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Comment comprendre que l'étude du diqdouq n'est commencé qu'à partir de Saadia Gaon et les grammairiens de Tibériade ?
Nous ne trouvons pas de traités de grammaire avant cette époque et les rabbins du Talmud ne semblent pas respecter les règles les plus classiques de la grammaire hébraïque.
Qu'en pensez-vous?
La grammaire est une science « tardive », elle ne préoccupait pas trop les rabbins du Talmud, mais ils ne lui manquaient pas vraiment de respect.
Par l’habitude, on conjugue plus ou moins bien, sans pour autant pouvoir faire émerger une règle définissant nos choix de langage.
Cette volonté de définir des règles n’est en effet apparue qu’à partir du Xème siècle.
Cependant, nous trouvons avant cela des textes du Talmud qui traitent de l’accord en genre pour certains termes, surtout
Derekh comme on le trouve dans
Kidoushin (2b).
Il faut tout de même souligner que ces pages du Talmud
(les deux premières de Kidoushin) sont les plus tardives et n’ont pas été rédigées par les Amoraïm.
Cependant, elles sont tout de même antérieures au Xème siècle.
Vous écrivez que «
les rabbins du Talmud ne semblent pas respecter les règles les plus classiques de la grammaire hébraïque », je ne sais pas à quoi vous pensez en disant cela, mais l’argument est souvent cité en prenant pour exemple les Drashot « Al Tikrei ».
C’est une lamentable erreur.
Ce type de Drasha n’a pas la prétention d’indiquer la lecture du verset selon le sens obvie, mais de faire office de rappel et d’allusion à une possibilité de lecture que l’on sait fausse selon le contexte et la grammaire, qui nous fera toutefois penser à une idée importante.
C-à-d que les rabbins n’avaient pas l’intention de dire que c’est ce que le verset enseigne, mais que c’est un enseignement que NOUS pouvons retrouver à travers une lecture illégale du verset.
C’est un moyen mnémonique, quoi.
Ce qui a poussé les juifs à s’intéresser à la grammaire au Xème siècle, à l’époque de
Rav Saadia Gaon, est probablement lié à deux particularités de cette période :
C’est l’époque où la grammaire arabe se précise, en raison de la propagation du Coran dans différents pays (suite aux conquêtes)
[peut-être aussi en raison du développement de la poésie ?] et c’est aussi l’époque des débats avec les caraïtes qui ont concentré leur étude sur le Tanakh pour attaquer le judaïsme rabbinique, les rabbins devaient donc établir des règles de grammaire afin de pouvoir répondre à ces attaques et démontrer les erreurs de lecture sur lesquelles elles reposaient.
Voyez
Graetz, Les juifs d’Espagne (Paris 1872, pp.107-121) et
Hadas-Lebel, L’hébreu : 3000 ans d’histoire (Albin Michel 1992, pp.84-85).
Concrètement, vous constaterez que les règles de grammaire établies par l’un des grammairiens sont repoussées par l’autre (cf. les écoles de
Dounash Ben Labrat et de
Mena’hem Ben Sarouk) et que le Tanakh ne respectait aucune de ces règles, tout en respectant une certaine harmonie de langage.
L’importance qu’il faut donner au « Dikdouk » est un sujet de discussion parmi les rabbins.
Si nous avons des grammairiens férus de règles sans fin, comme
Rabbi Méir Mazouz qui peut vous réciter autant de règles de grammaire qu’il peut y avoir de verbes, d’autres sont plus sceptiques, comme le
Shout Maharam Lublin (§83) ou le
Noda Biyehouda (Shout I, o’’h §2) qui reconnait n’avoir jamais étudié cette discipline, idem pour le
‘Hidoushei Maharia’h (Sanhedrin VII, 7) et le
Rema (Shout §7), ainsi que le
Rashbats (Shout, I, §33) pour qui la méconnaissance des règles de grammaire n’est pas une tare pour un sage.
Le
‘Havot Yaïr (§124) écrit que le Dikdouk est une bonne chose de laquelle il ne faut pas abuser.
C’est aussi ce qui ressort du
Yaabets dans
Migdal Oz (Jérusalem 1992/3, p.228).
Voir aussi
Ibn Ezra au début du
Yessod Mora (Jérusalem 1931, p.1) et le
Radak dans la préface du
Mikhlol, ainsi que le
Tshouvot Eivra (du Gaon
Rabbi Yossef Eliahou Henkin)
(§55) et
Rabbi Menashé Me-Ilia dans son
Alfei Menashé (I, §63).
Voyez aussi dans ma préface au
Kountras Kitsour Hahalakha sur Nida.
Rav Méir Mazouz lui-même
(Darkhei Ha-iyoun, Bnei Brak 2012, p.87) écrit aussi qu’il ne faut pas perdre son temps avec les règles de grammaire des A’haronim.
En lisant les responsa des Ah’aronim, surtout Ashkenazes, on constate que seule une minorité d’entre eux respectait un semblant de règles de grammaire et une bonne partie excelle en erreur d’accord du genre masculin/féminin.
On trouve ce type d’erreur aussi dans la Gmara , mais c’est probablement à mettre sur le dos des copistes au fil des générations. Quand on ne parle pas une langue, rien de plus dur que de deviner si tel terme est masculin ou féminin, car c’est souvent purement conventionnel.
Le
Yaabets souligne et corrige souvent dans ses
annotations le texte de la Gmara pour accorder en genre.
Le
Yashresh Yaakov (Nuremberg 1768, daf 4b) soulignait déjà à son époque que les A’haronim n’étaient pas particulièrement au fait de la grammaire.
Ultérieurement, il y a eu les A’haronim qui se sont opposés à l’étude la grammaire, puisque c’était un cheval de bataille des Maskilim.
Mais c’est une autre histoire.