Citation:
Dans votre shiour du 24 mai, vous dîtes avoir connu un descendant du Or Hahayim Hakadosh. Or il est connu et reconnu (de plusieurs sources sérieuses) qu'il n'a jamais eu d'enfants.
Comment est-ce alors possible ?
J’avoue que ça semble compliqué, en effet !
On peut cependant imaginer plusieurs réponses :
1) אי בעית אימא qu’il se targue d’en être le descendant sans en avoir réellement reçu la Massoret, il aurait donc trompé tout le monde :)
2) ואי בעית אימא que ce qui est «
connu et reconnu de plusieurs sources sérieuses», n’est pas si sérieux que ça.
J’en voudrais pour preuve ce qu’écrit le
Toldot Gdolei Israel (Trieste 1853, p.46 §113) que
R. Eliezer de Avila était le petit-fils de
Rabbi ‘Haim BenAttar !
CQFD.
Toutefois, le
‘Hida dans
Shem Hagdolim (I, lettre ‘Het , §42 -daf 31c en haut) écrit au sujet de ce
R. Eliezer qu’il était le neveu (=fils de la sœur) de
Rabbi ‘Haim BenAttar.
Ça a été relevé par
Moritz Steinschneider (dans
Catalogus librorum hebraeorum in Bibliotheca Bodleiana , I, p. 955, sv. Elieser di Avila)
(quelle idée d’écrire son Sefer en latin au milieu du XIXème siècle ! c’était pour la bibliothèque de l’université d’Oxford, il aurait pu l’écrire en anglais…) comme une remarque sur
Toldot Gdolei Israel qui se serait trompé, mais le
Rav Dr Nacht écrit dans son
Mekor ‘Haim (p.6, note 28) que le
‘Hida parle du
Rav BenAttar auteur du
Or Ha’haim (son maître), alors que le
Rav Ghirondi (auteur du Toldot Gdolei Israel) parlait du
Rav ‘Haim BenAttar 1er du nom et grand-père du
Or Ha’haim (ce dernier cite son grand-père dans son
Pri Toar §85).
Néanmoins, nous trouvons que
Rav Margulies (Toldot rabénou ‘Haim Ben Attar, Lemberg 1928, p.46, note 19) souligne l’éventuelle existence d’un fils du
Or Ha’haim, car ce dernier écrit (dans
‘Hefets Hashem, en fin de daf 13) :
מכאן נשמט מפני טרדת הזמן וצרות הילד.
C-à-d que le
Or Ha’haim indique dans son livre qu’il n’a pas pu compléter son texte «
à cause des difficultés du moment et des souffrances entraînées par l’enfant ».
On pourrait donc imaginer qu’il avait eu un enfant, mais ce dernier aurait été malade et serait décédé du vivant de son père
(ce qui correspondrait à צרות הילד).
Mais il faut souligner que dans toutes les éditions
(que j’ai vues) du
‘Hefets Hashem, la phrase exacte est avec un
Hé (dans Vehatsarot): מכאן נשמט מפני טרדת הזמן והצרות הילד.
Tout hébraïsant aura vite fait de remarquer qu’on ne dit pas והצרות הילד mais וצרות הילד et c’est pour ça que
Rav Margulies l’a corrigé en pensant que c’est une erreur de copiste.
J’ai remarqué que de nombreux auteurs citant cette phrase omettent le Hé, mais c’est étrange.
D’un autre côté, le
Ner Hamaaravi (p.45 note 27) interprète le mot
הילד comme étant les initiales de
השם יאמר לצרותינו די, usage littéraire répandu à son époque au Maroc.
Ainsi, le
Or Ha’haim ne mentionnerait nullement l’existence d’un enfant et de plus
(ce qui a échappé au Ner Hamaaravi qui lui aussi corrige et supprime le Hé), cela expliquerait la présence de ce Hé, car il dirait
מכאן נשמט מפני טרדת הזמן והצרות, השם יאמר לצרותינו די , il dirait donc qu’il n’a pas pu compléter son texte «
à cause des difficultés et des souffrances du moment » , et terminerait par un souhait «
Qu’Hashem mette fin à nos souffrances ». (Et là, le Hé est indispensable).
3) ואי בעית אימא que pour la personne que je connais, il s’agirait en fait aussi de
Rabbi ‘Haim BenAttar le 1er -bien que ce n’est pas ce qu’il dit, un de ses ancêtres aurait pu se tromper en ayant reçu une Massoret indiquant une ascendance jusqu’à
R. Haim BenAttar, peu de gens savent qu’il y en a eu deux au même endroit.
4) Et enfin, אימא אי בעית que ce qui est « connu et reconnu » est que le
Or Ha’haim n’a pas eu de fils, mais il aurait eu des filles !
La source (
ancienne) indiquant qu’il n’avait pas eu d’enfants est le souhait que nous trouvons dans l’approbation rabbinique à son ouvrage
‘Hefets Hashem (celle des Dayanim de Salé) dans laquelle on lui souhaite
יראו עיניו בנים ובני בנים (
que ses yeux voient des fils), qui pourrait aussi se comprendre «
que ses yeux voient des enfants », mais il ne s’agirait que de « fils », car il aurait déjà eu des filles.
Il avait 36 ans, il semblerait qu’il n’ait pas eu de fils durant les années suivantes non plus, bien que polygame [il avait deux épouses simultanément et certains parlent de quatre (-Cf.
Rav Margulies dans
Toldot Rabénou ‘Haim Ben Attar p.46 et voir
Shaar Yeroushalem qui parle de deux Yevamot), mais c’est vraisemblablement une erreur (cf.
Malkhei Rabanan, de
R. Y. Ben Naïm, Jérusalem 1931, daf 36a tout en haut) ].
Il est décédé à 47 ans.
Avant cela, vers ses 44-45 ans, il semble toujours sans enfants(/fils), car dans l’approbation à son
Pri Toar, les Rabbanim d’Alger lui souhaitent d’avoir des fils tsadikim comme lui.
(ce qui ne signifie pas qu’il n’avait pas de fils, mais jeunes. Voire des filles). Il écrit lui-même dans sa préface à cet ouvrage
והבנים בני אלו תלמידי, on peut en comprendre qu’il n’avait pas de fils du tout
(mais peut-être des filles).
Nous trouvons dans les
Igrot Kodesh du 6ème Rabbi de Loubavitch
Rabbi Yossef Its’hak (tome III, §818, p.469) au nom de son ancêtre
Rabbi Shmouel qui aurait dit :
דער אור החיים האט געהאט טעכטער וואס ער האט מיט זיי גילערינט חומש און דאס איז דער פירוש אור החיים אויף תורה
(Le Or Ha’haim a eu des filles avec qui il a étudié le ‘Houmash et c’est (ainsi qu’est né) le commentaire Or Ha’haim sur la Torah).
Mais il ne dit pas d’où il savait qu’il avait eu des filles.
Selon un autre témoignage (cf.
Yad Or ha’haim hakadosh Vetoldotav, N.Y. 1978, p.53, note 105),
Rabbi Aharon de Belz aurait lui aussi affirmé que le
Or Ha’haim avait eu des filles -témoignage mis en doute par le
Rabbi de Skwer (dans
Ner Hamaaravi, p.46, fin de note 27).
J’ajoute un élément intéressant lorsqu’on sait que le
Or Ha’haim n’a pas eu d’enfants (ou de fils) : dans
‘Hefets Hashem sur Brakhot (5b) il explique que le fait de ne pas avoir d’enfants qui ne correspondrait PAS à Yissourin Shel Ahava, ne concerne que les gens classiques, mais chez les Tsadikim, ceux qui n’ont pas d’enfants, comme Yehoshoua et Shmouel, c’est assurément des Yissourin Shel Ahava…
Et je précise que ceci, dans son esprit, concerne aussi le Tsadik qui aurait eu des filles (mais pas de fils), car c’est le cas de Yehoshoua qu’il mentionne ; on voit dans
Psa’him (119b) que Yehoshoua n’a pas eu d’enfant, mais il est précisé dans
Meguila (14b) qu’il s’agit de fils, mais qu’il a eu des filles (ou au moins une) et ‘Houlda était sa descendante.
Pour conclure, il faut noter que le fait d’avoir seulement des filles était considéré dans leur esprit comme ne pas avoir d’enfant du tout !
C’est ce qui ressort de ce texte du
‘Hefets Hashem, et aussi ce que l’on peut percevoir dans l’approbation citée plus haut -si le
Rav BenAttar avait déjà une fille à ce moment.
Il y a là un petit côté misogyne qui n’a pas totalement disparu de nos jours dans certaines communautés/certains milieux.
[Mais porter un jugement sur les gens de cette époque est absurde car anachronique, on ne peut pas juger de ce type de considérations sans tenir compte de la mentalité de l'époque. Si aujourd'hui la misogynie est synonyme de mauvaises Midot, ça ne veut pas dire que c'était le cas à leur époque.]
Dans le Talmud, il semble y avoir les deux « écoles », par exemple, on nous raconte
(Baba Batra 16b) que lorsque
Rabbi Shimon fils de Rabbi Yehouda Hanassi a eu une fille, il était déçu.
Son père (
Rabbi Yehouda Hanassi) lui a dit qu’au contraire, il fallait s’en réjouir.
Mais
Bar Kapara s’est prononcé en faveur de la déception (du fils) en disant que l’argument du père n’est bon qu’à consoler son fils.
La Gmara rattache cela à une autre discussion qui avait eu lieu une ou deux générations plus tôt et que nous retrouvons dans la
Tossefta de Kidoushin (V, 14) au sujet de l’interprétation du verset
(Bereshit XXIV, 1) וה' ברך את אברהם בכל, que signifie cette bénédiction totale accordée à Avraham par D.ieu?
Selon
Rabbi Méir, c’est qu’Avraham n’a pas eu de fille ( !).
Selon
Rabbi Yehouda, au contraire, c’est qu’il a eu une fille !
Nous retrouvons aussi
rabbi Méir dans
Rashi sur Avoda Zara (18b) concernant Nashim Daatan Kalot Aleihen et toute l’histoire de
Brouria.
Et dans
Baba Batra (16b), nous avons aussi une discussion entre
Rabbi Yo’hanan et
Reish Lakish concernant la naissance des filles, pour savoir si cela amène de bonnes choses (Rivia) ou de mauvaises (Meriva -dispute).
Ce qui nous donne :
Rabbi Méir, Bar Kapara, Rabbi Shimon fils de Rabbi Yehouda Hanassi et Reish Lakish, qui n’aimaient pas trop les filles.
De l’autre côté, nous avons
Rabbi Yehouda (=Bar Ilay), Rabbi Yo’hanan et Rabbi Yehouda Hanassi.
Je mets
Rabbi Yehouda Hanassi dans ce groupe et ne crois pas
Bar Kapara qui estime que ce qu’il a dit n’avait pour but que de consoler son fils « éprouvé » par la naissance d’une fille, car dans la
Tossefta (op cit), il y a une version selon laquelle les paroles de
Rabbi Yehouda (bar Ilay) ont été rapportées et soutenues par
Rabbi Yehouda Hanassi, ce qui indiquerait a priori que ce dernier soutenait la position de
Rabbi Yehouda, ce qui correspond à sa réaction face à son fils dépité.
[On pourrait peut-être leur adjoindre le soutien de
Rav ‘Hisda qui expliquera ce même terme « kol » dans
Nedarim (41a) dans l’expression du passouk בחוסר כל (en manque de tout), signifiant « sans femme », alors que d’autres l’expliqueront « sans éclairage ni table », ou encore « sans serviteur ».
Mais on peut le comprendre aussi autrement…]
Le
Torah Temima (Bereshit XXIV, 1, note 6) voit un lien entre cette position de
Rabbi Méir et le fait qu’il soit à l’origine de l’institution de la Brakha « Shelo Assani Isha »
(Mena’hot 43b).
Mais j’en doute, car tous les commentateurs expliquent l’ordre entre ces trois bénédictions matinales en soulignant que tout dépend du niveau d’astreinte aux Mitsvot ; le non-juif en a très peu, l’esclave plus, la femme encore plus et l’homme encore plus.
Voir ce que j’ai écrit ici :
https://www.techouvot.com/application_des_ecrits_du_talmud_sur_les_goyim-vt14747.html
dans mon message du 12 mars 2012.
De plus, il semblerait que la véritable version soit « Rabbi Yehouda » au lieu de « Rabbi Méir » (cf.
Tossefta Brakhot VI, 23 et Rif et Rosh en fin de 9ème chapitre de Brakhot), or, comme nous l’avons montré,
Rabbi Yehouda se tient justement à l’opposé de
Rabbi Méir sur ce point, donc cette explication s'écroule…
[Il serait encore possible d’admettre la raison de ces brakhot comme le disent les Mefarshim « en fonction de l’astreinte aux Mitsvot », tout en entretenant une pensée misogyne et en expliquant que la raison même pour laquelle les femmes sont moins concernées par les Mitsvot se trouve être une infériorité de l’âme -ou je ne sais quoi de similaire.
Mais ce n’est PAS ce que ces bénédictions véhiculent.
Elles se contentent d’une différence au niveau des Misvot, SANS y attacher un jugement de valeur -même si
Rabbi Méir lui-même, comme quelques autres encore, pouvaient être « misogynes » sur les bords.
Celui qui s’est illustré et fait remarquer sur cette interprétation, c’est
R. Yehoshoua Ibn Shouib, dans ses
Drashot (Daf 48a), mais ça n’engage que lui, surtout de nos jours où l’on assimile volontiers misogynie et mauvaises Midot, ce qui n’était probablement pas le cas à l’époque où les femmes vivaient en marge de la société.]
PS: c'est long et je n'ai pas le temps de me relire, j'espère qu'il n'y a pas trop de fautes.