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Deborah la Prophétesse

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deborah
Messages: 3
J'aimerai en savoir un peu plus sur Deborah. Le texte dans les juges est assez court.
Quelle est la symbolique de cette femme?
Elle a ete juge, donc la seule femme de la bible avec une responsabilite politique. Quelle significations en tirer?
Pourquoi en parle on si peu ?
Pourquoi est il precise qu'elle jugeait sous un palmier?
Merci d'avance pour vos reponses.
Jacques Kohn ZAL
Messages: 2766
La partie du Séfèr Choftim consacrée à Devora s’ouvre sur une brève introduction (4, 1 à 3) qui décrit la situation catastrophique où se trouvaient les enfants d’Israël lorsqu’elle est arrivée au pouvoir.
« Les enfants d’Israël continuèrent de faire ce qui est mauvais aux yeux de Hachem ; et Ehoud était mort » (4, 1). Les commentateurs s’interrogent sur la formulation de ce verset : Entre Ehoud et Devora, il y avait eu Chamgar ! Pourquoi n’est-il pas mentionné ?
En réalité, explique Radaq, Chamgar n’avait pas entièrement délivré le peuple d’Israël, lequel n’avait pas cessé de faire ce qui est mauvais aux yeux de Hachem. Il n’y avait pas eu, de son temps, de paix véritable, comme en témoignera le verset 5, 6.
Les Hébreux furent livrés à la domination de Yavin, roi de Canaan, « qui régnait à ‘Hatsor ». Cette domination, qui est la seule parmi toutes celles décrites dans le Séfèr Choftim à avoir été « vigoureuse » (be-‘hozqa – 4, 3), a probablement été la plus cruelle.
Rappelons que Josué, au cours de sa campagne militaire contre les Cananéens, avait pris ‘Hatsor, « auparavant la capitale de tous ces royaumes », et l’avait brûlée par le feu (Josué 11, 10 et 11). Elle subsiste aujourd’hui, rapporte Yehouda Elitsour (Séfèr Choftim – Collection Da‘ath miqra), comme un tas de ruines près de Ayéleth ha-Cha‘har, non loin du lac de Tibériade.
Située sur la route commerciale qui reliait l’Egypte à Damas, puis à la Mésopotamie, ‘Hatsor occupait une position stratégique inégalée dans la région, et elle avait pour vocation de remplir un rôle de premier plan, non seulement dans la région, mais à travers le Proche et le Moyen-Orient. Il n’est donc pas étonnant que le texte désigne Yavin, à quatre reprises (4, 2 ; 4, 23 et 24), non pas comme « roi de ‘Hatsor », mais comme « roi de Canaan ».
Yavin et Sissera, son chef d’état-major, résidaient à ‘Harocheth ha-goyim, ainsi nommée, soit parce qu’elle était une ville fortifiée (Rachi), soit parce qu’elle était une ville industrielle (Metsoudath David ). Elle se serait située non loin de l’actuel Kibouts de Cha‘ar ha-‘amaqim, et donc entre la vallée de Yizre‘èl et celle de Zevouloun (Elitsour op.cit.)
Sissera disposait de neuf cents chars (4, 3) – les blindés de l’époque – une armée d’autant plus puissante qu’il s’y ajoutait, selon le Targoum (5, 8), quarante mille généraux (reichei machiryan), cinquante mille porteurs d’épée, soixante mille lanciers, soixante-dix mille porteurs de boucliers et quatre-vingt mille soldats.
Son armée, observe la Guemara (Pessa‘him 118b), était encore que celle du Pharaon de la sortie d’Egypte. Il est écrit, en effet, de celui-ci qu’il possédait six cents chars (Chemoth 14, 7), alors que Sissera en avait neuf cents.
Cette puissance aussi redoutable lui a permis, vingt ans durant, de décourager toute velléité de révolte de la part d’Israël et de l’opprimer durement.
C’est alors que Devora accéda à la magistrature suprême. Elle était également, précise le texte (4, 4), prophétesse et femme de Lapidoth.
Notre histoire, nous apprend le Talmud (Meguila 14a), a connu sept prophétesses. Devora a été l’une d’elles, ainsi que Sara, Miryam, ‘Hanna, Avigaïl, ‘Houlda et Esther.
Elle est également présentée comme la femme de Lapidoth, expression que nos commentateurs interprètent de diverses façons :
– Selon Rachi, qui cite la Guemara (Meguila 14a), elle confectionnait des mèches (lapidoth) pour le sanctuaire.
– Le Tanna de-bei Eliyahou explique, quant à lui, que Lapidoth étant un ignorant, sa femme Devora l’avait incité à fournir des mèches pour le sanctuaire, espérant peut-être qu’il fréquenterait les Sages et s’instruirait à leur contact.
Radaq signale que Lapidoth, le mari de Devora, n’était autre que Baraq.
– Une quatrième interprétation est proposée par Metsoudath David : Devora était une femme d’exception, zélée comme une « torche de feu » ([lapid èch] – Cf. Berèchith 15, 17). C’est cette « torche de feu » qui enflammera la « foudre » (baraq).
Elle habitait, poursuit le texte « sous le palmier de Devora, entre Rama et Béthel, dans la montagne d’Efrayim, et les enfants d’Israël montaient vers elle pour être jugés ».
L’expression « palmier de Devora » (tomèr Devora) ne doit pas, indique Rachi, être prise au pied de la lettre. Elle habitait à ‘Ataroth, et elle était très riche. Les endroits énumérés dans le verset correspondent aux lieux où elle possédait des biens : des palmiers à Jéricho, des vignobles à Rama, des oliviers à Béthel et des domaines agricoles dans la montagne d’Efrayim.
Autre explication, proposée par Metsoudath David : Elle recevait ses visiteurs sous un palmier, et ce afin d’écarter tout soupçon d’intimité avec les hommes (Meguila 14a).
Radaq fait remarquer que les intuitions prophétiques de Devora ne concernaient que le présent. On en trouvera d’ailleurs plus loin dans son cantique. Elle n’a jamais prophétisé, en revanche, pour l’avenir.
[J. K.]
deborah
Messages: 3
Merci pour votre reponse si precise et si rapide.
Je trouve que l'image de la femme juive a travers Deborah est differente de l'image des autres femmes de la bible : elle a un role politique alors que les autres femme, meme Esther, ont eu un role au travers de leur mari.
Par opposition a yael, ce n'est pas par la seduction qu'elle utilise. Elle reste humble mais determinee.
Pour aller plus loin quel enseignement doit on tirer de l'histoire de Deborah?
Jacques Kohn ZAL
Messages: 2766
Je partage votre avis à propos du rôle politique de Devora, qui est effectivement essentiel, et tout à fait inaccoutumé dans la Bible pour une femme.
J’ajouterai certains points qui me paraissent essentiels :
– Le mot français de « juge », tel qu’il est appliqué à Devora, ainsi qu’aux autres « juges » du Séfèr Choftim, est tout à fait inapproprié.
Le Séfèr Choftim (en français : « Juges » ; en latin : iudices) porte un titre susceptible d’être mal compris. On pourrait penser qu’il concerne des affaires de tribunal ou de justice. Mais le mot « juge » qui figure pour la première fois au chapitre 2 de ce livre (versets 16 à 18) n’évoque pas une fonction judiciaire. Les « juges » sont des personnages que Hachem a choisis pour sauver ou délivrer le peuple d’Israël dans des situations difficiles. En fait, lors de sa première occurrence dans ce livre, le mot chofèt apparaît en parallèle avec le verbe hochi‘a (« sauver ») : « Hachem suscita des juges (choftim) ; et ils les délivrèrent (wayochi‘oum) de la main de ceux qui les pillaient » (2, 16).
L’activité des « Juges » a consisté à diriger le peuple d’Israël, et non à trancher des litiges, fonction attribuée au dayan plutôt qu’au chofèt. Plus exactement, leur travail judiciaire à proprement parler n’a jamais été qu’accessoire. N’oublions pas, en effet, que la fonction de gouverner et celle de juger sont l’une et l’autre, pour la Tora, des charges déléguées par Hachem, et que celle-ci ignore le principe de la séparation des pouvoirs en honneur dans les sociétés modernes.
On voit mal, d’ailleurs, comment une « juge » comme Devora aurait pu se consacrer à arbitrer des conflits entre justiciables, alors que le Choul‘han ‘aroukh (‘Hochèn michpat 7, 4) pose pour principe qu’une femme ne peut être juge, encore que Rabbi Ye‘hiel Mikhael Epstein, dans son ‘Aroukh ha-choul‘han (ibid.), estime qu’elle peut trancher des litiges portant sur des sommes d’argent (dinei mamonoth).
Le Targoum Yonathan traduit le mot chofèt par « naguid » (« prince », ou « représentant de Hachem »), terme souvent employé plus tard par les prophètes comme synonyme de « roi » (voir notamment I Samuel 9, 16 ; I Samuel 13, 14 ; I Rois 14, 7).
On peut rapprocher le mot hébreu « chofèt » de celui de « suffète » (mot également d’origine sémitique) qui désignait, dans la Carthage antique, le personnage – comparable au « consul » romain – investi de tous pouvoirs pour diriger la cité, et notamment pour faire la guerre. Lisez, à ce sujet, ou relisez, Salammbô, de Gustave Flaubert. Or, les consuls, personnages essentiellement politiques, étaient également désignés sous le nom de iudices (« juges »).
– La très forte personnalité de Devora, qui se reflète dans son dialogue avec Baraq (Choftim 4, 8 et 9), apparaît également dans la vigueur avec laquelle elle fustige dans son cantique (chirath Devora), et ce sans « prendre de gants », les tribus qui sont restées à l’écart des combats : Reouven, Guil‘ad (descendants transjordaniens de Makhir, petit-fils de Menaché) Dan et Achèr (5, 14 à 18).
– Sa forte personnalité et son franc-parler lui ont valu aussi quelques déboires. A propos des mots : « … jusqu’à ce que moi Devora, je me sois levée, une mère en Israël » (5, 7), le Talmud (Pessa‘him 66b ; voir aussi Rachi ad loc. ; Rabbeinou Be‘hayé Berèchith 19, 13) lui fait gravement reproche d’avoir dénigré ses prédécesseurs (verset 6). Elle aurait de ce fait perdu son intuition prophétique, et ainsi s’expliquerait le verset 12 : « Réveille-toi, réveille-toi, Devora ! Réveille-toi, réveille-toi, dis un cantique ! », c’est-à-dire : « Relève-toi de ton impuissance à prononcer des prophéties ! »
– Le nom même de Devora (« abeille ») résume son caractère : redoutable par son dard, mais bienfaisant par son miel.
[J. K.]
deborah
Messages: 3
Vraiment je vous remercie M.Kohn et je remercie ce site de donner l'oportunite a des gens comme moi d'obtenir des reponses precises sur la base d'un texte.
Il est facile pour une femme d'assister a un cour generaliste sur le judaisme mais difficile d'etre dans un contexte ou l'on puisse poser des questions.
Je ne manquerai pas de continuer sur d'autres sujets qui me tiennent a coeur.
Mais je voudrai fouiller encore un peu sur Deborah. Je ne comprends pas bien le sens du dialogue avec Barak : "j'irai avec toi , seulement ce n'est pas a toi que reviendra l'honneur de ton entreprise". On ne comprend pas pourquoi elle dit cela a Barak qui veut justement qu'elle participe avec lui. On ne comprend pas bien non plus pourquoi le merite ne revient pas entierement a Deborah mais il y a l'intervention de Yael , qui elle utilise la seduction.
Jacques Kohn ZAL
Messages: 2766
Beaucoup de commentateurs se sont penchés sur le dialogue entre Devora et Baraq (Choftim 4, 8 et 9). Je citerai ci-après l’essentiel de leurs remarques :
Radaq (Rabbi David Qim‘hi [Narbonne 1157 – 1236]) : Ce ne sera pas ta victoire, mais celle d’une femme, à savoir Devora.
Ralbag (Rabbi Lévi ben Guerchone ([Bagnols-sur-Cèze 1288-1344]) : Baraq pensait que Devora méritait plus que lui-même que l’aide divine vînt appuyer son armée dans son combat.
Metsoudath David (Rabbi David Altschuler, 17–18ème siècle) : Il existe deux façons pour un chef militaire de se couvrir de gloire : La première consiste à montrer du courage au combat, et la seconde à tuer, ou à faire tuer par un de ses hommes, le chef de l’armée ennemie.
Or, c’est une femme, Yaël, qui va tuer Sissera, et cela par miracle. Et puisque ce sera par miracle, « tu n’en tireras aucune gloire ».
Malbim (Rabbi Meir Leibouch [1809-1879]) : Baraq ne doutait pas des pouvoirs prophétiques de Devora, pas plus qu’il ne voulait s’opposer à eux, d’autant que celui qui s’oppose à la parole d’un prophète est passible de mort. Son problème était qu’elle lui avait ordonné (4, 6) de mobiliser dix mille hommes des tribus de Naftali et de Zevouloun, et il craignait que, Devora absente, le peuple ne le crût pas.
Il a donc voulu lui dire ceci : « Si tu viens avec moi à Qédèch, pour mobiliser le peuple, j’irai avec toi à ‘Hatsor, c’est-à-dire au combat »
Baraq avait peur en outre que son seul mérite ne fût pas suffisant. Aussi tenait-il à être accompagné par Devora.
Voici ce qu’il a voulu lui dire : « Si tu viens avec moi dans le cantique, j’irai avec toi au combat. »
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Quant à Yaël, elle appelle de la part de nos Maîtres les remarques suivantes : La Guemara (Nazir 23b) la met sur le même plan que Sara, Rébecca, Rachel et Léa.
Mais on ne peut pas ne pas tenir compte de ce qu’elle s’est laissée séduire volontairement par Sissera, avec lequel elle a eu, à sept reprises, des rapports sexuels (Yebamoth 103 a et b).
Rav Na‘hman bar Yits‘haq déduit de son comportement le principe selon lequel un péché, lorsqu’il a été commis de façon désintéressée, « pour le bien du Ciel », équivaut à une mitswa accomplie avec des arrière-pensées (chélo lichma).
Il n’en demeure pas moins que Yaël, comme femme mariée, aurait dû se laisser tuer plutôt que se donner à Sissera. On sait en effet que l’adultère est, avec le meurtre et l’idolâtrie, de ces trois péchés « capitaux » pour lesquels on doit subir le martyre plutôt que de les commettre (Sanhédrin 74a). Les Tossafoth (Nazir 23b, s.v. weha mithanya) rapprochent cependant son cas de celui d’Esther, qui ne s’est pas non plus laissée tuer plutôt que de se donner à Assuérus : La femme, dans une relation interdite, est considérée comme une partenaire passive, de sorte qu’elle n’est pas tenue au sacrifice suprême.
Il est vrai, comme le font observer les Tossafoth (Sanhédrin 72b s.v. weha Esther), que la situation de Yaël était sensiblement différente de celle d’Esther. Sissera était en fuite, et il se préoccupait bien plus de sauver sa vie que de séduire une femme. Bien au contraire, ajoutent les Tossafoth, il n’a demandé à Yaël que de le dissimuler à la vue de ses poursuivants, et c’est elle qui lui a fait des avances afin de l’affaiblir.
Peut-être, comme le fait remarquer Rav Mendel Weinbach, Roch yechiva de Ohr Somayach, peut-on donner ici la même réponse que celle proposée par Rav Ye‘hezqèl Landau (Noda’ bi-Yehouda, Vol. II, Yoré dé‘a 161) à propos d’Esther qui s’est rendue délibérément chez Assuérus sur l’ordre de Mardochée. Il s’agissait pour elle de sauver l’ensemble de la nation d’Israël, et il en a été de même pour Yaël. [J. K.]
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