Le geste de Pin'has et sa récompense

Cher Khakhamim,

La paracha de Balak s'achève par un bien triste événement, le peuple se prostituant avec les femmes moavites et se livrant avec elles à la débauche et au culte de Baal Péor.
Comment les Benei Israel ont-ils pu tomber aussi bas et se sentir attirés para un culte aussi répugnant lié à la défécation?
Cela a bien évidemment enflammé la colère d'Hachem et Moché donna l'ordre aux 88 000 juges de mettre à mort ceux qui avaient pris part à cette dépravation. Mais malgré tout on dirait que c'est l'apathie qui règne, un des dignitaires (il est appelé "ich") de la tribu de Chimone, Zimri ben Salou, se permet même d'amener sous sa tente une princesse midianite sous les yeux de Moché et ce qui est surprenant, c'est que personne ne réagisse. Les gens pleurent devant le Michqane mais ne font rien pour intervenir. On a du mal à comprendre cette inertie...
C'est alors qu'intervient Pin'has, son geste paraît pour le moins impulsif et violent. Il aurait peut-être pu se contenter d'amener les coupables devant les juges mais au lieu de cela, il prend les choses en mains et agit de son propre chef et cela lui vaut de surcroît d'être récompensé par Hachem qui dit qu'il lui donne "briti chalom" (mon pacte de paix) et à ses descendant une "brit kehunat olam" (un pacte de sacerdoce éternel) (nombres 25:12-13).
On sait que Pin'has était le petit-fils d'Aharone Ha-Qohen qui s'est caractérisé comme étant "ohev ve-rodef chalom" c'est à dire comme quelqu'un aimant et cherchant/poursuivant la paix, une personne pacifique et conciliante, cherchant toujours le compromis, le concensus et Pin'has a l'air, à travers son geste, d'être le contraire de son grand-père.
Normalement ´pour être "qohen" (prêtre) ou le "Qohen Gadol" (Grand-Prêtre) il ne fallait pas pas avoir versé de sang ni utilisé les armes sinon on était disqualifié pour exercer cette fonction. Le prêtre c'est la vie, c'est l'union, le lien, la réconciliation, il doit être pacifique par nature.
Pin'has a néammoins obtenu cette récompense, la Tradition dit même qu'il est devenu par la suite Grand Prêtre.
Pourquoi Pin'has a-t'il fait l'objet d'une exception (il a versé le sang, normalement il aurait dû être exclu de devenir prêtre)? Pourquoi a t-il reçu un tel privilège et non, à la place, une autre récompense? Pourquoi ce sacerdoce? Qu'est-ce que son geste a de si extraordinaire (il n'a fait qu'éliminer deux personnes sur des milliers et Zimri ben Salou n'était pas non plus le plus important parmi les Benei Israel même si c'était un leader)? En quoi consiste la "brit chalom", le pacte de paix qu'Hachem donne à Pin'has. Le chalom c'est ce qu'il y a de plus important car sans la paix toutes les bénédictions sont vaines...

Merci une nouvelle fois de répondre à mes questions. Chalom Ou-béra'hot.

Marcel léger, Mexico.

Hachem a donné à Pin‘has « Mon alliance de paix » (berithi chalom) (Bamidbar 25, 12).
Dans les rouleaux de la Tora, la lettre waw du mot chalom présente, selon la tradition massorétique, une fine brisure, et le yod du mot Pin‘has, dans le verset 25, 11, est rapetissé.
Ces deux anomalies scripturales sont là pour signaler que l’approbation par Hachem du geste de Pin‘has n’a pas été pleine et entière.
Certes, « celui qui a des rapports sexuels avec une “Araméenne”, les gens d’un zèle pieux (qenaïm) peuvent se saisir de lui [pour le punir lorsqu’ils l’ont pris en flagrant délit] » (Sanhédrin 81b), et le faire ainsi échapper la justice des hommes.
Voilà où se situe la spécificité de Pin‘has. Il n’a pas été écarté de la dignité de kohen gadol, bien qu’il ait versé le sang. Mais « l’illégalité » de son acte n’a pas été sans conséquences fâcheuses :
Lorsque Jephté a été mis « au pied du mur » et qu’il a dû exécuter son vœu d’exécuter sur sa propre fille celui qu’il avait fait d’offrir en holocauste « ce qui sortirait des portes de sa maison à sa rencontre » (Choftim 11, 31 et suivants), il aurait pu aisément se faire relever de son engagement
Cela lui aurait été d’autant plus facile que son contenu et les circonstances dans lesquelles avait été émis ce vœu auraient permis aisément son annulation.
En réalité, expliquent nos Maîtres, Jephté aurait pu se faire relever de son vœu par Pin‘has, le kohen gadol, mais il s’était dit : « Je suis le chef des enfants d’Israël ! Ce n’est pas à moi d’aller chez Pin‘has ! » Quant à celui-ci, il a fait le raisonnement inverse : « Ce n’est pas à moi, kohen gadol fils de kohen gadol, de me rendre chez ce rustre ! » Ayant été la cause des malheurs de la jeune fille, ils ont été punis l’un et l’autre : Pin‘has a perdu l’inspiration divine (roua‘h ha-qodèch). Quant à Jephté, son corps a été dépecé et enterré dans plusieurs endroits (Midrach Qohéleth Rabba 10, 15).