Citation:
Est-ce qu'il est autorisé d'un point de vue hilkhatique de comparer deux rabanims entre eux, sur leur niveau de limoud ou de middotes, ou est-il interdit de comparer
c'est une question intéressante et je n'ai pas souvenir qu'elle ait été posée ni traitée par les Poskim de manière explicite.
Voilà qui nous donne l'occasion de tenter d'apporter des preuves à partir du Shas.
Je ne sais pas si la question est posée suite à ce que j’ai écrit sur Techouvot ici :
http://www.techouvot.com/rav_haim_tsvi_rozenberg-vt8027987.html
car cela a dérangé quelques personnes, mais voici ma réponse à votre question :
Je distingue deux types de comparaison: concernant les Midot et concernant le niveau en Limoud/la Gueonout/...
Pour ce qui est d’une comparaison au niveau des Midot :
ça dépendra du contexte et de l’intention ; si ça indique une tare chez l’autre, c’est du lashon hara.
Sans cela, nous trouvons que la Gmara se l’autorise, c’est que ça doit être Moutar.
Je veux dire que cela indique qu’il y a une manière autorisée de le faire/ que ça ne sera pas systématiquement assour.
Par exemple, dans
Taanit (25b) on nous dit que
R. Akiva était Maavir al Midotav et non
R. Eliezer (sans que cela diminue les mérites de R.E. qui n’était pas pour autant considéré « inférieur » à R.A. pour cela -voir la gmara de manière explicite).
Dans
Baba Metsia (84a) il est dit (par sa veuve) que
Rabbi Elazar bar Shimon aurait été plus grand en Maassim (bonnes actions) que
Rabbi Yehouda Hanassi.
Dans
Shabbat (31a) il est dit que
Hillel était plus patient/humble et longanime que
Shamay.
On nous dit aussi dans
Erouvin (13b) que les élèves de la yeshiva de
Hillel étaient plus agréables et plus humbles que ceux de la Yeshiva de
Shamay.
Dans
Souka (28a) il est dit que
R. Yo’hanan ben Zakay était plus assidu au Beit Hamidrash que tous ses pairs
(=de la même époque et de la même ville).
Puis, on y dit la même chose sur
Rabbi Eliezer pour la génération suivante.
Quant à dire d’un rav qu’il est un plus grand Gaon qu’un autre, nous trouvons aussi des textes de Gmara ou Mishna qui soulignent que tel ou tel Rav était le plus fort/le plus puissant en Torah, par exemple la Mishna dans
Avot (II, 8) qui nous dit que
R. Eliezer était aussi puissant que tous ses compères réunis !
On nous y dit encore que
R. Elazar ben Arakh était encore plus puissant que
R. Eliezer.
Le Talmud
(Erouvin 13a et 53a) nous dit encore que
R. Méir était plus intelligent que les autres sages de son époque et personne ne faisait le poids face à lui.
Il dit la même chose (sur une autre époque) au sujet de
Rabbi Oshaya (Erouvin 53a).
Dans
Baba Metsia (84a) nous voyons que ni
R. Elazar ben Pedat ni personne n’a pu remplacer
Reish Lakish pour se mesurer à
R. Yo’hanan.
Nous voyons aussi dans
Sanhedrin (24a) que les louanges de
Reish Lakish sont présentées comme inférieures à celles de
R. Méir (mais on pourrait souligner que l’écart générationnel compense et évite l’aspect critique ou Lashon Hara).
Quant à la jeunesse de Rabbi Méir, nous trouvons aussi dans le
Yeroushalmi (Sanhedrin 1, 2) que
Rabbi Akiva considérait
R. Méir plus puissant en Torah que son ami et collègue
R. Shimon bar Yo’haï.
Nous trouvons dans
Souka (45b) une appréciation selon laquelle
Rashbi et son fils
R. Elazar seraient les plus grands sages (Bnei Aliya) de leur génération.
(peut-être après le décès de R. Méir ? ou bien il s’agirait d’une aptitude différente et non liée.)
Il est aussi dit dans
Baba Metsia (84a) que ce
Rabbi Elazar bar Shimon était plus grand en Torah que
Rabbi.
Il est encore dit dans
Yevamot (14a) que les élèves de
Shamay étaient plus intelligents que ceux de
Hillel.
Et dans
Erouvin (13b) que
Rabbi Yehouda Hanassi était plus futé que les autres Tanaïm de sa génération.
Dans
Souka (28a) et
Baba Batra (134a) on compare les 80 élèves de
Hillel entre eux et
Yonathan ben Ouziel est considéré le plus grand, alors que
R. Yo’hanan ben Zakay est le plus petit.
On nous raconte aussi
(Sotah 40a) que le cours de
R. Abahou raflait tous les fidèles du cours de
R. ‘Hiya bar Aba.
Voir aussi une idée similaire entre le cours de
Shevna et celui de
‘Hezkia dans
Sanhedrin (26a).
[Voir aussi la Gmara Sanhedrin (106b) qui semble vouloir dire que Doeg et A'hitofel étaient très puissants en Torah et les Sages ne trouvaient pas de réponse au problèmes halakhiques qu'ils présentaient.]
Dans
Shabbat (33b) on compare le niveau de Torah de
R. Pin’has ben Yaïr à celui de
R. Shimon bar Yo’haï avant et après son passage dans la grotte. Avant, c’était
R. Pin’has BY qui l’emportait, après la grotte c’était
Rashbi et de loin.
Rabbi Yehoshoua semble dire dans
Erouvin (53b) et
Derekh Erets Raba (IV dans la version du Gaon, VI pour les autres) qu’aucun ‘Hakham n’a jamais réussi à lui « clouer le bec » et avoir raison contre lui
(seuls une femme, un petit garçon et une petite fille ont réussi cet exploit, mais aucun des sages).
De
Bekhorot (58a) il semble que deux sages dépassaient tous les autres (contemporains) de loin,
Ben Azay et un autre [
R. Akiva selon de nombreux Rishonim].
Concernant
Ben Azay, voir aussi
Erkhin (30b), Kidoushin (20a), Sotah (45a) et Erouvin (29a).
Concernant
R. Akiva, voir encore
Mena’hot (29b) où il est dit qu’il a dépassé
Moshé Rabénou ( !) en Torah (sur un certain point).
On dit aussi dans
‘Haguiga (14b) que des quatre sages qui ont pénétré le Pardes, seul
R. Akiva en est sorti indemne
(on le compare donc à Ben Azay, Ben Zoma et Elisha ben Avouya).
Dans
Horayot (14a) on compare
Rav Yossef et
Raba en leur attribuant chacun un atout par rapport à l’autre, puis on se demande lequel des deux reste préférable et on tranche pour l’atout de
Rav Yossef.
Plus loin on se demande encore lequel est plus puissant en Torah entre
R. Zeira et
Raba bar Matana.
Rav Houna est considéré plus grand que
Rav ‘Hisda dans
Baba Metsia (7a et 33a).
Dans
Baba Kama (117b) nous voyons que
Rav Kahana était plus puissant en Torah que
Rabbi Yo’hanan (pourtant largement son aîné).
Je pense qu’on pourrait encore continuer comme ça en "essorant" le Shas pour montrer des tas de sources dans le Talmud indiquant que les ‘Hazal ne rechignaient pas à comparer le niveau de deux ‘hakhamim sans y voir du Lashon Hara ni du mépris.
Pour ce qui est de l’époque des commentateurs, les Gueonim et Rishonim, le
Rivash (§394) est prêt à dire que
Rabénou Tam était plus puissant (en ‘harifout et bekiout) que
Rashi et que
Rav A’hay gaon et que le
Behag et que
Rabénou ‘Hananel (bien qu’ils l’aient tous devancé dans le temps).
Chez les A’haronim, voyez le
Gdolei Hadorot (p.350) [ainsi que le
Saarat Eliahou (p.23a dans l’édition de Varsovie 1877) et le
Hagaon (Eliakh, pages 147-8)] où l’on nous raconte comment
R. ‘Haim de Volozhin a dit que si
Reb Zelmalé avait pu vivre mille
(ou 2000) années, il n’aurait pas égalé le
Gaon de Vilna en Bekiout.
[Voyez aussi ce que j’ai écrit ici :
http://www.techouvot.com/critere_pour_pretendre_au_titre_de_gaon-vt18369.html
dans mon message du 22 juillet 2015.]
Et enfin pour notre époque, voyez le livre
Massoret Moshé (I, p.618) où il est consigné que
rav Moshé Feinstein a dit sur
rav Avraham Tsvi Kamaï qu’il était un plus grand Gaon que son beau-frère
Rav Eliezer Yehouda Finkel de Mir.
Voilà, je m'arrête-là, mais je pense qu'il y a encore beaucoup à ajouter.
La conclusion halakhique est donc qu'il est parfaitement licite (voire même POSITIF) de comparer deux 'Hakhamim, dans la mesure où l'on reste très respectueux des deux.
PS: j'aurais bien voulu me relire pour corriger les fautes, mais je n'en ai pas le temps ce soir, veuillez donc m'en excuser, merci.