Citation:
Il est connu que la vie d’un juif n’a pas de prix, et qu’on doit tout faire pour le sauver.
Mais est ce que la Torah ne prévois pas une limite ?
Plus précisément concernant des otages juifs, jusqu’où va la mitsva de les libérer ?
Doit on donner sa vie pour eux ?
Concernant l’échange d’otages avec des terroristes par exemple, est ce que cela est juste au yeux de la torah ? Sachant que ces terroristes vont certainement tuer d’autres juifs par la suite ?
Donc 1 vie contre 30 terroristes qui tueront potentiellement plus de personnes ensuite, est ce en accord avec la Torah ?
C’est un sujet douloureux.
Il est évident que des terroristes en nombre lâchés dans la nature, constituent un risque majeur, mais d’un autre côté, il y a une vie « vaday » en danger dans l’immédiat, alors que d’autres éventuels attentats sont à considérer comme « safek ».
Du point de vue de l’otage, il doit tout faire pour sortir et sauver sa vie, donc il se dira qu’entre un vaday pikoua’h nefesh et un safek pour plus tard, il faut privilégier le vaday présent, même si c’est très dangereux pour des millions d’autres personnes.
On retrouve cette idée dans la
Mishna Makot (11a) au sujet de l’exilé en ville de refuge qui n’a pas à sortir même pour une nécessité impérieuse afin de garantir la sécurité de tout le klal israel
(car ça le mettrait personnellement en danger en raison du Goel Hadam) :
ואפילו ישראל צריכים לו, ואפילו שר צבא ישראל כיואב בן צרויה אינו יוצא משם לעולם
C’est aussi ce que le
Meshekh ‘Hokhma (Shemot 4,19) souligne dans notre parasha, où D.ieu dit à Moshé de retourner en Egypte
(accomplir sa mission) «
car ceux qui en voulaient à ta vie sont morts » (לך שוב מצרים כי מתו כל האנשים המבקשים את נפשך).
Pourquoi préciser cela ? car s’ils étaient encore vivants, Moshé n’aurait pas été tenu de se mettre en danger en retournant en Egypte, quand bien même pour sauver tout le Klal Israel.
Voir aussi son
Or Saméa’h (hil. Rotséa’h §7).
[Voir encore Kessef Mishné (Rotséa’h 1,14) et Beit Yossef (H’’M §426) au nom du Yeroushalmi (Troumot), mais le Pit’hei Tshouva au nom du Agoudat Ezov indique que les Rishonim ont compris que le Bavli serait en désaccord avec le Yeroushalmi sur cette halakha.]
[Il y a encore une différence, c'est que là il s'agirait de "créer" un danger qui n'existait pas (en libérant des terroristes), alors que dans le cas de Moshé et de Yoav ben Tserouya, on ne parle que de "refuser une hatsala"...]
Mais du point de vue des autres, ces nombreux terroristes peuvent faire beaucoup plus de morts que les quelques otages que nous pouvons obtenir en contrepartie, donc on ferait peut-être mieux de ne pas sauver ceux-ci, de les condamner à une mort quasi-certaine, afin de ne pas mettre en danger des centaines et des milliers d’autres israéliens.
Ces otages eux-mêmes sont quelque part le résultat d’une transaction de ce type puisque l’organisateur en chef du pogrome du 7 octobre 2023 avait été libéré avec plus d’un millier de prisonniers en échange du soldat Guilad Shalit quelques années plus tôt.
A l’époque, déjà, plusieurs voix rabbiniques s’y étaient opposées.
Peut-être que certains se targuant d’être des Baalei Bita’hon diront que ces Rabanim se trompent car « tout est entre les mains de D.ieu » et même si ce terroriste était encore en prison, un autre aurait pu organiser un massacre semblable.
D’autres, considérant la notion de Hishtadlout humaine, rétorqueront que D.ieu peut aussi faire mourir 1200 israéliens de maladie, ici il s’agit de mettre en liberté des gens qui rêvent d’assassiner des juifs toute la journée, c’est objectivement dangereux.
Aujourd’hui aussi, de nombreux avis s’opposent à cet échange. Ils ne peuvent pas être insensibles à la joie des otages et de leurs familles de les retrouver enfin, mais ils comprennent qu’en réalité Israël est en train de donner de bonnes raisons aux palestiniens pour recommencer (ra’hmana litslan).
Vous dites :
Citation:
Il est connu que la vie d’un juif n’a pas de prix, et qu’on doit tout faire pour le sauver.
Non, il y a une limite.
La halakha stipule qu’on ne rachète pas un prisonnier au-delà de « sa valeur », voici les mots du
Shoul’han Aroukh (Y’’D §252,4) :
אין פודין השבוים יותר מכדי דמיהם מפני תיקון העולם שלא יהיו האויבים מוסרים עצמם עליהם לשבותם אבל אדם יכול לפדות את עצמו בכל מה שירצה וכן לת"ח או אפי' אינו ת"ח אלא שהוא תלמיד חריף ואפשר שיהיה אדם גדול פודים אותו בדמים מרובים
Ce qui signifie : On ne rachète pas les prisonniers au-delà de leur valeur, sans quoi les ennemis feront tout pour en capturer de nouveau, mais le concerné lui-même peut se racheter à n’importe quel prix
(=s’il est riche…), idem pour un Talmid ‘Hakham, voire un potentiel Talmid ‘Hakham, on peut le racheter pour une somme importante
(plus que la valeur habituelle).
Comment se calcule la « valeur » ? ça dépend du bon sens. Et il ne faut pas encourager nos ennemis à recommencer. Tout le monde comprend qu’échanger un contre trente, ce n’est pas normal. Surtout un inoffensif contre trente dangereux.
On a tendance à penser qu’une vie en vaut une autre, mais il semblerait que les Palestiniens voient les choses autrement ; pour eux, il est évident qu’une vie juive vaut beaucoup plus qu’une vie palestinienne, puisqu’ils refusent d’échanger un contre un…
Bref, concrètement, je ne sais pas trop quoi vous répondre, ce que j’ai écrit ici relève de l’aspect « limoud », pas de la halakha pratique.
Pour cela, il aurait fallu être renseigné sur la situation et je ne le suis pas.
Si, par exemple, les prisonniers libérés ne sont pas réellement dangereux, ou bien si les israéliens ont fait en sorte qu’ils ne le soient plus
(par exemple en leur offrant un beeper qui sonnera bientôt, ou en leur insérant à leur insu une puce sous-cutanée qui permet de les suivre et les surveiller 😊), on comprendrait bien mieux cet échange.
Je ne vois pas comment nous pourrions nous permettre, depuis la France et sans être dans les dossiers secrets de l’armée, de donner un avis tranché sur ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. J’indique juste les grandes lignes dans le monde de la Halakha, après, pour ce qui est de l’application, je n’ai pas connaissance de tous les détails ni de tous les enjeux.