Voici à présent mon second message :
A
Aralé:
Citation:
Merci pour votre explication. En tant que personne âgée j'adhère à votre explication (toutes proportions gardées avec des Talmidé Hahamim).
Avec l'âge se crée un décalage entre les générations: les mentalités diffèrent, les jeunes ont les problèmes de leur génération, une vie différente de celle qu'ont connue les Talmidé Hahamim âgés etc.
J'aimerais avoir votre avis sur un point: comment font les Talmidé Hahamim âgés pour surmonter ce point lorsqu'ils traitent avec des jeunes. Avez-vous des exemples précis ?
Le décalage de mentalité des générations reste -d’une certaine manière, insurmontable.
Un vieux Talmid ‘hakham ne peut pas « vraiment » comprendre et ressentir ce qui se passe dans la tête d’un jeune adolescent dont la structure mentale a été partiellement sculptée par l’esprit du temps et la culture ambiante.
Plusieurs aspects concourent à cela et s’additionnent pour compliquer ce rapport et cette compréhension que l’on pourrait souhaiter :
-l’âge (même un vieux monsieur totalement Am Haarets ou non-juif, ne comprend pas bien « les jeunes »)
-la maturité (surtout celle acquise par des sujets Hashkafiques et des études de psychologie/philosophie/moussar ou tout ce qui a trait à la sagesse)
-la mentalité liée au pays d’origine ; c’est un point particulier à notre génération, depuis le XXème siècle et surtout depuis la guerre : les vieux rabbanim sont souvent nés dans un autre pays, les Gdolim d’Israël ne sont pas des sabras, ils viennent de Lituanie ou autres pays lointains et servent de rabbanim référents pour un Tsibour israélien (ou français etc.) qui n’a rien à voir avec eux au niveau de la mentalité (je veux dire même s’ils avaient le même âge), celui qui est né en Lituanie au XIXème s. ou au début du XXème siècle a grandi dans un monde vraiment différent de l’israélien ou du français classique. Ce point supplémentaire est en voie de disparition.
-l’évolution des mœurs et de la société (même dans un seul et même pays). Les vieux rabbanim ne sont pas au fait en informatique etc. et ne pénètrent pas réellement le monde intellectuel d’un jeune adolescent écervelé où se côtoient des histoires et notions propres aux réseaux sociaux, à la téléphonie mobile, aux jeux d’ordinateur etc.
(je n’y connais rien non plus, mais j’ai compris qu’il s’y passe des choses qui n’existent pas ailleurs ברוך שפטרני מעונשם של אלו כהמג"א ודלא כלבוש) des tas de choses qui n’existaient pas il y a à peine 30 ans.
Une fois, quelqu’un est venu demander à
Rav Shlomo Zalman Auerbach (dans les années 80 je crois) si le fromage de la pizza peut être vu comme ce que la Halakha appelle un fromage « dur ». La réponse a été : « c’est quoi une pizza ? »
Pas qu’il soit capital de connaître les différentes pizzas ni les jeux d’ordinateur et autres broutilles des jeunes pour pouvoir être un Possek et un Rav, mais chaque élément de vie joue et contribue à la mentalité locale et cette dernière a une valeur même dans le monde de la Halakha et du Psak. [cf.
Rambam (Hil. Deot VI, 1) qui écrit que l’homme est naturellement influlencé par son entourage… Le Rav local subira donc une influence « locale » et adaptée à sa ville/son pays, il comprendra le besoin spirituel du Psak adapté à sa Kehila -d’un certain point de vue- mieux que quiconque.]
Ce n’est pas pour rien qu’il y a une notion de Mara Deatra, de Minhag Hamakom dans un Psak Halakha ; dans tel endroit on tranche comme tel possek et dans tel autre endroit comme un autre possek.
Pourtant, si le « Emet » est comme l’un des deux, l’autre endroit serait dans l’erreur. L’idée est qu’il y a (en fin, qu’il PEUT y avoir) un Psak adapté à chaque endroit, chaque ville/Kehila en fonction de sa mentalité, de ses particularités, voilà pourquoi on ne doit pas imposer les Psakim d’ailleurs à une communauté dont le Rav tranche autrement.
(Attention : si le Rav lui-même estime que le psak du rabbin éloigné est adapté à sa ville, bien entendu, il peut décider de le suivre, mais c’est une décision qui relève de la compétence du Rav local, un psak ne s’exporte pas -contrairement à ce que les Amei Haarets veulent faire aujourd’hui en « important » de force des Psakim de rabbanim israéliens en France. Avant -il y a encore à peine un siècle- ça ne venait pas à l’esprit, on n’était pas rapidement au courant de ce qui se passait dans les autres pays, il n’y avait ni téléphone ni internet…).
L’omniprésence des Psakim de rabbanim étrangers (surtout en Europe), est un phénomène nouveau.
Avoir recours à un Rav lointain existait déjà avant guerre, mais c’était l’apanage exclusif du Rav local ; lorsqu’il sentait le besoin de prendre conseil auprès d’une autorité, il lui envoyait une lettre.
Aujourd’hui, c’est n’importe quel fidèle de la communauté qui consulte le Rav étranger, par internet, par téléphone ou autrement, parfois même en voyageant.
A mon sens c’est une erreur et une perversion de la Torah, même si le Rav étranger est assurément plus calé que le rav local, ce dernier bénéficie d’un atout, la connaissance et la compréhension du terrain.
Il y a deux ans, un article d’un Rav israélien
(très connu) avait été publié, en français, sur un sujet bien précis.
Un Rav français
(très connu aussi, du moins en France) s’y était opposé et avait envoyé une lettre au Rav israélien pour tenter de lui expliquer à quel point ce qu’il écrivait n’était pas adapté à la réalité, ni à la situation qu’il ignorait et ne cernait absolument pas, en ajoutant que son écrit sera certainement plus porteur de dégâts que de bienfaits.
Mais je m’égare.
Pour en revenir à votre question, les vieux rabbanim sont certes souvent « décalés » par rapport aux jeunes générations, mais cela ne les empêche pas de tenter de comprendre un peu les besoins de la jeunesse en discutant avec des rabbanim d’âge intermédiaire.
Il faut aussi noter que dans un psak halakha, la part que prend la mentalité locale est parfois minime voire quasi-inexistante (par exemple : déplacer un objet Mouktsé reste prohibé quel que soit le pays, etc.), c’est surtout dans les « conseils » et les décisions de Hashkafa qu’il est important de savoir tenir compte du Rav local (mais il peut y avoir aussi un aspect lié à la Hashkafa dans un psak halakha).
Ceci étant dit, il y a bien des rabbanim qui manquent de clairvoyance
(et ce, même avant d’être vieux !), mais il nous incombe à nous, le peuple, de ne pas être bête et de savoir distinguer la sagesse et le bon sens chez les rabbanim, faire la différence entre le souci d'honnêteté/du Emet d'un côté et la bigoterie/cagoterie de l'autre.
On a les Rabbanim que l'on mérite.
Si "le peuple" soutient et glorifie des bigots en raison de leurs grands chapeaux et de leurs belles barbes, parce qu'ils diffusent des bondieuseries et une Torah falsifiée qui correspondrait plus aux attentes d'un public, la responsabilité repose sur les épaules du "peuple".
Si certains rabbanim dépourvus de bon-sens sont consultés, ce n’est pas leur faute, mais celle de ceux qui les consultent.
De la même manière qu’il incombe au simple juif de ne pas consulter/suivre les conseils d’un "Rav" qui ne connait pas grand-chose à la Torah
(mais il faudra choisir un talmid ‘hakham), car s’il ne connait pas la Torah, il ne pourra pas m’indiquer la volonté de D.ieu, il en va de même pour un autre qui connaîtrait les textes de Torah sans se les approprier, sans les vivre et sans les comprendre réellement, il ne saura pas non plus toujours m’indiquer réellement la volonté de D.ieu.
Et idem pour un Rav qui connait les textes et les comprend mais est dépourvu de bon-sens, dans certains cas, son conseil sera aussi décalé par rapport à la volonté de D.ieu, le Maître du bon-sens.