Citation:
Un ami m’a parlé d’un livre écrit totalement en français mais qui n’utilise pas la lettre ‘e’.
Par curiosité je voudrais savoir si une chose semblable existe dans la littérature rabbinique.
Vous devez parler de
Georges Perec qui a écrit
La Disparition.
C’est un roman lipogrammatique, il n’y a pas un seul E sur des centaines de pages.
Cet auteur était un juif qui a survécu enfant à la guerre, mais ses parents n’ont pas eu cette chance.
C’est ce qui explique son esprit tourmenté et en continuelle souffrance. Il aimait bien s’imposer des contraintes dans la rédaction de ses ouvrages. Il a produit un autre roman, parait-il, découpé en 4 parties, 4x4 chapitres, 4x4x4 sous-chapitres et 4x4x4x4 paragraphes.
Il a beaucoup souffert toute sa vie, qui fut bien courte, il décéda vers l’âge de 46 ans
(il a en tout cas dépassé les 44 ans) en 1982.
Il existe d’autres lipogrammes, desquels
Perec a pu s’inspirer ;
Jacques Arago est l’auteur de
« Voyage autour du monde, sans la lettre A » (Paris 1853).
Arago lui-même a reconnu que ce livre comporte malheureusement un A qui a réussi à déjouer la vigilance de son auteur, il ne l’a pas vu et on ne peut pas lui en vouloir car il était aveugle depuis plusieurs années !
Etrangement, Arago qui n’a pas perdu la
vie à 46 ans, a tout de même perdu la
vue à 46 ans.
En réalité, il y a trois ‘A’ dans ce texte, deux en
page 18 («
un fauteuil élastique ») et un en
page 27 («
l’Europe serait fière »), il n’y a que 29 pages
(ou 26 car le récit commence en page 3), puis une dernière qui se présente comme un courrier d’une lectrice où le A est donc autorisé.
Jacques Arago avec ses trois A dans son nom, a voulu éviter les A sur 30 pages et en a laissé passer 3, tandis que
Georges Perec avec ses quatre E dans son nom a voulu éviter les E sur 300 pages et a réussi.
Pour en venir à votre question, je vois mal à ouvrage rabbinique se restreindre ainsi à éviter des lettres, on fait bien remarquer qu'il n'y a pas de "pé final" (ף) dans le Birkat Hamazon, mais ça ne semble pas voulu par l'auteur
(les auteurs).
Certes les lettres hébraïques sont toutes des consonnes et c’est plus facile à éviter qu’une voyelle, mais on ne peut pas écrire tout un livre en évitant une lettre sans adapter un peu ce que l’on veut dire et décider d’accepter de ne pas utiliser les termes les plus clairs.
Un ouvrage rabbinique se veut précis
(autant que son auteur le peut) et ne devrait donc pas se permettre ce genre d’exercice qui n’apporte rien.
C’est comme s’astreindre à écrire en rimes, cela oblige à formuler de manière parfois imprécise. Voyez ce que j’ai écrit, au nom de Rishonim, ici :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=59833
Nous trouvons toutefois des rimes dans certains Sfarim, même s’il s’agit d’un responsa halakhique, où l’auteur conclut ses lettres par quelques rimes.
Plus fréquent, il arrive qu’un auteur publie un poème au début de son ouvrage halakhique.
Mais pour ce qui est de l’exploit stylistique, j’ai vu quelques passages assez remarquables dans différents Sfarim, celui que j’ai en tête actuellement est le
Shout Rashban de
Rav Shlomo Tsvi Schük, à la fin du
tome sur Ora’h ‘Haïm (Munkacz 1900, daf 238b), il y a un tautogramme parfait et assez long, où tous les mots (il y en a 485) commencent par un Alef.
Cet exercice est facilité par la langue hébraïque qui, comme on l’a dit, ne comporte que des consonnes, pas de voyelles.
[Dans ce même ouvrage, il y a plusieurs poèmes, voir par exemple
§135 ou
§170 (daf 133a) ou
§238 (et dans le
tome Even Haezer §185, §262, §284). Et l’introduction aux réponses y est elle aussi souvent en rimes, ce qui est beaucoup plus fréquent chez les Sfaradim, comme chez
Rav Yossef Messas par exemple, dans son
Shout Mayim ‘Haïm et dans
Otsar Hamikhtavim.
Le
Rashban (Rav Shlomo Tsvi Schük), bien qu’ashkenaze, avait l’esprit poétique. On trouve aussi des jeux de mots dans ses écrits, par exemple dans
Shout Rashban (o’’h §245, daf 197a) il va jouer entre différents mots tous formés par les mêmes trois lettres (חבר, חרב, בחר, רחב, ברח).]
Il existe aussi des tautogrammes en français, notamment de
Georges Perec, toujours le même, qui a produit un long tautogramme où tous les mots débutent par un C (ou un ç), titré «
Chapitre cent-cinquante-cinq ».