Citation:
Pourriez-vous m'expliquer ce que le Gra dit au chapitre 9: " (…) Et mieux vaut qu'il ne prie pas du tout" même chabbat à cause du Lachon Ara.
- Comment cela coïncide-t-il avec la Halaha ?
( Cela ne rentre même pas dans le Guéder de Mitsva Abaha Mi'avéra … )
- Pourquoi ne pas au moins dire de prier seul chez soi chabbat ( il semble du langage qu'il dit qu'il ne faille pas "prier du tout" chabbat, et la différence de formulation avec la prière de la semaine l'étayera ) ?
Vous écrivez :
Citation:
il semble du langage qu'il dit qu'il ne faille pas "prier du tout" chabbat, et la différence de formulation avec la prière de la semaine l'étayera
vous faites référence à cette phrase :
ויותר טוב להתפלל בבית כי בבהכ"נ א"א להינצל מקנאה ולשמוע דברים בטלים ולשה"ר. ונענשין ע"ז... וכ"ש בשבת ויו"ט שמתאספין לדבר, יותר טוב שלא תתפלל כלל
Il n’y dit pas qu’il faille ne pas prier, mais qu’il serait
préférable de ne pas prier
(=mais si on peut le faire à la maison, pourquoi pas ?).
En effet, les interdits qu’entraîne
(ou: que peut entraîner) la fréquentation de la synagogue ont été considérés par le
Gaon comme des péchés bien plus graves que celui de ne pas prier du tout.
Il faut noter qu’il parle pour une femme -qui n’a pas vraiment de nécessité religieuse d’aller à la synagogue, surtout si elle y sera amenée à parler Dvarim Betélim pendant les offices, ou pire encore dire du Lashon Hara, développer de mauvaises Midot comme la Kina etc. (cf. tout ce que le
Gaon cite dans sa lettre).
L’obligation même de prier pour une femme reste sujette à discussion, selon certains elle peut se contenter d’une petite prière très très courte, surtout si elle a des enfants dont elle doit s’occuper
[ce qui était le cas pour Mme Kremer, l’épouse du Gaon de Vilna à qui est adressée cette lettre (il y a des divergences d’opinion sur la datation de cette Igueret et de la Aliya échouée du Gaon, selon certains c’était vers 1782, il avait 62 ans, mais le texte lui-même indique qu’il avait encore sa mère vivante, qu’il avait fils et filles à la maison et qu’il n’avait qu’une seule fille mariée, ce qui correspondrait plutôt à l'opinion de ceux qui en fixe la date à 15 ou 20 ans plus tôt)].
Si elle est dispensée de réciter la prière selon le Nossa’h établi en raison de son rôle de maman, à plus forte raison devrait-elle en être dispensée de la faire si cela entraîne des péchés…
La différence qu’il met dans ses mots entre shabbat et la semaine, c’est que pour la semaine il n’a pas ajouté qu’il serait préférable de ne pas prier, il dit juste de ne pas aller à la synagogue.
Je pense que c’est dû au fait que durant la semaine, la Ezrat Nashim ne devait pas afficher salle comble et les inquiétudes du
Gaon restaient au stade d’inquiétudes, de « possibilité » de fauter. Alors qu’à Shabbat, il devait y avoir plus de femmes et il devait considérer la fréquentation de la Shul comme beaucoup plus nocive.
Voilà pourquoi il l'a mise en garde en ajoutant qu’il serait même préférable de ne pas prier du tout que d’aller à la synagogue.
Comme cette lettre du
Gaon a été mentionnée, je trouve nécessaire de pointer quelques précisions afin de relativiser ces propos et ne pas les appliquer aveuglément et sans discernement.
Tout d’abord ce qui est dit concerne les femmes seulement et comme on l’a dit, elles n’ont aucune nécessité religieuse d’aller à la synagogue.
[Certains veulent dire qu’il le faudrait quand même pour écouter parshat Zakhor, mais ce n’est pas unanime et la majeure partie de nos grands-mères n’allaient pas écouter parshat Zakhor -en se basant sur les opinions les en dispensant.
Et je ne parle pas de la nouvelle coutume indiquant aux femmes d’aller écouter les dix commandements, comme si c’en était un onzième. « Minhag » pratiqué par quasiment aucune de nos ancêtres et qui n’a pas de base halakhique sérieuse.
De nos jours, Halakhiquement, les femmes doivent tout de même aller à la synagogue pour écouter le Shofar à Rosh Hashana et la Meguila à Pourim, ce qui peut se faire chez soi si l’on dispose du nécessaire et ça se faisait plus fréquemment à la maison à l’époque du Gaon.]
A part cela, il y a -ou il peut y avoir- plusieurs différences (portant à conséquence) entre son époque et la nôtre :
1) Il se peut que la Ezrat Nashim de son époque/pays était un repère de commérages plus que dans certaines synagogues d’aujourd’hui où les femmes -à défaut d’être forcément plus respectueuses de l’endroit- seraient moins en besoin de se défouler, le faisant ailleurs et à d’autres moments.
A l’époque
(et dans ces milieux) il n’y avait pas forcément beaucoup de divertissements, personne n’allait se faire des sorties, ni restaurants, ni cinémas, ni théâtres, ni voyages, ni rien.
Les occasions de se retrouver entre copines en semaine pour papoter étaient relativement restreintes
(mais pas nulles) et le meilleur moment pour bien discuter
(surtout à une époque sans téléphone) restait la synagogue le samedi où il n’y avait rien à faire, ni travail, ni courses, ni cuisine, ni ménage.
Bref, il est possible que la Ezrat Nashim en Lituanie au XVIIIème siècle était moins fréquentable que certaines synagogues d’aujourd’hui.
(Pour les hommes, ils se rencontraient plus souvent au Beit Hamidrash et se voyaient aussi en semaine à la synagogue, ce qui fait qu’ils avaient moins de choses à se dire le samedi.)
2) Les femmes sachant lire (l’hébreu) étaient plus rares qu’aujourd’hui
(et les sidourim en phonétique avec traduction linéaire aussi), de telle sorte que les bavardages étaient quasiment inévitables chez les femmes, alors que les hommes -au contraire, savaient généralement tous lire et prier, ils étaient donc occupés à prier et parlaient moins que les femmes
(ce qui n’est plus forcément le cas aujourd’hui où nous avons parfois des hommes ne sachant pas lire l’hébreu et des femmes lisant aisément et connaissant les prières).
Aussi, il y a le sempiternel argument féminin pour justifier les bavardages de Ezrat Nashim : «
on n’entend rien à la prière, on ne peut pas suivre, c’est pour ça que ça parle ». De nos jours cet argument est souvent avancé pour expliquer les bavardages très dérangeants lors des discours dans les mariages / Bar Mitsva ; les femmes n’entendent pas bien ce que dit le petit Bar Mitsva et donc elles discutent.
3) et enfin, de nos jours, dans nos communautés françaises composées majoritairement de Baalei Tshouva, les fidèles n’ont pas eu d’éducation religieuse poussée depuis leur jeunesse et ont un réel besoin de fréquenter une synagogue et une communauté pour se rattacher au judaïsme et être « en contact » avec la Torah.
Ce qui n’était pas le cas il y a 250 ans en Lituanie (et ailleurs) où les juifs étaient pratiquants par transmission, de génération en génération et chaque juif/juive avait grandi dans un foyer « au courant » des traditions et coutumes.
Ainsi, la fréquentation de la synagogue du mari (ou père) suffisait à l’épouse (ou fille) pour pratiquer un judaïsme vivant et réel.
Les femmes avaient beaucoup moins besoin de fréquenter les offices à la synagogue qu’aujourd’hui.
De nos jours, de nombreuses femmes ressentent le besoin spirituel d’aller à la synagogue pour se ressourcer, pour se connecter au divin, surtout dans les milieux moins pratiquants et dans les familles de Baalei Tshouva.
Même les femmes de familles religieuses ont besoin de se retrouver entre copines, surtout lorsqu’elles travaillent en milieu non-juif toute la semaine.
Par conséquent, je ne pense pas que la lettre du
Gaon de Vilna soit entièrement d’actualité, je ne pense pas que le
Gaon aurait été aussi catégorique pour interdire aux femmes la synagogue aujourd’hui.
A son époque il n’y avait pas vraiment de besoin spirituel, une femme n’allant jamais à la synagogue était et restait très juive.
De nos jours, une femme (comme un homme) n’allant jamais à la synagogue peut perdre tout son judaïsme
(tout en restant juive au niveau halakhique, on se comprend).
Et comme les femmes savent lire et prier, une femme qui souhaite aller à la synagogue en évitant les péchés auxquels pensait le
Gaon, peut le faire.