre l’urne à sa place près du Aron ?
Pour ma part, je ne sais pas d’où il sort cela, qui lui a dit que Yirmiya devait remettre l’urne près du Aron ? Ce n’est pas mentionné dans le Rashi (Shemot XVI, 32).
Si l’on dit comme le Min’hat ‘Hinoukh et le Ibn Ezra que la Mitsva ne concernait que Moshé et Aaron (à la différence du Rambam qui ne restreignait cette mitsva qu’à cette première génération, mais pas seulement à deux personnes de cette génération), ça revient au même pour notre réponse : le bocal n’était proche du Aron qu’à l’époque de Moïse, pas à l’époque de Yirmiya (durant laquelle, le laisser proche du Aron le rendait presque inutile).
Ainsi, Yirmiya a récupéré le bocal et l’a remis dans le Temple, mais pas dans le Kodesh Hakodashim et votre question est répondue.
Comme il est tard et que ma réponse est un peu longue, je ne prends pas le temps de me relire et vous prie d'excuser les fautes.