Citation:
Pouvez-vous m'expliquer précisément ce qu'est le Héter Méa Rabanim de Rabenou Gershom ?
J'ai lu un peu à ce sujet, mais je ne sais pas où je pourrais chercher dans les sfarim.
De plus, j'ai lu qu'un cas récent était arrivé en la personne du Rav Malkiel Kotler Shlita (cas assez intéressant). En tant qu'ancien de Lakewood, pouvez-vous m'en dire plus ?
Le Heiter Méa Rabbanim est une sorte de clause d'annulation ou de possibilité d'annulation du 'Herem de Rabénou Guershom interdisant la polygamie.
C-à-d que lorsque le synode de rabbins accompagnant ledit
Rabénou Guershom (qui était à leur tête dans cette Takana) a promulgué cet interdit assorti d’un ‘Herem à l’encontre de tout contrevenant, il a été prévu qu'il puisse y avoir des cas extraordinaires pour lesquels il conviendrait d’annuler l’interdit à titre exceptionnel.
Ainsi, une clause indiquait qu’en « cas de besoin », il serait possible d’émettre une dérogation si 100 Rabbanim d’au moins 3 pays distincts s’accordaient à considérer un cas précis comme étant exceptionnel et nécessitant une dérogation.
Certaines autorités considèrent que la condition des trois pays distincts ne serait pas indispensable pour des cas dits « classiques » comme celui dont l’épouse a perdu la raison (et de ce fait, n’est pas en état de recevoir son Guet, on autoriserait donc le mari à en épouser une seconde sans avoir divorcer de la première, si 100 Rabbanim donnent leur accord, même s’ils sont d’un même pays) [cf.
Hag. Ashéri Yevamot XIV, 1].
Il y a toutes sortes de discussions sur la qualité de ces 100 rabbins ; peut-on se contenter de 100 juifs [comme il semble ressortir des mots du
Maharam de Rothenburg (Shout IV, §1022), cf.
Mordekhai Yevamot (§108)], ou bien faut-il 100 rabbins de communauté ou au moins des rabbanim « Morei Horaa » ou du moins aptes à l’être, ainsi qu’à être Messader Kidoushin [cf.
Shoel Oumeshiv (III, 1, §73), Netsiv (Meshiv Davar IV, §7), Noda Biyehouda (I, E’’H §3), ‘Hatam Sofer (E’’H 1, §4)].
Certains se contenteront de Talmidei ‘Hakhamim qui comprennent les Svarot et les raisons du Heiter [cf.
Shout Binian Olam (§3, 3)].
On acceptera aussi des rabbanim ayant des liens de parenté entre eux ou avec l’intéressé (et l’intéressée) [cf.
Beit Its’hak (§8), Tsvi Tiféret (§5), ‘Havalim Banéimim (II, §78)], mais certains s’y opposent [
Shout Gour Arié yehouda (§22)].
Il n’est pas si évident pour tous qu’il faille absolument avoir recours au Heiter de 100 Rabbanim de nos jours en raison de différents paramètres et de différentes Shitot, car l’application même du ‘Herem à notre époque ne fait pas l’unanimité pour tous les cas et toutes les personnes.
Pour en savoir plus, reportez-vous au cours que j’ai donné sur ce sujet que vous trouverez ici :
https://www.centre-alef.fr/la-polygamie/
voyez aussi éventuellement ceci :
https://www.techouvot.com/cours_sur_la_polygamie_et_modernisation_du_judaisme-vt17985.html
Concernant le recours à ce Heiter pour
Rav Malkiel Kotler, c’est en effet le cas qui a fait le plus de bruit dans les 40 dernières années, en raison du prestige des deux familles concernées.
Rav Malkiel, fils de
Reb Shnéur Kotler -fils de
Rav Aharon Kotler, lui-même gendre de
Reb Isser Zalman Meltzer, était marié avec la fille de
Rav Ye’hiel Mikhel Feinstein, lui-même gendre du
Brisker Rov qui était fils de
Reb ‘Haim Soloveitchik, fils du
Beit Halévy.
C’est du très lourd dans le monde rabbinique lituanien.
Rav Malkiel et Madame (=
Hinda Feinstein) se sont mariés vers 1972 et en 1982, au décès de
Reb Shnéur Kotler, après dix ans de mariage, ils n’avaient toujours pas d’enfants.
Rav Malkiel voulait hériter du poste de son père, Rosh Yeshiva de Lakewood, qui lui était décerné d’office dès la Levaya (par
Rav Shakh et d’autres).
Mais pour cela, il fallait aller habiter sur place aux Etats-Unis.
La
Rabbanit Kotler, en digne petite-fille du
Brisker Rov a refusé de sortir d’Erets Israel.
Comme ça n’était de toute façon pas la joie entre eux,
Rav Kotler proposa à son épouse de divorcer, celle-ci refusa, encore pour des raisons de Briskers qui trouvent des complications et subtilités dans la Kashrout d’un Guet.
Je ne connais pas les détails halakhiques des complications typiquement "Brisk" dans la réalisation d'un Guet, mais chez Brisk, ça ne rigole pas et lorsqu'il y a un Safek Halakhique on ne s'arrange pas avec la Halakha.
Rav Kotler ne se voyant pas subir ce mariage malheureux toute sa vie et rater l’occasion de prendre la place de son défunt père, fit une demande de Heiter Méa Rabbanim et sa requête fut reçue très favorablement dans le monde rabbinique qui comprenait la difficulté de sa situation.
Parmi les 100 signataires, il ne manque pas d’illustres personnages, comme
Rav Shakh en personne. (Lorsque j'habitais Lakewood, j'ai vu la photocopie du document avec les signatures des Rabbanim.)
Mais il y a eu des Rabbanim qui se sont opposés et ont considéré qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser le ‘Hérem dans ce cas, c’est, il me semble, le cas de
Reb Berl Powarsky (actuel Rosh yeshiva de Ponovez) et d'une quantité de Rabbanim de Brisk.
Vous imaginez les tensions que ces prises de position ont engendré dans le monde rabbinique (et ce n’est pas totalement terminé...).
Et quel affront pour le
Rav Feinstein qui était un des Gueonim de la génération, neveu de
rav Moshé Feinstein -dont le père
(grand-père de R. Ye'hiel Mikhel) s'était occupé de lui et l'avait pris en charge lorsqu'il était orphelin à sept ans
(suite au décès de son fils, frère de Rav Moshé, père de Rav Ye'hiel Mikhel). C'était donc le cousin de
Reb Dovid Feinstein, mais plus proche de l'âge de son père,
Reb Moshé.
Rav Kotler a gentiment déposé un Guet au nom de son épouse au Beit Din de Jérusalem, il l’y attend depuis 35 ans. Elle n’a pas daigné en prendre possession, ce qui fait qu’Halakhiquement parlant, ils sont encore mariés.
Mais il a épousé (en 1985 ou 86) une seconde femme avec qui il vit aujourd’hui, à Lakewood et ils ont eu plusieurs enfants
(qui ont dû grandir depuis le temps, quand j’y pense !).
C'était une histoire terrible et
Rav Kotler est encore mal vu par certains, estimant qu'il transgresse la Halakha en pratiquant la bigamie illégalement et qu'il est responsable d'un autre crime, bien entendu, celui d'abandon du foyer conjugal, faisant de la fille du
Rav Ye'hiel Mikhel Feinstein, petite fille du
Brisker Rov, son épouse légitime, une Agouna.
Elle est toujours "Agouna" en Israël et son père est décédé en 2003 à un âge très avancé (vers 95 ou 96 ans).
Il y a eu bien d’autres cas de Heiter Méa Rabbanim, mais ils ont été nettement moins médiatisés.
Il y a eu un cas plus récent, pour un Rav parisien, dont l’épouse n’était pas en état de recevoir son Guet et il en a épousé une deuxième suite à un Heiter Méa Rabbanim.