Citation:
Bonsoir, il me semble qu'à peu près tout le monde est d'accord sur le fait que le Maguid Meisharim est bien un écrit authentique de Rabbi Yossef Karo zatsal. Je présente pour ceux qui ne connaissent pas; c'est une sort de carnet de notes (non destiné à la publication) où Rabbi Yossef Karo relate les visites nocturnes du Maguid, une sorte de malakh qui critique certaines midoth de Rabbi YK zl, l'incite à faire de la Kabbala, à s'améliorer sur différents points. Quand celui-ci s'écarte des recommandations du Maguid, il entend sa voix...
J'espère réussir à bien formuler ma question. Comment est-il possible que le possek ultime de l'histoire de la halakha, ait pu présenter des symptômes aussi surprenants qui, has vechalom, lui auraient de nos jours valu le statut de cas psychiatrique ??
Je sais que rav Wattenberg est surchargé mais son aide peut être précieuse, comme si souvent !
Kol Touv
Certains (dont
Rav Greenwald dans
Kol Bo Al Aveilout II, p.31 et dans
Otsar Ne’hmad p.63) pensaient que le
Maguid Meisharim ne serait PAS de
Rav Yossef Karo.
Shir dans sa lettre à
Shadal (Igrot Shir §37, p.207) affirme que l’auteur du
Maguid Meisharim est en fait
R. Shlomo Elkabats (et que
R. Yossef Karo n’aurait jamais vu ce livre).
Voir aussi
R. Reouven Margulies dans
Areshet (II, p.344, lettre Mem, §471).
Voyez encore tout un Maamar (de
David Tamar) à ce sujet dans
Areshet (I, p.473-478).
Mais oui, vous avez raison, il est généralement admis que le
Maguid Meisharim soit bien de
Rav Yossef Karo.
Voir
Maguen Vetsina (R.I.E. ‘Haver)(§3),
Torat Hakenaot (Yaabets) (daf 48a),
Emounat ‘Hakhamim (Basila) (§27),
Maamarei Touvia (I, p.175),
Kadmout Sefer Hazohar (du Radal) (Anaf 5, 4, p.90), et
Zohar Harakia (Leiner) (§14, p.147).
Certains n’accordent pas d’importance au
Maguid Meisharim dans la mesure où un Maguid peut parfaitement mentir (cf.
Likoutei Eliezer p.106 qui indique plusieurs sources à cela, dont
Rabbi ‘Haim Vital qui accuse le
Maguid du
Beit Yossef de mensonge, en expliquant ce qui différencierait un Maguid 100% Tahor qui ne ment pas, d’un Maguid menteur), ou parce que le
Maguid de Rav Karo peut se tromper et il suffirait que
Rav Karo n’ait pas une Mishna en tête à ce moment et son
Maguid pourrait la contredire
(R. ‘Haim de Volozhyn dans Kadmout Sefer Hazohar, p.95).
Car la puissance d’un Maguid ne dépasse pas celle de son hôte, le
‘Hazon Ish (cité par son neveu
Rav Shmaryahou Greineman, dans
Meshi’hei Hashéker Oumitnagdeihem -Bnei Brak 2016, p.79 note 287) a dit que celui qui peut être ‘Holek sur le
Beit Yossef peut aussi l’être sur son
Maguid, car ce dernier n’est pas autre que le
Beit Yossef.
Le
Yaabets (Torat Hakenaot §14 -Jér. 2015, p.227) va encore plus loin et écrit au nom de son père le
‘Hakham Tsvi que «
le Beit Yossef était un plus grand Lamdan que son Maguid » (!)
Menteur ou pas, il est en tout cas indéniable que le
Maguid Meisharim comporte des erreurs et des prédictions qui ne se sont pas réalisées.
Et de manière plus générale, le peu d’importance qui lui est conféré dans le cercle des Poskim, relève simplement du fait qu’un dévoilement céleste de ce type n’a pas sa place dans le monde de la Halakha.
Le
Rav Karo lui-même n’en fait pas état dans son
Beit Yossef, comme l’indique la règle : Lo Bashamayim Hi. (Cf.
Rav Akiva Yossef Schlesinger, Beit Yossef ‘Hadash, Jér. 1876, daf 121a -Bedek Habayit daf 76b).
Il y a cependant des Poskim plus tardifs qui mentionnent des éléments du
Maguid Meisharim, le
Maguen Avraham, le
Mekor ‘Haim et le
Elia Raba l’ont fait.
A plus forte raison les Poskim d’obédience ‘hassidique, depuis le
Baal Hatanya (qui mentionne le
Maguid Meisharim), ou ceux qui intègrent des éléments de Kabala comme le
Kaf Ha’haim et
R. ‘Haim Palacci.
Voyez
Tsfounot (8, p.27).
Mais certains, même dans ces sphères kabbalistico-‘hassidiques, repoussent ces apports en considérant qu’ils ne peuvent pas faire pencher la balance dans la décision halakhique à l’encontre d’éléments talmudiques. Voir le
Rabbi de Spinka dans
Shout ‘Hakal Its’hak (§55 -cité dans Tsfounot 8, p.26 note 29, et Likoutei Eliezer p.104, note 83).
Pour en venir au fond de votre question, le cas de
Rav Yossef Karo a déjà été sujet à des discussions entre les savants et médecins.
Il y a un article de
Jean Lhermitte (imprimé dans
l'Encéphale année 1952, n°4, p.361) à son sujet : «
En marge de l'expérience mystique, le Maggid de Joseph Caro ».
L’auteur parle
(page 374) de «
Langage autophonétique » (ipsedixital), et d’«
automatisation d'une parole intérieure libérée du sentiment d'appartenance »…
Puis, l’année suivante,
Henri Baruk publie une
« Contribution à la psychologie et à la psychopathologie des mystiques » (Annales médico-psychologiques, IIIème année, tome II, juin 1953), où il répond à
Lhermitte en distinguant les hallucinations pathologiques des hallucinations mystiques :
«
à côté des hallucinations pathologiques des psychoses, on peut rencontrer quelques cas… d’hallucinations chez de grands inspirés et de grands mystiques… C’est à cette variété que l’on peut rattacher le cas de Caro… ».
[voir aussi
Revue de l'histoire des religions (1955, p.78) et
Psychiatrie morale expérimentale (PUF 1950) du même
Professeur Baruk.]
Quelques mois après,
Lhermitte (Annales médico-psychologiques octobre 1953) répond à
Baruk en soulignant qu’il est d’accord avec lui sur l’absence de toute aliénation mentale chez Caro (mais qu’il n’est pas forcément d’accord qu’il faille le considérer comme un mystique authentique).
Il existe une troisième voie, celle pour laquelle a opté
Marc-Alain Wolf dans
« Quand le mysticisme mène à la folie » (1998, p.32), qui consiste à dire que de tels phénomènes ne doivent pas «
obligatoirement faire l’objet d’une classification rigoureuse et exclusive : mystique ou psychiatrique ».
«
Reconnus comme leurs par les mystiques, ces épisodes sont mystiques. Familiers aux psychiatres, ils méritent de retenir leur attention. »
Ce qui revient à dire que la limite entre la folie et la mystique n’est pas forcément établie, ou, dit autrement,
Rav Karo pourrait être considéré comme un fou selon certains, alors que d’autres verraient plutôt en lui un grand mystique, sans que cela ne soit contradictoire.
Je n’aime pas trop ces discours ambivalents qui permettent de dire une chose et son contraire et, pour éviter le jargon spécialisé et souvent flou à l’oreille non habituée, parlons crument : il ne faut pas mélanger torchons et serviettes! il y a (fort heureusement) une TRES grande différence à souligner ;
Rabbi Yossef Karo qui avait des entretiens avec son
Maguid n’avait rien à voir avec un fou.
C’était un monsieur parfaitement normal, qui se comportait normalement, pas un fou qui parle tout seul étant sujet à des élucubrations.
Le fou imagine des choses (entend des voix et voit des images) contre son gré et de nature non constructive, ses réflexions n’ont généralement rien à voir avec de la sagesse à tel point qu’il parait plutôt délirer qu’autre chose.
Même s’il peut avoir des moments de lucidité, durant ces derniers, il désapprouve les égarements cérébraux auxquels il est sujet.
Tandis que
Rav Karo était une personne normale, qui pouvait entretenir des rapports normaux avec les gens et mener une vie normale et responsable, tout en ayant des moments encadrés et volontaires de « connexion » ou de « dépassement de soi » qui ne sont pas des moments d’égarement du cerveau malgré soi.
En période déconnecté, il ne désapprouvait pas ses réflexions « maguidiques », bien au contraire il les notait (d’où le livre).
Je sais qu’il y a à dire et à redire sur différents passages du Sefer
Maguid Meisharim, mais c’est un autre sujet.
Shadal dans son
Vikoua’h Al ‘Hokhmat Hakabala (p.126 et 129) accorde très peu de crédit au
Maguid du Rav Karo, et tend à attribuer son existence à l’imagination du Rav.
Le
Rav Shlomo Nissim (1781-1864), italien lui aussi, lui répond catégoriquement dans
Adéret Eliahou (§28 -Vilna 1885, daf 15a) (sur ce point ainsi que sur l'ensemble du
Vikoua'h dirigé contre le
Zohar).
Hélas, je trouve que ce Rav s’est montré assez inconséquent dans cet ouvrage entièrement rédigé contre le
Vikoua’h de
Shadal.
Tout d’abord il y a plusieurs arguments de
Shadal sur lesquels il n’apporte aucune réponse et se contente de les passer sous silence (ce qui fait penser à un aveu d’impuissance), mais aussi, lorsqu’il répond, c’est parfois avec des démonstrations qui ne sont même pas en mesure de convaincre les fervents contempteurs de
Shadal eux-mêmes.
Il est moins ridicule que l’a été
R. Moshé Konitz dans son
Ben Yo’haï contre le
Mitpa’hat Sfarim du
Yaabets (sur le même sujet), mais il s’en rapproche parfois.
Il faudrait écrire un livre sur ce sujet, peut-être un jour…