On peut dire du cantique de Débora qu’il est un poème épique dans lequel les louanges de Hachem voisinent avec des récits de la guerre menée contre Yavin, le roi cananéen, et son général Sissera. Cette guerre, telle qu’elle est relatée dans le chapitre en prose qui précède le cantique, détient toutes les apparences d’une victoire miraculeuse, avec à la fois ses échecs et ses succès.
Mais en même temps, comme par une ironie à peine dissimulée, ce chant de victoire révèle les frictions qui se sont manifestées au sein du peuple hébreu, que ce soit entre Débora et Baraq, ou entre les tribus.
Si celles qui ont opposé Débora et Baraq se sont rapidement effacées (Choftim 4, 6 à 9), celles qui ont séparé certaines tribus ont laissé des traces visibles dans le cantique.
Tandis que Ephraïm, Benjamin, Makhir [descendants cisjordaniens d’un fils de Manassé], Zabulon, Issakhar et Naftali sont couverts d’éloges, Ruben, Guil‘ad [descendants transjordaniens de Makhir], Dan et Achèr sont sévèrement réprimandés par Débora
Ruben est blâmé, car il s’est installé « entre les frontières » du conflit (5, 16), à « écouter le bêlement des troupeaux » dans une pusillanime neutralité, attendant ainsi de pouvoir se rallier à celui qui serait le vainqueur.
Il en va de même (verset 17) pour Guil‘ad, resté prudemment en Transjordanie, et pour Dan, qui a chargé ses fortunes sur des navires, pour le cas où il lui faudrait prendre la fuite (Targoum Yonathan et Rachi). Quant à Aser, il est resté au bord de la mer afin de mieux préserver ses villes (Radaq).
« Maudissez Méroz, a dit l’Ange de Hachem ; maudissez, maudissez ses habitants ! Car ils ne sont pas venus au secours de Hachem, au secours de Hachem, avec les hommes forts » (verset 23) :
Selon Radaq, Méroz était une ville proche du champ de bataille, dont les habitants se seraient tenus à l’écart des combats, d’où la malédiction prononcée par Devora. Mais ceux des localités plus éloignées qui n’ont pas combattu n’avaient pas à être maudits.
Dans son ouvrage Séfèr ha-Berith (« Livre de l’Alliance »), Rabbi Pin‘has Eliyahou Horowitz (Vilna, 1797) définit Méroz comme une planète inhabitée située dans un des mondes spirituels infinis créés par Hachem. La référence à cette planète soulignerait que la bataille décrite ici se serait étendue au-delà des limites de la nôtre. Cette perception, souvent reprise par les cabbalistes, illustre le fait que les actions humaines exercent immanquablement une incidence sur le cosmos.