A
Touat :
Citation:
Cher Rav Wattenberg,
Avant de me lire, veuillez bien croire que j’admire votre érudition et suis un fidèle lecteur de vos responsas. J’aime particulièrement votre facon de mettre les pieds dans le plat sur certains sujets toujours avec courage et justesse. Précaution oratoire: Je m’excuse par avance si l’un de mes propos vous froisse, je vous prie par avance de mettre cela sur le compte de ma maladresse et non Has veshalom une quelconque intention maligne de ma part!
Rassurez-vous, aucun de vos propos étaient de nature à me froisser, vous posez vos questions de manière très respectueuses. En vous lisant au départ je me suis dit que j’allais encore avoir droit à des insultes, comme c’est arrivé plusieurs fois, mais non, votre message est très correct.
Citation:
Vous dites:
Il est vrai qu’à Brisk il y a une focalisation sur le Rambam très poussée et ils analysent chaque lettre du Mishné Torah comme si c’était le ‘Houmash. C’est parfois exagéré.
Auriez-vous des exemples de ces exagérations? Si le fait d’introduire systématiquement des concepts analytiques tels que Heftsa/Gavra ou Siman/Siba est une critique que l’on trouve souvent au sujet de la shita de Brisk je ne trouve pas non plus d'exagération de cette sorte dans les ecrits des rabanim de Brisk ( du moins les chefs de file comme le GRAH le GRIZ le GRID…) . Une anecdote célèbre relate que Reb Chaim lui-même s'était moqué du “hidush” d’un partisan de sa méthode sur le fait que les kidushin se renouvellent continuellement en lui souhaitant Mazal tov,. (comme quoi ils avaient aussi de l’humour a Brisk, pas seulement du génie, quoique les deux aillent souvent de pair!). Preuve du détachement que le maitre pouvait avoir vis à vis de sa méthode.
Si je peux humblement me permettre un avis je trouve les pshatim de Reb Chaim beaucoup moins forcés que ceux de certains géants comme meme ceux du Torah Temima. ( Je sais que les deux oeuvres n’ont rien à voir mais c’est quand même intéressant de comparer les démarches)
Dans le Hesped du Grid qu’on retrouve dans les dernières pages du Beth Halevy, mais aussi dans le Torat Haim ( ouvrage récent qui racontent énormément d'anecdotes sur les rabbanim de Brisk et dans leurs yechivot) des dizaines anecdotes soulignent la sincérité extrême des rabbanim de cette méthode et leur profonde recherche de vérité. ( Si vous le souhaitez je peux vous en scanner quelques une)
De plus, je ne comprends pas les critiques dont font l’objet les Brisker qui ne tiennent pas à l'encontre de Rav Elchanan les memes griefs alors que la méthode de Rav Chanan est pure Briskerus ( il a d’ailleurs étudié avec lui). ( Je me trompe peut-être mais quand je fais un Kovets Hearos j’ai l’impression du Reb Chaim dans un langage peut être plus accessible) En quoi Rav Elchanan serait-il plus raisonnable que Reb Chaim?
Il y a méprise, je ne critique pas les analyses de
Reb ‘Haim Brisker, ni son derekh limoud, ni ses ‘Hidoushim (idem pour le
Brisker Rov), je parlais seulement de l’adoration du
Rambam qui règne dans l’école de Brisk au point de le considérer comme le ‘Houmash.
La Shitat Limoud elle-même est encore autre chose dont il n'a pas été question.
A part ça, même pour la remarque sur le
Moré Nevoukhim négligé, laissez
Reb 'Haim de côté, je parle de manière plus générale (et moins ciblée) des rabanim Briskers (="d'obédience Brisk"), ceux qui ont suivi l'école de Brisk.
Le
Rav Elia Ber Wachtfogel a dit à ses élèves
(il y a à peine plus de 20 ans dans sa Yeshiva de South Fallsburg) que le
Rambam a un Din de "Mikra"
(pour les déductions linguistiques que l’on peut et doit y faire).
Je trouve ça
(Bim'hilat Kvodo) absurde.
D’autant que, souvent, les A’haronim (de contrées ashkenazes) ne comprenaient pas parfaitement l’hébreu pour pouvoir comprendre une subtilité linguistique
(si vous lisez les A’haronim lituaniens, vous verrez qu’une bonne partie d’entre eux n’étaient pas calés en hébreu et leur manière de rédiger trahit des structures grammaticales yiddish. Vous ne le constaterez pas de la même manière dans le ‘Hidoushei Rabénou ‘Haim Halévy, mais ce n’est pas lui qui en a été le rédacteur, il a utilisé les services d’un spécialiste).
Alors commencer à déduire des halakhot à partir d’une tournure du
Rambam en hébreu sans connaitre parfaitement sa langue, et lorsque ces Halakhot n’ont aucune autre source que cette prétendue source dans le
Rambam, c’est étrange.
(et inutile de s'étendre sur les Rabanim Briskers des USA qui sont très loin d'exceller en hébreu, les français qui ont étudié aux USA en sont toujours étonnés.)
Sans parler des fois où c’est l’hébreu du
Rambam qui est imparfait !
Je vous donne un exemple, puisque vous en demandez :
Au tout début du
Rambam, il est écrit יסוד היסודות ועמוד החכמות לידע שיש שם מצוי ראשון
Les A’haronim interprètent différemment cette nécessité qu’a éprouvé le
Rambam de présenter sa phrase de cette manière לידע שיש שם c’est très étrange.
Déjà le
Kessef Mishné ressent le besoin d’expliquer ce terme (שם).
Le grand Gaon
Rav Reouven Margulies dans ses annotations sur le
Rambam (Kvod Melakhim, 2016, p.35), voyant les difficultés du
Kessef Mishné , propose une autre lecture, ce n’est pas Yesh
Sham, mais Yesh
SHEM…
En fait, ce que dit le
Kessef Mishné est très simple, le «
sham » du
Rambam est le « y » français.
Lorsqu’on dit « il y a », le « y » indique l’endroit
(comme dans mets-y, par exemple).
Mais en hébreu on dit «
yesh » tout court.
Cependant, le
Rambam qui ne parlait pas l’hébreu avec des structures de phrases russes ou yiddish, le parlait avec des structures de phrases arabes.
L’arabe et l’hébreu se ressemblent beaucoup, mais il y a quelques différences, notamment celle-ci : en arabe
(comme en français et d’autres langues) on dit « il Y a », à la différence de l’hébreu.
Le
Rambam réfléchissant en arabe, avait donc l’habitude d’écrire « Yesh Sham » pour rendre « il y a », alors qu’en hébreu, c’est « yesh » qui est plus correct et le mot « sham » est superflu.
C’est ainsi qu’écrivaient certains auteurs de cette époque et ça n’a rien de terrifiant, mais si on l’ignore et qu’on commence à vouloir faire des déductions et Diyoukim de cet ajout (qu’il soit lu Sham ou Shem), on risque fort de s’égarer.
Citation:
Vous dites aussi:
Un point très étrange, lorsqu’on considère l’estime qu’ont les Briskers pour chaque mot du Rambam, même au niveau de la Hashkafa, c’est le constat de l’ignorance qu’ils ont du Moré Nevoukhim et l’écart très net entre la Shita dite de Brisk et la Shita du Rambam dans le Moré Nevoukhim.
Je ne comprends pas non plus votre remarque. Le décalage entre le M.N. et le Mishnei Torah est un écueil pour beaucoup, je ne vois rien de si extraordinaire à ce que les Brisker Rabbanim soient tout autant gênés que les autres par cela, fussent-il d’attentifs lecteurs du Mishnei Torah
Le fait que plusieurs A’haronim n’aient pas lu le Moré Nevoukhim est une chose, mais c'est différent lorsque ces mêmes A’haronim vont élever le
Rambam (quasiment) au rang de Moshé Rabénou et déduire des halakhot à partir de ses mots comme s’ils avaient un pouvoir législateur
(alors que seuls les ‘Hazal l'ont, le Rambam est supposé nous présenter les positions des ‘Hazal, mais il ne convient pas de décider d’une halakha en sa basant sur une déduction du Rambam si ce n’est pas ce qui ressort des ‘Hazal.
Bien sûr, si c’est explicite dans le Rambam, on se dira qu’on a dû mal lire le Talmud ou rater un passage des ‘Hazal ailleurs, mais lorsqu’il s’agit d’une déduction linguistique hasardeuse, il semble parfois plus logique de se dire qu’on a dû rater un élément dans le Rambam et sa compréhension).
Citation:
De plus, je pense qu’il faudrait distinguer la méthode de Brisk qui s’appuie énormément sur le Rambam pour les raisons que vous avez justement évoquées et la Hashkafa de Brisk qui releve plus d’une tradition orale autours des hanagot des Rabanim de Brisk. Qu’en pensez vous?
Oui, je dis juste que dès qu’on accepte ce qui ressort de déductions du
Rambam pour la Halakha, on ne peut pas considérer que ses hashkafot sont à laisser de côté, car ses hashkafot interviennent beaucoup dans ses Psakim et dans ce qui peut se déduire de ses tournures.
Citation:
De plus, je ne pense pas que la quasi absence de littérature Brisk sur le M.N. permettent d’affirmer une méconnaissance de celui ci.
Je suis d’accord avec vous, mais je ne me basais pas sur la quasi-absence de littérature de Brisk sur le
Moré Nevoukhim pour dire que les grands de Brisk ignoraient ce livre.
Il y a dans leurs silences, et parfois même dans leurs écrits, ou plus encore dans leurs paroles et enseignements, des preuves de cette ignorance.
Comme vous allez me demander un exemple, je vous indiquerais celui-ci :
Le
Brisker Rov cités dans plusieurs endroits
[Hagada Shel Pessa’h mibeit Lévy (p.244-245), Shout Lehorot Natan (V, Y’’D §55, 2), Hagada Or Avraham (Gurwitz) (p.239), Talelei Orot Tfila (III, p.102)] a dit, au sujet du passouk dans
Yeshaya (45, 7) Yotser Or Ouvoré ‘Hoshekh, que penser que l’obscurité est l’absence de lumière est de la Kfira.
J’explique cette virulence verbale
(qui peut surprendre a priori) dans ma
biographie de Rav Baroukh Epstein (pas encore éditée, bez’’h un jour…), c’est parce qu’il n’a pas inventé ça de lui-même, il se base sur d’autres A’haronim qui l’ont devancé.
Quoi qu’il en soit, le fait est que le
Rambam dans
Moré Nevoukhim (III, §10) dit très précisément ce qui est de la pure Kfira selon le
Brisker Rov (en pointant le même verset etc.).
J’ai beaucoup de mal à imaginer que le
Griz ait lu ce
Rambam et ait malgré tout défini cette position (du
Rambam) comme de la Kfira, sans se donner la peine d’expliquer comment se fait-il que c’est celle du
Rambam (ou préciser qu’en effet le Rambam serait un Kofer Apikoros ?!?)
Citation:
Enfin il y a des Brisker dont on sait qu’ils connaissaient parfaitement le M.N. le GRID par exemple voir Rabbi Joseph B. Soloveitchik’s Lectures on Genesis, V. Même si sa position à la Y.U. est quelque peu controversée pour certains, si on étudie un peu les Reshimot Shiurim il ne peut y avoir aucun doute sur le fait qu’il ait été un grand grand Brisker, assez génial.
Il faut savoir que
Rav JB, bien que de la famille « royale », a été rejeté par la plupart des Briskers (et des autres).
S’il est l’exemple que vous avez trouvé pour indiquer qu’à Brisk aussi on étudie le
Moré Nevoukhim, c’est un très mauvais exemple, car il ne représente pas du tout la grande majorité de ceux qui se réclament de Brisk.
Ces derniers voient le
Rav JB comme un Passoul et l’ignorent royalement.
Comprenez-moi bien, j ne viens pas reprocher aux rabanim et aux poskim leur ignorance du
Moré Nevoukhim, on peut être un grand rav et un grand Possek sans connaitre le
Moré Nevoukhim, je dis juste qu’il y a un aspect paradoxal à considérer chaque mot du
Rambam comme Torah MiSinaï au point d’en décréter des halakhot et des Hanhagot (alors qu’elles n’auraient aucune source dans ‘Hazal) par la force d’un Diyouk très discutable, et en parallèle, de ne même pas lire le
Moré Nevoukhim.
(Je ne parle pas de lire les
Pirkei Moshé et ses écrits en médicine, ceux-ci ne sont pas directement liés à la religion, mais pour le
Moré Nevoukhim c’est différent, puisqu’il est plein de hashkafot, comme cette divergence au sujet du ‘Hoshekh qui mériterait explication.
Rassurez-vous, je m’y attèle dans mon livre en question. Bez’’h j’espère le publier un jour.)
Voyez encore ce que j’ai répondu à l’internaute qui vous a devancé, plus haut (mon précédent message).