Voici un article que j'ai écrit sur le Prozboul, j'aimerais avoir votre avis, des commentaires...
Merci.
Traité Shévi’it - Chapitre 10
Thème du chapitre: La remise des dettes la 7ème année (chemitat kessafim) et l’institution du Prozboul
La Chemita ne se résume pas à l’interruption des travaux agricoles, il existe un autre aspect des lois de la septième année concernant l’argent, et plus particulièrement les prêts d’argent. En effet, à chaque septième année est proclamée une remise sur les prêts, contractés préalablement, annulant les dettes. Ainsi, parallèlement à l’interruption des travaux agricoles pendant la septième année, la Torah a ordonné la mitsva de « chemitat kessafim » (annulation des dettes). Nous l’apprenons des versets suivants :
Les versets prescrivant l’annulation des dettes :
1) Devarim, chapitre 15 : 1-3
(א) מקץ שבע שנים תעשה שמטה:
(ב) וזה דבר השמטה שמוט כל בעל משה ידו אשר ישה ברעהו לא יגש את רעהו ואת אחיו כי קרא שמטה לד':
(ג) את הנכרי תגש ואשר יהיה לך את אחיך תשמט ידך:
« Tous les sept ans tu feras chemita. Voici en quoi consiste la chemita: tout créancier fera remise de la créance qu'il aura prêtée à son prochain, il ne pressera pas son prochain, son frère, car on aura proclamé remise en l'honneur du Seigneur. Tu pourras exiger paiement de l'étranger mais ta main fera remise de ce que ton frère aura à toi. »
2) Devarim, chapitre 15 : 9
(ט) השמר לך פן יהיה דבר עם לבבך בליעל לאמר קרבה שנת השבע שנת השמטה ורעה עינך באחיך האביון ולא תתן לו וקרא עליך אל ד' והיה בך חטא:
« Prends garde de nourrir dans ton cœur une pensée perverse en disant la septième année approche, l’année de la remise des dettes, et sans pitié pour ton frère nécessiteux, de lui refuser ton aide : il se plaindra de toi à Hachem et te rendrais coupable d’une faute. »
Le Rambam dans son Sefer Hamitsvot dénombre ainsi les mitsvots de chemitat kessafim :
מצוה קמא - היא שצונו להשמיט כספים כלומר החובות כלם בשנת השמטה והוא אמרו ית' ואשר יהיה לך את אחיך תשמט ידך וכבר נכפל הצווי במצוה זו ואמר וזה דבר השמטה שמוט כל בעל משה ידו ולשון התוספתא בשתי שמטות הכתוב מדבר אחת שמטת קרקע ואחת שמטת כספים ומצוה זו של שמטת כספים אינה נוהגת מן התורה אלא בזמן ששמטת קרקע נוהגת והיא עכשו נוהגת בכל מקום וכבר התבארו משפטי מצוה זו במסכת שביעית פרק אחרון:
מצוה רל - שהזהירנו שלא לתבוע המשאות בשנת השמיטה אבל ישמטו כלם יחדו והוא אמרו שמוט כל בעל משה ידו וגו' לא יגש את רעהו ואת אחיו וזה אין חייבין מן התורה אלא בארץ ישראל בעת שתהיה שם שמיטת קרקע רוצה לומר היובל אבל מדרבנן יתחייב כן בכל מקום ובכל זמן ואינו מותר לגוש המשאת שעברה עליה השביעית אבל ישמט וכבר התבארו משפטי מצוה זו בסוף מסכת שביעית:
מצוה רלא - שהזהיר מהמנע להלוות קצתנו לקצתנו מפני השמטה כדי שלא ישמט החוב שהכתוב הזהיר מזה הענין והוא אמרו השמר לך פן יהיה דבר עם לבבך בליעל לאמר וגו' ולשון ספרי השמר בלא תעשה פן יהיה בלא תעשה כלומר שאלו שני לאוין באו בזה הענין בזה אחר זה לחזוק:
Il y a donc trois mitsvots différentes concernant la remise des dettes :
1. Le commandement positif qui oblige le prêteur à annuler les créances qu’il possède d’un juif ;
2. L’interdit pour le prêteur de réclamer une créance qui a été annulée après qu’elles aient été annulées à fin de la septième année ;
3. L’interdit de se retenir de prêter pendant la sixième année de peur que l’emprunteur ne puisse régler ses dettes et qu’elles soient annulées par la septième année.
LES ENJEUX DE CETTE MITSVA
Selon la Torah, prêter est une mitsva et cela est vrai aussi bien en ce qui concerne le prêt à un riche qu’à un pauvre. En effet, ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on n’a pas besoin d’argent, les besoins ne sont plus les mêmes uniquement. Plus encore, la Torah met en garde celui qui se retiendrait de prêter à la veille de la Chemita de crainte de ne pas voir le remboursement de son prêt. Cependant une fois tous les sept ans, comme nous l’avons vu, les dettes sont annulées : c’est ce qu’on appelle la chemitat kessafim.
Comment se fait-il que le prêt à autrui constitue t-il une obligation religieuse à part entière ?
Pourquoi la Torah se préoccupe t-elle de ce qui ne semble qu’être uniquement un problème économique et social ?
Pour éclaircir notre compréhension, nous pouvons nous appuyer sur le Rambam qui, dans son Michné Torah (Hilkhot Matnot Ani’im, chapitre 10 ; 8), écrit la chose suivante : « Il existe huit niveaux de tsédaka, l’un plus élevé que l’autre : Le niveau le plus élevé est celui d’une personne qui propose du travail à son prochain, ou qui lui propose de s’associer avec lui ou bien encore qui lui accorde un prêt. Ainsi, ce dernier n’aura plus besoin de recevoir de la tsédaka dans le futur. »
Pour le Rambam, une des formes les plus aboutie de la Tsédaka est donc d’accorder un prêt à celui qui en a besoin, et le Rambam de donner également la raison : « ce dernier n’aura plus besoin de recevoir de la tsédaka dans le futur ». Le prêt est donc une marque forte de générosité, il s’agit essentiellement d’un acte de bonté. On se rappelle que le prêt à intérêt est interdit par la Torah, le prêt est donc bien une forme de cadeau.
Le crédit est à l’origine du développement de l’activité économique. En effet, comment produire si on ne possède pas encore les ressources nécessaires à la production. Toute production nécessite un investissement, et rares sont les fois où l’épargne suffit, à elle seule, à lancer la production. Les économies occidentales se sont, en grande partie, développées grâce au levier que constitue le crédit. C’est donc bien le préteur qui est à l’origine de l’activité économique grâce aux risques qu’il supporte (tout prêt comporte un risque de non-remboursement). Il permet l’enrichissement collectif, sans lui l’activité économique serait ralentie, limitée. En effet, seuls ceux qui posséderaient une épargne suffisante pourraient se lancer dans des activités économiques qui par nature comportent toujours des risques, ce qui limiteraient énormément le dynamisme économique nationale. Les pauvres comme les riches sont donc susceptibles d’avoir besoin d’emprunter puisque le développement économique dans son ensemble repose sur le crédit, sur l’investissement. On comprend mieux alors la place essentielle qu’occupe le prêt, or puisque pour la Torah il est interdit de prêter en prélevant en contrepartie un intérêt, la Torah enjoint les hommes à prêter, il s’agit en l’occurrence d’une obligation religieuse qui s’apparente à la Tsédaka.
LE CRÉDIT ET NOUS
De nos jours, il est particulièrement facile de se trouver dans une situation d'incapacité à rembourser ses dettes. Il est relativement aisé d’emprunter, la société pousse à la consommation à outrance et l’emprunt constitue souvent le seul moyen pour maintenir son rang social. De plus, les intérêts ne faisant qu’accroître la dette à mesure que le temps passe, notre situation financière se dégrade, et on s’aliène encore un peu plus à son créancier.
On peut alors aisément imaginer combien une mitsva comme la remise des dettes pourrait apporter comme bienfaits à une société capitaliste comme la nôtre, si cruelle envers les plus démunis. En effet, une personne qui, pour survivre, accumule les dettes devient vite une sorte d’esclave moderne, il est obligé d’accepter n’importe quel travail, pour n’importe quel salaire. Il n’aura aucune autre alternative pour échapper à ses créanciers puisqu’il est dans l’impossibilité de voir annuler ses dettes.
On ne peut donc qu’être admiratif de cette Mitsva de la Torah qui permet ainsi aux hommes de ne pas déchoir si bas dans l’échelle sociale et permet ainsi à chacun de retrouver espoir et goût de vivre.
SENS DE CETTE MITSVA
D’après le Séfer HaHinoukh (Mitsva 477), l’annulation des dettes la septième année vient : « nous enseigner les vertus de la générosité et de la largesse. Afin que nos cœurs placent leur confiance envers le Nom béni soit-Il pour qu’on soit apte à recueillir les bienfaits et la miséricorde du Propriétaire de toutes choses. De plus, cette Mitsva établit une solide barrière, une muraille d’acier, pour nous éloigner du vol et de la convoitise de ce que possède notre prochain. En effet, nous raisonnerons ainsi : si même lorsque je lui ai prêté mon argent la Torah peut m’exiger d’annuler la dette une fois passée l’année de la Chemita, à plus forte raison que lui voler, lui extorquer de force, dois-je m’en éloigner jusqu’à l’extrême ».
Rabbi Avraham, le fils du Rambam, fait remarquer dans son Commentaire sur la Torah que la Mitsva de chemitat kessafim est un acte de générosité encore plus grand que la Tsédaka puisque, dans le cas de l’annulation des dettes, le pauvre n’est pas humilié. Il s’agit là d’une obligation de la Torah qui incombe au créancier, le pauvre accepte donc cela avec beaucoup plus de facilité, le créancier ne lui accorde pas une faveur.
Rav Shimshon Raphaël Hirsch précise que la chemitat kessafim n’a pas pour objectif essentiel d’annuler l’obligation du débiteur de payer sa dette mais surtout que le créancier libère le débiteur de son aliénation. D’ailleurs, il y a bien une Mitsva qui incombe le créancier d’exprimer clairement par la parole que les dettes sont annulées et de montrer ainsi qu’il se détache des créances qu’on lui doit. En effet, celui qui rembourse ses dettes malgré l’annulation de sa dette est loué par les Hakhamim. Si le débiteur possède les moyens de rembourser sa dette, même si l’année de la chemita est passée rien ne l’empêche de rembourser. La finalité essentielle de cette Mitsva est donc bien de libérer le pauvre du tourment que lui causent les dettes qu’il a envers son créancier.
Selon Rav Hoffmann, pour comprendre la Mitsva de Chemitat Kessafim, il faut la replacer dans son contexte c’est à dire dans le contexte de la chemita des terres. La raison pour laquelle la Torah annule les dettes à la fin de l’année de la Chemita, c’est que le pauvre agriculteur n’est pas en mesure de payer ses dettes puisque les travaux agricoles ne se sont pas réalisés cette année là. En effet, il faut savoir que l’agriculteur a l’habitude de payer ses dettes une fois la récolte effectuée. La Torah se préoccupe ainsi du pauvre qui aura des difficultés à assurer le remboursement de ses emprunts cette année là et ne veut pas voir sa condition financière se détériorer. De cette façon là, on comprend mieux pourquoi les Hakhamim nous enseignent que c’est seulement à la fin de l’année de la chemita que les dettes sont annulées.
ÉCONOMIE ET TORAH
Il est, à mes yeux, indispensable de mettre en évidence le fait que la Torah n’hésite pas à instaurer les bases d’une société où les problèmes économiques et les Mitsvots proprement dites s’imbriquent. La Torah ne considère pas la justice sociale comme un champs exclu de ses préoccupations, elle inscrit ce thème dans une perspective plus générale de Avoda (de service divin). Les problèmes économiques d’une société, les inégalités sociales ne sont pas des thèmes profanes, ils sont objets de Mitsvot. La remarque célèbre de Rav Salanter illustre bien cela, il disait : « Les besoins matériels de mon prochain sont mes besoins spirituels ! ». Au delà de la formule, il est tout à fait justifié de dire que pour la Torah les domaines spirituels et matériels ne sont séparés que d’une manière formelle.
Cependant, afin d’éviter tout anachronisme lorsque nous établissons des parallèles entre l’économie et la Torah, il nous faut effectuer une petite remarque : Il est clair que la Torah « encastre » (selon l’expression de Karl Polanyi) les problèmes économiques et sociaux dans une perspective plus générale qui est d’ordre religieuse, il ne s’agit pas de science économique. On ne peut réduire la mitsva de la chemitat kessafim à une conception strictement économique. De même, l’institution d’Hillel Hazaken (le Prozboul) ne peut être résumée à une simple réforme économique. La Torah n’est évidemment pas un livre d’économie et les mitsvots de nature « économiques » ne se limitent pas à une politique sociale particulière, elles s’inscrivent dans l’objectif général de la Torah c’est à dire celui de la Avoda. De même, si nos Sages se montrent préoccupés par des problèmes économiques et sociaux, c’est avec un regard bien plus étendu qu’un économiste ou un sociologue ne le ferait.
Comme le rappelle K.Polanyi : « Il nous faut nous défaire de la notion bien enracinée selon laquelle l’économie est un terrain d’expérience dont les êtres humains ont toujours été conscients. Pour employer une métaphore, les faits économiques étaient à l’origine encastrés dans des situations qui n’étaient pas elles-mêmes de nature économiques, non plus que les fins et les moyens qui étaient essentiellement matériels. La cristallisation du concept d’économie fut une affaire de temps et d’histoire ». Les hommes, depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen-Age, confrontés à un problème nouveau en cherchaient le modèle dans la Torah. Ce qui a permis aux Sages de ne pas être paralysée par l’autorité biblique, et contraints à l’immobilité historique, c’est que le texte de la Torah donne la possibilité à une certaine malléabilité. La question est ensuite de savoir si c’est bien la Torah qui autorise ces adaptations ou bien si c’est l’exégète qui s’autorise quelques libertés avec le texte.
Pour illustrer cela, nous étudierons en détail l’institution d’Hillel – le Prozboul – où nous apercevrons clairement comment une mitsva (l’annulation des dettes) et le souci du bien-être des pauvres (qu’ils puissent trouver des emprunteurs à la veille de la chemita) peuvent parfois entrer en conflit et comment Hillel va tenter de les concilier en instituant le Prozboul. Nous ne manquerons pas de nous demander ce que la Torah pense de cette réforme qui, de fait, annule la Mitsva de Chemitat Kessafim : S’agit-il ici d’une ruse des Hakhamim pour contourner la Mitsva de la Torah qui était difficile à respecter à un moment donnée, où bien le Prozboul, bien qu’annulant la mitsva de la remise des dettes, reflète en réalité l’enseignement profond de la Torah ?
Le Prozboul d’Hillel Hazaken : ruse ou sagesse ?
(ג) פרוזבול, אינו משמט. זה אחד מן הדברים שהתקין הלל הזקן, כשראה שנמנעו העם מלהלוות זה את זה ועוברין על מה שכתוב בתורה (דברים טו) השמר לך פן יהיה דבר עם לבבך בליעל וגו', התקין הלל פרוזבול:
Michna 3
Le Prozboul n’annule pas les dettes. C’est l’une des choses qu’institua Hillel Hazaken, lorsqu’il vit que le peuple se retenait de prêter les uns aux autres et qu’ils transgressaient l’interdit (Deutéronome 15) : « Prends garde de nourrir une pensée perverse dans ton cœur… » c’est pourquoi Hillel institua le Prozboul.
À l'époque du Second Temple, Hillel remarque que le peuple juif se retient de prêter les uns aux autres à la veille de la Chemita, or cela constitue une interdiction spécifique de la Torah. En effet, les gens ne voulaient plus prêter à ceux qui en avaient besoin, de crainte de ne pas voir le remboursement de la dette avant la fin de la septième année.
Le mot Prozboul est d’origine grecque :Proz= institution,Boli= les riches, car, selon une première opinion, l’institution avait comme visée que les riches ne transgressent pas l’interdit de se retenir de prêter à la veille de la Shevi’it et selon un autre avis, c’était tout simplement de faire en sorte que les riches ne perdent pas le remboursement de leurs créances. Cette institution était évidemment aussi au bénéfice des pauvres qui pouvaient ainsi continuer à trouver des prêteurs disposés à leur prêter. Ce type d’emprunt par les Sages d’Israël à d’autres langues que l’hébreu n’est pas rare dans la Guemara.
Quels sont les enseignements que nous pouvons retirer de cette Michna ?
Pour cela, il nous faut au préalable poser un certain nombre de questions :
1. Si Hillel fait un tel constat au point de décider d’intervenir, on peut légitimement penser que cette pratique était tellement répandue qu'il ne servait plus à rien de les réprimander, de les empêcher de se comporter de la sorte. Le problème avait pris une telle ampleur qu'il ne servait plus à rien de les gronder, voire de les punir, il s’agissait vraisemblablement d’un véritable fléau social. Hillel, ne voyant donc pas d'autre alternative, décide d'instituer le Prozboul. Autrement, pourquoi Hillel aurait décidé d’instituer le Prozboul qui rend caduque l’annulation des dettes.
Comment se fait-il que les Juifs, qui jusqu’alors respectaient la Mitsva prêter aux nécessiteux (riches comme pauvres), cessent de s’aider mutuellement à la veille de Chemita ? Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il une raison historique, des circonstances exceptionnelles, qui permettraient de comprendre ce changement ?
2. La sagesse d'Hillel fut aussi d'estimer qu'il ne s'agissait pas d'un accident mais que ce nouveau comportement allait durer. Il introduisit alors le Prozboul qui annula donc la remise des dettes et permit ainsi aux prêts de continuer à se pratiquer. Il fallait pour cela trouver une « astuce rabbinique » qui satisfasse à la fois les exigences de la Torah et les besoins des pauvres. Pour autant, d'où tenait-il la force nécessaire pour effectuer une telle réforme ? Comment la chose est-elle permise par la Torah ? D’où Hillel tire-t-il son autorité pour contourner la Mitsva de Chemitat Kessafim et instituer le Prozboul ?
3. Si Hillel annule la mitsva de chemitat kessafim, en quoi s'agit-il d'une « réparation » de l'état qui préexistait jusqu’alors ? N'a-t-il pas empiré la situation en s'éloignant davantage de la mitsva de la Torah qui enjoignait les hommes à annuler leurs créances ? N’était-il pas préférable de laisser les choses en l’état en espérant faire changer les hommes ? La question sera donc de savoir si le compromis trouvé – le Prozboul – constitue une réponse adéquate au problème posé ?
4. Cette conduite du peuple juif a de quoi nous rendre perplexe: il ne s'agit aucunement de gens peu scrupuleux quant à la pratique des mitsvots, au contraire ils voulaient respecter la Torah, ils étaient prêts à voir leurs créances disparaître une fois la septième année passée, mais ils avaient du mal à continuer à prêter la veille de la Chemita sachant qu'ils risquaient fort de ne plus voir le remboursement des prêts. Qu’y a-t-il de si terrible à cela ? Pourquoi le fait de se retenir de prêter est-il d’une si grande gravité selon la Torah ?
S'il est vrai que le peuple se retenait de prêter à la veille de la Chemita de peur de voir leurs créances s'annuler, cela nous indique aussi que jusqu'à présent la mitsva d'annulation des dettes était scrupuleusement respectée. Nul créancier n'aurait pu, une fois passée l'année de la Chemita tourmenter son débiteur en exigeant de lui le remboursement de la dette. Le peuple juif n'était donc pas si éloigné de la pratique des Mitsvots, au contraire on pourrait même dire que, paradoxalement, c'est l'application rigoureuse de la mitsva de la remise des dettes qui les conduisit à se retenir de prêter. Il est vrai qu'ainsi ils transgressaient l'interdit de " se retenir de prêter à la veille de la septième année " mais en quoi la transgression de cet interdit est-elle suffisamment grave aux yeux d’Hillel pour qu'il faille selon lui annuler la mitsva de chemitat kessafim ? En quoi est-il préférable que les dettes ne soient pas annulées, qu’ils continuent à se prêter plutôt que de voir le respect de la mitsva d’annulation des dettes mais qu’ils se retiennent de prêter la veille de la chemita ?
Tentons d’apporter des éclaircissements à ces questions:
1. Contexte historique de l’institution du Prozboul
Hillel est confronté à un véritable dilemme moral : il est déchiré entre, d’un côté, l’idéal social de la Torah (la mitsva de chemitat kessafim) et, d’un autre côté, la réalité concrète des hommes de son époque (ils cessent de se prêter à la veille de la chemita). Il ne peut fuir le problème : il n’a pas le droit d’occulter la détresse des pauvres et laisser les choses en l’état, mais il ne peut pas non plus abolir tout simplement une mitsva de la Torah. Hillel pense alors qu’en instituant le Prozboul, qu’une conciliation est trouvée.
Il ne faut pas s’imaginer un instant que les Juifs de l’époque d’Hillel étaient tellement éloignés de la pratique des Mitsvot. Au contraire, si Hillel pense qu’il faut agir, c’est que le peuple est encore réceptif aux paroles des Sages, tout n’est pas perdu ! Ce sont uniquement des circonstances historiques particulièrement pénibles qui les ont contraints à se retenir de prêter à la veille de l’année de la Chemita, c’est pourquoi il faut, d’après Hillel, trouver au plus vite une solution.
En prenant connaissance des conditions économiques et sociales des Juifs à l’époque du Second Temple, on pourra apporter un éclairage judicieux dans la compréhension de l’institution du Prozboul. Le but n’est évidemment pas de réduire l’institution du Prozboul à un compromis historique. Néanmoins, si la Michna prend la peine de nous dire qu’Hillel institua le Prozboul à cause du comportement des Juifs de son époque, il y a lieu de prendre connaissance de ce qui les conduirent à se retenir de prêter.
Quelle était la situation économique des Juifs à cette époque ?
Hillel vécut sous la domination d’Hérode et de l’empereur Auguste. Sous Hérode, on perçut les taxes de façon inflexible. Pour ses énormes dépenses, le roi avait besoin de ressources sans cesse nouvelles : « Comme il dépensait au-delà de ses ressources, il était obligé de se montrer dur envers ses sujets en leur imposant de lourds impôts » selon Flavius Josèphe (Antiquités Juives, chap.16). Il est vrai qu’Hérode visait en même temps à développer la civilisation ce qui accroissait les forces économiques du pays (construction du Temple, bien entendu, mais aussi installations de forteresses etc.). Vu cette situation, nous devons croire Josèphe quand il nous dit qu’un orgueil insatiable constituait le trait fondamental de la personnalité d’Hérode. Les impôts et les douanes, relativement supportables, ne pouvaient que dans une faible mesure couvrir les dépenses. Les dons – à Hérode, à ses parents et « amis » ainsi qu’aux collecteurs des impôts et à leurs subordonnés – les confiscations de biens et les impositions extraordinaires ont du peser plus lourdement sur le peuple. Le peuple était contraint d’employer tout ce qui était en leur pouvoir pour échapper aux impôts (Voir Michnayot Kélim 17,16 et Kilaïm 9,2 où les Tanaïm énumèrent une série de ruses pour échapper au paiement des impôts). A tel point que des plaintes du peuple furent transmises à Rome après sa mort. A sa mort, lit-on chez Josèphe, Hérode laissa un peuple complètement appauvri, avec des habitants à la moralité diminuée. Dans le même ordre d’idée, la Guémara dans Sanhédrin illustre cela en disant : « Lorsqu’un homme sort vers son champs et qu’il rencontre le senator (responsable des terres) c’est comme s’il avait rencontré un lion. Lorsqu’il rentre en ville et qu’il rencontre le percepteur des impôts c’est comme s’il avait rencontré un ours. Lorsqu’il rentre chez lui et qu’il trouve ses fils et ses filles mourrants de faim, il ressemble à quelqu’un qui a été mordu par un serpent. » (Sanhédrin 93 b). Hillel voit donc le peuple Juif confronté à de graves difficultés. La vie des pauvres comme des riches se compliquant encore plus sous le règne d’Hérode. C’est la raison pour laquelle les riches se retiennent de prêter à la veille de la chemita. Le souci d’Hillel est donc double : 1) que les pauvres puissent bénéficier de prêts même à la veille de la chemita ; 2) et que les riches ne s’appauvrissent dans cette situation si particulière. L’institution du Prozboul prend bien soin de ces deux paramètres.
HÉRODE
Cependant, au même titre qu’Hillel se soucie de la situation économique de ses pauvres contemporains, Hillel se préoccupe aussi à ce que la Torah ne s’oublie pas à travers les conditions terribles de la Galout. Le choix d’utiliser le grec pour le nom de son institution n’est pas anodin, il cherchait à marquer que cette réforme était le fruit de l’exil. Toute la sagesse d’Hillel fut de mettre en œuvre une institution qui soit licite aux yeux de la Torah et qui ne fasse pas disparaître totalement la mitsva de Chemitat Kessafim.
2. La gravité de la conduite de celui qui se retient de prêter à la veille de la chemita
Celui qui se retient de prêter à la veille de la chemita est qualifié par la Torah de « pervers ». En effet, quoi de plus détestable qu’une personne qui prend appui sur la Torah pour faire l’inverse de ce que la Torah attend de lui ! La Torah, en annulant les dettes, n’avait qu’un seul but celui d’alléger le fardeau des pauvres – or en se retenant de prêter à cause de la mitsva de l’annulation des dettes on cause davantage de soucis aux pauvres. La perversité se trouve dans le fait justement qu’on se couvre de fausse religiosité en arguant que c’est l’application de la mitsva de la remise des dettes qui nous empêche de prêter à la veille de la chemita. On porte ainsi atteinte aux pauvres en se donnant bonne conscience puisqu’il applique à la lettre la mitsva d’annuler les dettes à la septième année. La Torah nous sert donc d’alibi, de prétexte pour ne pas venir en aide aux nécessiteux alors que précisément la mitsva d’annuler les dettes avait pour objectif de rendre la vie des pauvres plus facile. C’est une illustration parfaite de fausse dévoterie, de ruse avec la Torah. En effet, il est bien plus grave pour les pauvres de ne pas disposer vers qui se tourner la veille de la chemita que de devoir rembourser les dettes une fois l’année de la chemita passée. Ayant parfaitement compris l’intention de la Torah, Hillel estima que la transgression de l’interdit de se retenir de prêter la veille de la chemita constituait une plus grave interdiction que le non-respect de la mitsva de la remise des dettes. En instituant le Prozboul, il reste dans l’esprit de la mitsva de chemitat kessafim, même si dorénavant les dettes ne s’annuleront plus dès qu’un Prozboul aura été signé, car grâce à lui les pauvres continuent à emprunter ce qui est de loin préférable à ne pas en trouver.
Cependant, il ne suffit pas d’observer un écart entre « l’esprit de la Torah et la lettre » pour avoir le droit de renoncer à un commandement de la Torah, encore faut-il que cette réforme soit licite aux yeux de la Torah, qu’une institution comme le Prozboul soit autorisé.
3. Face à ce dilemme, comment Hillel s’y prend-il ?
Comment Hillel s’est-il pris pour entreprendre une telle réforme, sur quoi s’appuyait-il ?
Guemara Traité Guitin 36a
תנן התם פרוסבול אינו משמט זה אחד מן הדברים שהתקין הלל הזקן שראה את העם שנמנעו מלהלוות זה את זה ועברו על מה שכתוב בתורה השמר לך פן יהיה דבר עם לבבך בליעל וגו' עמד והתקין פרוסבול וזה הוא גופו של פרוסבול מוסרני לכם פלוני דיינין שבמקום פלוני שכל חוב שיש לי אצל פלוני שאגבנו כל זמן שארצה והדיינים חותמים למטה או העדים ומי איכא מידי דמדאורייתא משמטא שביעית והתקין הלל דלא משמטא אמר אביי בשביעית בזמן הזה ורבי היא דתניא רבי אומר וזה דבר השמיטה שמוט בשתי שמיטות הכתוב מדבר אחת שמיטת קרקע ואחת שמיטת כספים בזמן שאתה משמט קרקע אתה משמט כספים בזמן שאי אתה משמט קרקע אי אתה משמט כספים ותקינו רבנן דתשמט זכר לשביעית ראה הלל שנמנעו העם מלהלוות זה את זה עמד והתקין פרוסבול ומי איכא מידי דמדאורייתא לא משמטא שביעית ותקינו רבנן דתשמט אמר אביי שב ואל תעשה הוא רבא אמר הפקר ב"ד היה הפקר
Traduction :
« Hillel institua le Prozboul… : On a enseigné dans une Michna que le Prozboul permet aux dettes de ne pas s’annuler, c’est l’une des choses qu’Hillel Hazaken institua lorsqu’il vit que le peuple se retenait de prêter les uns aux autres [à la veille de la chemita] transgressant ainsi l’interdit de : « Prends garde de nourrir dans ton cœur une pensée perverse… », c’est pourquoi Hillel institua le Prozboul. Voici le contenu du Prozboul : « Je vous transmets à vous Untels les juges qui se trouvent dans tel lieu, que toute dette que me doit Untel, je pourrais la percevoir à n’importe quel moment que je le désirerais ». Les juges signent en bas, ou bien les témoins.
[La Guémara demande] Y a-t-il une chose que la Torah annule à la septième année et qu’Hillel institue qu’elle ne s’annule pas ?
Abayé dit qu’il s’agit de la septième année de nos jours [qu’on ne respecte qu’à cause de nos Sages]. Rabbi dit : il est écrit « [à propos de la remise des dettes]Voici le principe de la Chemita, abandonne… ». Le verset nous a mis en parallèle les deux chemitot, la chemita de la terre et la chemita de l’argent. [C’est pour nous enseigner que] Lorsque tu dois respecter la chemita de la terre, tu respecteras la chemita de l’argent et lorsque tu n’es pas tenu de respecter la chemita de la terre, tu ne seras pas tenu de respecter la chemita de l’argent. Cependant, les Hakhamim ont établi qu’on annule les dettes à la septième année, en souvenir de la chemita.
Hillel a vu que le peuple se retenait de se prêter les uns aux autres, il réagit en instituant le Prozboul :
[La Guémara demande] Y a-t-il une chose que la Torah n’annule pas et que les Hakhamim décident d’annuler ? [Comment les Hakhamim ont-ils la force de dire que les dettes sont annulées alors que selon la Torah le remboursement des dettes devrait être maintenu ?].
Abayé dit : Il s’agit ici d’un « Chev Véal Tassé » [Les Sages peuvent annuler un commandement positif de la Torah (comme c’est le cas du Loulav et du Chofar à Shabbat) puisque rien n’est effectué en contradiction flagrante avec la Torah. C’est le cas ici, l’emprunteur ne fait que se retenir de rembourser sa dette].
Rava dit : Grâce à « Hefker Beit Din Hefker » [Le Beit Din a le pouvoir de déposséder les biens d’une personne contre sa volonté. Ainsi, les Sages peuvent tout à fait annuler les dettes de l’emprunteur]. »
Les Richonims sont divisés quant à l’interprétation de cette Guemara. Nous avons Rashi et le Raavad d’un côté, et le Rambam et les Tossafot de l’autre :
1) Pour Rashi et le Raavad, il faut comprendre la Guémara comme suit : La réponse finale de Rava « Hefker Beit Din Hefker » répond aussi à la première question de la Guémara – comment Hillel a t-il pu instituer le Prozboul alors qu’il annulait de la sorte la mitsva de chemitat kessafim ? – selon Rava, Hillel aurait très bien pu instituer le Prozboul en s’appuyant sur le principe de « Hefker Beit Din Hefker » même si la mitsva de chemitat kessafim était d’ordre toraïque.
2) Pour les Tossafot et le Rambam, la réponse de Rava ne répond pas à la question de savoir comment Hillel a pu institué le Prozboul mais seulement à la question de savoir comment les Hakhamim ont pu maintenir la mitsva de chemitat kessafim alors que selon la Torah elle n’avait plus cours. D’après la Guémara, Hillel n’a pu instituer le Prozboul que parce que la mitsva de chemitat kessafim n’était plus que d’ordre rabbinique (réponse d’Abayé qui ne connaît pas de contradicteur). Le pouvoir que détient le Beit Din de « Hefker Beit Din Hefker » n’est pas suffisant pour qu’Hillel annule la mitsva de chemitat kessafim et institue le Prozboul. Le principe de Heker Beit Din Hefker peut suffire pour annuler les dettes (à l’image de ce que firent les Hakhamim en maintenant la mitsva de chemitat kessafim de nos jours) mais ne suffit pas à sortir de l’argent, à l’obliger à payer ses dettes lorsque la mitsva de chemitat kessafim est d’ordre toraïque.
4. Controverse Rambam / Raavad sur la portée du Prozboul
En annulant les dettes à la fin de la septième année, la Torah cherchait à rétablir la situation des pauvres. Or si à cause de cette mitsva les gens en viennent à ne plus leur prêter de l’argent, l’objectif de la torah est détournée et il vaudrait mieux que les dettes cessent d’être annulées et que les pauvres trouvent chez qui emprunter.
Même si Hillel, en instituant le Prozboul, est en parfait accord avec la volonté de la Torah et que cette institution est elle-même autorisée par la Torah, cela ne justifie pas encore entièrement qu’il soit judicieux d’introduire une réforme pareille qui annule la mitsva de la remise des dettes et qui modifiera durablement le paysage économique et sociale de la Torah.
Pour le Rambam, ces deux raisons ne suffisent pas pour qu’Hillel puisse instituer le Prozboul. C’est uniquement parce que la mitsva de chemitat kessafim n’était déjà plus, à son époque, qu’une mitsva rabbinique, qu’il introduisit une telle réforme.
Par contre, pour le Raavad (comme pour Rashi), Hillel aurait très bien pu instituer le Prozboul même si la Mitsva de Chemitat Kessafim était d’ordre toraïque puisque le Beit Din possède toujours le droit de déposséder les biens d’une personne (« hefker beit din hefker »).
Quel peut être l’enjeu d’une telle discussion ?
1) Michné Torah (Hilkhot Chemita Veyovel 9 ;16)
(טז) כשראה הלל הזקן שנמנעו מלהלוות זה את זה ועוברין על הכתוב בתורה השמר לך פן יהיה דבר וגו' התקין פרוזבול כדי שלא ישמט החוב עד שילוו זה את זה ואין הפרוזבול מועיל אלא בשמטת כספים בזמן הזה שהיא מדברי סופרים אבל שמטה של תורה אין הפרוזבול מועיל בה.
השגת הראב"ד - אבל שמטה של תורה וכו' א"א זה אינו מחוור דאביי הוא דאמר הכי אבל רבא פליג ואמר הפקר בית דין הפקר והלכך נוהג בכל זמן:
(16) Lorsqu’Hillel vit qu’ils se retenaient de prêter les uns aux autres et qu’ils transgressaient l’interdit de la Torah : « Prends garde de nourrir une pensée perverse dans ton cœur… », Hillel institua le Prozboul afin que les dettes ne s’annulent pas et qu’ils se prêtent les uns aux autres. Cependant, le Prozboul ne fonctionne uniquement parce que la mitsva de chemitat kessafim n’est, de nos jours, que d’ordre rabbinique. Toutefois, si la mitsva de chemitat kessafim était d’ordre toraïque, le Prozboul ne pourrait fonctionner.
Remarque du Raavad : « Mais si la mitsva de la chemita était d’ordre toraïque… » : Avraham dit : « Ce n’est pas correct, c’est vrai seulement selon Abayé, mais pour Rava c’est à cause de « hefker beit din hefker » [qu’Hillel pouvait instituer le Prozboul]. C’est pourquoi [le Prozboul] fonctionne à toutes les époques.
Explication du Rambam
Pour le Rambam, Hillel n’a pu institué le Prozboul uniquement parce qu’à l’époque où vivait Hillel, à l’époque du Second Temple, la mitsva de chemitat kessafim n’était plus que d’ordre rabbinique. En effet, les Hakhamim peuvent très bien, s’ils le jugent nécessaire, remettre en question leurs paroles. Si la mitsva de la remise des dettes était d’ordre toraïque, jamais selon le Rambam, Hillel n’aurait institué le Prozboul, qui de fait conduit à la disparition presque complète du din de chemitat kessafim. Même si les hommes ne se prêtent plus les uns aux autres et qu’ils se trouvent transgresser une mitsva de la Torah, cela ne justifie pas que les Hakhamim interviennent pour contourner une mitsva de la Torah. La Torah n’a pas à s'accommoder avec les faiblesses humaines, au contraire c’est aux hommes de s’efforcer de se conformer aux exigences de la Torah. Il s’ensuit que jamais Hillel n’aurait considéré le fait que les juifs ne prêtent plus, comme justifiant l’abandon d’une Mitsva de la Torah. Ce n’est que parce que la mitsva de chemitat kessafim n’était déjà plus, à l’époque d’Hillel, qu’une mitsva rabbinique que le Prozboul pu être institué. La réforme du Prozboul doit donc se comprendre ainsi : en transmettant ses créances au Beit Din, le Beit Din se substitue au créancier or les dettes qui sont entre les mains du Beit Din ne sont pas concernées par la mitsva d’annulation des dettes. Hillel ne fit que s’appuyer sur cette loi de la Torah, il ne fit que remplacer le créancier par le Beit Din. Néanmoins, pour que cela ne soit pas automatique et que la Torah (ici, la mitsva de la remise des dettes) ne tombe pas dans l’oubli, il exigea de passer au préalable par l’écriture d’un Prozboul. Sans Prozboul, les dettes ne s’annulent pas, et bien que la mitsva de chemitat kessafim ne soit aujourd’hui que d’ordre rabbinique les dettes seront annulées comme le rappelle le Rambam dans son Commentaire sur la Michna.
2) Commentaire sur la Michna du Rambam (Massekhet Shevi’it 10:3)
(ג) פרוזבול. שם מורכב משמות הכתיבה, ופירושו בלשונם תקון הענין, וכבר הקשו על זה המעשה שעשה הלל ואמרו בגמרא מי איכא מידי דמדאורייתא משמט שביעית ומתקן הלל דלא תשמט, וביארנו שתקנת הלל היא בשביעית בזמן הזה שהיא מדרבנן, והוא מה שאמר הכתוב וזה דבר השמיטה שמוט כל בעל משה ידו, ואמרו בשתי שמיטות הכתוב מדבר אחת שמיטת קרקע ואחת שמיטת כספים, בזמן שאתה משמט קרקע אתה משמט כספים בזמן שאי אתה משמט קרקע אי אתה משמט כספים, והתקינו רבנן דתשמט זכר לשביעית ונעשה שביעית בזמן הזה דרבנן, א"כ כבר התבאר לך שהשמטת כספים אנו חייבים בזמן הזה מדרבנן, ודע שהוא כולל כל מקום וכל זמן, ר"ל השמטת מלוה בשביעית מדרבנן, ועל ענין זה יש לך לדון ואין להתרשל כשיבקש הנתבע זה הדבר או שיהיה יורש, שהעיקר אצלינו טוענים ליורש, ויש לך לדון בו שהחוב נשמט אפילו לא יבקש הוא זה הדבר:
Traduction :
« Le Prozboul : Il s’agit d’ un nom composé qui signifie la réparation de la situation. La question a déjà été soulevée à propos de l’acte d’Hillel, la Guemara demande comment se fait-il que la Torah annule les dettes et qu’Hillel institue qu’elles ne s’annulent pas ? Nous avons expliqué que l’institution d’Hillel concerne notre époque où la mitsva de chemitat kessafim n’est plus qu’une mitsva de nos Sages (...) Ce sont les Hakhamim qui ont institué que les dettes s’annuleraient à la chemita en souvenir de la Shevi’it, rendant ainsi les lois de la septième année d’obligation rabbinique. Ainsi, en ce qui nous concerne, la septième année n’est plus de nos jours que d’ordre rabbinique, et cela est vrai à toutes les époques et en tous lieux. C’est ainsi que tu jugeras, et il ne faudra pas se relâcher lorsque le « réclamé », ou l’héritier te le demandera. Puisque chez nous, nous pouvons argumenter pour l’héritier. C’est ainsi que tu devras trancher, la dette est annulée même si l’héritier ne te l’as pas demandé. ».
Pour le Rambam, il ne faut surtout pas se méprendre sur l’institution d’Hillel : la mitsva de chemitat kessafim n’a pas disparu, il s’agit certes d’un « arrangement légal », mais la mitsva n’a pas disparu. Il faut donc veiller à ce que le Prozboul ne se conçoive pas comme une annulation pure et simple de la mitsva d’annulation des dettes. En effet, si un Prozboul n’a pas été signé, la mitsva d’annulation des dettes reste entière
Explication du Raavad
Pour le Raavad, par contre, l’institution du Prozboul doit se saisir dans une toute autre perspective. Hillel aurait très bien pu institué le Prozboul même si la mitsva de chemitat kessafim était d’ordre toraïque. Pour qu’Hillel puisse contourner cette mitsva, il suffisait de prendre appui sur le pouvoir que détient le Beit Din de déposséder les biens d’une personne (« hefker beit din hefker »). Bien sûr, ce n’est qu’à partir du moment où les Juifs ne se prêtèrent plus les uns aux autres qu’Hillel institua le Prozboul, sans cette circonstance exceptionnelle il n’y aurait sans doute jamais eu de Prozboul. Cependant, d’après le Raavad, contrairement au Rambam, si les prêts cessaient à la veille de la septième année et que la mitsva était d’ordre toraïque, Hillel était tout à fait en mesure d’instituer le Prozboul car il s’appuie sur une mesure totalement licite d’après la Torah. Les Hakhamim ont absolument le droit d’utiliser tous ce qui est entre leurs mains pour que la Torah puisse se maintenir dans le peuple. Certes, en instituant le Prozboul on rend caduque la mitsva de la chemitat kessafim mais si :1) les pauvres souffrent indirectement de cette mitsva ; 2) on peut de manière légal arranger la situation, rien n’empêche les Hakhamim d’intervenir.
En effet, quel sens peut avoir une mitsva si les hommes ne sont pas capables de la porter complètement ? Les Hakhamim sont justement là pour « ajuster » la Torah à la réalité concrète des hommes, c’est même leur devoir ! Il n’y a aucun intérêt à contempler la beauté d’une mitsva si les hommes ne sont pas capables de l’appliquer, les mitsvots sont là pour être vécues. La Torah propose un absolu, un idéal, mais pour qu’il prenne sens, il doit être porté par les hommes. Ainsi, lorsqu’Hillel institue le Prozboul, c’est qu’il établit froidement le constat que les hommes se sont éloignés de cette mitsva, qu’elle s »éteint peu à peu. Or, les mitsvots concernent la collectivité du peuple juif et non pas seulement quelques personnes isolées qui continueraient à appliquer à la lettre ses préceptes. Il décide donc d’agir de manière à ce que la Torah ne disparaisse pas complètement, pour cela il institue le Prozboul. Sans signature de Prozboul, les dettes sont annulées, elle n’aura donc pas disparu complètement de la Communauté d’Israël. Mais si un Prozboul est signé alors les dettes devront être annulées car le Beit Din s’est substitué au créancier.
(suite ci-dessous)