La partie du Séfèr Choftim consacrée à Devora s’ouvre sur une brève introduction (4, 1 à 3) qui décrit la situation catastrophique où se trouvaient les enfants d’Israël lorsqu’elle est arrivée au pouvoir.
« Les enfants d’Israël continuèrent de faire ce qui est mauvais aux yeux de Hachem ; et Ehoud était mort » (4, 1). Les commentateurs s’interrogent sur la formulation de ce verset : Entre Ehoud et Devora, il y avait eu Chamgar ! Pourquoi n’est-il pas mentionné ?
En réalité, explique Radaq, Chamgar n’avait pas entièrement délivré le peuple d’Israël, lequel n’avait pas cessé de faire ce qui est mauvais aux yeux de Hachem. Il n’y avait pas eu, de son temps, de paix véritable, comme en témoignera le verset 5, 6.
Les Hébreux furent livrés à la domination de Yavin, roi de Canaan, « qui régnait à ‘Hatsor ». Cette domination, qui est la seule parmi toutes celles décrites dans le Séfèr Choftim à avoir été « vigoureuse » (be-‘hozqa – 4, 3), a probablement été la plus cruelle.
Rappelons que Josué, au cours de sa campagne militaire contre les Cananéens, avait pris ‘Hatsor, « auparavant la capitale de tous ces royaumes », et l’avait brûlée par le feu (Josué 11, 10 et 11). Elle subsiste aujourd’hui, rapporte Yehouda Elitsour (Séfèr Choftim – Collection Da‘ath miqra), comme un tas de ruines près de Ayéleth ha-Cha‘har, non loin du lac de Tibériade.
Située sur la route commerciale qui reliait l’Egypte à Damas, puis à la Mésopotamie, ‘Hatsor occupait une position stratégique inégalée dans la région, et elle avait pour vocation de remplir un rôle de premier plan, non seulement dans la région, mais à travers le Proche et le Moyen-Orient. Il n’est donc pas étonnant que le texte désigne Yavin, à quatre reprises (4, 2 ; 4, 23 et 24), non pas comme « roi de ‘Hatsor », mais comme « roi de Canaan ».
Yavin et Sissera, son chef d’état-major, résidaient à ‘Harocheth ha-goyim, ainsi nommée, soit parce qu’elle était une ville fortifiée (Rachi), soit parce qu’elle était une ville industrielle (Metsoudath David ). Elle se serait située non loin de l’actuel Kibouts de Cha‘ar ha-‘amaqim, et donc entre la vallée de Yizre‘èl et celle de Zevouloun (Elitsour op.cit.)
Sissera disposait de neuf cents chars (4, 3) – les blindés de l’époque – une armée d’autant plus puissante qu’il s’y ajoutait, selon le Targoum (5, 8), quarante mille généraux (reichei machiryan), cinquante mille porteurs d’épée, soixante mille lanciers, soixante-dix mille porteurs de boucliers et quatre-vingt mille soldats.
Son armée, observe la Guemara (Pessa‘him 118b), était encore que celle du Pharaon de la sortie d’Egypte. Il est écrit, en effet, de celui-ci qu’il possédait six cents chars (Chemoth 14, 7), alors que Sissera en avait neuf cents.
Cette puissance aussi redoutable lui a permis, vingt ans durant, de décourager toute velléité de révolte de la part d’Israël et de l’opprimer durement.
C’est alors que Devora accéda à la magistrature suprême. Elle était également, précise le texte (4, 4), prophétesse et femme de Lapidoth.
Notre histoire, nous apprend le Talmud (Meguila 14a), a connu sept prophétesses. Devora a été l’une d’elles, ainsi que Sara, Miryam, ‘Hanna, Avigaïl, ‘Houlda et Esther.
Elle est également présentée comme la femme de Lapidoth, expression que nos commentateurs interprètent de diverses façons :
– Selon Rachi, qui cite la Guemara (Meguila 14a), elle confectionnait des mèches (lapidoth) pour le sanctuaire.
– Le Tanna de-bei Eliyahou explique, quant à lui, que Lapidoth étant un ignorant, sa femme Devora l’avait incité à fournir des mèches pour le sanctuaire, espérant peut-être qu’il fréquenterait les Sages et s’instruirait à leur contact.
– Radaq signale que Lapidoth, le mari de Devora, n’était autre que Baraq.
– Une quatrième interprétation est proposée par Metsoudath David : Devora était une femme d’exception, zélée comme une « torche de feu » ([lapid èch] – Cf. Berèchith 15, 17). C’est cette « torche de feu » qui enflammera la « foudre » (baraq).
Elle habitait, poursuit le texte « sous le palmier de Devora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Efrayim, et les enfants d’Israël montaient vers elle pour être jugés ».
L’expression « palmier de Devora » (tomèr Devora) ne doit pas, indique Rachi, être prise au pied de la lettre. Elle habitait à ‘Ataroth, et elle était très riche. Les endroits énumérés dans le verset correspondent aux lieux où elle possédait des biens : des palmiers à Jéricho, des vignobles à Rama, des oliviers à Béthel et des domaines agricoles dans la montagne d’Efrayim.
Autre explication, proposée par Metsoudath David : Elle recevait ses visiteurs sous un palmier, et ce afin d’écarter tout soupçon d’intimité avec les hommes (Meguila 14a).
Radaq fait remarquer que les intuitions prophétiques de Devora ne concernaient que le présent. On en trouvera d’ailleurs plus loin dans son cantique. Elle n’a jamais prophétisé, en revanche, pour l’avenir.
[J. K.]