Désolé du retard, je viens de voir votre question et je m'étonne qu'aucun des talmidei ‘ha’hamim consultés en Eretz-Israël n'ait pu donner de réponse !
Avant tout, je présente le sujet pour ceux qui ne comprennent pas l'hébreu ;
Un texte midrashique semble incohérent et de nombreux commentateurs proposent différentes explications. Or l'un d'eux indique (en se basant sur des textes parallèles) qu'il manque quelques mots dans la phrase, et selon cette correction il n'y a plus aucune incohérence.
L'auteur de la question (ou son ‘havrouta) s'est attelé à compiler toutes les explications autour de ce texte et se rend compte à présent que toutes ces dernières sont peut-être dénuées de fondement, puisque la correction dans le texte annule l'étonnement des commentateurs.
La question est de savoir s'il convient de conférer une certaine valeur à cette compilation en supposant que si D. a « fait en sorte » que cette ligne disparaisse du texte durant une époque (par erreur d'impression), c'est bien pour donner de la valeur à ces ‘hidoushim, ou s’il faut considérer que tout n’a été dit que par erreur et qu’il n’y a rien à retenir de tout ce qui a été déduit de l’étrangeté du texte.
Voilà pour la question.
Avant d’y répondre j'ajoute un nouvel étonnement car il n’y a pas que le rav Zeev Wolf Boskovicz qui corrige le texte en ajoutant cette phrase, il y a le Yefé Anaf, le Mishnat Derabbi Eliezer et le Ets Yossef.
Aussi, du Matnot Kehouna nous voyons bien qu’il disposait de la bonne version (comme le souligne aussi le Mishnat DRE).
Le Radal lui, corrige -sans supposer l’oubli de toute une ligne- en ajoutant les trois lettres signifiant « etc… » (ve’houlei).
Bref, le seul commentateur « classique » qui semble ne pas avoir remarqué le manque est le Rashash.
Ce qui fait que je suis curieux de savoir qui sont "les auteurs" qui proposent tant d’autres explications, pourriez-vous au moins donner les références des sfarim concernés ?
Merci d’avance.
Venons-en à la question.
Et élargissons-là aussi, car en fait, la vraie question est : doit-on tenir compte des anciennes versions retrouvées tardivement ou faut-il considérer que c’est D. qui aurait voulu cette « erreur » dans le texte afin que les commentateurs en déduisent ce qu’Il souhaite qu’ils en déduisent.
(Grâce au fait que telle ou telle version (incomplète ou erronée) soit sous les yeux de tel ou tel rabbin, nous aurions donc gagné de merveilleux ‘hidoushim.)
Je dirais qu'il convient d’établir une distinction entre un ‘hidoush qui NECESSITE une base et un ‘hidoush qui APPRECIE une base.
Tout ‘hidoush qui semble plus sensé que son opposé (par exemple s’il est plus logique de dire +x que –x) ne nécessite pas d’avoir une base (indiquant +x), mais c’est appréciable qu’il en ait une. (c’est généralement le cas dans un ‘hidoush agadique/ashkafatique/moussarique)
S’il venait à la perdre (par la découverte d’une ancienne version invalidant la déduction), tant que nous ne trouvons pas de base pour l’inverse (-x), le ‘hidoush reste valable, même si moins attesté par les sources.
Par contre, dans le cas d’un ‘hidoush qui NECESSITE une base, c-à-d que sans la base il n’est pas plus logique d’admettre le ‘hidoush que son opposé (plus fréquent pour un ‘hidoush ala’hique) -voire l’inverse, la perte de cette base par la découverte d’une version plus juste est préjudiciable au ‘hidoush.
Seulement, d’aucuns ajoutent que même dans ce dernier cas, la émouna dans la ashga’ha divine (=le fait de croire que D. dirige tout sur terre) implique que l’erreur d’impression (ou de copie) soit voulue par D. et donc la « déviation » ala’hique qui en découle le serait tout autant (voulue par D.).
Cette idée est souvent citée au nom du ‘Hazon Ish.
Je suis tout de même très sceptique.
Tout d’abord, en suivant cette même logique, je dirais que si D. a fait en sorte que nous retrouvions à présent ces anciennes versions, c’est donc qu’Il souhaite que nous corrigions le tir.
(Cet argument vaut aussi pour ceux qui présentent un raisonnement similaire concernant les sfarim qui n’ont pas été réimprimés durant de longues périodes, selon eux, cela serait le résultat d’une volonté divine.
Il convient de leur objecter qu’à ce compte, la même logique indiquerait donc que D. souhaite qu’à présent ce sefer soit étudié.)
Ensuite, l’idée même de rattacher toute erreur de copiste à une volonté divine ne me satisfait pas, car il y a bien des cas où c’est le manque de zèle du copiste qui est en cause !
(et là, ce deuxième argument est encore plus puissant concernant les sfarim non réimprimés)
Il est clair qu’il y a eu plus d’erreurs d’impression/ de copie (qui portent à conséquence) chez les imprimeurs/copistes les moins zélés, c’est que le copiste a sa part de responsabilité.
Dès lors, si un copiste –par manque de yirat shamayim- rêvasse en copiant au lieu de s’adonner sérieusement à son travail, il risque de commettre des erreurs de copie et là nous disons « akol bidei shamayim ‘houts meyirat shamayim » (Meguila 25a , Bra’hot 33b, Nida 16b).
Si je suis copiste, que je sais que je suis en train de copier un texte ala’hique très précis où chaque mot a son importance et sa signification et que malgré cela je laisse mon esprit aller à la rencontre de songes farfelus et de rêveries lointaines pendant mon travail, j’ai assurément ma part de responsabilité dans les erreurs que commettront les générations futures qui se baseront sur ma copie.
Bref, je ne suis pas convaincu de cette idée, ni que ce soit ce que disait exactement le ‘Hazon Ish.
Certes ce rav était très « carré », mais aucunement absurde.
Je ne l’ai pas connu personnellement (il est décédé en 1953), mais plusieurs de mes maîtres étaient ses élèves de telle sorte que j’ai du mal à croire qu’il pensait de telles choses et j’ai autant de mal à cerner véritablement son opinion sur le sujet.
Nous trouvons dans le Kobets Igrot (I, §32) que le ‘Hazon Ish écrit qu’il ne trouve « pratiquement pas d’intérêt » (pour atteindre le émet) aux versions déterrées des Gnizot, qui seraient plutôt de nature à « tordre le émet », aussi il conviendrait de les remettre en terre !
Ainsi selon lui, un livre comme le Dikdoukei Sofrim (livre qui cite et compare d’anciennes versions du Talmud) serait plus néfaste qu’autre chose.
Cette idée est déjà à mon sens très étrange, nous trouvons que tous les gdolei israel écrivent exactement l’inverse.
Le Shoel Oumeshiv écrit (askama du Dikdoukei Sofrim) que toute personne qui s’intéresse vraiment à la Thora et qui la comprend vraiment ne peut que se réjouir de la parution du Dikdoukei Sofrim.
Il écrit qu’il a dit la bénédiction « barou’h Yotser Ameorot » sur ce sefer.
Rav Shlomo Kluger écrit (askama du Dikdoukei Sofrim) qu’il convient de diffuser ce sefer.
Le Arou’h Laner aussi (askama du Dikdoukei Sofrim) écrit que grâce à ce sefer nous pourrons répondre à de nombreux problèmes.
Le Ktav Sofer (askama du Dikdoukei Sofrim) écrit qu’il serait superflu d’expliquer l’intérêt de ce sefer car toute personne sensée en comprend tout de suite l’intérêt ! (que dire du ‘Hazon Ish ?)
Le Rav Its’hak El’hanan Spektor aussi écrit (askama du Dikdoukei Sofrim) que ce sefer sera d’une aide très précieuse.
Le Mi’htav Sofer ira jusqu’à écrire sur ce sefer (askama du Dikdoukei Sofrim) « heureuse la génération qui a mérité ce trésor caché »
Nous trouvons aussi que le Rav Yaakov Schorr dans son incroyable Meir Einei ‘ha’hamim (sous rav ‘hisda, d’’h oubeemet, page 208 dans le kitvei ve’hidoushei RYS) mentionne la trouvaille du Shas de Munich (sur lequel a été basé le Dikdoukei Sofrim) et la parution d’un livre qui compare sa version à la nôtre et écrit qu’il est indispensable (nitsra’h meod).
Voir encore les termes très élogieux utilisés dans Yeshouroun (tome XXII, p.369).
Bien sûr, ça ne veut pas dire que nous devons accorder toute notre confiance aux anciennes versions, car elles aussi peuvent comporter des erreurs, c’est ce que souligne Rav Moshé Feinstein (Igrot Moshé yoré déa II, §7) et c’est aussi écrit par le ‘Hazon Ish (Ora’h ‘Haim §67, sk.12) concernant les nouveaux sfarim d’anciens auteurs (en l’occurrence rabenou ‘Hananel), qui ne sont imprimés que sur la foi d’un manuscrit retrouvé après des siècles sans savoir par qui il a été copié.
[au passage, là, la logique utilisée plus haut devrait nous pousser à accorder toute notre confiance à ces manuscrits retrouvés, puisque si D. a fait en sorte que nous les retrouvions, c’est qu’Il souhaite que nous les suivions en faisant confiance à leurs différences de version.
La simple lecture des arguments du ‘Hazon Ish (là-bas) suffit à prouver qu’il ne n’adhérait pas cette thèse des erreurs conservées « min ashamayim » car il s’inquiète de copistes mal zélés, etc…
D’ailleurs il répète cette inquiétude dans il’hot matnot aniyim (§203, 1) -toujours concernant ce commentaire de rabeinou ‘Hananel- en précisant qu’il est truffé de corrections de l’éditeur.
Dans ses Tshouvot vektavim aussi (partie sur Zraïm, §23, 12) le 'Hazon Ish dénonce les erreurs de copiste qui pullulent dans chaque daf de ce piroush rabeinou ‘Hananel.
Mais pour les incrédules (qui maintiendraient malgré cela que le ‘Hazon Ish adhérait à la théorie du « min ashamayim »), je prouverais que ce n’était pas son opinion par ce qu’il écrit plus haut dans Ora’h ‘Haim (§39, sk.6) où il précise que si le texte n’est pas soupçonnable d’être falsifié, on peut lui accorder notre confiance.]
[Au passage du passage, Aydé deaydé, ce qu’écrit le ‘Hazon Ish dans ce siman répondra à la grande koushia du Rav El’hanan Wasserman dans son Kobets Shiourim (§46, 3) (qui avait été devancé pour cette remarque par le Daat Thora dans Kountras A’haron ot 16), mais je ne crois pas que le ‘Hazon Ish savait ce qu’en avait dit Rav Wasserman, car il n’a pas lu le Kobets Shiourim (publié post-mortem), même s’il a lu le Kountras divrei Sofrim du rav Wasserman (publié quelques vingt ans plus tôt en 1924) et lui a envoyé des remarques dessus (Kountras éarot a’hazon ish), auxquelles le rav Wasserman a répondu.]
Concernant l’idée qui consiste à dire que si les poskim n’ont pas vu tel sefer c’est que c’était voulu par D. (le fait qu’il n’ait pas été imprimé à telle époque etc…), c’est aussi une idée en vogue de nos jours, je la trouve truffée de contradictions et elle ne me semble pas inspirée par une ashkafa pure (même si reléguée par des rabanim de renom).
Dans de nombreux sfarim, en lisant à peine entre les lignes, nous voyons qu’ils ne donnaient aucun crédit à cette thèse.
Par exemple le ‘Hayei Adam écrit (Akdama Rishona) qu’il est fier que D. lui ait permis de trouver des ala’hot à travers des livres de rishonim qui n’étaient pas accessibles au Beth Yossef (rav Yossef Karo) et aux autres poskim a’haronim…
Ce qui semble aller à l’encontre des idées du ‘Hazon Ish et qui contredit totalement l’idée des partisans du « min ashamayim ».
Selon certains, le ‘Hazon Ish semblait même ne pas attacher trop d’importance à l’identité de l’auteur d’un livre; lors de la parution de son premier tome de ‘Hazon Ish (ora’h ‘Haim) qui est anonyme, il aurait répondu à celui qui lui demandait la raison de son anonymat qu’il lui est pénible d’écrire, il se contente donc d’écrire ce qui est nécessaire pour la compréhension de la ala’ha, ce qui ne l’est pas ne vaut pas l’effort…
Mais il est probable que ce soit une boutade, c’était un peu son genre de réponse lorsque le sujet touchait à la modestie.
(une autre anecdote lors de laquelle il avait dit « qu’un juif lit des tehilim » va un peu dans le même sens)
De toute façon, lorsqu’on voit qu’il écrivait des phrases à rallonge dans l’espoir de leur donner un air poétique (cf. fin de Taarot), on a du mal à imaginer que l’écriture lui était pénible, c’est pourquoi je pense que c’était une manière de « repousser » le questionneur (qui semblait souhaiter une réponse du genre « par modestie »), mais pas qu’il pensait sincèrement qu’il n’y ait aucun intérêt à connaitre le nom de l’auteur d’un livre.
Pour en revenir à votre question, je subodore que les réponses données par les commentateurs sur ce midrash étrange sont de la catégorie qui ne nécessite pas absolument une base, donc la correction du texte ne leur porte pas vraiment préjudice, ainsi, même si je ne souscris pas à l’idée selon laquelle il était voulu qu’une mauvaise version soit imprimée, je crois qu’il ne convient pas de repousser totalement ce recueil d’explications.
Je vous rappelle donc que je veux bien les références des sfarim qui proposent tant d’explications, merci.
Voilà, en espérant ne pas m'être inutilement égaré, je me demande toujours si j'ai bien compris le fond de votre question car je vous avoue être perplexe quant à l'incapacité des Talmidei 'ha'hamim que vous avez questionné en Israel à vous répondre sur ce sujet.
Je m'arrête là sans pouvoir me relire, étant pris par des obligations familiales.
Dernière édition par Rav Binyamin Wattenberg le Mar 17 Mai 2016, 12:50; édité 1 fois