A
Leowil :
Citation:
Dans une de vos réponses vous critiquez le livre la Révolution qui dit des choses erronées justement (sciemment ou non) pour démontrer la véracité de la Tora
Le terme «
critiquer » est trop fort, je ne le critique pas, j’en «
déplore certaines inexactitudes » selon l’expression de
Aaron Denerick.
Citation:
Est-ce que cela voudrait dire que selon les Sages, pour que la Torah soit bien respectée on peut mentir ou même faire peur (comme le sel de sdom) ? Cela ne discrédite-il pas leurs paroles ?
Dans une de vos réponses vous critiquez le livre la Révolution qui dit des choses erronées justement (sciemment ou non) pour démontrer la véracité de la Tora, n'est-ce pas comparable ?
C’est une très bonne remarque.
Nous constatons malgré nous que les ‘Hazal ont eu recours à ce procédé d’exagération pour effrayer les masses afin qu’elles respectent certaines lois.
Le
Rivash (§171) écrit que c’est l’habitude des ‘Hazal d’exagérer les [punitions des] péchés pour que l’homme prenne garde et évite de les enfreindre.
Voir encore
R. Tsadok hacohen dans
Takanat Hashavin (daf 66a sv. Aval),
ainsi que le
Meor Enayim (Imrei Bina §20) (cité dans Nefesh ‘Haya Margulies §156, 18 -daf 26c),
Shout Rav Pealim (III, H’’M §1) et (Sod Yesharim IV, §2),
Torah Lishma (§364).
Mais en principe, lorsque les ‘Hazal ont « exagéré », l’excès est tel qu’ils se sont dit que les personnes instruites ne s’y tromperont pas et comprendront qu’il s’agit d’une nécessité destinée aux Amei Haarets.
[Voir encore
Moadei Arev (Reifmann) (p.78) au nom du
Aderet Eliahou (§15) qui dit que lorsque les ‘hakhamim veulent dissimuler leur opinion des Amei Haarets, ils disent quelque chose d’exclu (bitoulo mevouar) afin de se garantir que les intelligents comprendront…
Il émet même l’éventualité selon laquelle
R. Menashé ben Israel aurait suivi leur exemple dans son
Nishmat ‘Haim en y mélangeant de bonnes et "mauvaises" choses
(à propos de la Neshama, des Diboukim et Cie), tout en étant confiant en l’esprit critique et éveillé des personnes intelligentes qui sauront faire le tri.
(Si c’est réellement le cas, il a péché par excès d’optimisme).]
La majeure partie des phrases considérées comme exagérées dans ce but, ne souffre pas de doute à cet égard.
Notre cas diffère en cela que celui qui prétend que c’est une manière de faire peur aux Amei Haarets, ne croyait pas lui-même en l’existence des démons et ne voulait pas croire non plus que les Sages y adhéraient.
Donc selon ces données, il devait effectivement sembler évident aux ‘Hazal que l’homme instruit
(=qui sait que les démons n’existent que dans l’esprit des faibles) ne tomberait pas dans le "piège".
Seulement, la croyance en ces démons étant un sujet discuté parmi les Rishonim, ceux qui considèrent qu’ils exist[ai]ent réellement ne verront pas d’exagération ni de volonté d’effrayer le bas peuple dans ces passages du Talmud.
Aussi -et surtout-, il y a une différence entre vouloir convaincre les gens de la véracité de la Torah par des mensonges, et vouloir marquer les esprits faibles par une mise en garde mensongère.
Mentir pour faire "changer d’avis" quelqu’un
(=de non-croyant à croyant) n’est pas comme mentir pour "aider" quelqu’un de croyant à se conformer à SA foi.
Les Sages n’ont pas essayé de convaincre des athées de s’interdire les Zougot, ni des polythéistes afin qu’ils renoncent à leurs habitudes, ils auraient prétexté cette histoire de Zougot pour aider les juifs croyants QUI SOUHAITENT réellement s’éloigner du polythéisme mais qui pourraient avoir la faiblesse de se laisser aller à pratiquer ces habitudes sans comprendre qu’ils prêteraient alors par-là main forte au polythéisme
(en pratiquant une habitude qui aurait éventuellement des répercussions sur leurs enfants ou petits-enfants).
On peut mentir pour faire du bien à quelqu’un qui pense lui-même que c’est du bien
(par exemple un juif qui pense qu’il est bon de se conformer aux Halakhot et si on lui exagère un Onesh ça va l’encourager à respecter ce qu’il SOUHAITE respecter. Là c’est ok, ou disons que ça l’est parfois).
Mais dans le cas où l’exagération/mensonge vise à faire adhérer quelqu’un à quelque chose à laquelle il refusait d’adhérer, non !
Le mensonge doit « aider » mais pas « tromper ».
Utiliser un mensonge pour aider et protéger, est bon et gentil.
Utiliser un mensonge pour tromper est négatif et mauvais.
On ne pourra faire usage de ces exagérations qu’à l’instar des ‘Hazal : pour encourager quelqu’un à suivre la voie qu’il souhaite suivre au fond de lui, uniquement pour l’aider à combattre ses faiblesses ou sa bêtise. Mais vouloir "convaincre" quelqu’un d’une idéologie par un mensonge, ça non ! ça c’est sournois et malhonnête, malsain et à bannir.
[Cette Svara
("intelligibilisation") repoussera aisément -même d’après son opinion- l’argument d’
Uriel Da Costa vers la fin de son
Exemplar Humanæ Vitæ (Une Vie Humaine, éd. Duff et Kaan, Paris 1926, p.133) qui reproche aux rabbins de mentir pour arriver au bien.]
Ce ‘Hilouk très net est pourtant très subtil et difficile à manier.
Et je pense qu’il y a une subtilité supplémentaire à établir qui est encore plus fine.
Dans un cas « intermédiaire » où il s’agirait de convaincre une personne que la Halakha est comme ceci et non comme cela.
Selon la définition que nous avons donnée, on pourrait dire que cela ressemble à vouloir lui faire changer d’idéologie
(et pas à l’aider à respecter une idéologie à laquelle il adhère déjà).
Pourtant, là aussi, nous trouvons que les ‘Hazal ont usé de ces stratagèmes mensongers (cf. par exp.
Psa’him 27a et 112a, shabbat 115a, Guitin 20a et Erouvin 51a).
L’idée est que l’on va considérer plus largement la volonté du trompé qui souhaite accomplir « la Halakha » et se trompe en pensant que la Halakha autoriserait une chose, donc pour l’en protéger, on peut lui dire (prétexter/inventer) que tel grand Rav nous a dit que c’est Assour, afin qu’il écoute et obtempère.
Bien entendu, cette nouvelle subtilité implique encore plus de précautions avant de décider d’être « légitime » pour imposer notre propre pensée/connaissance de la Halakha.
Parlons donc d’un cas évident : un Talmid ‘Hakham reconnu face à un Am Haarets absolu, sur une Halakha évidente.
Le Am Haarets n’est pas enclin à écouter ce ‘Hakham, mais si on lui dit que tel autre (Talmid ‘Hakham qu’il apprécie) dit la même chose, il écoutera.
[Pour les limites à imposer dans ce domaine, voir
Ma’hzik Brakha (o’’h §156, sk.7) qui répond à la contradiction apparente entre deux textes, contradiction soulignée par le
Maguen Avraham (§156, sk.2) et qui reste sans réponse (צ"ע) ; La Gmara dans
Erouvin semble dire qu’il est autorisé de présenter une halakha comme ayant été dite par une autorité en la matière, afin qu’elle soit acceptée.
Alors qu’un autre texte (fin de
Massekhet Kala) nous dit que celui qui rapporte une halakha au nom d’un sage qui n’en a rien dit, entraine par cela un éloignement de la Shkhina du peuple juif.
Le
‘Hida répond en disant que le texte de
Erouvin parle d’un Dayan
(Talmid Shehiguia Lehoraa) qui peut de toute manière indiquer cette halakha avec assurance, tandis que le texte de
Kala parle d’une personne qui n’est ni Dayan ni rabbin et n’est pas en mesure de pouvoir indiquer une halakha avec assurance.
D’autres A’haronim mettent en avant des distinctions différentes, le
Ma’hatsit Hashekel (§156) parle d’une halakha douteuse/discutée, face à une Halakha claire et évidente et qu’il sait que son Rav appréciera d’avoir été cité pour cette Halakha.
On pourrait aussi mettre pour condition supplémentaire
(avant d’autoriser une personne à énoncer une Halakha au nom d’une autorité qui ne l’a pas enseignée) que l’intention de la démarche soit exclusivement pour le bien de la personne « trompée », et non pour l’intérêt de la personne qui trompe autrui. C’est un peu dans l’esprit de ce que j’ai écrit plus haut. ]
Disons que la différence pourrait être présentée comme ceci : dans un cas, dans l’absolu, si le trompé apprend qu’il a été trompé, il en est satisfait. Alors que dans l’autre, il n’en est pas satisfait.
Je veux dire DANS CE MONDE CI. Je ne parle pas de l’argument « religieux » selon lequel le trompé nous sera reconnaissant de l’avoir trompé lorsqu’il sera dans l’autre monde, et je n’adhère pas à cela. Avec des arguments pareils, on pourrait aller plus loin et tout autoriser
(et chacun réfléchit avec SA compréhension du monde et du Emet, il n’a pas le droit de l’IMPOSER à autrui).
Je parle simplement d’une satisfaction dans ce monde-ci, si le trompé apprend qu’il a été trompé et il en est satisfait dans CE MONDE, alors c’est ok.
Un peu comme si on a un ami que l’on sait au régime mais qui se laisse tenter à chaque fois qu’il passe devant une pâtisserie, pour le regretter ensuite.
Pour le dissuader d’acheter son gâteau favori, on lui dit qu’ils ont doublé son prix aujourd’hui
(ou qu’on leur a retiré la certification de Kashrout, ou qu’il parait qu’on vient de découvrir que c’est cancérigène, ou que… etc.).
Ça l’en décourage et il s’en accommode.
Une fois son régime terminé, on lui avoue le mensonge et il nous en est reconnaissant.
L’exemple n’est pas parfait mais c’est surtout l’idée que je cherche à pointer.
Il y a eu, en 2020, des histoires en Israël et aux USA, sur des lettres écrites par des agonisants du coronavirus qui mettent en garde contre la bêtise qui a été la leur de ne pas prendre les consignes sanitaires au sérieux etc.
On dévoile la lettre post-mortem sans nommer la victime de sa bêtise ou du moins pas plus que la prénommer.
Je ne suis pas convaincu que la totalité de ces lettres ou témoignages soit véridique, je crains que d’aucuns aient pris l’initiative d’inventer de leur propre chef toute une histoire autour d’un malade
-qui peut être imaginaire lui aussi, tel Argan- dans le but de sensibiliser au danger toutes ces personnes qui iraient presque jusqu’à nier l’existence du virus en continuant avec zèle les embrassades et poignées de main.
Est-ce bien d’être « Me’hazek » ainsi les gens qui se mettent en danger (et mettent en danger autrui) afin de les encourager à respecter les « gestes barrière » ? oui.
Dans le cas du livre cité, si une personne décide de faire Tshouva en raison d’une fausse réalité, si son judaïsme tient sur cela, lorsqu’il apprendra la supercherie, il n’aura plus de raison d’adhérer au judaïsme et regrettera sa démarche (et en voudra au menteur qui l’a trompé).
Alors que le juif à qui les Sages disent que cette habitude/mode de doubler ses verres qui ancre la croyance polythéiste est dangereuse car elle attirerait les démons, même s’il découvre ultérieurement qu’elle n’attire pas les démons mais « seulement » qu’elle participe à ancrer le polythéisme dans le paysage, il ne regrettera pas d’avoir évité cela (car il était déjà adhérant au monothéisme).
Maintenant, de manière plus spécifique sur ce thème, il semblerait que certains Rishonim considéraient qu’il y avait -à l’époque de ‘Hazal- des juifs qui croyaient aux démons (le bas peuple) et d’autres qui n’y croyaient pas.
Ainsi, les Sages qui eux, ne croyaient pas (selon CES Rishonim) à l’existence des démons, utilisaient tout de même leur image afin de présenter le « mal » au peuple qui croyait fermement aux démons.
En fait, lorsqu’ils disent à l’homme : «
les Zougot attirent les démons vers toi », cela veut dire que cela attire « le mal », ou dans le langage des kabbalistes « la Sitra A’hra », bref, des choses négatives
(comme la croyance en plusieurs dieux).
Les Sages estimaient donc que ceux qui ne croyaient pas aux démons comprendraient d’eux-mêmes la teneur du message et qu’il s’agit de dire que les Zougot sont de nature à laisser l’homme à proximité de quelque chose de nocif (le polythéisme), quant aux autres, puisqu’ils voient le mal sous forme de démons, ils utilisaient donc leur langage en parlant de « démons » au lieu de « mal ».
Ceci explique/justifie la position du
Rambam (qui ne croyait pas aux Shédim), mais pas celle de son fils qui lui, parlait du danger du sel au lieu de l’importance de l’ablution -il ne s’agissait pas de Shédim.
Je veux dire qu’on peut expliquer le
Rambam comme je l’ai écrit, car nous ne trouvons pas qu’il ait soutenu que les Sages aient donné de fausses explications, si ce n’est dans le cadre des démons.
Par contre, en ce qui concerne son fils, nous voyons qu’il ne semble pas dérangé d’imaginer que les Sages aient prétexté le danger du sel au lieu de la nécessité de l’ablution.
Il faut donc avoir recours au premier point que j’ai développé plus haut
(que si le trompé apprend qu’il a été trompé, il en est satisfait…), en dépit de l’aspect méprisant (à l’égard du « peuple ») qui s’en dégage, à moins de trouver un meilleur ‘hilouk.
Je vous invite aussi à lire ce que j’ai écrit à ce sujet dans mes notes et remarques sur le
Safa Leneemanim, à partir du bas de la
page 201.