Tous ces rabanim connaissaient le Shas, mais pas par cœur mamash.
Rabbi Akiva Eiger, le ‘Hafets ‘Haim ou le ‘Hazon Ish (que vous citez) ne connaissaient pas le Shas mot-à-mot par cœur, ils en connaissaient la teneur par cœur, mais ne pouvaient pas , par exemple citer chaque erreur d’impression de telle ou telle édition du shas.
Ils connaissaient « ce qu’il faut connaitre du Shas », pas ce qu’un ordinateur retient du Shas.
On trouve des citations du
Talmud par ces rabanim (et de beaucoup d’autres encore) comportant de petites nuances et imperfections (ne portant pas forcément à conséquence).
L’atout des grands sages n’est pas la mémoire eidétique, c’est la connaissance vaste et profonde des textes de base de la Torah.
Dans le
Talmud même nous trouvons des « réciteurs » appelés Tanaïm –à l’époque des Amoraïm- qui n’étaient pas considérés comme les grands sages, ils avaient seulement une mémoire exceptionnelle, mais n’avaient pas nécessairement la capacité d’analyse, de compréhension et de déduction des Amoraïm.
Ils servaient à ces derniers d’encyclopédie vivante et leur récitaient les [mishnayot et] braytot, mais les rabanim étaient les Amoraïm dotés de ‘hokhma.
Lorsque je ne cite que le
Gaon de Vilna et M. Chouchani, je ne parle pas de ce qui importe pour être un talmid ‘hakham, mais de cette aptitude de pouvoir retenir et réciter tout et n’importe quoi dans tous les sens à l’endroit et à l’envers, un peu ce qu’on dit sur
Mozart, Ampère (André-Marie), Monet ou encore le récent
Stephen Wiltshire –officiellement considéré autiste.
A la différence que ceux-là sont bien moins épatants qu’un
Chouchani ou –lehavdil- un
Gaon de Vilna.
Vous mentionnez encore "le frère du Gaon", je crois que vous vous méprenez un peu sur cette anecdote qui selon mes sources que je considère comme assez sûres parlerait du petit frère de
R. ‘Haim de Volozhin.
[Je tiens cette histoire de
Rav Grossbard, mashguia’h à Ponovez, lui-même étant originaire de Lituanie et ayant reçu cette histoire de son maître lituanien, qui lui-même la tenait de son maître lituanien etc. jusqu’à
R. ‘Haim de Volozhin en personne, voilà pourquoi je considère ma « version des faits » comme assez fiable]
Et c’est vrai que son cas pourrait être comparé aux deux autres cités au moins concernant la capacité de réciter tout le shas mot-à-mot (ce qui nous intéressait au début), tout en étant -malgré tout- très différent comme l’histoire l’explique :
C’est lors des Shiva -ou peu après le décès- du frère de
R. ‘Haim, Rav Shlomo Zalman de Volozhin (Reb Zelmalé Volozhiner pour les intimes) qui est niftar très jeune (33-34 ans je crois) en 1788, plusieurs rabanim étaient regroupés chez
R. ‘Haim à la maison et l’un d’eux dit que si
Reb Zelmalé avait vécu plus longtemps, il serait peut-être arrivé au niveau du
Gaon de Vilna.
Sur ce,
R. ‘Haim intervint et lui tint à peu près ce langage : « Même s’il (reb Zelmalé) avait vécu 1000 ans, il n’aurait pas encore été comparable au
Gaon .
-En ‘harifout, certes, mais en Bekiout il l’aurait égalé en 1000 ans, n’est-ce pas ?
-Non, même en Bekiout il ne l’aurait pas égalé au bout de 1000 ans d’étude ».
Pourtant tout le monde savait que
Reb Zelmalé était un Baki mouflag, qu’il connaissait par cœur
Bavli, Yeroushalmi, Sifrei, Safra, Tossefta et Mekhilta et ce, depuis au moins l’âge de 24 ans !
R. ‘Haim expliqua donc son propos ainsi :
« Mon frère pouvait réciter tout le Shas comme un juif peut réciter par cœur Ashrei Yoshvei Beitékha.
Si on demande à un juif quel est le mot qui précède le mot « Tov » dans ashrei, sachant que c’est le début du passouk qui commence par un Tet, il reprendra (de mémoire, dans sa tête) le passouk précédent ‘Hanoun vera’houm…pour arriver au mot final : ’hassed.
Alors que le
Gaon n’avait pas besoin de reprendre du début du passouk précédent, car tout était ouvert devant ses yeux, il lui suffisait de « lire » le mot précédent… ».
Voilà en quoi, même
Reb Zelmalé était foncièrement différent du
Gaon de Vilna.
[vous trouverez une version assez similaire dans
Gdolei Hadorot p.350, ce qui constitue une aide pour ma version des faits, même si ce livre est loin d’être exempt d’inexactitudes et que dans la même page il écrit que ce rav est niftar le 13 Adar 1787 alors que c’était le 9 Adar 1788.
Le 9 Adar (beth) est aussi la date (en 1870) du décès de
Rabbi Its’hak benWalid selon un de ses fils, son autre fils contredit son frère sur ce point sans le savoir, voir leurs préfaces au
Shout Vayomer Its’hak ‘helek 1.
C’est aussi le Yohrzeit de l’auteur du
Sefer ‘Hassidim, Rabbi Yehouda Hé’Hassid, le 9 Adar 1216.
Une autre version encore se trouve dans le
Saarat Eliahou p.23a dans l’édition de Varsovie 1877, elle parle de 2000 ans au lieu de 1000.
Cette version a été reprise dans le livre controversé
Hagaon, pages 147-8]
On raconte que les deux frères de Volozhin ont été bénis par le
Shaagat Arié lors de la naissance de
Reb Zelmalé. Mais c’est encore tout une histoire.
Concernant le
Shaagat Arié lui-même, son talmid
Rav Guedalia Rottenburg écrit dans sa « haskama » au
Gvourot Ari sur Taanit (je souligne au passage que ce sefer sur trois massekhtot, Yoma Taanit Makot, se nomme Gvourat Ari, mais en regardant la page de garde de chacun il apparait que sur Taanit il est écrit Gvourot et non Gvourat, en page de garde comme en haut de chaque page du livre, alors que les deux autres se nomment Gvourat Ari) que lorsque le
Shaagat Arié ne voyait plus très bien, il lisait pour lui chaque mois TOUT le shas (sans Rashi/Tosfot) et à peine débutait-il une phrase, le rav pouvait continuer tout seul par cœur.
Le talmid écrit qu’il en était de même pour tout le
Rif, Rambam, Rosh, Tour, Shoul’han Aroukh, Rishonim , Shéiltot derav A’hay et Behag et qu’il était « baki bekhol hatorah » en niglé comme en nistar.
Mais je pense que c’est exagéré, on voit bien qu’en citant des gmarot il change parfois un peu les mots.
Pire encore, on trouve qu’il oublie parfois des opinions explicites dans les ‘hazal, par exemple, voir ce qu’écrit le
Shaagat Arié dans le
Tourei Even sur Meguila 17a concernant la contradiction avec
Baba Batra 16b, il semble omettre ce qui ressort du
Midrash Bereshit Raba (62, 5) (fin de ‘hayei Sarah) et ce , malgré qu’il était « baki bekhol hatorah ».
Il y a encore de multiples endroits où il cite une phrase des ‘hazal de manière imprécise.
Bref, je pense qu’il connaissait en effet toute la Torah, mais encore une fois, comme un être humain, pas comme une machine.
J’ajouterais encore que le témoignage du
rav Rottenburg voulait peut-être simplement dire qu’il lui arrivait souvent de compléter par cœur les maamarim débutés, mais pas systématiquement.
De toute manière, je suis assez sceptique sur la précision des renseignements de
rav Rottenburg car il écrit être « dor assiri » (dixième génération) depuis le
Maharam de Rottenburg , or un rapide calcul indique que 10 générations qui pourraient s’étendre sur un demi-millénaire, ça fait un peu long par génération…
Ont-ils tous eu 50 ans d’écart avec leur père durant 500 ans ?
Je ne dis pas que c’est impossible, mais improbable.
Je suppose qu’il devait en fait y avoir quelques maillons supplémentaires, il arrive souvent que quelques générations disparaissent des lignées de ce genre car on ne se souvient pas de tout le monde, uniquement de ceux qui se sont fait remarquer.
A vérifier…
Certains disent aussi sur
Rav Ovadia Yossef qu’il pouvait tout réciter exactement comme un ordinateur.
Mais c’est faux, ce n’était pas du mot-à-mot mamash sur la totalité de la Torah, il se trompe légèrement dans des citations par endroits.
Voir par exemple ce dont j’avais parlé ici :
http://techouvot.com/liste_douvrages_pour_debuter_dans_letude_de_la_thora-vt13145.html?highlight=
en page 1, mon post du 7 avril 2011 à 0:21 et en page 4, mon post du 31 mai 2011.
Il avait certes une mémoire phénoménale mais pas comme un autiste ou un ordinateur.
Idem pour
Reb Yehossef Zekharia Stern, il avait une mémoire extraordinaire, mais pas comme un ordinateur.
Le
Rav Wolf Leiter aussi était déroutant par sa mémoire et la quantité de lectures ordonnées dans sa tête, tout simplement sidérant !
Bref, il y a eu des rabanim disposant d’une mémoire époustouflante, incroyable même, mais il ne s’agissait pas de mémoire eidétique, photographique.
Il y a aussi les « bekiim », ils peuvent se tromper régulièrement sur des petits détails de leshonot, mais se souviennent d’une masse d’informations, comme le
Rav Its’hak Lampronti auteur du
Pa’had Its’hak ou le
Rav Médini auteur du
Sdei ‘Hémed, des encyclopédies rédigées par un seul homme.
Dans la même veine, nous avons le
Rav Aharon Maged (Maguid), auteur du
Beth Aharon, moins connu car il était aux USA, mais quelle quantité d’informations !
Le
rav Baroukh Epstein aussi était Baki, mais il se trompe régulièrement dans ses citations.
Il y a aussi le
rav Reouven Margulies, ou encore de nos jours le
rav ‘Haim Kanievsky et le rav David Kohn (de Flatbush), mais c’est autre chose.
Honnêtement, je doute un peu même sur le
Gaon et M. Chouchani, je ne crois pas que c’était vraiment à 100% comme un ordinateur sur TOUTE la Torah koula, mais pratiquement comme, de telle sorte que le commun des mortels est déjà totalement dépassé et ne comprend pas comment un cerveau peut retenir autant d’informations avec précision.
J’ai parlé de ces deux-là, car c’est à leur sujet que l’on parle de mémoire photographique, il est donc généralement admis qu’ils connaissaient tout le shas absolument par cœur, ce qui me suffisait pour remettre en question les affirmations du
Rambam.
Je ne me relis pas car il est tard et c'est long, désolé pour les fautes.