À
S.S.G:
Désolé de ne pas avoir rencontré votre question plus tôt, mais je me permets de vous faire remarquer que si vous la posez sur le « forum d'internautes », elle n'est pas adressée (a priori) aux répondeurs attitrés du site.
Dans le cas où vous souhaiteriez obtenir une réponse de ces derniers, veillez à poster votre question sur un des autres forums proposés.
Je vous cite:
Citation:
D'où vient la "légende" a propos du fait de siffler ou siffloter ?
Est-ce vraiment interdit ou déconseillé, ou bien ça vient plutôt d'une superstition goy ?
Rav Méir Mazouz dans
Mekor Neeman (§445) écrit qu'il ne sied pas à un ben torah de siffler et il cite que
Rav Nissan Pinson (« LE » shalia'h 'habad de Tunis pendant des décennies, décédé en décembre 2007) qui reprochait - aux élèves de son école qu'il entendait siffler- cette conduite qui « éveille les jugements célestes» (shéshrika meoréret dinim).
C'est aussi l'enseignement qui m'a été transmis étant enfant à l'école, siffler ne sied pas à un ben torah, c'est vulgaire et ça contribue à lier le siffleur à la « sitra a'hra », à attirer les démons… etc.
[L'idée d’attirer les démons par un sifflement, voire par un sifflement « dans la maison », est une superstition musulmane qui est certainement un peu passée aussi chez les juifs des pays arabes.
Son origine est tout autant mystérieuse, mais elle pourrait trouver source à partir du verset 35 de la 8ème sourate du Coran qui parle des mécréants « Et leur prière auprès de la maison, n'est que sifflement et battement de mains ».
Le sifflement serait donc mal vu.
Pourtant mon maître en question était bien ashkenaze, mais il n'est pas impossible qu'en Russie aussi cette superstition ait gagné du terrain et je crois qu'elle se retrouve chez des catholiques même en France avec des variantes.]
Le maître en voulait pour preuve le fait que ce terme n'apparaissait pas une seule fois dans toute la
Bible.
Je trouvais déjà à l'époque cet argument fort peu convaincant mais je me gardais - par respect - de lui demander si blaguer devait être interdit au même titre
(étant donné que ce verbe - blaguer - ne se trouve pas dans la Bible).
Sachant que ce terme
siffler apparait réellement dans la
Bible, je comprenais qu'il ne fallait pas trop miser sur cet argument.
Nous trouvons deux fois le verbe siffler dans
Eikha II, 15 et 17 (que nous rencontrons chaque année le 9 Av) (
kol ovrei dérekh sharkou - kol oyvaïkh sharkou).
À l'époque, le sifflement se pratiquait surtout en marque de consternation ou de satisfaction (comme un ricanement) face à une destruction ou une défaite, c'est pourquoi on le retrouve souvent dans
Eikha et
Yirmiya qui parlent de la destruction de Jérusalem.
(
Au passage: c'est probablement lié au fait que siffler serait un mauvais présage, car c'est un son qui rappelle de mauvais souvenirs.)
Voir dans
Yirmiya (XVIII, 16) et (XIX, 8) et (XXV, 9 et 18) et (IL, 17) et (L, 13) et (LI, 37).
Et aussi dans
Melakhim 1 (IX, 8).
Voir le
Rashi (ad loc.) qui traduit bien ce terme par « siffler » en français et qui explique que c'est l’habitude de siffler lorsqu'on voit un
'horban, une « destruction » ou des ruines d'un endroit que l'on a connu en état construit.
Voir encore:
Rashi Yirmiya (XVIII, 16),
Metsoudat Tsion sur melakhim 1 (IX, 8),
Metsoudat David sur Yirmiya (IL, 17) et (LI, 37),
Metsoudat David sur Ye'hezkel (XXVII, 36).
Voir encore dans les versets de
Yeshaya (V, 26),
Ye'hezkel (XXVII, 36),
Iyov (XXVII, 23),
Tsefania (II, 15),
Mikha (VI, 16)
et Divrei Hayamim 2 (XXIX, 8).
Voir aussi
Bereshit III, 15 ce qu'écrit
Rashi.
Et que dire des versets comme ceux de
Yeshaya (VII, 18) et
Zekharia (X, 8) où c'est D.ieu Lui-même qui siffle ?
Pas très compatible avec l'idée de se lier à la sitra a'hra…
Voir aussi Otsar Hamidrashim (Eisenstein) p.552 et 556
J'ai vu que
Rav Greenblatt aussi, dans son
Rivevot Ephraïm (VIII, §604, 4) répond à celui qui lui demande « quelle est la source qui indique que siffler attire les démons », que son maître à l'école aussi lui avait dit qu'il est « interdit de siffler », mais qu'il n'en connait aucune source dans nos textes.
Il aurait pu - je trouve - lui indiquer le
Tiféret Israel dans
Hilkheta Guevirta sur Shabbat (perek XII, fin de mishna 1) qui écrivait déjà «
oumoutar leshorer bepé, veafilou betsiftsouf –pfeifen, venaagou lehizaher mizé afilou be'hol ».
C'est, il me semble, une des plus anciennes (voire la plus ancienne) sources qui mentionne cette idée.
Je me permets aussi un certain scepticisme quant à cette hashkafa car nous trouvons dans différents sfarim des écrits qui indiquent que leurs auteurs n'avaient pas entendu parler de cet « interdit ».
Le
Aroukh Hashoul'han (O"H §316, 37) et (§338, 7) ne semble pas au courant d'un problème lié au fait de siffler
(et même durant shabbat).
Le Rama (O"H §338, 1) non plus.
D'ailleurs le
'Hida dans
Ma'hzik Brakha (§338, 1) signale que c'est l'habitude de « rabanim saints et pieux » de siffler des airs de musique et il ne leur reproche aucunement cette habitude sous prétexte qu'elle « éveillerait les jugements » comme le reprochait
rav Pinson à ses élèves, ni que cela ne sied pas à un ben torah (et a fortiori à un saint et pieux rabbin !) comme le pense
Rav Mazouz.
Selon
rav 'Houna,- il semblerait même que ces cohanim étaient supposés siffler en plein Yom Kipour en plein Beth Hamikdash si le cohen Gadol venait à somnoler (la nuit), voir le
Talmud Yeroushalmi sur Yoma (I, 7, daf 7b).
À moins qu'il faille comprendre ce texte comme dans
Shkalim (V, 1, daf 22a ou 14a en pagination du Bavli) où le fait de mettre un doigt en bouche permet de donner une certaine résonnance à sa voix (malgré qu'il ne s'agisse pas du même doigt dans ces deux textes).
Et ce texte de
Shkalim ne semble pas vouloir parler de sifflement, comme on le comprendra de sa version légèrement différente en
Yoma (38b) (dans le Bavli).
Je précise toutefois au passage que
rav David Schferber dans son
Shout Afarkasta deania (I, §87) a compris qu'il s'agissait bien d'une sorte de sifflement.
Selon lui, il n'y avait donc pas de problème à siffler en plein beth Hamikdash le jour de Yom Kipour.
Tout ceci pour dire qu'il semble impératif d'établir une distinction entre un sifflement strident et bruyant visant à appeler quelqu'un (qui ne correspondrait pas au comportement d'un ben torah, d'une personne éduquée) et un sifflement musical (qui serait acceptable même pour un grand tsadik).
Et encore, à partir de nombreuses sources, on comprend que même siffler pour appeler quelqu'un ne pose aucun problème.
On trouve même dans le
Tsits Eliezer (XVII, §16) qu'il se demande s'il est permis de siffler pendant shabat pour retrouver son porte-clés !
Il s'agît bien du sifflement « pour appeler » et ça ne pose pas problème, les problèmes soulevés étant seulement ceux liés au shabat.
D'ailleurs j'ai mentionné plus haut des versets bibliques où l'action de siffler « pour appeler » est attribuée à D.ieu, voir encore ce qu'écrit le
Radak dans
Zekharia (X, 8). Et le
Rama (O"H §338, 1) parle bien de siffler pour appeler quelqu"un.
Toutefois, on n'a pas besoin d'un interdit explicite pour comprendre que dans certaines situations, certains sifflements ne sont pas compatibles avec la tenue et l'éducation d'un ben torah (=d'une personne éduquée).
Rav Schwadron a laissé des notes indiquant qu'étant jeune, il avait reproché à un autre élève de la yeshiva ses sifflements durant shabbat.
Ce dernier lui rétorqua qu'il n'y a aucun interdit et qu'il n'avait qu'à demander au
'Hazon Ish.
Intrigué, le jeune
Rav Schwadron alla consulter le
'Hazon Ish à Bnei Brak à ce sujet
(siffler le shabbat ou siffler tout court ? on ne sait pas, ce n'est pas très clair) et le
'Hazon Ish lui aurait répondu qu'il y a des domaines dans lesquels on ne peut pas parler de « assour » et « moutar », il faut ressentir…
(cité dans
Maassei Ish tome 1, p.168)
Ce qui semble aussi indiquer qu'il n'y a pas toujours un problème dans le fait de siffler. Tout dépendra de la situation et du sifflement, il faut avoir assez de finesse de perception pour savoir distinguer entre les sifflements.
Ceci ne correspond malgré tout pas aux écrits des rabanim contemporains qui semblent voir systématiquement d'un mauvais œil tout sifflement, sans distinction aucune.
Pour en citer un parmi des centaines, le
Arikhat Shoul'han Yalkout 'Haim (O"H IV, p.198) qui écrit que le
Shtilei Zeitim a supprimé la note du
Rama dans le
Shoul'han Aroukh qui permet de siffler
[je ne sais pas trop de quoi il parle car dans l'édition du Shoul'han Aroukh avec le Shtilei Zeitim (Jérusalem 1895), la note du Rama n'a pas été retirée, elle est bien à sa place en daf 149a] car il considérait justement qu'il ne convient pas de siffler.
Par contre, nous trouvons aussi l'inverse, le dernier
rabbi de Loubavitsh attachait une certaine importance à siffler ! et pas discrètement, mais avec les doigts dans la bouche comme il se doit, en encourageant ses 'hassidim à l'imiter.
Il y a une photo connue du
rabbi de Loubavitsh, prise le 10 octobre 1975 (vend. 5 'heshvan) où l'on peut le voir avec deux doigts en bouche en train de siffler.
Bien entendu, ses nombreux détracteurs n'ont pas manqué cette occasion de le railler, parmi eux et en premier plan les 'hassidim de
Satmar.
Un 'hassid anglais a publié un recueil d'oppositions et de critiques contre le
rabbi de Loubavitsh sous le titre de
Al hatorah veal hatemoura (London 1992), dans lequel on trouve cette photo en
page 136.
Il faut noter que le rabbi a répété cet acte insolite à quelques reprises, l'une d'elles est même consignée dans
Torat Mena'hem – hitvaadouyot 5752, tome 1 p.409.
Voir aussi
Torat Mena’hem 5723, tome 1 p.221 (et suiv.) et p.255
Toujours est-il qu'il est certain que le
Rabbi de 'habad ne considérait pas que siffler « attire les démons » ou « ne sied pas à un ben torah ».
(Et il y a de quoi rester perplexe concernant la réaction de
Rav Pinson qui semblait critiquer la conduite de son Rabbi. Cependant ce témoignage de
Rav Mazouz date probablement d'une époque où le
Rabbi n'avait pas encore "lancé cette mode"...)
(voir encore – pour la période
avant ce rabbi-
Likoutei Dibourim 1-2 p.31).
Pour conclure, je dirais donc en réponse à votre question:
Citation:
Est-ce vraiment interdit ou déconseillé, ou bien ça vient plutôt d'une superstition goy ?
Que ce n'est pas
(forcément) une superstition emprunté aux goyim et que selon certains il y a une superstition juive qui nous met en garde contre le fait de siffloter, d'autres soutiennent que le problème est du domaine du cartésien et beaucoup plus terre à terre; siffler serait perçu comme vulgaire.
Et enfin, il y a les
Loubavitsh qui - au contraire - considèrent que siffler peut être considéré comme un accélérateur de Gueoula (bien entendu, uniquement lorsque la situation s'y prête).
Personnellement, je souscris à l'opinion qui y voit une conduite vulgaire et indécente, toutefois en la relativisant et en l'adaptant à chaque situation.
Ainsi, généralement, siffloter un air de musique ne saurait être concerné.