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Qu'est-ce que la Emouna ? Comment la travaille-t-on ?

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Rav Yehiel Brand
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Question

Concrètement, Rav Brand, qu’est-ce que la Emouna, et comment la travaille-t-on ?


Réponse

Pour l'expliquer convenablement, il faudrait un livre entier. Comme il en existe déjà de nombreux, je vous répondrai uniquement de manière succincte.

1) En français, on traduit généralement le mot Emouna par « la foi » : c'est la conviction de l'homme que ses idées sont justes, basées sur des preuves solides et multiples. En réfléchissant sur certains sujets, en cherchant le comment et le pourquoi des choses, tout en considérant les contradictions apparentes, on émet des hypothèses. On élimine ensuite celles qui paraissent fausses ou mensongères. Celles qui semblent les plus logiques, que le cœur comprend et admet, on y croit. Pour l'homme, cela devient la vérité : le degré de sa conviction, de sa foi, dépend de la force des preuves. Plus elles la corroborent, plus sa foi est forte. Sans preuve convaincante, l'homme doute : en fait, il n'a pas encore la foi. Et s'il suit arbitrairement une opinion sans preuve – comme s'il jouait à pile ou face – cette foi est appelée la « foi du charbonnier » ; ce n'est pas en réalité une « foi ».

2) Il y a des vérités tant dans les sciences « exactes » que dans les sciences humaines ou philosophiques. Dans chacune d'elles se mêlent sentiments et intérêts, et plus particulièrement dans les sciences humaines et philosophiques. En fait, l'homme ne suit pas que la logique pure. Son cœur – c'est-à-dire ses inclinations et ses désirs – intervient et le guide dans le choix de ce qui lui semble vrai.

3) Revenons à votre question : « C’est quoi la Emouna » ? Vous voulez certainement savoir ce qu'est la foi dans le judaïsme. Il ne s'agit pas de la croyance en un point quelconque, mais de ce qui traite de l'essentiel :
a) Quelle est l'origine du monde ?
b) Quelle est l'origine de la Torah que nous étudions et pratiquons ?
La réponse à ces questions précède toutes les autres sagesses :
« Le commencement de la sagesse est la crainte de D.ieu. »

a) Il y a deux cheminements pour « connaître D.ieu ». On observe le monde sous tous ses aspects, jusqu'à parvenir à la conviction de l'existence d'un Créateur. L'hypothèse d'une éventuelle non-existence d'un Créateur est alors vécue comme une absurdité qu'un esprit humain normal devrait complètement récuser. L'organisation merveilleuse du monde révèle la sagesse et la force illimitée d'un Créateur, qui agit avec la plus grande bonté et mansuétude. Une fois cette prise de conscience réalisée, on arrivera à la conclusion que chaque détail de la Création a un but. De même que l'on conçoit qu'un artisan confectionne son œuvre pour qu'elle lui soit utile, on peut déduire que le Créateur attend qu'on Le découvre et qu'on fasse Sa volonté. C'est la voie qui conduisit Avraham à découvrir D-ieu. Il comprit que l'adoration des dieux que pratiquaient les hommes de sa génération n'était absolument pas fondée : leur « foi » n'était pas différente de la « foi du charbonnier », tout comme l'athéisme des temps modernes, qui prétend que le monde est le fruit du hasard.

Pour arriver à cette conclusion – qui implique un engagement de l'homme – et ne pas être aveuglé par les désirs et faiblesses du cœur, Avraham opéra un travail de purification totale (Voir Midrach 'Hazit, Chir Hachirim Rabba 1,58, rapporté dans le Ramban, Chémot 30,23 ; voir aussi Rabbi Elhanan Wasserman, Kovetz Maamarim 1). Cela le mena d'abord à découvrir les sept mitsvot concernant les non-juifs, et ensuite, la Torah entière (Beréchit Rabba 95,3) – les 613 mitsvot, plus celles ajoutées par les Sages (Yoma, 28b). En fait, la vérité dans son intégralité est enfouie dans le cœur de l'homme, et celui qui la cherche de toutes ses forces en supprimant les scories de son cœur, la trouve.

b) Il y a une autre manière de découvrir la Emouna. Elle passe par l'examen de la transmission de la Emouna par des personnes dignes de confiance. Une multitude de témoins – la génération de Moché – ont rencontré D.ieu, ont entendu Sa voix et Ses instructions. Puis, grâce à une chaîne humaine fiable, cette connaissance est arrivée aux générations suivantes. Cette fiabilité est basée sur des considérations des plus solides. En fait, il est absurde de penser que des parents rapporteraient à leurs enfants de faux témoignages d'une telle ampleur, d’autant que les conditions de cette transmission ne laissent aucun doute quant à sa véracité ! Des millions de témoins ont raconté la sortie d'Egypte et leur vie pendant quarante ans dans le désert, avec des propos au-dessus de tout soupçon. Depuis ces événements, des millions de personnes, de génération en génération, respectent le Chabbat, les fêtes, prient, étudient la Torah, mettent les tefillin, portent les tsitsit, fixent des mezouzot, etc. Ils se marient entre eux selon les lois de la Torah. Et ils se connaissaient tous : les tribus ont habité la même terre durant 1 500 ans, trois fois par an, ils montaient ensemble en pèlerinage au Temple, et ils racontaient à leurs enfants ce même récit. Chaque juif possédait son arbre généalogique depuis la génération qui sortit d’Egypte (Divré Hayamim I 9,1). Avant d’être admis pour servir au Temple, chaque Cohen devait apporter un document signé par le tribunal de sa ville, attestant qu’il était bien le fils d’un Cohen, lui-même répertorié dans les annales du Temple comme étant un descendant de Aharon Hacohen. C’est le grand Sanhédrin qui vérifiait chaque Cohen lorsqu'il venait prendre son service pour la première fois (Michna Midot 5,4).
Dans le Temple se trouvaient des registres où figuraient les noms des Cohanim depuis Aharon, ainsi que de tous les Levi'im qui y travaillaient, depuis la génération qui sortit d'Egypte (Divré Hayamim ; Flavius Josèphe dans Contre Apion). Ainsi, le roi David n’admettait aucun soldat dans son armée – composée d'un million trois cent mille hommes – sans connaître sa filiation jusqu'à la génération qui sortit d'Egypte. Et il en allait de même pour toute acceptation dans la "fonction publique" (Kidouchin 76). Ces détails sont exposés dans le Livre Divré Hayamim, où sont consignés des centaines, voire des milliers de noms de Cohanim, de Levi'im et de notables. De la même façon, après le retour des juifs d'exil, aucun Cohen ne put être accepté pour le service dans le deuxième Temple sans apporter un document attestant de sa généalogie (Néhémia 7,64). Cette pratique s’est perpétuée durant toute l'époque du Second Temple, et même les Cohanim de Babylonie s'y soumettaient (Voir Contre Apion).

Ainsi à travers les siècles et les différents pays où les Juifs se retrouvèrent, la Torah a toujours été la même. Les Sifré Torah, lus chaque Chabbat de manière ininterrompue depuis Moché (Baba Kama 82a) partout dans le monde, sont identiques mot pour mot. Les solennités religieuses sont pratiquées partout de la même manière et avec les mêmes significations. Des milliers de Sages ont ainsi étudié et transmis la Torah de génération en génération, et le juif commun n’était pas dépourvu non plus de cette connaissance. Tout le peuple en est témoin, ainsi que d'innombrables personnes extérieures à lui. Les juifs connaissent parfaitement leurs pérégrinations à travers les pays, et tous nos voisins nous reconnaissaient comme le peuple qui accomplit la Tora.

La Tora et le Nakh contiennent des milliers de dates, lieux, personnes célèbres et événements grandioses qui se sont déroulés durant des milliers d’années, devant le peuple. Ces informations si précises empêchent toutes velléités d'une remise en question des vérités qui fondent la foi du peuple juif.

La Torah formule des accusations graves contre le peuple juif du fait de ses fautes – et cela même à l'encontre de leurs guides les plus exceptionnels ! Ces critiques sont d'une extrême gravité, car elles émanent de D.ieu Lui-même ! De plus, la Tora et les Livres des prophètes contiennent les pires avertissements contre le peuple juif dans le cas où il transgresserait la Tora. Et pourtant, le peuple a transmis, étudié et chéri ces Livres ! Si les Bné Israël n'ont pas supprimé les invectives de D.ieu à leur égard, c'est bien du fait qu'ils ne pouvaient pas le faire, ayant juré de ne jamais changer le moindre iota du Texte dicté par D.ieu ! Quiconque osant supprimer quoi que ce soit se serait fait sans doute lapider ou tout au moins exclure de la communauté avec la plus grande vigueur. La transmission fidèle des textes et des mitsvot a toujours été la chose la plus sainte pour Israël. Les juifs les connaissent parfaitement : ils les ont reçus dans une écriture et une langue compréhensible par tout un chacun, une langue qui n'a jamais changé depuis plus de trois mille ans.

La Tora comporte les réponses aux questions essentielles et existentielles qui se posent à l'humanité, et elle présente une morale et une philosophie juste. Les plus grands génies en Torah – et il ne fait aucun doute que le peuple juif a produit durant toutes les époques d'innombrables et véritables génies en Torah – en ont analysé chaque lettre et chaque « virgule ». Ils ont trouvé, et y trouvent toujours et encore, des enseignements fabuleux.
La Tora énonce une multitude de prophéties, de manière explicite ainsi que sous forme d'allusions. Certaines prophéties bien que semblant peu probables se sont réalisées à la surprise de tous, et je n'en citerai que deux :

a) La Tora annonce que le peuple juif sera disséminé à travers le monde et persécuté. Mais miraculeusement, il survivra, la Tora ne sera jamais oubliée du peuple et sera toujours pratiquée. On met d’ailleurs, à raison ou à tort, dans la bouche de Blaise Pascal cette réponse au roi qui lui avait demandé : "Quelle preuve m'apportez-vous que D.ieu intervient dans l'Histoire ? – Les juifs, votre Majesté, l'existence et la survie du peuple juif à travers l'Histoire !"

b) La Tora affirme que viendra le jour où les juifs retourneront sur leur terre (Devarim 30, 3). Le prophète précise comment ils y bâtiront les villes détruites depuis longtemps, et vivront dans un pays ouvert, entourés d'ennemis (Yéhezkel 36-39). Nous sommes tous témoins de cette réalisation inattendue, et extraordinaire sur plusieurs plans. Tous observent les efforts ahurissants et obsessionnels de nombreux peuples et nations pour détruire cet Etat, sans résultat. On ne peut que rester perplexes, et ressentir une profonde admiration pour cette promesse de la Torah, ainsi que pour la suprématie de Celui qui l'a donné aux juifs, et qui régit le monde.

Bien que certains cherchent à tout prix à ébranler la Emouna, en formulant des critiques virulentes, en réalité, ces critiques ne sont pas fondées. Il suffit de connaitre convenablement le judaïsme, ses textes et son Histoire pour constater la fausseté de ces accusations. Pour qu’il ne reste aucun doute dans le cœur du croyant, il convient d'analyser l'argumentation émise contre la Torah. Un regard critique et averti permet de constater qu'il s'agit d'une hypercritique abêtie, provenant de la mauvaise foi de ceux qui tentent de discréditer le judaïsme.

On pourrait longuement sur le sujet. Pour ma part, je vous envoie ce texte tel quel, et vous pourrez vous documenter davantage. Voici quelques livres traitant de ce theme :
"Vers les hauteurs du Sinaï" de Mordekhaï Neugroeschel
"Jeunesse, réjouis-toi" de Rabbi Avigdor Miller
"Sefer Haberit" de rabbi Pinhas Elyahou de Vilna (2ème partie, le passage Derèkh Emouna), en dehors du fameux "Emounot veDéot" de Rabbenou Sa'adia Gaon.
L'organisation Ara'him à Jérusalem est aussi une excellente adresse pour celui qui désire approfondir ce sujet.

Je reste à votre disposition pour d'éventuelles questions et clarifications.
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