Citation:
J’ai été récemment Hazan de chaharith hol dans une communauté séfarade en province. J’ai baissé la voix au moment de réciter la berahaha avant la Amida car
1) c’est l’habitude dans ma choule parisienne
2) il me semble avoir lu un michna beroura qui recommande cela pour éviter que le kahal dise amen et fasse ainsi une hafsaka avant la Amida.
Après la Tefila, le rav local m’a fait la remarquer qu'il n'y aucune base pour cela et que j’aurais du prononcer toute la beraha à haute voie toute la beraha. Y a-t-il une Halacha précise sur ce sujet ? Une différence Ashkenaze vs Séfarade ?
S’il fallait trouver une différence Sfarade-Ashkenaze là-dessus, on serait tenté de dire que les Sfaradim devraient y faire plus attention, car c’est un Shoul’han Aroukh explicite (à deux endroits), il écrit de ne PAS répondre Amen à cette Brakha (en raison du Hefsek entre Gueoula et Tfila). Voyez
Shoul’han Aroukh (o’’h §66,7 et §111,1) (voir aussi son Maguid Meisharim, vers la fin, Mishlei 23, daf 74a).
Alors que -dans ces deux occurrences- le
Rama écrit que nous avons l’habitude de répondre Amen à la Brakha de Gaal Israel.
C’est donc une halakha -en principe- pour les Sfaradim.
Cependant, bien qu’à l’époque du
Rama les Ashkenazim répondaient Amen à cette Brakha, l’habitude de tenir compte des autres opinions s’est répandue ultérieurement parmi les ashkenazim aussi, sous l’impulsion du
Shla (Tamid, Ner Mitsva), et du
Levoush (§111,1).
Voir aussi le
Reèm (Shout I, §6).
De sorte que l’habitude est donc d’essayer de s’en sortir selon toutes les opinions et éviter le besoin de répondre Amen à cette Brakha.
Les conseils donnés sont de commencer la Amida un peu avant, de sorte que l’on ne puisse plus répondre Amen, ou encore d’attendre un peu à Tsour Israel (ou Shira ‘Hadasha) et de répondre à la Brakha puis de faire soi-même la Brakha. cf.
Maguen Avraham (§66, sk.11).
[Mais plusieurs A’haronim ne sont pas d’accord
(5 d’entre eux sont indiqués par le Shaar Hatsiyoun §66,55 : Elia Raba, Pri Megadim, R.A. Eiger, Levoushei Srad, et ‘Hayei Adam. On pourrait en ajouter d’autres, dont le Aroukh Hashoul’han o’’h §66, 15), car on ne devrait pas répondre en étant « au milieu d’un Perek » et, de plus, il faut commencer la Amida tous ensemble.
Le
Mishna Broura (§66, sk.35) préfère donc l’option de terminer la brakha en même temps que le ‘Hazan
(cependant le Pri Megadim et le Levoushei Srad y voient aussi un problème), ou encore de débuter la Amida -c-à-d la phrase Hashem Sefatay tifta’h- un peu avant la fin du Gaal Israel du ‘Hazan, et ce (plus) léger décalage ne serait pas problématique, car de toute façon on ne peut pas tous commencer la Amida ensemble au centième de seconde près.]
Mais je pense que ce que ce rabbin voulait vous dire
(en disant qu’il n’y avait aucune source à cela), c’est qu’on ne trouve pas de source conseillant de baisser la voix à ce moment
(et pas qu’il n’y ait pas de source indiquant qu’il faille éviter de répondre Amen à cette Brakha).
Toutefois, ceci aussi est faux.
Mais on ne peut pas lui en vouloir, il s’est sûrement laissé entraîner et tromper par les auteurs qui ont écrit qu’il n’y aucune source à dire la fin de la Brakha à voix basse
(car les A’haronim semblent proposer différentes solutions sans envisager de baisser la voix à cette Brakha).
Parmi eux, le
Shout Ish Matslia’h (o’’h §18 -dans la nouvelle édition p.438) qui écrit que cette solution n’est envisagée par aucun des Poskim.
Dans la conclusion de ce Psak, rédigée par son fils
Rabbi Méir Mazouz, il est écrit que ce minhag de terminer la Brakha à voix basse est une erreur et qu’il faut conclure à voix haute, comme le reste de la Brakha.
Il ajoute entre parenthèses de voir dans
Or Torah (année 2 §34) que l’origine de ce Minhag est du
Mahari Tyrnau, cité dans le
Yessodei Yeshouroun (I, p.284).
Voyez aussi dans le
Rivevot Ephraïm (I, §71) qui indique lui aussi ce texte du
Yessodei Yeshouroun.
Il y aurait donc une source.
Toutefois, le
Iyounei Halakhot (I, §17, p.274) explique que c’est une erreur dans le
Yessodei Yeshouroun car le
Mahari Tyrnau ne dit pas de terminer la Brakha à voix basse, au contraire, dans le
Sefer Haminhaguim Lemahari Tyrnau, il parle du problème de répondre ou ne pas répondre Amen à cette Brakha sans mentionner l’éventualité de la terminer à voix basse.
Ensuite, tous les autres Melaktim venus après, ont fait confiance au
Yessodei Yeshouroun sans vérifier par eux-mêmes et se sont trompés.
(c’est étonnant car le Rivevot Ephraïm (I, §71) a certes simplement cité le Mahari Tyrnau au début de sa réponse, mais par la suite il en cite les mots et explique de quelle manière on voit que le Mahari Tyrnau considérait qu’il ne fallait pas répondre Amen.
Il est étrange qu’en ayant lu ses mots, il ne se soit pas rendu compte que même s’il optait pour ne pas répondre Amen, il ne suggérait aucunement de baisser la voix pour la fin de la Brakha).
Cette habitude (terminer à voix basse) n’aurait donc aucune base.
Cependant, ce n’est pas vrai non plus.
Nous trouvons plusieurs traces de ce Minhag :
Le
Leket Hakema’h Ha’hadash (§66, sk.33) écrit que bien que nous ayons vu des Gdolim qui ont instauré ce Minhag de terminer à voix basse, il reste préférable de terminer à voix haute et que les fidèles terminent en même temps que le ‘Hazan pour éviter le problème du Amen.
Il ne retient donc pas ce Minhag mais lui reconnait une ancienneté et l’attribue à des Gdolim.
Le
‘Hatan Sofer (Avodat Hayom, Shaar Hatfila §10) écrit quant à lui, que c’est un bon Minhag.
Là, ça semble indiscutable.
C’est pourtant discuté, le
Iyounei Halakhot (I, §17, p.275) estime qu’il a certainement changé d’avis car ses descendants suivent l’habitude du
Kitsour Shoul’han Aroukh (§18,2) qui opte pour terminer la Brakha en même temps que le ‘Hazan.
Ce n’est pas très convaincant, je trouve.
Le
Tshouvot Vehanhagot (I, §105), après avoir attesté que ce Minhag est répandu dans de nombreuses synagogues, cite ce
‘Hatan Sofer (il écrit ‘Hatam mais c’est une erreur) mais ne retient pas son opinion puisque les autres A’haronim n’envisagent pas cette option.
Il voit un problème au fait de terminer la Brakha à voix basse en cela que cela empêcherait les personnes qui le pourraient
(ceux qui sont entre les Prakim, ou qui n’ont pas commencé la Tfila ou l’ont déjà finie) de répondre un Amen.
Le
Rabbi de Munkacz (Darkhei ‘Haim Veshalom §144) terminait à voix basse, mais depuis Tsour Israel.
Aussi, le
Kountras des Minhaguim de Berlin (1917) (dans
Hanééman 40, cité dans le
Rivevot Ephraïm et dans
Iyounei Halakhot I, §17) écrit de dire toute la Brakha en silence, pas seulement les deux derniers mots.
Une idée est citée au nom de
Rav Wozner, selon laquelle dire une PARTIE de la Brakha à voix basse serait un mépris pour la brakha
(alors que la dire entièrement à voix basse ne poserait pas de problème -dans l’absolu). Voir
Kobets Mibeit Lévi (VI, Tishri 5755, p.24).
Je ne saisis pas vraiment en quoi c’est un Zilzoul de la Brakha.
Mais selon cette idée de
Rav Wozner, nous comprendrons que le
Rabbi de Munkacz et les
Minhaguim de Berlin ne posent pas problème.
A part cela, le
Beit Baroukh (sur ‘Hayei Adam, §20, sk.56) mentionne qu’il a vu de «
nouveaux Medakdekim » qui ont inventé de terminer la Brakha de Gaal Israel à voix basse afin d’éviter le problème du Amen, mais ça ne sert à rien, car la Halakha stipule que l’on répond Amen lorsqu’on sait qu’une Brakha a été dite par le ‘Hazan même si on n’en a pas entendu la fin
(-comme dans la synagogue d’Alexandrie dans Souka 51b). [Du coup, le problème de
Rav Sternbuch n’en serait plus un !]
Donc là encore, si l’on baisse la voix depuis Tsour Israel, effectivement, on éviterait le problème.
Toutefois, selon le
Rav Yossef Eliahou Henkin (Edout Le-Israel, Kitvei Hagria Henkin I, p.161) le problème de réciter la Brakha à voix basse est que la Takana est de dire à voix haute le texte du Yotser pour acquitter ceux qui ne savent pas lire
(et même si tous savent lire dans cette synagogue, la Takana ne change pas).
Et bien que le minhag
(chez les Ashkenazim) soit que le ‘hazan ne dise pas tout à haute voix, mais seulement la conclusion de chaque paragraphe puis la ‘Hatima, c’est parce que l’on peut s’en suffire pour s’acquitter
(en disant aussi à voix haute le début des paragraphes débutant par Baroukh).
(Il y souligne que le Minhag des Sfaradim
-qu’il appelle les Frenkim/Freinken- est que le ‘Hazan dise tout à haute voix, comme le Dina degmara -le minhag d’origine).
Et bien entendu, le problème du
Tshouvot Vehanhagot (priver certains de pouvoir répondre Amen) resterait entier même en baissant la voix depuis Tsour Israel.
Cependant, le
Eshel Avraham de Botshatsh (vraisemblablement même en tant que ‘Hazan ou bien il l’indiquait aussi pour le ‘Hazan) disait toutes les Brakhot du Yotser à voix basse en raison des Amei Haarets qui répondaient Baroukh Hou Ouvaroukh Shemo alors qu’il ne le faut pas.
Il ne pensait donc pas qu’il y ait une Takana imposant de les réciter à voix haute.
Malgré tout ce qu’on a vu,
Rav ‘Haim Kanievsky appréciait ce Minhag
(de TERMINER la brakha à voix basse). Cf.
Ishei Israel (§17, note 83).
Il n’y voyait donc aucun Zilzoul de la Brakha (Rav Wozner), ni une privation de Amen (Tshouvot Vehanhagot =Rav Sternbuch), ni ne pensait que baisser la voix ne suffirait pas à sortir du problème du Amen (Beit Baroukh=Rav Zilber), ni qu’il y ait une obligation d’acquitter selon la Takana (Rav Henkin), ni un obstacle du fait que de nombreux A’haronim proposent d’autres solutions et non celle-ci (Ish Matslia’h =Rav Mazouz).
[
Rav Kanievsky s’oppose explicitement au
Beit Baroukh qui a tort selon lui et notre cas ne ressemble pas à celui d’Alexandrie où le ‘Hazan voulait faire savoir où il en était, etc. et
Rav Kanievsky s’étonne que des auteurs puissent remettre en question ce Minhag si répandu. cf.
Iyounei Halakhot (I, §17, p.283)].
Idem pour
Rav Mikhel Feinstein (Iyounei Halakhot I, §17, p.281) qui soutient ce Minhag de terminer la Brakha à voix basse, et atteste que c’était le Minhag dans toutes les Kehilot en Lituanie, ainsi que le Minhag de
Rav Isser Zalman Meltzer, de
Rav Aharon Kotler, de (son oncle)
Rav Moshé Feinstein et de la Yeshivat Mir (à Mir).
Il précise que dans les communautés ‘Hassidiques aussi on disait la fin de cette Brakha à voix basse.
Voir encore en ce sens le
Minhag Israel Torah (o’’h §66,1) qui indique certes le
Satmer Rouv disait à voix haute toute la brakha (cité dans
Leket Hakema’h Ha’hadash §66, sk.33, p.197) et que le
Maharits Dushinsky (lui aussi cité dans
Leket Hakema’h Ha’hadash §66, sk.33, p.197) et
Reb Itzikel de Psheworsk insistaient pour que le ‘Hazan la dise entièrement à haute voix, mais il cite aussi le
‘Hatan Sofer (op cit), le
Shout Darkhei Noam (Horowitz) (§30), Rav Pin’has Epstein et le Munkaczer Rebbe (op cit) qui optaient pour que le ‘Hazan baisse la voix.
En conclusion, ce Minhag est parfaitement légitime, il est faux de dire qu’il n’a pas sur quoi s’appuyer, les arguments halakhiques qu’on lui oppose sont fort discutables, il est largement répandu dans le monde des yeshivot, et il est même vivement recommandé par
Rav ‘Haim Kanievsky.
Votre rabbin étant Sfarade devait ignorer tout ça, puisque chez les Sfaradim il est établi qu’on ne réponde pas Amen (même en entendant la Brakha), ils ne connaissent donc pas ce Minhag de baisser la voix, mais ceux d’entre eux qui sont passés par les Yeshivot connaissent cette habitude.
PS: je ne me relis pas. La longueur du post m'en décourage, mais en même temps elle multiplie les probabilités de fautes de frappe ou autres. Mes excuses par avance.