Je suis tombé sur votre question, sans voir que j'y avais déjà répondu!
j'ai donc rédigé une réponse sans savoir que je l'avais déjà fait.
Mais comme j'ai parfois tendance à être un peu plus bavard et à élargir le sujet, je poste cette "seconde réponse" qui pourra aussi apporter un éclairage supplémentaire:
Citation:
Kvod haRav
Pourrions-nous avoir plus de précisions svp sur l'avis qu'avait le Maharal du Shulhan Aroukh ? Pourquoi ne l'aimait-il pas ? Où est-ce qu'il le dit ? Cela concerne-t-il aussi le Beth Yossef, Kessef Michné, etc. ?
Non, ce n’était pas contre la personne elle-même ; le
Maharal n’avait pas des comptes à régler avec
Rav Yossef Karo, c’est son livre
Shoul’han Aroukh qu’il n’appréciait pas, pas ses autres Sfarim qui n’ont rien à voir et sont très différents.
D’autres Gdolim n’appréciaient pas le
Shoul’han Aroukh, des critiques et oppositions se sont multipliées dès sa sortie et durant les années suivantes.
Le
Maharal (Netivot Olam, Netiv Hatorah §15) considère qu’on ne devrait pas trancher la Halakha à partir d’un livre tel que le
Rambam ou
Shoul’han Aroukh, sans avoir en tête les Souguiot, la halakha se base sur l’étude du Talmud.
Ce n’est pas le seul qui n’ait pas apprécié le
Shoul’han Aroukh, de nombreux auteurs des générations qui ont suivi ont insisté pour dire que l’étude du
Shoul’han Aroukh SANS les Nossei Kélim qui y ont été ajoutés, est un réel danger, tant cela mènerait le lecteur à l’erreur.
Voyez
Maharsha Sotah (22a), Drisha (dans la Hakdama), Maadanei Yom Tov (Hakdam de Brakhot), ‘Hida (Shem Hagdolim II, Shin, §75) et beaucoup d’autres. Voir aussi
Mishna Broura (Hakdama) et
Shoul’han Gavoha (Klalim §1) qui indique plusieurs autres auteurs en ce sens.
Le
Maharam Lublin (shout §102) écrit qu’il ne s’intéresse pas au (
livre)
Shoul’han Aroukh car c’est un ouvrage hermétique (=incompréhensible) tel quel (et voir aussi
§135 et §11).
Les critiques touchent parfois aussi le
Beit Yossef (à partir duquel le Shoul’han Aroukh a été écrit, c’en est un résumé), notamment sur le choix arbitraire de sélectionner 3 « Amoudei Horaa » (
Rif, Rambam, Rosh) et trancher selon la majorité de ce Beit Din fictif.
Le
Maharshal par exemple (
Yam Shel Shlomo Hakdama de ‘Houlin et voir aussi
Hakdama de Baba Kama) se demande de quel droit le
Rav Karo décide que seuls ces trois- là seraient dignes du titre pompeux dont il les affuble « Amoudei Horaa »?
Pourquoi les nombreux Tossafistes se voient disqualifiés d’office ?
Pourquoi les autres Rishonim (
Ran, Ramban, Ritva, Rashba, Or Zaroua, Rashi, Rabénou ‘Hananel, et tant d’autres) ne devraient pas être considérés eux aussi ?
Comment
Rav Karo s’arroge-t-il le droit de décréter qui sont les Rishonim à retenir ?
Voir aussi
Shout Maharshakh (I, §134) qui indique que des rabanim contemporains du
Rav Karo se sont opposés à lui directement (face à face) pour ce choix étrange.
Qui a dit qu’il fallait sélectionner 3 « Amoudei Horaa » ? Et si c’était le cas, pourquoi choisir ces trois-là ?
Il se trouve que
R. ‘Haim Palacci s’est distingué en choisissant (lui aussi) ses trois Amoudei Horaa, qui furent : le
Rashba, le
Méiri et le
‘Hikrei Lev ! (cf.
Tsavaa Me’haim p.98, §65.)
Et comment rejeter les
Tosfot ? et
Rabénou Tam ?
Le
Yad Aharon (Alfandéri) (o’’h §3) (cité par
Yad Malakhi klalei Harambam §28) écrit qu’on ne tranchera pas comme le
Rambam lorsqu’il est en désaccord avec les
Tosfot car ils sont plus nombreux.
Le
‘Havot Yaïr (§192) va encore plus loin et cite le
Rosh qui rapporte une transmission selon laquelle les
Tossafistes étaient plus grands en Torah que le
Rambam.
Donc même UN seul
tossafiste devrait l’emporter contre le
Rambam.
Le
Rivash (§394) écrit à propos de
Rabénou Tam que personne ne peut se mesurer à lui en Pilpoul depuis l’époque de la compilation du Shas, qu’il était « Sinaï et Oker Harim » à la fois, très profond et très subtil, etc. Et qu’il faisait le poids face à
Rashi, le
Rif ou
Rabénou ‘Hananel, voire même peut-être encore plus grand qu’eux en ‘Harifout et en Bekiout…
Et quelle est cette attitude qui consiste à suivre la majorité d’un tribunal fictif
(sans que les trois aient pu se concerter entre eux et délibérer en discutant des preuves de chacun) ? Il faudrait au contraire confronter toutes les opinions et voir qui a raison, au lieu de s’en remettre à une majorité. Etc.
Un autre point (que le
Maharshal ne soulève pas d’ailleurs et je m’en étonne) me semble aussi très important : Comment
Rav Karo nous dit
(Hakdama du Beit Yossef) qu’il va suivre la majorité entre ces 3 « Amoudei Horaa », alors que nous savons que le
Rambam considère que le
Rif avait quasiment toujours raison et ne se serait trompé (selon lui) que sur une dizaine de points
[et qu’ils sont en désaccord sur une trentaine ou quarantaine de points maximum].
Les points de divergence entre eux sont extrêmement rares comme le répète le
Radbaz (§1128, 1140, 1188, 1482) au point qu’il est légitime de penser, en cas de doute sur la position du
Rif, qu’elle correspond à celle du
Rambam (Radbaz §835, 1128).
Le
Ralba’h aussi l’écrit
(§110 et 128).
Autrement dit, le
Rambam suit le
Rif dans 99% des cas, et suivre la majorité entre ces trois-là signifie en réalité suivre le
Rambam -et c’est d’ailleurs globalement ce que fait le
Shoul’han Aroukh ! (globalement, car en réalité, il ne suit pas toujours lui-même sa propre règle de trancher selon la majorité de ces trois auteurs.)
[Plus encore, le
Rosh aussi se serait beaucoup basé sur le
Rif, voir
Shakh dans
Takfo Cohen (§46) et
Shem Hagdolim (I, Alef, §236, daf 17c).
Voir aussi
Arim Nissi (Yevamot p.350 §21) pour qui le
Rosh reprend souvent les phrases du
Rif texto , ce qui rendrait donc ce choix des 3 Amoudei Horaa encore plus absurde… ça serait une manière d’imposer le Psak du
Rambam, puisque ces trois Amoudim se rejoignent très souvent.
Sans parler du fait qu’il arrive des cas où le
Shoul’han Aroukh tranche comme le
Rambam alors qu’il est en minorité et que le
Rif ET le
Rosh sont en désaccord avec lui.
Par exemple dans
o’’h (§422,2) où le
S.A. dit de ne pas faire la Brakha sur le Hallel de Rosh ‘Hodesh, pas même le Shalia’h Tsibour.
C’est l’opinion du
Rambam (hil. ‘Hanouka §3,7), alors que le
Rif et le
Rosh disent que le Shalia’h Tsibour doit faire la Brakha (et pour le
Rosh même le Ya’hid fait la Brakha).
La motivation du
Rav Karo étant que le Minhag en Israël était de suivre le
Rambam.
D’après cela, le
rav Khalfon Moshé Hacohen (Shout Shoel Venishal II, §29) écrira qu’en dehors d’Israël, il est logique que le Shalia’h Tsibour fasse la Brakha sur ce Hallel puisque même d’après la logique du
Rav Karo on devrait suivre 2 Amoudei Horaa majoritaires contre le 3ème.
C’est uniquement un Psak pour Israël qui pousse
Rav Karo à supprimer cette Brakha, mais ailleurs, on la fera.]
En réalité,
Rav Karo n’a pas inventé cette règle ni ce choix des 3 Amoudei Horaa, il était déjà en vigueur avant lui en Erets Israel et dans ce secteur géographique (chez les ‘Halabim), comme on le voit chez d’autres Poskim, par exemple le
Radbaz (§1140).
Ces 3 « Amoudim » ont été choisis car ils parlent -d’un point de vue Halakhique- de quasiment toutes les Souguiot du Shas, et à l’époque du
Rav Karo, le Minhag était déjà répandu de suivre le Psak du
Rambam dans ces pays, il n’a donc pas voulu bousculer les Minhaguim et s’est inscrit dans la lignée des décisionnaires locaux.
A part le choix des 3 Amoudei Horaa, le
Beit Yossef a aussi été critiqué car son étude affaiblirait la Bekiout (car avant qu’il soit là pour nous indiquer la référence talmudique, l’étude du
Tour entrainait la mémoire de l’étudiant qui essayait de se rappeler où se trouve la Souguia dans le Shas.
C’était l’argument du
Mahari Ben Lev, pour lequel il interdisait à ses élèves d’utiliser le
Beit Yossef.
[Jusqu’à ce qu’une fois le
Mahari Ben Lev lui-même n’arrivant pas à trouver la référence, a dû avoir recours au
Beit Yossef. Et il aurait, depuis lors, autorisé à ses élèves son utilisation
(Yossef Be’hiri p.349). (c’est étrange, car ça n’est pas une raison de l’autoriser s’il affaiblit la Bekiout, il aurait dû leur dire d’essayer d’éviter d’ouvrir le
Beit Yossef mais qu’en cas de grand besoin, ils peuvent l’utiliser.)]
Rabbi Moshé de Trani (le Mabit), contemporain du
Rav Karo et rabbin dans la même ville (Tsfat) était opposé au
Rav Karo lui-même ainsi qu’à ses élèves, mais c’est encore une autre affaire (cf.
Yossef Be’hiri début du tome 1).
PS: J'ai été long, je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes d'orthographe et de frappe.