Citation:
Je n'arrive pas à comprendre comment la femme de Rav pouvait se comporter ainsi avec lui tel qu'il est rapporté dans Yebamot 63a.
Comment ne pas avoir un immense et profond respect envers son mari qui plus est lorsqu'il s'agit de Rav ??
Vous avez raison d’en être choqué, mais au lieu de porter un jugement sur cette dame décédée il y a plus de 17 siècles, je vous invite, je nous invite, à analyser son attitude avec le recul dont nous bénéficions.
En effet, je ne doute pas un instant que si Madame Rav avait su, en son temps, que son mari allait être mondialement révéré par des millions de juifs et durant des siècles, elle l’aurait beaucoup plus considéré et respecté.
Mais justement, à son époque, elle n’avait pas de moyen de savoir ni de comprendre l’importance de son mari.
Elle savait qu’il était Rosh yeshiva, certes, mais dans un pays où l’on n’appréciait pas (encore) la Torah à sa juste valeur, un pays où il n’y avait pas trop de yeshivot.
Son mari avait peut-être quelques petits "défauts" (qui n’en a pas ?) sur lesquels elle s’accrochait, mais qu’elle aurait volontiers relativisés si elle avait conscience du rôle de son mari pour le Klal Israel.
A n’en point douter, elle aurait été très volontaire pour partager ce rôle exceptionnel que la providence lui présentait, en aidant son mari, en le soulageant, en l’encourageant, ou au moins en ne faisant pas l’inverse.
Seulement voilà, elle ne se doutait pas de l’envergure de son conjoint.
C’est assez classique en même temps ; quand on vit avec quelqu’un, on est moins impressionné.
De l’extérieur, à distance, il est plus facile de remarquer les personnes exceptionnelles. A plus forte raison lorsqu'on se tient à distance aussi dans le temps et pas uniquement dans l'espace.
[Plusieurs de nos Gdolim du passé ont été, en leur temps
(durant une bonne partie de leur vie), méprisés ou maltraités: le Tour, le Taz, le Shaagat Arié...]
L’épouse du
Netsiv n’était pas tendre avec lui, du moins au début de leur vie commune.
A la longue -et je pense, surtout avec le gain de notoriété du
Netsiv- elle s’est rendu compte que son mari n’était pas seulement « un rabbin de plus », mais bien plus que ça.
S’il n’avait pas dirigé la yeshiva de Volozhyn, si ses Sfarim n’avait pas eu ce retentissement, s’il n’avait pas eu autant d’adeptes totalement épatés par sa Torah, je ne crois pas qu’elle aurait vraiment évolué dans son rapport avec lui.
C’est tout ça qui lui a permis de prendre conscience du caractère exceptionnel de son mari.
Parfois, même la notoriété est insuffisante.
C’est notamment le cas de Madame ‘Hazon Ish, qui n’a pas respecté son mari en dépit de son succès au sein des Talmidei ‘hakhamim.
Elle était très dure avec lui.
Mais il ne convient pas de porter sur elle un jugement, elle a eu la vie dure et pour différentes raisons.
De plus, ce n’est vraiment que vers la fin de sa vie -à elle- que son mari a gagné en notoriété.
Jusque-là, c’était un Avrekh âgé, constamment assis dans son bureau avec un livre, sans aucune vie sociale et qui ne s’occupait de rien d’autre que son Limoud et ses Sfarim.
Le fait que l’épouse d’un Talmid ‘Hakham le soutienne, l’encourage et croie en lui, peut participer à le porter encore plus loin, parfois elle a l’intelligence de le faire, parfois non.
Parfois elle a une grande part dans le limoud de son mari, parfois c’est l’inverse, c’est le Talmid ‘Hakham qui a un plus grand mérite d’avoir réussi à se hisser à son niveau en dépit de son épouse qui ne lui facilitait pas la tâche, voire le freinait.
Pour ce qui est du
‘Hazon Ish, on ne peut pas dire qu’il doive son limoud à sa femme.
Il en a souffert et a supporté sa situation.
Par contre, pour le
Netsiv, même si elle n’a pas été aux petits soins au départ, c’est un fait: il ne s’occupait d’absolument rien d’autre que de sa yeshiva et son Limoud, il ne faisait rien à la maison, ni pour les enfants, et je ne parle pas de faire la vaisselle ou similaire.
Donc concrètement, il a gagné beaucoup de temps d’étude grâce à sa femme qui faisait tout pour lui et le déchargeait de tout tracas.
L’anecdote bien connue du mariage de leur fille est très édifiante à ce propos.
Concernant la femme de Rav, même si son attitude perverse est dénoncée par le Talmud, notamment lorsqu’elle s’ingéniait à préparer le plat « opposé » à ce qu’il avait demandé, il faut tout de même souligner que sa « méchanceté » ne lui avait pas permis d’imaginer -tout simplement- de ne pas faire à manger du tout à son mari !
Elle se souciait tout de même tous les jours de lui cuisiner un repas, mais elle lui demandait (via leur fils) ce qu’il souhaitait manger et lui cuisinait autre chose pour l’embêter.
De nos jours, le simple fait de cuisiner un repas tous les jours pour son mari
(même sans lui proposer un choix de menu) est perçu par de nombreuses femmes comme une attitude de soumission et servitude intolérables, il faut partager les tâches ménagères, chacun a son jour de cuisine.
Dans cette optique, Madame Rav lui a tout de même permis de gagner en temps de Limoud car il n’avait pas besoin de se faire à manger.
Voilà un second Limoud Zkhout pour cette dame.
Bref, au lieu de porter un jugement sur elle, je pense que nous gagnerions bien plus en tirant un enseignement de sa conduite et j’imagine que c’est pour cela que la Gmara nous la raconte.
Il y a un enseignement évident pour les femmes, et un autre pour les hommes qui peuvent s’inspirer de Rav qui gardait son calme et respectait quand même sa femme
(comme la gmara yevamot daf 63 le raconte), en supportant son caractère, et tout en persévérant dans son limoud.
L’esprit naïf
(et c’est certainement le résultat de ces biographies rabbiniques romancées à outrance) imagine la femme du Talmid ‘Hakham comme forcément dévouée, adhérente et soutien indéfectible de son mari, qui organise tout autour de lui pour qu’il puisse s’adonner pleinement à son Limoud et qui lui voue un respect sans borne.
C’est vrai dans les biographies romancées, mais pas toujours dans la vraie vie.
Lorsque ce n’est pas le cas, le Talmid ‘Hakham lui-même n’a que plus de valeur, mais il faut aussi savoir juger la femme Lekaf Zkhout ; encore une fois, lorsqu’on côtoie quotidiennement un grand homme, lorsqu’on n’a pas non plus vraiment d’éléments de comparaison, on ne se rend pas toujours compte.
Souvent lorsque la femme d’un grand Rav le respecte vraiment, c’est parce que les gens autour ont commencé à lui témoigner beaucoup de respect
(ou pire: parce qu’il gagne beaucoup d’argent etc.), là, l’épouse se dit que son mari est important et elle commence à en être fière.
Mais pour que sa femme le respecte et soit consciente de sa grandeur en Torah sans l’aide du témoignage externe
(ni d’un compte en banque débordant), il faut vraiment qu’elle ait une grande Ahavat Torah, ce qui est -de nos jours, assez rare.