La question concernant la vocalisation du Guimel dans Mashiv Haroua’h Oumorid Haga/eshem, dépend de la ponctuation/lecture de la phrase.
Si l’on considère qu’il y a une pause
(Etna’hta ou Sof passouk) à cet endroit, il y a une règle de grammaire qui veut que le premier des deux « Segol » habituels soit remplacé par un Kamats,
(comme dans la Brakha Boré Peri HagAfen ou Shélo Assani Aved), cf.
Nedarim 37b et Ran ,Rosh et Tosfot ad loc. (sur Erets-Arets).
Vous avez certainement déjà rencontré cette règle énoncée dans
Rashi sur Behaalotekha (Bamidbar XI, 8).
Par contre, s’il n’y a pas de pause à cet endroit de la phrase, on dira Hagueshem.
Voilà ce qui a poussé
Rav Moshé Feinstein (Igrot Moshé O’’H IV, §40, 15) à opter pour le Kamats
(=Hagashem –ou Hagoshem, mais pas Hagueshem).
Vers la fin des années 70, un certain
rav Haim Kraus publia des articles dans
Otsrot Yeroushalayim, puis (vers 1980 ou 81) il publia un livre intitulé
Birkot Ha’haim dans lequel il prouvait que dans les anciens sidourim la vocalisation était avec un Segol et le changement pour passer au Kamats ne serait due qu’à un « Maskil de Berlin » qui soulignait cette règle de grammaire.
Il devenait donc scandaleux et sacrilège de dire Hagashem, ça viendrait tout gâcher aux yeux d'Hashem.
Le Maskil en question est
Rav Its’hak Satanow, dont le « statut religieux» est discuté
[Le Pri Megadim lui a donné une approbation pour l’impression de son Sfat Emet et plusieurs autres Gdolim aussi. (Voir Shout Even Israel VIII, §9)].
Dans le
Sidour Vayeater Its’hak (de R. I. Satanow), c’est
Daf 30a, la page a été arrachée ( !) -semble-t-il, dans la version mise en ligne par
Hebrewbooks :
http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=23772&st=&pgnum=54
Le
Pri Megadim cite pourtant ce Sidour dans sa Hakdama.
En tout cas,
Rav S.Z. Auerbach changea sa prononciation suite à cette révélation (cf. sa lettre dans
Birkot Ha’haim p.19).
Peu après, une réponse arriva sous la forme du
Kountras « Méshiv Haroua’h » (comprenez le jeu de mot : celui qui répond au arguments qui ne sont que du vent) qui réfute les conclusions du «
Birkot Ha’haim », indiquant que
Rav Elyashiv confirmait qu’il ne fallait pas changer « notre » prononciation
Hagoshem pour
Hagueshem et qu’il y avait DEJA des sidourim ponctués d’un Kamats AVANT la naissance de
R. Its’hak Satanow.
Rav Elyashiv est aussi cité dans d’autres Sfarim, comme le
Ashrei Haïsh (O’’H 1, §20, 30) et le
Mevakshei Torah (43, p.57).
D’autres Poskim se sont aussi opposés au
Birkot Ha’haim.
Parmi eux le
Rav Fischer dans son
Shout Even Israel (VIII, §9) qui opte aussi pour dire Hagoshem.
R. Kraus ne se laissa pas faire et répondit par un nouvel écrit «
Mekhalkel ‘Haim Be’hessed » venant contredire le «
Méshiv Haroua’h » qui s’opposait à son «
Birkot Ha’haim ».
Il y dit que
Rav Feinstein serait revenu sur son opinion et ne soutiendrait plus la lecture avec Kamats.
Pour compliquer le tout, l’auteur du «
Méshiv Haroua’h »
(son nom : R. Sar-Shalom Marzel) rétorqua à son tour par un «
Kountras A’haron »
(-titre rassurant pour la suite), venant répondre aux arguments du «
Mekhalkel ‘Haim Be’hessed » qui cherchait à défendre le «
Birkot Ha’haim » des attaques du «
Méshiv Haroua’h ».
Le
Divrei Torah (IV, §78) indique que selon la grammaire il faudrait dire Hagoshem, mais les Tsadikim se sont opposés à cela et insistent pour que l’on dise Hagueshem car il faut lier la phrase à la suite : nous voulons des pluies qui amènent à Mekhalkel ‘Haim et une bonne Parnassa, pas des pluies dévastatrices
(interprétation reformulée par les soins de votre serviteur afin de la rendre plus accessible aux lecteurs. Que ceux qui souhaitent accéder aux raisons précises du Divrei torah avec ses résonances kabbalistiques, aillent les lire par eux-mêmes à l’endroit indiqué).
Bref, il y a plusieurs rabbanim de chaque côté ;
Pour Hagoshem il y en a plusieurs:
Rav Elyashiv (op cit)
(et le
Leshem, son grand-père),
le
‘Hafets ‘Haïm (ces deux derniers sont cités dans
Ashrei Haïsh O’’H 1, §20, 30 et
Mevakshei Torah 43, p.57),
Rav Feinstein (op cit),
Rav Fischer (op cit),
le Gaon de Vilna [dans Tfila Kehilkheta (§XII, note 61) il est érit qu’il disait Hagueshem, cependant, dans le Ashrei Haïsh (O’’H 1, §20, 30) et le Mevakshei Torah (43, p.57) il est écrit que le Gaon de Vilna disait Hagoshem avec un Kamats, voir aussi Sidour Ishei Israel et Levoushei Mordekhai (IV, §213, 2) en ce sens… ].
Pour Hagueshem il y en a encore plus:
Rav Auerbach (op cit),
le Steipler (Or’hot Rabénou p.63),
Rav Sternbuch (Tshouvot Vehanhagot I, §81 et II, §58),
le Baal Hatanya (Sidour) (mais j’ai lu que ça aurait été corrigé par un Kamats dans les plus récentes éditions ? En tout cas, dans le Sidour Rabénou Hazaken avec annotations, éd. 2004 p.135, note 199, il est précisé que c’est un Segol.) (et voir
Sofrim Ousfarim –Zewin- p.26-27),
Rav Winkler (Shout Levoushei Mordekhai IV, §213, 2),
le Yaabets (Sidour Amoudei Shamayim -version imprimée de son vivant, vérifiée minutieusement et certifiée par l’auteur),
Rav Israel Weltz (le Divrei Israel, cité par le
Tshouvot Vehanhagot I, §81 et II, §58) et voir aussi
Divrei Israel (I, §39) [il y cite le Shemen Rokéa’h (III, §32, 2) et le ‘Hida (Yossef Omets ) qui s’opposent à ces changements dans la prière sous prétexte de règles de grammaire que nous connaitrions mieux que nos Anciens…],
Rav Kamenetsky (Iyounim Bamikra p.26) [et dans son Emet Leyaakov (p.46) il explique que même selon le Dikdouk il faut lire Hagueshem, mais que l’erreur (de dire hagashem) s’est répandue chez « le peuple » en entendant le Shats dans le Piyout de Tfilat Gueshem où c’est –pour le coup- en fin de phrase, voilà pourquoi le Shats dit Hagashem. Ou encore, en se basant sur le Makhriz (qui se doit d’annoncer Mashiv Haroua’h oumorid Hagoshem) chez qui c’est aussi une fin de phrase…]
Le Saba de Slabodka (cité par rav Kamenetsky et par R. Kraus)
le Min’hat Its’hak (V, §99, 3) ,
Rav Moshé Arié Freuynd (cf. sa lettre dans
Birkot Ha’haim p.34)
Rav Israel Moshé Dushintsky (cf. sa lettre dans
Birkot Ha’haim p.34)
le rabbi de Munkacz (Divrei Torah IV, §78),
Rav Gestetner (cf. sa lettre dans [b]Birkot Ha’haim p.20) et dans son
Lehorot Natan (III, §5)
Rav Yo’hanan Sofer de Erloy (cf. sa lettre dans
Birkot Ha’haim p.20)
Rav Yossef ‘Haim Sonnenfeld (cité dans Vedarashta Ve’hakarta III, ‘Houkat, p.407) (pour qui même si les règles de grammaire indiquent de dire Hagashem avec un Kamats, nous ne souhaitons pas être « Mekamets » le Gueshem…)
Rivevot Ephraïm (III, §68),
Mishné Halakhot (XI, §79)
Likoutei Maharia’h (Seder Tfilat 18) (dans la nouvelle éd. de 1991, tome 1 p.145)
Meorei Or (cité par le Likoutei Maharia’h)
Imrei Esh dans on Zikhron Yehouda (cité par le Likoutei Maharia’h)
Rav Shloush (‘Hemda Gnouza §8, p.99) et Or Torah (VI, §29, p.131) selon lui on ne peut pas parler de Etna’hta dans la Tfila, si c’était le cas, ceux qui disent hagashem devraient aussi dire Mekhalkel ‘Haim be’hAssed pour la même raison.
Rav Shakh et Rav Wozner (cités par
rav Greenblatt dans
Rivevot Ephraïm III, §68 et par le
Birkot Ha’haim p.2 et 20),
Rav Zilber (Az Nidberou XII, §26 et §53, 5)
et beaucoup d’autres.
C’est la version prisée en Nossa’h Sfard (comme en version Sfarade) et retenue par de nombreux Tsadikim -comme souligné par le
Rav Weltz (op cit) et Rav Shapira de Munkacz (op cit).
On pourrait encore en ajouter de chaque côté, par exemple, le
Tshouvot Vehanhagot (II, §58) cite le
Netsiv qui expliquait que la ma’hloket qu’il y a dans le cas où l’on se rend compte après avoir dit « Me’hayei Hamétim » qu’on a oublié de dire Mashiv Harou’ah, où les poskim discutent de savoir si l’on peut intercaler à cet endroit cette phrase ou si elle doit impérativement s’insérer à sa place, est dépendante du même désaccord entre nos deux lectures.
Car celui qui dit que la phrase doit se dire uniquement à sa place, c’est parce qu’il pense que cette phrase est « insérée » dans son contexte, ce qui suit (=Mekhalkel ‘haim) vient comme la suite de la phrase et non comme une autre phrase, c’est pourquoi il conviendra de dire Hagueshem.
Mais ceux qui acceptent que l’on intercale la phrase après Me’hayei Hamétim pensent donc que c’est une phrase « isolée » et déplaçable, donc on dira Hagoshem/Hagashem.
Rav Sternbuch en déduit que pour le
Biour Halakha (§114) qui retient cette dernière opinion, on devrait dire Hagoshem
(ce qui corroborerait le témoignage cité plus haut selon lequel le ‘Hafets ‘Haim disait Hagoshem), mais il souligne que son habitude personnelle est de dire Hagueshem.
Le
Rivevot Ephraïm (IV, §177) et le
Az Nidberou (XI, §48) écrivent que les deux versions ont sur qui s’appuyer.
Voilà -de manière assez concise, la réponse à ce que vous demandiez : « où se trouve cette ma’hloket ».
Mais en cherchant bien, je suis certain qu'on trouvera encore beaucoup de Sfarim qui parlent de ce sujet.
Personnellement je penche pour Hagueshem, mais pas du tout par dégoût pour "l'abominable Maskil" qui aurait encouragé la lecture avec un Kamats, ni non plus par certitude qu'il ne s'agisse pas d'une fin de phrase, mais plutôt parce que je suis sceptique sur le champ d'application de certaines règles de grammaire de manière "incontournable" dans les prières.
Mais c'est un autre sujet que je ne souhaite pas aborder et la question ne me demandait pas mon avis, mais seulement où trouver cette ma'hloket.
Je ne prends pas le temps de me relire, veuillez excuser les fautes, merci.