En effet, selon le
Shoul’han Aroukh (O’’H §605, 1) il convient d’annuler ce minhag.
Le titre de ce Siman dans le
Shoul’han Aroukh a été modifié et censuré pour ne pas froisser des sensibilités.
Le titre actuel est :
מנהג כפרות בערב יו"כ
Mais vous pourrez vérifier que dans les anciens
Shoul’han Aroukh (première édition), le titre du
Siman 605 était :
מנהג כפרות בערב י"כ מנהג של שטות הוא (=la coutume des Kaparot en veille de Yom Kippour est une coutume stupide/folle)
On en trouve l’image sur internet :
http://blog.nli.org.il/wp-content/uploads/2017/09/Shulchan-aruch-605.png
Et encore ici :
http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=44403&st=&pgnum=259&hilite
La toute première édition du
Shoul’han Aroukh (
du vivant de l’auteur)
(Venise 1564) portait aussi cette mention :
מנהג כפרות בי"כ מנהג של שטו' הוא
Ce texte apparaissait jusqu’aux éditions du
Shoul’han Aroukh du XVIIIème siècle où cela a été supprimé -dans certaines éditions (mais pas toutes).
La première édition à censurer ces mots est celle d’
Amsterdam 1708. Puis cette censure s’est répandue et d’autres éditeurs ont suivi l’exemple.
D'aucuns justifient cette suppression en arguant que ces mots ne seraient pas du
Rav Karo lui-même. Il est intéressant de noter que ce sont essentiellement des Rabbanim italiens (voire de la ville de Modène!).
Le
Rav Avraham Yossef Shlomo Graciani écrit dans ses annotations au
S.A. (cité dans
Yossef Be’hiri p.373) qu’il a entendu des sages de la génération et essentiellement de
Rabbi Netanel Trabot de Modène (1576-1658) qui aurait « reçu de ses maîtres » l’information selon laquelle cette phrase ne serait pas de
Rabbi Yossef Karo, mais serait l’ajout d’un de ses élèves
(qui l’aidait à nommer les chapitres du Shoul’han Aroukh).
La même idée se retrouve encore dans le
Shout Shemesh Tsedaka (I, §23) de
Rabbi Shimshon Morpurgo (1681-1740) qui écrit avoir entendu dans sa jeunesse de
Rabbi Shmouel Abouav qui aurait « reçu de ses maîtres » la même information : que ce titre du Siman parlant des Kaparot ne serait pas du
Rav Yossef Karo mais de la personne qui a rédigé les titres de chaque Siman. (en voici un lien :
http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=1186&st=&pgnum=69
à noter qu’il indique le titre du Siman 602 du S.A. alors que c’est le Siman 605. Il y a encore d’autres remarques, mais on ne peut pas s’étendre indéfiniment sur chaque chose, je m’écarte trop du sujet !)
Rabbi Its’hak Halévy Valli de Modène écrit dans son
Le’hem Panim (manuscrit) que ce n’est pas
Rav Karo qui a écrit cela, mais que c’est un ajout personnel de l’imprimeur, il écrit même qu'il le tient du fils de l’imprimeur en question, le premier imprimeur du
S.A.
Il indique aussi qu’en punition céleste, le fils de son fils
(=le petit-fils de l’imprimeur qui a écrit que le Minhag des kaparot est un Minhag fou) était atteint de démence.
(L’imprimeur du premier
S.A. s’appelait
Méir bar Yaakov Prince).
Ce manuscrit est cité dans
Yossef Be’hiri (p.373), il le nomme en fait
Shoul’han Hapanim (au lieu de Le’hem Panim dont parlait le Yossef Be'hiri), dans sa propre note
(n°15) il écrit pourtant
Le’hem Hapanim mais en fait ce n’est pas encore exactement cela, mais :
Le’hem Panim.
Le manuscrit a été vendu par Kedem, vous pouvez en voir la photo (où l’on peut lire notamment le titre de l’ouvrage) ici :
https://www.kedem-auctions.com/he/node/20959
Le point commun entre ces trois sources (à part Modène et l’Italie), que ce soit l’imprimeur, celui qui a nommé les chapitres, ou l’élève du Beit Yossef, c'est que dans tous les cas ce n’est pas écrit par le
Rav Karo.
[il est à noter qu’ils défendent là le Minhag des kaparot, alors qu’un autre Rabbin de Modène et plus ou moins de la même époque,
Rabbi Yehouda Arié de Modène (1571-1648) écrit dans son
Riti (§VI, 2) que la coutume des kaparot est tombée en désuétude et a disparu en Italie… étrange...]
La différence qu’il y aura entre la position du
Rav Trabot (l’ajout d’un élève qui l’aidait à nommer les chapitres) et celle du
Rav Valli (que c’est un coup de l’imprimeur) d’un côté, et celle de
Maharash Abouav (qu’il s’agît du préposé à la nomination des chapitres) de l’autre, c’est que selon ce dernier les autres titres de chapitres dans le
Shoul’han Aroukh ne sont pas non plus du
Rav Karo.
Selon
Rav Valli, tous les titres sont de rav Karo,
selon
Rav Trabot aussi, mais il peut y avoir certains qui seraient de l’élève indocile
et selon
Rav Abouav, aucun des titres ne serait de rav Karo.
Pour d’autres auteurs, il est évident que les titres sont aussi du
Rav Karo, voir le
Shakh (H’’M §386, sk.4) qui considère que le titre d’un Siman est systématiquement du
rav Karo.
Il est indiqué comme preuve par le
Mipi Aharon (H’’M §IV, daf 24a).
Rabbi Ra’hamim ‘Haï ‘Hwita Hacohen le cite à son tour dans son
Shout Sim’hat Cohen (VI, §34) ainsi que dans son
Zikhrei Kehouna (I, maarekhet Pé, §22).
Toutefois, attribuer les titres des Simanim du
Shoul’han Aroukh au
Rav Yossef Karo serait lui faire insulte, car de nombreux titres de Simanim dans le
Shoul’han Aroukh sont très mal formulés et même erronés.
Voir
Shearim Bahalakha (de R. Moshé Shlita, p.97) qui indique des preuves très convaincantes par des Simanim du
S.A. où les titres ne sont pas à leur place ou qu’ils comportent des éléments non mentionnés dans le chapitre et on comprend qu’ils ont été tirés des titres des Simanim du
Tour sans vérifier ce qui était écrit dans le
Shoul’han Aroukh !
J’en reviens aux Kaparot :
Ce minhag est mentionné dans le
Tour (O’’H §605) au nom des
Tshouvot Hagueonim [cf. Shaarei Tshouva (§299), Lyck (§8) et ‘Hemda Gnouza (§93)].
Et le
Beit Yossef (ad loc) indique qu’il est aussi mentionné dans le
Mordekhai (début de Yoma §763) et le
Rosh (Yoma VIII, §23) ainsi que dans le
Tashbats (Katan §125).
[il y a aussi d’autres sources de
Rishonim qui ne sont pas citées par le
Beit Yossef, comme :
le Or Zaroua (II, §257),
le Shibolei Haléket (§283),
le Raavia (II, §547),
Rashi (Shabbat 81b d’’h Hay –kaparot avec du végétal),
le Sefer Hapardes (§185),
le Sefer Haoré (p.109),
le Ma’hzor Vitry (I, p.373),
le Tanya (§72),
le Méiri (‘Hibour Hatshouva p.398-9).
Ils sont (presque) tous cités dans
Ye’havé Daat (II, §71) -à part le
Ma’hzor Vitry, Rashi et le Sefer Haoré.]
Mais le
Beit Yossef ajoute que le
Ramban y voyait un problème de
Darkei Haémori et le
Rashba aussi, ce dernier a même annulé ce minhag dans sa ville (Barcelone).
Cf.
Shout Harashaba (§395) qui y voit un problème de
Darkei Haémori, c’est pourquoi il a beaucoup insisté pour annuler ce Minhag dans sa ville et il se félicite d’avoir réussi
(ce qui est un véritable exploit pour un rav : être écouté en matière de minhaguim !)
(ses mots sont :
ובחסד עליון נשמעו דברי )
Le
Rashba ajoute qu’il a entendu de personnes dignes de confiance (il parle peut-être du
Rosh) que cette habitude a cours en Allemagne et que
Rav Hay Gaon lui-même aurait validé ce Minhag, mais le
Rashba a tout de même préféré l’annuler à Barcelone.
Le
Shoul’han Aroukh se base donc sur le
Ramban et le
Rashba (et peut-être aussi sur le fait que le Rambam n’ait pas rapporté ce Minhag) et s’oppose au minhag des Kaparot (sur animal).
Les sfaradim n’ont toutefois pas suivi son opinion sur ce point, en donnant la préférence au
Arizal (Shaar Hakavanot 100a), comme souvent en ce qui concerne les Minhaguim qui touchent de près à la mystique, le
Arizal devient alors grand favori.
Il y aura tout de même des Poskim qui indiquent de ne pas suivre le
Arizal, mais bien le
Shoul’han Aroukh et de se contenter de faire les Kaparot avec de l’argent (qu’on mettra à la Tsedaka) et pas avec un coq ni une poule.
Même chez les Sfaradim nous trouvons
Rabbi Yossef Messas (Mayim ‘Hayim I, §254) qui souligne que le
Ramban était un plus grand cabaliste que le
Arizal et s’il y voyait un problème de
Darkei Haémori, il convient de suivre le
Ramban, le
Rashba et le
Beit Yossef, plutôt que le
Arizal.
Le
Rav Messas est aussi motivé par des raisons « supplémentaires » qui ne sont plus tellement d’actualité, il en énumère cinq :
1) la pénurie de Sho’hatim entraine un travail bâclé et donc des inquiétudes au niveau de la Kashrout [voir aussi
‘Hayei Adam (§144, 4), Aroukh Hashoul’han (O’’H §605, 5)]
2) la kapara n’a de sens que si l’on offre les poulets aux pauvres, mais les gens les gardent pour eux.
3) de nos jours les poulets sont chers et comme tout le monde se presse d’en acheter avant Yom Kippour, les prix montent encore plus.
4) les Anciens savaient entretenir des Kavanot particulières directement liées à la kapara, ce qui n’est plus le cas.
5) lorsque Yom Kippour tombe lundi, il y a des gens qui achètent leurs poulets pendant shabbat (il les a vu !)
En dehors du quatrième point, on ne peut pas dire que ce soit toujours actuel. Il y a bien des gens qui font attention de ne pas acheter leur poulet le samedi (c’est même quasi impossible aujourd’hui à Paris), les prix ne varient pas vraiment en fonction du calendrier juif puisque nous vivons parmi les non-juifs, on ne manque pas (autant qu’eux) de Sho’hatim et nombreux sont ceux qui offrent leurs poulets aux pauvres.
De nos jours certains soulignent le problème de l’entassement des animaux et le Tsaar Baalei ‘Haim. Même si nous avons le droit de tuer un animal pour le manger, nous n’avons pas le droit de le faire souffrir vainement.
Voir encore
Shout Divrei Mena’hem (Kasher) (IV, §18) qui estime que le
Rav Karo qui a voulu annuler totalement le Minhag des kaparot (à la différence du
Rashba qui s’est contenté de le faire dans sa ville seulement) a été bien inspiré, car de nombreux a’haronim ont écrit par la suite qu’il fallait l’annuler en raison de nouveaux problèmes qui se présentaient (-comme ceux cités par
rav Messas).
Mais l’élément essentiel reste le fait que le
Ramban, le
Rashba et le
Shoul’han Aroukh s’opposent à ce Minhag.
Toutefois,
Rabbi Shalom Messas, à la différence de
Rabbi Yossef Messas, soutient ce Minhag
(Shemesh Oumaguen I, O’’H §15).
Nous voyons donc que chez les Rabbanim marocains, il y a discussion.
Nous trouvons sous la plume de
Rabbi Khalfon Moshé Hacohen (Beèr Moshé O’’H §605) qu’à Djerba, certains ont l’habitude de faire les Kaparot alors que d’autres non.
Le
Or Letsion (IV, §8, 1) indique que le Minhag est de faire les Kaparot avec de la volaille.
Et je crois que c’est le Minhag majoritaire au Maghreb.
Chez les Yekkes, ce minhag n’a pas la cote.
Déjà au XVème siècle, les juifs en Alsace se moquaient du Minhag des Kaparot.
Nous trouvons un témoignage de
Rabbi Yo’hanan Loria (décédé vers 1514) selon lequel « de nos jours, en Alsace, on n'a pas cette habitude et on se moque de ceux qui le font ». (Voir
Tsfounot V, p.17)
Chez les autres Ashkenazim, l’habitude était assez souvent de faire les kaparot
(Dinim Vehanhagot du ‘Hazon Ish §20, 8) mais est devenue –de nos jours- plutôt de faire les kaparot avec de l’argent qui ira à la Tsedaka, sauf dans les milieux ‘Hassidiques où le minhag a été préservé, on fait les Kaparot avec des coqs et des poules, comme on peut le retrouver dans de nombreux livres des ‘hassidim.
(Dans le
Sh. A. du Baal HaTanya §605 et dans de nombreux Sifrei minhaguim, mais je m’aperçois que je suis très long, donc je m’arrête-là -de surcroît sans me relire, par manque de temps, veuillez excuser les fautes.)