Par le Rav Dov Lumbroso-Roth
Loin de vouloir m’ériger en moralisateur, et tout en m’impliquant en premier dans ce que je m’apprête à écrire, je profiterai de cette tribune pour m’exprimer sur un problème qui me taraude, et qui, par son intensité, me paraît particulièrement dévastateur pour la communauté.
A n’en point douter, Internet, les réseaux sociaux et le courriel ont considérablement enrichi notre existence pendant cette dernière décennie. Grâce à eux, des gens isolés ont pu se faire de nombreux « amis », enrichir leurs connaissances, et peuvent même travailler à distance. D’un clic de souris, nous pouvons communiquer nos impressions, transmettre nos propres connaissances, et même diffuser des enseignements de Torah ! Mais l’utilisation de toute invention, aussi géniale soit-elle, dépend avant tout de notre libre arbitre, selon lequel elle nous mènera au bien ou au mal.
Dans les mains d’individus inconscients de l’impact d’un clic d’« envoi », et pour lesquels l’ordinateur est souvent un moyen de se défouler, les emails deviennent des agents destructeurs. Beaucoup d’adeptes du Net ayant des milliers d’« amis » sur les réseaux sociaux sont en réalité terriblement seuls, et certains ne peuvent résister à la tentation de correspondre avec eux sur des sujets qui ne les concernent aucunement. Pourtant avec l’envoi de ces mails, ils ne se rendent pas compte qu’ils peuvent se compromettre avec des interdictions de la Torah : le ‘Hafets ‘Hayim a écrit un ouvrage entier pour nous sensibiliser à l’extrême gravité de la médisance et du colportage (Lachon Hara), de la délation et de la calomnie, perpétrés oralement ou par écrit. Tous sont prohibés en présence d’une personne et, a fortiori, auprès d’une collectivité. Car évidemment, plus le nombre de destinataires – auditeurs ou lecteurs – est élevé, plus grave est la transgression commise.
Deux parties en désaccord qui estiment avoir des raisons de se blâmer doivent se présenter devant un médiateur, un Rav, ou un Beith Din. C’est là – et uniquement là – qu’elles sont autorisées à témoigner, et ce à condition de pouvoir prouver que l’autre à commis une faute. Si cela n’est pas possible, il est interdit de parler (cf. Pessa‘him 113).
Pour avoir le droit de s’exprimer à l’encontre d’autrui, celui-ci doit pouvoir se défendre – devant un Beith Din par exemple. Et même là, selon la Tora, les juges n’ont le droit d’écouter qu’en présence de l’individu incriminé, pour qu’il ait toute latitude de récuser les arguments émis à son encontre.
Dois-je encore expliquer la gravité de la situation, alors que certains reçoivent régulièrement des emails contenant des séries d’insultes bilatérales relayées par des démentis, émanant d’une importante communauté de la banlieue parisienne ?! Se remettra-t-elle de ces messages envoyés par milliers, et de ses querelles intestines ainsi exposées ? Même les plus hauts maillons d’une certaine hiérarchie diffusent des séries de communiqués et de démentis ! Comment et dans quel climat les prochaines élections communautaires vont-elles se dérouler ? Et si ces courriels étaient lus par des personnes qui ne comprennent rien à ces divergences ou qui ne sont nullement concernées par elles ?
Avant de cliquer sur « envoyer » pour nous libérer de nos rancœurs, réfléchissons-nous aux répercussions de ce geste ? Les parties opposées ne feraient-elles pas mieux de se réunir autour d’une table, discuter librement, et donner ainsi libre cours à leurs sentiments humains ?
Préservons la paix et l’harmonie, et ravivons l’étincelle divine qui est en nous !
Et pour mieux nous y appliquer, rappelons-nous ces sages paroles de Victor Hugo (Le Mot) :
Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes ;
TOUT, la haine et le deuil !
[…]
Et railleur, regardant l’homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d'un tel. »
Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.
