Citation:
Pourquoi il y a des 'Hazal qui n'avaient pas le titre de « Rabbi », comme ce fut le cas des Zougot (par exemple Hillel, Chamay ou Chim'on Hatsadik), et contrairement à Rabban Yo'hanan ben Zakay, ou Rabbi 'Akiva, ou Rabbi Chim'on bar Yo'hay, ou encore Rabbi Yéhouda Hanassi ?
Quelle différence y a-t-il entre le titre de Rabbi et de Rav chez les 'Hazal, à part le fait que « Rabbi », c'est plutôt pour les Tanaïm et que « Rav », c'est plutôt pour les Amoraïm ?
Est-ce que ces règles sont identiques pour les Rabbanim post-talmudiques ?
Votre question est répondue par
Rav Shrira gaon dans sa fameuse lettre (Igueret Rav Shrira Gaon).
Il y écrit que rabbi est un plus grand titre que Rav, et que Raban est encore plus grand que Rabbi, mais que certains qui étaient encore plus grands étaient appelés par leur nom sans aucun titre (comme pour dire qu’aucun titre ne pourrait suffire et que leur simple nom suffit pour savoir de qui on parle).
Globalement, Rav est un titre réservé aux Amoraïm babyloniens, car pour être appelé Rabbi il fallait avoir reçu la Smikha -qui ne se transmettait qu’en Israël. (ce qui n’exclut pas que certains amoraïm furent appelés Rav alors qu’ils avaient une Smikha reçue en Israël, comme « Rav » dont le vrai nom était RABBI Aba (et non RAV Aba), ayant reçu la Smikha il était Rabbi, mais on l’appelait « Rav » tout court car c’était le grand Rosh Yeshiva de Bavel.)
Le titre de Rabbi était donc celui des rabbanim qui avaient reçu la Smikha (-en Erets donc).
Le titre de Raban était réservé aux Nessiim, donc aussi en Erets (car en Bavel c’était le Reish Galouta).
C’était grosso modo les descendants de Hillel (mais il y a aussi eu des Nessiim non descendants de Hillel, comme Raban Yo’hanan ben Zakaï, puis, plus tardivement, des descendants de Hillel qui n’étaient appelés que Rabbi, comme Rabbi Yehouda Hanassi).
Quant à Hillel et les autres Tanaïm de l’époque des Zougot, ce sont eux que l’on considère plus grands que « Raban » et qui étaient appelés par leur simple nom.
Bien entendu, certains seront appelés par leur nom (sans ajout de titre) pour d’autres raisons. Par exemple ceux qui n’ont pas reçu la Smikha, même s’ils furent Tanaïm, comme Ben Azay et Ben Zoma et d’autres.
Après la fin des Amoraïm, durant la période des Savoraïm et celle des Gueonim, le titre était plutôt « Rav », ou « Mar » (« Mor », maître).
Et à l’époque des Rishonim, le titre de Rabbi est revenu, bien que l’on sache qu’il n’avait nécessairement pas la même valeur car il n’y avait plus de Smikha depuis des siècles.
Et ça a continué jusqu’à nos jours, où l’on distribue encore sans parcimonie aucune le titre de Rabbi, bien que personne n’ait la (vraie) Smikha.
Nous appelons souvent les Rishonim « Rabénou » pour les distinguer des A’haronim, bien que nous trouvions quelques A’haronim communément appelés Rabénou.
On raconte que le
‘Hazon Ish dans ses annotations critiques sur le Sefer de Reb ‘Haim aurait écrit sur la page de garde, au sujet du tire du livre חידושי רבנו חיים הלוי, la remarque suivante :
לא מצינו לשון רבנו אלא בראשונים בלבד
Ce à quoi les Briskers auraient répondu en annotant le titre du livre du ‘Hazon Ish par cette remarque :
לא מצינו לשון חזון אלא בנביאים בלבד
C’est une boutade bien entendu, et je ne crois pas que le
‘Hazon Ish ait écrit לא מצינו לשון רבנו אלא בראשונים בלבד, bien que l’on dise qu’il a écrit ses annotations sur Reb ‘Haim afin de casser l’engouement des Yeshivistes autour de ce livre (c’est ce qu’on dit dans les Yeshivot, et c’est ainsi qu’on explique qu’il n’est pas toujours difficile de répondre aux Koushiot du ‘Hazon Ish sur Reb ‘Haim, car il ne les auraient écrites que pour faire du bruit et montrer qu’on peut être en désaccord avec Reb ‘Haim -Cependant, cf.
Hador Vehatkoufa (éd.2002, 2nde partie, p.48)).
Malgré tout, cette remarque sur le titre (לא מצינו לשון רבנו אלא בראשונים בלבד) semble inventée par d’autres, d’autant que l’argument est faux, puisque nous trouvons des A’haronim appelés « Rabénou ».
Je ne parle pas de rabbanim appelés Rabénou par leurs fidèles disciples et autres admirateurs, ça c’est normal, comme pour
Rabénou Guershon Liebmann que tout le monde en France appelait affectueusement Rabénou même sans en être l’élève, mais je parle de certains A’haronim appelés par tous « Rabénou », comme
Rabénou Menashé Ben Israel, ou
Rabénou Menashé Me-ilia.
Depuis 2 ou 3 siècles, les titres honorifiques sont exagérés de manière assez ridicule, au point d’en perdre leur valeur.
[
Isaac Bashevis Singer dans
De nouveau au tribunal de mon père (p.59) raconte la colère d'un rabbin qui n'a été qualifié dans un Sefer "que" de "Hagaon", sans y ajouter "Hamefoursam"! Quelle insulte lui a-t-on fait là! C'est vraiment lamentable.
D'autant que s'il avait été si persuadé d'être qualifiable de Gaon Mefoursam (=célèbre), il n'aurait pas eu à s'en faire, car les gens savent bien que c'est un gaon étant donné qu'il est célèbre en tant que gaon. C'est donc bien parce qu'il estimait ne pas être vraiment "Mefoursam" qu'il s'énervait contre celui qui n'avait pas voulu le qualifier de Mefoursam. ]
De nos jours, on attribue « Harav Hagaon » à tout Avrekh sérieux, ce qui fait que pour les grands Talmidei ‘Hakhamim, ça rivalise de titres inventés récemment du genre « Sar Hatorah », ou encore plus rigolo : « Sar Sarei Hatorah »
(titre inventé récemment par un "gang" qui essaie de promouvoir un jeune rav brillant en Erets, en imposant qu'on lui attribue ce qualificatif à chaque fois qu'on le mentionne. Ils sont vraiment fous), « Hagaon HaAtsoum », et surtout le fameux « Maran ».
On ne sait plus comment faire marche arrière pour revenir au simple Rav/Rabbi, car ça serait considéré comme une offense de qualifier un Rav simplement de « Rav ». Donc on continue dans la surenchère de Toarim et d’hyperlatifs à tout va.