Citation:
Est-il vrai qu'un bon Juif ne doit pas jouer à toutes sortes de jeux (jeux de sport, jeux de plateaux, jeux de cartes, jeux vidéos, etc.), même s'il s'agit de jeux Cachères, parce que c'est du Bitoul Torah ?
Il est difficile de vous répondre, d’abord parce la réponse varie beaucoup d’une opinion rabbinique à l’autre, et ensuite et surtout parce que la réponse risque de m’attirer l’antipathie de certains de mes collègues rabbins qui n’aiment pas qu’on dévoile certaines Shitot fort respectables qu’ils ne peuvent pas invalider eu égard à leurs auteurs, mais qu’ils auraient préféré faire disparaître ou glisser sous le tapis.
Etrangement, je ne réagis pas vraiment comme eux, je cherche à accepter et à m’accommoder avec ce qu’est la vraie Torah, sans tenter de l’adapter à mes envies et besoins politiques, je n’aime pas ce plaisir qui les fait vraisemblablement jubiler et qui consiste à jouer de l’ignorance des juifs pour leur faire passer un message selon des Shitot choisies.
Je suis bien conscient qu’il existe des éléments sur lesquels on dit ודבר זה אסור לאומרו בפני ע"ה (cf.
Mena’hot 99b), mais il ne s’agit pas de ça.
Donc j’ai tendance à dire la vérité et ça me cause bien des soucis avec des rabbins qui n’apprécient pas trop ma « transparence ».
Je vous réponds quand même, mais c’est de la Messirout Nefesh 😊.
On ne peut pas parler de Bitoul Torah de manière « catégorique ».
Bien sûr que le temps passé à jouer à ces jeux risque de vous faire perdre du temps d’étude et de Mitsvot, mais ça n’est pas exactement la définition du Bitoul Torah, ce dernier ne peut pas vraiment se définir en ces termes.
S’il fallait donner un cadre légal de ce qu’est le Bitoul Torah, ça serait lorsque vous jouez à votre jeu SANS en avoir vraiment l’envie/le besoin, mais juste pour « tuer le temps »
(horrible, cette expression !).
Tant que vous jouez à un jeu pour vous divertir et vous relaxer
(même si en y réfléchissant on comprend qu’il est déplorable, voire lamentable, de devoir jouer à ces jeux pour se relaxer et que, personnellement, mais ça ne concerne que moi -pas « la Torah », je n’arrive pas à comprendre en quoi cela relaxerait), ce n’est pas du Bitoul Torah, pas plus que le fait de manger, de dormir, et de prendre soin de sa santé.
Différentes formulations dans des Sfarim (même chez les Rishonim) sont très tendancieuses et portent à confusion sur ce sujet.
Beaucoup ont compris du
Ran (Nedarim 8a) qui écrit חייב כל אדם ללמוד תמיד יום ולילה כפי כחו , qu’il veut dire que l’on est tenu d’étudier constamment jour et nuit autant que nos forces nous le permettent
(évidemment, même le Ran serait d’accord que lorsqu’épuisé, l’homme s’endort, il ne transgresse pas la Mitsva).
Néanmoins, cette opinion ne semble pas partagée par les (autres) Rishonim.
Cependant, le
‘Hafets ‘Haim écrit dans
Pti’ha, que celui qui dit du Lashon Hara peut ainsi transgresser 17 commandements négatifs (לאוין), 14 commandements positifs (עשין), et écoper de 4 imprécations (ארורין).
Et lorsqu’il détaille les 14 commandements positifs que comporte la médisance, il comptabilise le Bitoul Torah
(transgression de la Mitsva positive d’étudier la Torah à ce moment).
Ce qui sous-entend que le péché de Bitoul Torah concerne toute personne qui arrête un instant d’étudier, même s’il n’est pas en train de « tuer le temps ».
Le
Rav Moché Kaufmann (aujourd’hui connu du public français) a écrit un commentaire sur le livre
‘Hafets ‘Haim, le
Shvilei ‘Haim, dans lequel
(2nde éd. Bnei Brak 1995, p.31 note 12) il explique que le
‘Hafets ‘Haim a vraisemblablement suivi en cela l’opinion du
Ran (op cit) qui impose d’étudier constamment « jusqu’à épuisement », mais que c’est une opinion minoritaire chez les Rishonim et nous constatons que le
Rambam et les Monei Hamitsvot ne l’ont pas suivie.
Vous me direz que le « pot-aux-roses » a déjà été dévoilé et que je n’ai donc rien à craindre ? Que nenni ! Lorsque ce sefer a vu le jour,
Rav Kaufmann s’est fait invectiver et réprimander pour son "outrecuidance" : si Maran le
‘Hafets ‘Haim écrit qu’on transgresse Bitoul Torah, c’est qu’il a été Possek comme ça (comme le Ran), donc qui tu es pour venir lui remonter les bretelles ?...
Sans commentaire.
Bon, heureusement, son Sefer n’a pas été brûlé
(pas tous les exemplaires en tout cas, ils devaient manquer d’allumettes), donc vous pourrez le lire aujourd’hui encore, mais ne vous aventurez pas à le lire à haute voix à Bnei Brak.
Pour ma part, je soutiens le
Rav Kaufmann et j'irais même plus loin; je crois que même le
Ran ne pense pas exactement ce qu’on veut lui faire dire.
Lorsqu’il dit חייב כל אדם ללמוד תמיד יום ולילה כפי כחו, il ne faut probablement pas traduire כפי כחו par « de toutes ses forces » ni par « autant que ses forces le lui le permettent », mais plutôt « selon ses forces », et surtout : ces dernières incluant (aussi) l’aspect psychique.
On ne parle pas que des forces physiques (tant que tu es réveillé), mais de l’ensemble des forces de la personne, morales, psychiques, physiques.
C-à-d que le
Ran tiendrait lui aussi compte du besoin de l’homme de s’aérer l’esprit
(ça ne veut pas dire qu’il vous encouragerait à jouer à des jeux stupides sur le téléphone, mais qu’il ne considérerait pas un Issour Bitoul Torah tant que l’état psychique -certainement atteint- du concerné le lui impose/en fait ressentir le besoin).
Après, à chacun d’être intelligent et comprendre que ces jeux sont addictifs et qu’on y perd bien plus de temps que le nécessaire pour s’aérer et se détendre.
Ce n’est donc pas une bonne distraction, on préférera autre chose, de moins addictif, ou qui ne dure pas continuellement.
Le
Even Haazel (Rav I.Z. Meltzer) (Melakhim §III, 5) écrit que seul le roi d’Israël a une obligation continuelle d’étudier, mais chaque juif n’a pas de issour Bitoul Torah tant qu’il s’occupe -quand bien même à ses Taavot matérielles !
Un juif qui s’installe pour picoler et va ainsi perdre un temps fou
(plus le temps de cuver…) ne commettrait pas en cela de Bitoul Torah.
(C’est donc bien seulement celui qui tue du temps qui transgresserait ce péché.)
[Ce livre n’a pas été condamné/brûlé par nos zélotes car il est en petits caractères Rashi, personne ne le lit jusqu’à la fin, donc ça passe sous silence.
Et aujourd’hui c’est un intouchable, car ce Rav est reconnu comme ayant été un Gadol BeIsrael, et il était le beau-père de
Rav Aharon Kotler et l’oncle de la femme de
Rav Shakh, ainsi que le Rav de ce dernier.]
Il y a aussi dans le
Or Saméa’h (Talmoud Torah §I, 2) une définition plus judicieuse : c’est qu’à part la double Kviout Etim d’étude quotidienne qui est le minimum syndical commun à tous, concernant le reste, il n’y a pas de définition précise donnée par la Torah pour cette Mitsva d’étudier !
C’est à chacun de faire au mieux en fonction de sa situation, de sa personne, de ses capacités, de ses forces.
La Torah n’a pas délimité le champ d’application de la Mitsva, de la même manière qu’elle n’a pas détaillé les contours des Midot, car elles aussi varieront en fonction de la personne et de la conjoncture.
Je pense que l’on peut trouver encore chez le
Ramban une source allant dans le sens de ce qu’on dit, il écrit au début de Parshat Kedoshim
(Vayikra XIX, 2) que celui qui passerait son temps à boire du vin et s’empiffrer ne transgresserait aucun péché, n’était-ce « Kedoshim Tihyou ».
CQFD.
Même le
‘Hafets ‘Haim qui semble penser que l’on serait dans l’interdit de Bitoul Torah tout en étant occupé à autre chose
(c-à-d sans « tuer du temps bêtement ») ne devait pas s’éloigner de trop de ce qu’on explique et ne devait pas penser réellement qu’il y ait un ‘Hiyouv constant d’étudier MÊME si l’on est en train de faire autre chose, c’est juste qu’il y a un ‘Hiyouv de limoud dès qu’on n’a plus rien à faire.
C’est d’ailleurs ce qui ressort de ce qu’il écrit dans son
Mishna Broura (§155, sk.4) : « דעיקר מצות ת"ת אין לה שיעור, וחיובה הוא כל היום, כ"ז שיש לו פנאי, וכדכתיב לא ימוש ספר התורה הזה מפיך וגו' וכשיש לו פנאי והוא מבטל מלמוד תורה מרצונו הוא קרוב למה שאחז"ל [סנהדרין צ"ט] על הפסוק כי דבר ה' בזה זה שאפשר לו לעסוק בתורה ואינו עוסק ».
Cependant, il faut bien comprendre ce dont nous parlons, le fait est que le même Rashbi qui dit dans
Mena’hot (99) «
afilou lo kara éla kriat shema… », dit aussi dans
Brakhot (35b) «
Efshar adam ‘horesh beshaat ‘harisha… Torah ma tehé aléha ? ».
Ce qui implique que l’on puisse se détendre si le besoin se présente, mais il ne faut pas perdre de vue l’objectif !
Il ne faut pas oublier ce qui est écrit dans le
Shoul’han Aroukh (Y’’D §246, 21) « אין דברי התורה מתקיימים במי שמתרפה עצמו עליהם ולא בלומדים מתוך עידון ומתוך אכילה ושתייה אלא במי שממית עצמו עליה ומצער גופו תמיד ולא יתן שנה לעיניו ותנומה לעפעפיו ».
Puis (Séif 23) : « מי שרוצה לזכות בכתרה של תורה יזהר בכל לילותיו ולא יאבד אפי' אחת מהן בשינה באכילה ושתיה ושיחה וכיוצא בהם אלא בדברי חכמה ותלמוד תורה ».
(Séif 24) : « כל בית שאין דברי תורה נשמעים בו בלילה אש אוכלתו ».
(Séif 25) : « כל שאפשר לו לעסוק בתורה ואינו עוסק או שקרא ושנה ופירש להבלי העולם והניח תלמודו וזנחו הרי זה בכלל כי דבר ה' בזה ».
Et le
Rama ajoute : « ואסור לדבר בשיחת חולין ».
Pour compléter, je suggère la lecture du
Binian Olam (sefer anonyme de Rav Avrami), plus particulièrement du
chapitre 13 (dans l’édition que j’ai achetée étant à la yeshiva (Jérusalem 1979) c’est §13, mais j’ai vu de nouvelles éditions 3 fois plus épaisses, donc les chapitres ont peut-être changé ?) sur le Bitoul Torah.
Et ne pas oublier ce qu’à écrit le
Baal Hatanya dans son
S.A. (hil. Talmoud Torah §1, 4) qu’il incombe à chaque juif d’étudier toute la Torah écrite et toute la Torah ORALE, c-à-d tous les enseignements des ‘Hazal.
Il y a du boulot !…
Du coup, je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes.