L’origine de cette traduction se trouve probablement dans un verset du prophète ‘Ovadia : « Et les exilés [de cette légion] d’enfants d’Israël, [répandus] depuis Canaan jusqu’à Tsarfath, et les exilés de Jérusalem, [répandus] dans Sefarad, posséderont les villes du Néguèv » (1, 20).
Commentaire de Rachi et de Ibn Ezra : Tsarfath, c’est la France (Frantsa ou Frantsia), de même que Sefarad, c’est l’Espagne (Aspamia).
Une autre occurrence du même mot se trouve dans I Rois 17, 9 et 10, lorsque Hachem ordonne au prophète Elie : « Lève-toi et va à Tsarfath qui est à Sidon, et tu y habiteras. J’ai ordonné là à une femme veuve de te nourrir. [Elie] se leva et alla à à Tsarfath. Comme il arrivait à la porte de la ville, il s’y trouva une femme veuve qui ramassait du bois. Il l’appela et dit : “Prends-moi, je te prie, un peu d’eau dans un vase, afin que je boive.”… »
Comment la ville de Tsarfath (aujourd’hui Sarafand), une ville phénicienne située au Liban entre Tyr et Sidon, est-elle devenue, à quelque trois mille kilomètres de là, le pays où habitent les Français ?
Aucun de nos grands commentateurs classiques n’a cherché à répondre à cette question, et ceux que nous venons de citer ne justifient pas leur point de vue.
On a vu depuis lors apparaître ici et là des hypothèses qui ont cherché à justifier cette équivalence, mais elles sont le plus souvent apologétiques, ou au contraire contemptrices, de sorte qu’elles ne sont pas convaincantes.
C’est ainsi que la ‘hassidouth ‘Habad entretient depuis longtemps avec la France des liens privilégiés, surtout depuis que son Rabbi, Mena‘hem Mendel Schneerson z’l, a poursuivi à Paris, dans les années qui ont précédé la seconde Guerre mondiale, des études scientifiques.
(Signalons que ces liens ont atteint une telle intensité que le Rabbi a un jour entonné un cantique traditionnel sur l’air de la Marseillaise.)
De l’avis de cette obédience ‘hassidique, le mot Tsarfath est issu de la même étymologie que tsirouf (« affinement, épuration d’un métal »), également employé pour désigner une purification spirituelle.
On y affirme également que les lettres qui composent le mot Tsarfath sont les mêmes que celles du mot paratsta, lequel renvoie au verset : « Ta descendance sera comme la poussière de la terre, tu t’étendras (oufaratsta) vers la mer et vers l’orient, et vers le nord et vers le sud. Et seront bénies en toi toutes les familles de la terre, et en ta descendance » (Berèchith 28, 14).
A côté de cette hypothèse bienveillante, il en est d’autres plutôt désobligeantes :
– C’est ainsi que l’on a affirmé que la Tsarfath biblique se trouvait près de Sidon, en hébreu : Tsidon. Or, le mot tsidon est issu de tsad (« côté »), ce qui constitue une allusion à la frivolité des habitants de l’Hexagone…
– Ou encore, le mot tsirouf, ci-dessus évoqué, renvoie à un creuset où l’on fond de multiples métaux : La France est un pays où les Juifs perdent leur identité…
– On a également soutenu que le rapport France-Tsarfath serait le résultat d’une métathèse : Les lettres hébraïques tsadé, rèch et pè seraient devenues, avec la disparition du n, le mot « f r a n ts »…, la lettre finale taw constituant une simple féminisation du mot…
Disons, en conclusion, qu’il n’existe pas selon nous d’opinion décisive sur la question.