Ces réponses ne concernent que la France et donc des solutions halakhiques à des problèmes de confinement EN FRANCE.
En Israël, il est bien évident que, malgré certaines similitudes, les situations sont par nature différentes.
Question : Les mesures gouvernementales indiquent qu'à partir du 11 mai, les réunions jusqu'à 10 personnes seront autorisées. À ce jour, est-ce que le Rav reste sur sa précédente réponse selon laquelle des Minyanim ne peuvent être organisés, ou y a-t-il une évolution pour le 11 mai si l'on se limite à 10 dans une salle ? D'autre part, que pensez-vous d’un déconfinement pour nos écoles ?
Réponse
1) A priori, le confinement a pu prouver son efficacité. Le pic des malades est pour le moment passé. Il est vraisemblable de penser qu'un déconfinement risque de causer une reprise de la maladie. En possession de nombreuses statistiques, les scientifiques français avouent ne connaître cette maladie et son évolution que très partiellement. Ils semblent être craintifs quant à un déconfinement rapide. Selon les informations venant de Chine, dans la ville de son origine, le virus semble être vaincu. Mais leur mode de vie et leur combat contre le virus est diffèrent de celui de l'Europe et de la France. Sans faire une analyse politique et sociétale, en ce qui concerne l'obéissance aux directives du gouvernement , il n'y a pas lieu de comparer... D'ailleurs, il est à noter que dans aucun autre pays que la France se trouve un tel esprit, libertin, voire rebelle ou anarchiste, comme le prouvent les grèves successives, incomprises et honnies par le monde entier.
En voyant les gouvernements essayer le déconfinement, ne nous trompons surtout pas à croire qu'ils ne craignent pas une reprise de la maladie. Les raisons qui les amènent à leur décision sont d'ordre économique et social. Ils craignent la faillite des entreprises et de l'Etat, ainsi que les incivilités pour ne pas dire plus (violences conjugales, pillages etc.). Quant à la prière avec minyan, je ne vois aucun impératif de les organiser. Cela ne ressemble pas du tout à ce qui est relatif aux mikvaot, car sans aller au mikvé, on risque premièrement de transgresser des interdictions graves (ce qui n'est aucunement le cas pour la tefila à la maison). Deuxièmement, au mikvé, il n'y a aucun attroupement, et il faut évidemment continuer à respecter scrupuleusement toutes les consignes données.
Il ne fait pas de doute que nos Sages s'opposent à ce qu'on prenne des risques pour la prière. Lorsque Rabbi Yossi se sentit dérangé pour faire la prière dehors en craignant les passants, il entra dans une ruine à Jérusalem pour prier tranquillement. Bien que Rabbi Yossi ait eu pendant sa prière une illumination céleste extraordinaire, le prophète Elyahou lui reprocha d'avoir négligé les règles élémentaires de sécurité (Berakhot 3a). Quant à la prière du vendredi soir, on y ajoute à la fin la Berakha « Méen chéva », un résumé de la prière. En fait, les synagogues de nos Sages se trouvaient en dehors des villes, et la nuit tombée, celui qui quittait la synagogue, seul après sa tefila, pour entrer dans la ville pouvait risquer un danger. Pour cela, pendant la semaine, les ouvriers qui travaillaient tard ne priaient pas Arvit à la synagogue mais uniquement le vendredi soir. On s'organisait alors pour que tout le monde rentre ensemble sans danger. Mais craignant les retardataires, les Sages ont instauré d'ajouter la berakha "Méen chéva" afin d'allonger la prière et de permettre ainsi aux retardataires de rejoindre les gens pour rentrer en ville (Chabbat 24b, voir Rachi).
[Quant à « Rav » (le Amora) qui permettait à ses élèves qui habitaient à la campagne de venir à son chiour tôt le matin et de rentrer tard, il ne le permettait que pour ceux qui n'étaient pas capables d'étudier seul, et il évaluait que le risque était petit et que sa Torah et son mérite les protégeraient. Mais pour la prière des adultes, les Sages craignaient les voyages des personnes seules (Pessahim 8b). En cas de danger manifeste, les Sages s'opposent à ce qu'on s'y expose. Pour cela, on ne cherche pas le hametz dans les interstices des murs des maisons quand des serpents ou scorpions y logeraient éventuellement.]
Concernant ce virus, il faut sans aucun doute de la patience. En fait, Rabbi Akiva dit : « Quand on (le Ciel) envoie des souffrances sur l'homme, on les fait jurer qu'elles n'aillent chez lui que tel jour, et qu'elles ne le quittent que tel jour, que telle heure, ou que grâce à tel médecin ou tel médicament. Quand ce moment arrive, les souffrances restent fidèles à leurs serments. Ceci est le sens du verset : "et beaucoup de maladies méchantes et de confiance" (Devarim, chapitre 28) ; elles sont méchantes dans leurs missions et fidèles à leurs serments » (Avoda Zara 55a).
Pour toutes ces raisons, et doutant que nos enfants, nos jeunes et moins jeunes, appliqueront les restrictions sanitaires correctement, afin aussi de ne pas ajouter un risque pour nos familles avec nos anciens, je déconseille fortement toute assemblée pour la prière. Attendons encore quelques semaines pour voir comment ce virus va évoluer, et les différents résultats d'expériences menées.
Question: Je suis responsable communautaire. Il semble que le gouvernement veuille maintenir l'interdiction de rassemblements dans les lieux de culte jusqu'à la mi-juin. C'est certainement une mesure pour éviter les grands rassemblements du ramadan dans les mosquées. Pour nos petits minyanim parisiens, la plupart des fidèles ont déjà été malades, donc certainement immunisés (même s'il reste un doute) et surtout il est tout à fait possible de maintenir les règles de prudence envisagées. Les mesures générales du gouvernement (qui ne tiennent évidemment pas compte de nos considérations religieuses) suffisent-elles à continuer de nous dispenser de tefila beminyan ? Nous arriverions à une situation dans laquelle tout le monde ferait tout normalement, l'école, le bureau etc… mais… pas tefila beminyan ! Qu'en pensez-vous ?
Réponse
1) Il y a en effet une grande mitzva de prier avec Minyan : « Le tefila avec minyan est toujours entendue, bien qu'il y a parmi eux des pécheurs, D-ieu ne refuse pas la prière avec minyan; il ne faut pas prier seul tant qu'on peut prier avec minyan », (Rambam, Tefila, 8, 1). Autrefois, la communauté payait dix personnes pour assurer le minyan chaque jour (Baba Kama 82a). Les rentiers ou ceux qui exerçaient une profession libérale pouvaient prier avec minyan. Mais pour qu'ils ne perdent pas trop de temps de travail, les Sages ont interdit qu'on fasse monter le lundi et le jeudi plus de trois personnes et qu'on lise une haftara (Meguila 21a).
En revanche les ouvriers, eux, travaillaient dès le lever du soleil jusqu'à son coucher (Baba Metzia 83) et sans prier avec Minyan. Ils lisaient le chema « sur l'arbre où ils cueillaient les fruits, où sur le mur qu'ils construisaient », et « ils ne descendaient que pour la Amida » (Berakhot 16a) sans chercher un minyan. Selon Rabban Gamliel, ils se sont rendus quittes avec la Tefila du Chliah Tzibour. Les Sages n'ont pas obligé que le monde du travail s'organise en respectant le droit de prier avec minyan. Cela suggère qu'ils considéraient le fait que les gens doivent gagner leur vie comme plus important que de prier avec minyan. Pour ne pas perdre du temps de travail vis-à-vis du patron, les Sages ont encore instauré que les ouvriers qui gagnent un salaire chez leur patron fassent le Birkat Hamazon en le résumant à deux bénédictions au lieu de quatre (Berakhot 16a ; Choulhan Aroukh, 191, 1).
Quant à votre conviction qu'il soit tout à fait possible dans les petits minyanim parisiens de maintenir les règles de prudence telles qu'elles seront appliquées dans toutes les autres activités, je n'en suis pas convaincu … Je vous rappelle qu'il est connu dans le monde, que chez les juifs, le coronavirus s'est propagé en partie par la fréquentation des synagogues… Par conséquent, le fait que certains aillent travailler et seront des cobayes, malgré le risque d'un retour de pic de maladie, comme nous avons connu dans la région parisienne autour du 30 mars, ne doit pas forcement entraîner à ce qu'on ajoute encore d'autres risques.
2) Il faut encore considérer le point que vous soulevez à juste titre, à savoir le risque de rassemblements dans les mosquées dû au ramadan. Il n'est pas nécessaire d'être prophète pour savoir que l'organisation des minyanim sera immédiatement connue. De deux choses l'une : soit la police les stoppera immédiatement et on n'aura rien gagné, soit – et c'est même un « psik réché » – certains s'en inspireront et organiseront leurs prières. Si l'épidémie reprend le dessus, nous serons peut-être partiellement responsables, et au moins accusés, ce qui serait un Hilloul Hachem. Il ne faut pas oublier la remarque du Ramhal (Messilat Yécharim, chapitre 20), de ne pas juger un acte de piété selon son apparence sans vérifier les conséquences. Si elles sont néfastes, il faut s'en abstenir. Il évoque entres autre cette fameuse opposition de rabbi Zeharia ben Avkoulas envers les autres Sages, qui, dans l'histoire de Kamtza et Bar Kamtza, proposèrent de sacrifier le Korban blessé. En fait, ils craignaient que leur refus de l'apporter agace les Romains. L'histoire leur donna malheureusement raison, jusqu'à ce que rabbi Yohanan s'écrie : « la piété de rabbi Zeharia ben Avkoulas provoqua la destruction du Temple et nous jeta dans l'exil » (Gittin 56a).
Ce n'est pas que notre situation ressemble à celle citée (où une étincelle a pu enflammer la colère des Romains). Mais aujourd'hui, personne ne nous oblige à faire une quelconque avéra, il s’agit uniquement de ne pas prier avec minyan. Ceci n'est pas une mesure d'une quelconque mauvaise intention, comme pouvaient être les initiatives de certains pour entraver la chéhita ou la mila, il s'agit uniquement d'une mesure de bon sens et de santé publique.
Je n'ai pas compris pourquoi il est autorisé, dans des cas précis, de téléphoner à l'hôpital pour les raisons évoquées (pour le malade, pour motiver le personnel du service etc.) pendant Chabbat ou Yom Tov parce que ça va dans le sens de la vie. Et pourquoi quelqu'un qui va faire Bikour Holim ou Kiboud Av VaEm ne peut-il pas mettre le masque le Chabbat qui protège la personne et son entourage, dans cette période exceptionnelle, pour ne pas enfreindre de porter ? Le masque pour le moment n'est-il pas une partie du vêtement qui va dans le sens de la vie et de la santé et de l'amour du prochain ? Ici en Israël, le masque est obligatoire, pas encore en France.
Réponse
D'abord, une petite introduction.
1) Il y a trois façons de porter quelque chose, et elles diffèrent au niveau de la Halakha. Ces différences sont fines et pas tout de suite compréhensibles si on n'est pas initié.
A) Porter un vêtement, un bijou, un pansement ou une protection à titre de vêtement, de bijou etc. : je veux dire qu'ils servent tels quels comme un vêtement etc. Cela est permis selon la Torah.
B) Porter quelque chose de manière bizarre, d'une manière que personne ne porte à titre de vêtement etc, ni pour les transporter ailleurs. Cela est interdit par les Sages.
C) Porter quelque chose d'une façon qui maintenant ne sert pas comme vêtement, bijou etc., mais d'une manière qui est normale pour quelqu'un qui le transporte pour l'utiliser plus tard comme vêtement, bijou etc., est interdit selon la Torah (Chabbat 62a, Rambam, Chabbat 19, 3, Choulhan Aroukh 301, 29).
2) Venons-en au masque de protection. Le porter pendant Chabbat convenablement, devant sa bouche et son nez, est permis selon la Torah, car ainsi on le porte quand il sert comme protection. C'est aussi l'habitude des chirurgiens qui opèrent. Après avoir terminé leur travail, ils les enlèvent. Cependant, tant qu'ils n'ont pas terminé leur travail mais qu'ils font une halte parce qu'ils veulent parler, manger, éternuer, souffler ou autre, ils baissent le masque ou le montent très en haut pour libérer la bouche et le nez. De cette manière il ne sert plus à rien pendant ce temps-ci. Ils le laissent dans cette position afin qu'il soit prêt pour le moment où ils continueront leur travail. Cette manière de le porter est considérée comme un transport. Marcher de cette manière dans la rue pendant Chabbat est interdit selon la Torah.
3) Bien que la Torah permette de sortir pendant Chabbat avec des vêtements, des pansements etc. comme indiqué, les Sages ont interdit de sortir avec certaines choses, notamment avec des accessoires, s'ils sont sujets à être enlevés dans la rue pour une raison quelconque. Et ceci de peur que les gens, après de les avoir enlevés, les portent quatre coudées dans la rue de manière interdite selon la Torah. La Guemara Chabbat (chapitre 6) et le Choulhan Aroukh (303) en donnent de nombreux exemples.
Concernant le masque, beaucoup le posent de temps en temps en dessous de la bouche ou en haut. Le porter de cette manière est interdit par la Torah, et par conséquence, il est interdit MideRabannan de marcher avec le masque même en position de protection, de peur qu'on en vienne à les mettre dans une position qui serait interdit MinhaTorah. Je pense que c'est clair.
Tout ce développement concerne une visite chez les parents âgés, quand il ne s'agit pas d’un danger. Quant au fait que la famille téléphone à l'hôpital pour prendre des nouvelles dans les conditions actuelles, cela est un autre sujet. Il s'agit de malades qui sont en danger, et pour lesquels on a le droit, et même le devoir, de faire ce qu'on peut pour diminuer le danger. Les médecins et les infirmiers luttent pour la survie du patient parfois dans des conditions extrêmement difficiles. Le fait que la famille prenne chaque jour des nouvelles pourrait les encourager, et cela donne plus de chance au malade de s'en sortir. Pour cette raison je pense qu'il est permis de téléphoner. Ceci est dit en Avril 2020 à Paris, dans ces conditions très spéciales que nous connaissons. Mais il ne faut pas extrapoler qu'il sera permis de téléphoner à l'hôpital chaque fois qu'il y aura un malade.
Question: Je me suis engagé verbalement avec un entrepreneur non-juif pour des travaux avant le confinement et l'on n'a pas pu débuter les travaux à cause de la situation. Nous avons reporté à plus tard. Ai-je le droit d'annuler pour les faire avec un entrepreneur juif, ou cela pose-t-il un problème halakhique ?
Réponse
« Celui qui s'engage, bien qu'il ne s'agisse uniquement de paroles, se doit de les honorer, bien qu'il n'ait pas encore pris l'argent (de l'acheteur), n'ait rien écrit comme contrat et n'ait pas reçu de gage. Ceci s'applique à chacun qui revient sur ses paroles, que ce soit le vendeur ou l'acheteur. Bien qu'il ne soit pas obligé de recevoir (la malédiction) de « mi chepara » (que prononce le tribunal contre un vendeur qui annule la vente après avoir reçu l'argent avant qu'il n'ait fait acquérir l'objet au client), il est considéré comme quelqu'un qui « manque à sa parole », et les Sages ne sont pas « contents de lui » » (Hochén Michpat, 204, 7).
La Torah attend ce comportement de chacun qui s'engage dans une affaire, comme dit le verset : « Vous ne commettrez point d'iniquité ni dans les jugements, ni dans les mesures de dimension, ni dans les poids, ni dans les volumes. Vous aurez des balances justes, des poids justes, des « épha » justes et des « hin tzedek ». Je suis votre D-ieu qui vous ai fait sortir du pays d'Égypte » (Vayikra 19, 36). "Hin" veut dire "oui" ; tu dois honorer ton "oui" et ton "non" (Baba Metzia 49a).