Flavius Josèphe, c'est un sujet en soi !
En fait, les rishonim ne le citent pas. Ils citent le Yossifon, qui est un adapté de Flavius Josèphe écrit par un anonyme à peu près un siècle avant la naissance de Rashi (car Dunash ben Tamim –mort en 960- le mentionne déjà).
Les chercheurs estiment qu'il est Italien et plus précisément de Rome.
Dès le premier chapitre il écrit qu'en France vivent les francs. Or comme chacun le sait, la France à l'époque de Flavius se nommait la Gaule (cf. Talmud Rosh Ashana 26a) et était peuplée de gaulois.
Il est donc clair que ce n'est pas Flavius Josèphe qui a rédigé ce livre contrairement à ce que certains pensaient par ignorance.
Trois des manuscrits retrouvés du Yossifon indiquent que Rabeinou Guershom a copié ce livre lui-même et selon certains chercheurs (dont Flusser) il s'agirait de Rabeinou Guershom Meor Agola. (cf. Sinaï 85, p. 172)
Les écrits de Flavius étaient en grec et Rashi et les autres ne lisaient pas le grec. Ils se sont basés sur l'auteur du Yossifon qui a probablement utilisé les traductions latines pour rédiger son livre –Yossifon- en hébreu.
Ce dernier déjà, édulcore un peu les passages étranges de Flavius.
On est à peu près certain qu'il y a des ajouts tardifs des chrétiens dans les écrits de Josèphe.
Par exemple lorsqu'il parle de JC comme du messie ressuscité dans Kadmoniout Ayehoudim alias Antiquités Judaïques ou Histoire des Juifs (Livre XVIII, §4 et Livre XX, §8).
J’en ai déjà parlé, voir ici :
http://www.techouvot.com/la_vraie_histoire_de_jc-vt15235.html
Il y a aussi plusieurs points qui semblent être ajoutés tardivement et de nombreux auteurs se sont chargés de les souligner, voir par exemple
le Meor Enayim (§19) de Rabbi Azaria dei Rossi,
le Maaral dans Beer Agola (§6, p.138),
dans 'hidoushei agadot (guitin p.105)
et dans Netsa'h Israel (§5 et §6).
R. Tsadok explique dans Or Zaroua Latsadik (24b) que Josèphe n'était pas prophète et écrivait ce qu’un pouvait écrire un historien, mais les 'hazal savaient par roua'h akodesh ce qu'il y avait dans les cœurs – à la différence du chroniqueur - d'où les disparités entre eux…
Toutefois, cette explication ne suffira pas lorsqu'il s'agit d'écarts concernant des faits réels et non des pensées du cœur…
Il faut dire que Flavius a utilisé plusieurs sources dont vraisemblablement des écrits de sadducéens, par exemple lorsqu'il critique –dans son livre Kadmoniout- la reine Shlomtsion –Salomé- (sœur de Shimon ben Sheta’h) écrivant qu'elle était assoiffée de pouvoir et pleine d'orgueil, alors que dans d'autres écrits (La guerre des juifs) Flavius en dit du bien.
Il faut aussi noter que durant des siècles les écrits de Flavius se trouvaient exclusivement chez les chrétiens – voire chez les ecclésiastiques.
Impossible de savoir ce qu'ils auraient ajouté par endroits.
Voir Letoldot Asanhedrin beisrael de rav Greenwald (p.96).
Il est établi que les livres de F.J. comportent certains ajouts tardifs typiquement chrétiens, même des non juifs l'ont reconnu (par exp. Emil Schürer dans Geshchichte des judischen volkes im zeitalter JC. I, p.544).
Bref, on comprendra que certains rabbins ne l'apprécient pas trop.
Par exemple le Rav Its'hak Herzog (dans Sinaï 1959) ne semblait pas trop le porter dans son cœur.
Le Rabbi de Munkacz écrit dans Min'hat Elazar (III, §64 daf 54c) qu'on en peut pas accorder trop de confiance au Yossifon car Flavius écrivait parfois sous la c[ont]rainte des romains.
La même idée se retrouve chez le Rabbi de Klausenburg dans le Divrei yatsiv (Y’’D §187, 8). Il y a des bizarreries dans le Yossifon car il devait faire attention à ne pas froisser les autorités.
Je ne pense pas que cela résolve toutes les contradictions. Certains sujets ne sauraient nullement être de nature à froisser la sensibilité romaine, mais il est vrai que de manière générale, à cette époque, l'Histoire n'était pas une « science exacte » ni une « discipline rigoureuse ». L'historien laissait libre cours à son imagination pour pallier aux trous de mémoire et aux zones d’ombre, comme l'écrit le Shout Bessamim Rosh (§349).[/size]
[Au passage, dans la marge de mon
Bessamim Rosh j'ai écrit à cet endroit que ce siman m'a l'air de faire partie des simanim falsifiés de ce livre, car il écrit que les livres d'histoire d’époque et ceux des anciens temps (zman akadoum) ne sont pas fiables.
Or, il me paraît difficile d'attribuer au
Rosh (supposé auteur de ce livre) une telle phrase car à son époque (au début du XIVème siècle) les historiens n'étaient pas vraiment plus fiables et je ne crois pas que l'on émettait ce regard critique sur les historiens des siècles précédents.
Mais je me trompe peut-être sur ce point.
En tout cas,
Rav 'Haim Pallagi n'a pas l'air d'en être dérangé car dans son
Guinzei 'Haim (dalet §22) il cite cette tshouva en l'attribuant au
Rosh.]
Même ceux qui apprécient Flavius ne valideront pas pour autant ce qu'il écrit lorsque cela contredit les 'hazal, par exemple Rav Tikotshinsky dans Ir Akodesh Veamikdash (II, p.51 dans la note) écrira que même si Flavius Josèphe était un important et grand homme à son époque (adam gadol ve'hashouv bedoro), s'il est contredit par 'hazal ses paroles n'ont aucune valeur même s'il s'agit d'un témoignage de ce qui s'est passé à l'époque.
(il y va fort...)
Il y a de toute façon des erreurs si grossières dans les livres de Flavius Josèphe qu'il paraît impossible de le soupçonner de tant de médiocrité.
Par exemple il arrive qu'il retranscrive mal les psoukim en en supprimant toute une partie ou un mot clé dans la phrase. Il arrive aussi qu'il commette des erreurs enfantines de traduction des psoukim, c'est pourquoi l'excellent rav Mena'hem Kasher écrit dans ses Milouim au Thora Shleima sur Mishpatim (volume XVII, p.332) que les manuscrits ont dû être mal copiés au fil des siècles.
Toujours est-il que le Tsema’h David (an 3829, page 36) semble l'apprécier, il en fait l’éloge malgré les petites différences entre lui et 'Hazal.
Il est aussi cité par le Seder Adorot (sur la même année -daf 79a), par le sefer You'hassin et le Shalshelet Akabala.
Aussi par le Shla (thora shebi'htav 29a)
Le Tosfot YomTov (shkalim VI, 3 et fin de Taanit)
Le Maarsha dans sanhedrin (19a),
dans Psa'him (118b),
dans Baba batra (4a)
[et dans kidoushin (71a) mais le texte indiqué ne se trouve pas dans le Yossifon, le Maarsha semble avoir fait confiance au Meor Enaïm dans imrei bina (§3)].
Le Ba'h (o’’h §307) aussi en conseille la lecture car porteuse de messages de moussar.
Le Meam Loez le cite quelques fois,
dans Dvarim (p.1065, 1108),
dans Mela'him I (p.34, 98, 116 et 288),
dans Yirmiya (p.102),
dans Ovadia (p.255),
dans Trei Assar II, (p.99, 141, 205, 233),
dans Ei’ha (p.89, 97, 232),
et Mishlei (p.467).
Le Abrabanel le cite dans son commentaire sur la Thora
sur Bereshit (49, 10) (et aussi p.125, 127, 130, 131, 173), dans parshat Ki tavo (p.269),
dans Yeshaya (p.171),
Yirmiya (p.429),
Mela’him I (p.581)
Il le cite aussi dans son livre Mashmia Yeshoua et dans son Maaynei ayeshoua il est sévère avec lui, voir par exemple lorsqu'il le traite de menteur (Maayan 10, Tamar 7) car ce qu'il écrit ne figure pas dans les écrits de Flavius Josèphe.
Ce même Abrabanel écrira dans Na'halat Avot (II, 8) que Flavius n'est autre que le Tana Rabbi Yossi Acohen (élève de R. Yo'hanan ben Zakay) !)
Rav Greenwald dans Letoldot asanhedrin (p.102) qui se plait à souligner la capacité d'Abrabanel de critiquer amèrement un auteur qu'il considère être un Tana, semble faire allusion à ce texte de Maaynei ayeshoua. Or là-bas le Abrabanel ne critique que le Yossifon mais pas Flavius, ce qui change tout.
Et parmi les a'haronim il y en a qui le citent très souvent comme le Yaabets, le 'Hida et beaucoup d'autres.
On le retrouve aussi chez de nombreux rishonim en dehors de Rashi,
le Méiri dans Guitin (79b)
le Erkei Tanaim veamoraim (lettre youd, p.527)
le Ralbag (Esther, passouk ma la’h esther amalka =V, 3)
le Rashbats dans Maguen Avot (I, 2)
le Arou'h de Rabbi Nathan de Rome (ere’h shéva)
le Tosfot 'Houlin (60a) et Avoda Zara (10b)
le Rashbam (psa'him 119a)
Rashi le cite en écrivant clairement « Yossifon » dans
Mela’him (II, §20, 13),
Yeshaya (XXI, 4),
Ze’haria (IX, 14),
Daniel (VIII, 21)
et il le cite aussi parfois sous le nom de « Yossef ben gourion » par exemple dans
Bra’hot (43a),
Yoma (23a) et
Hagay (II, 6),
ou sous le nom de « Sefer Yossef acohen » dans
Ye'hezkel (XXVII, 17),
ou encore « Gourion » dans
Daniel (VIII, 11),
ou « Yossifon ben gourion » dans
Baba Batra (3b).
C'est certainement dans Daniel que Rashi le cite le plus fréquemment, voir Daniel (V,1), (VI, 29), (XI, 2, 17, 18 , 23)
Le Yossifon est aussi utilisé par Rabeinou Touvia ben Eliezer dans le Midrash Leka'h tov à de maints endroits mais sans le nommer, comme le souligne Rav Shlomo Buber dans son Mavo (§IX, siman 27) sur le Leka’h Tov, en ajoutant qu'il a été devancé pour cette remarque par rabbi Shlomo Elkabats dans Manot Alévy (daf 144a).
Je suis tout de même étonné de voir Rav Buber écrire que le Leka'h Tov ne le cite jamais nommément car dans le Leka'h Tov sur Esther (daf 52a) nous trouvons « il est écrit dans le livre de Yossef Ben Gourion que l'on appelle Joséphus… ».
L'explication la plus plausible est que rav Buber n'avait pas encore lu le Leka’h Tov sur Esther lorsqu'il écrivit son Mavo sur le Leka'h Tov al athora (qui a été édité à peu près six ans avant qu'il édite le Leka'h Tov sur Esther).
Je reviens aux dires du Bessamim Rosh (§349) qui préconise de ne pas accorder sa confiance aux anciens témoignages sur l'histoire.
Nous trouvons dans le Sidour du Yaabets (nouvelle édition tome II, p.37) concernant les habits des cohanim au Beth Amikdash un témoignage d'un non-juif - témoin oculaire - d'une scène de veille de Pessa'h - le jour du sacrifice pascal, cité par le Shévet Yehouda.
Il écrit que les habits des cohanim étaient rouges pour éviter que les taches de sang [dues aux manipulations rapides lors de la ola'hat dam] n'apparaissent.
Or le Rambam écrit que les habits des cohanim étaient blancs.
Et dire qu'ils étaient rouges semble aussi contredire le Talmud (Psa'him 65b).
L'auteur du témoignage écrit encore concernant la longueur de l'habit pontifical quelque chose qui ne correspond pas aux dires du Talmud.
Le Yaabets n'en déduit pas pour autant que l'écrivain fût un méchant filou qui cherchait à tromper ses lecteurs juifs 16 ou 17 siècles plus tard, ni qu'il fût un grand rêveur qui divaguait à ses heures.
Et je conclus donc concernant le Yossifon:
1) ce n'est pas un écrit direct de Flavius, mais un adapté de ses écrits.
2) Flavius était probablement quelqu'un de bien, mais on ne saurait se baser sur lui les yeux fermés.
3) Toujours est-il qu'il convient de lire le Yossifon pour s'instruire (sans être sûr de tout ce qu’on y trouve) car c'est important d'étudier l'Histoire et particulièrement la nôtre.
J'ai déjà écrit sur ce site que mon maître rabbi Chaim Jacov Rottenberg insistait sur la mitsva d'étudier l'Histoire qui permet d'accéder à une ashkafa plus juste.
En l'occurrence, concernant les livres de Flavius, le Gaon de Vilna souhaitait ardemment qu'ils soient traduits comme en témoigne Rav Avraham Sim'ha, le neveu de son élève mouvak (=reb 'Haim) dans sa lettre adressée à R. Kalman Schulman pour la parution de sa traduction de La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe (en 1862). (voir à ce sujet Rav Y.Y. Greenwald dans Letoldot Asanhedrin p.103 et note 30.)
Je souhaitais prendre un peu de temps pour pouvoir agrémenter ma réponse de plus riches informations, mais connaissant personnellement l'auteur de la question (qui attend sa réponse depuis quelques temps), je m'empresse de poster ce message sans prendre le temps de le compléter comme je l'aurais voulu.
Peut-être à une autre occasion je prendrais le temps nécessaire… je regrette déjà maintenant de ne pas prendre le temps de me relire pour corriger les fautes, dommage :)