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Le quignon de pain

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MrQuestion
Messages: 161
Cher Rav Wattenberg,

Il parait qu'il ne faut pas consommer le quignon de pain, mais moi c'est ce que je préfère dans la baguette ! Svp dites-moi que c'est une blague !

Comment un morceau du pain est cachère et une autre partie ne le serait pas alors que c'est le même morceau ?

Merci.
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6640
Citation:
Il parait qu’il ne faut pas consommer le quignon de pain, mais moi c’est ce que je préfère dans la baguette ! Svp dites-moi que c’est une blague !
Comment un morceau du pain est cachère et une autre partie ne le serait pas alors que c’est le même morceau ?
Qu’en pensez-vous ?



Il n’y a pas de « péché » ni d’interdit de manger le croûton du pain, c’est une habitude juive dans quelques pays, s’il convient de la préserver, nul n’est tenu de l’adopter.

Le Mishné Halakhot (XI, §148) mentionne que l’idée admise est que consommer le bout du pain serait nocif pour la mémoire (il faut comprendre : la mémoire de la Torah, on oublie le Limoud mais pas le reste). Il propose quelques éventuelles sources.
[Le Rav Fisher (Even Israel IX, §126,8) trouve qu’au contraire, le croûton étant le plus cuit, c’est bon pour la mémoire ! (cf. Horayot 13b). Même remarque dans le Shout Maané Lashon (VI, §24 -dans la question).]

D’aucuns y voient des idées kabbalistiques, le Taamei Haminhaguim (p.77 §176 note 1) indique que le Yearot Dvash parle de forces maléfiques liées aux extrémités du pain, qui s’évacueraient lors de la Betsiat Hapat .
Ça pourrait être à l’origine de la crainte populaire qui aurait finalement poussé les gens à ne pas manger les extrémités du pain, couper un peu au bout du pain permettrait d’affaiblir les forces maléfiques… [voir aussi Shmirat Hagouf Vehanefesh (I, §31, note 5) qui cite le Taamei Haminhaguim.]

Le Piskei Tshouvot (§167 note 29) souligne que le Taamei Haminhaguim a mal lu le Yearot Dvash (I droush 11 sv. Oulekhakh -éd. Jér.1988, p.220) qui ne dit pas que les forces du mal seraient contrées et repoussées par la Betsia, mais par la cuisson elle-même (et donc avant toute Betsia) car cet endroit est bien cuit et le feu repousse ces forces négatives, et c’est pour cela que les sages ont recommandé de pratiquer la Betsia à cet endroit (et non l’inverse, qu’en la pratiquant à cet endroit cela ferait fuir les forces du mal).

C’est terrible parce qu’il y a plusieurs A’haronim qui ont mentionné ce Yearot Dvash sans vérifier par eux-mêmes, uniquement sur base du Taamei Haminhaguim.
Mais je crois que le Piskei Tshouvot s’est trompé de passage dans le Yearot Dvash. D’ailleurs le Taamei Haminhaguim termine avec une parenthèse (יע"ד ח"ש), ce qui signifie Yearot Dvash Tome 2 (et non tome 1 comme l’indique le Piskei Tshouvot)!

En fait le texte auquel il faisait allusion dit bien ce qu’il rapporte, et se trouve dans Yearot Dvash (II, droush 12 -éd. Jér.1988, p.211 sv. Oulekhakh)

On pourrait donc finalement y voir une sorte de contradiction dans le Yearot Dvash lui-même, mais peu importe, ce qu’il y a surtout c’est que le Piskei Tshouvot a, semble-t-il, injustement remis en place le Taamei Haminhaguim.

Une explication kabbalistique encore plus alambiquée se trouve dans le Minhag Israel Torah (O’’H §2,7), je n’ose pas la reproduire.

Toujours est-il que des kabbalistes de renom ne prêtaient pas attention à tout ça et mangeaient l’extrémité du pain, comme en témoigne Rav Shraya Develetzki sur lui-même, cité dans Ohel Yaakov (Maakhalei Akoum, Jér.2017, p.698 §29).
Voir aussi Zekher Assa (Ohev Tsion)(p.335) qui certifie, après consultation d’un kabbaliste (dont l’identité ne nous est pas dévoilée), que l’explication dite kabbalistique (laquelle ? certainement toutes) n’en est pas une.

[C’est assez fréquent, un rabbin invente une explication fantasmagorique et dit que c’est « Al Pi Sod » pour éviter d’avoir à s’expliquer, mais en réalité il s’agit d’une divagation personnelle, fruit de longues années durant lesquelles il a été habitué à entendre le même genre d’élucubrations de la part de ses prédécesseurs dans ce domaine.
Une dénonciation de cette supercherie se trouvait déjà dans le Alfei Menashé (II, §35 daf 26a)].


A l’opposé, il y a des explications très terre-à-terre, certains disent qu’en voulant sortir leurs pains sans se brûler, les boulangers avaient l’habitude de les attraper par les deux extrémités après s’être craché dans les paumes pour éviter la brûlure et c’est pourquoi on aurait pris l’habitude de couper les extrémités… (Rav Zuker cité dans Shir ‘Hadash sur Psa’him, Bnei Brak 2011, p.364 §27) (explication étrange, allez savoir pourquoi seuls les juifs s’en souciaient…), d’autres parlent plus logiquement d’un chiffon sale utilisé à cet effet.
Dans les deux cas, ce n’est pas très convaincant, pas plus que les explications kabbalistiques faisant entrer en scène des forces maléfiques qui se seraient réfugiées dans les croûtons.

Dans un registre plus halakhique, on mentionne l’idée suivante :
Les particuliers cuisaient leurs pains dans un grand four commun à tout le village, et les miches se touchaient en leurs extrémités.
En les séparant après la cuisson, on pouvait se retrouver avec un petit peu du pain du voisin, il y aurait donc un souci de Guezel ( !).

C’est assez étrange dans la mesure où a priori tout le monde est Mevater d’office et est d’accord d’offrir ce petit peu, surtout qu’il s’agit de moins d’une Prouta, somme sur laquelle les juifs ferment les yeux.
De plus, en ne le mangeant pas, on ne sortirait pas encore totalement du problème puisque le morceau n’est pas restitué.

Je préfère l’expliquer autrement : Ne voulant pas manger de la pâte d’autrui dont on ignore l’hygiène (problème d’hygiène je pense, plus que de kashrout), on coupait les bouts.

D’autres idées sont mentionnées, mais elles n’expliquent pas pourquoi l’extrémité spécifiquement ; Le Milei De’hassidouta (sur Tsavaat R.Y. ‘Hassid §50, p.8) justifie le minhag qui veut que l’on ne mange pas entièrement la tranche du « Hamotsi » mais qu’on en laisse un peu, afin que la bonté (/brakha) divine puisse s’appliquer. Il utilise en Asmakhta le verset de Iyov (20,21) אין שריד לאכלו על כן לא יחיל טובו.

Voir aussi Sefer ‘Hassidim (§888) à propos de quelqu’un qui avait cette habitude de laisser un bout de la tranche du « Hamotsi », mais il la mangeait en fin de repas (afin de garder en bouche le goût de cette tranche sur laquelle la Brakha a été récitée).
Ces égards autour de la « tranche du Hamotsi » se retrouvent aussi dans les Minhaguei Baal Ha’hatam Sofer (§5,13, note 10) où il est dit qu’il avait l’habitude de couper une très fine tranche du pain après y avoir retiré le morceau du Hamotsi (donc une fine ponction sur la partie qui reste) pour veiller à ce que cette partie aussi ne soit mangée que par un juif (y avait-il de nombreux non-juifs à la table du ‘Hatam Sofer ?).
Même la proximité avec la tranche du motsi était considérée bénie, טוב לצדיק טוב לשכנו.
Son fils le Ktav Sofer aussi suivait cette habitude indiquée dans le Ma’hatsit Hashekel (§167, sk.42).


De nos jours, faut-il continuer à s’interdire l’extrémité du pain ?
Le Steipler (cité par son fils) disait qu’il n’avait pas trouvé de source à cela (Or’hot Rabénou éd.2014, IV, p.143, §9), il n’y faisait lui-même pas attention et mangeait tout son pain.
Son fils R. ‘Haim Kanievsky se répète et dit la même chose dans Sheélat Rav (p.252) et dans Dolé Oumashké (2006 תשס"ז, p.411) [sefer fort étrange soit dit au passage].

Rav Wozner aussi mangeait le croûton du pain, tout comme Rabbi Aharon de Belz (Rav Rabanan, p.48).

Idem pour Rav Moshé Schneider de Londres qui mangeait lui-même les croûtons retranchés par d’autres (Esh Kodesh p.97) et c’est aussi ce que faisait le Imrei Sofer (Rabbi de Erloy) qui mangeait les croûtons laissés par ses élèves et témoignait que son père le Yad Sofer et son grand-père le Hitorerout Tshouva (fils du Ktav Sofer op cit) mangeaient les croûtons de pain sans rien laisser de côté (Halikhot Vehanhagot Imrei Sofer, 2017, p.122 §4 note 5).

En revanche, le Min’hat Its’hak (IX, §8,7) admet lui aussi qu’il n’y a aucune source à cette habitude dans nos textes classiques, néanmoins il écrit la respecter lui-même en vertu du Yeroushalmi (Troumot VIII,3) qui nous enjoint à tenir compte des craintes populaires.
Cette idée se retrouve dans le Shout HaRashba (I, §9) (à propos des croyances de grands-mères), dans le Sefer ‘Hassidim (§261) (pour ce qui est considéré comme « dangereux » par les gens), et dans le Shiltei Haguiborim (Avoda Zara §2).

Le Piskei Tshouvot (§167,3) aussi écrit que l’habitude est de ne pas manger l’extrémité du pain.

Les problèmes halakhiques que l’on oppose à la préservation de ce Minhag étrange sont le Issour Bal Tash’hit [Esh Kodesh (p.97) et Halikhot Vehanhagot Imrei Sofer (p.122 §4 note 5)], ainsi que le problème de Borer à Shabbat (Shout Maané Lashon VI, §24 dans la question).

Pour le Bal Tash’hit, il faut effectivement veiller à ne condamner qu’une infime partie du bout et non tout le croûton, une simple miette suffit puisque c’est avant tout symbolique, et pour cette miette il n’y a pas de problème de Bal Tash’hit, surtout si c’est fait avec un esprit constructif, un Siman, comme un souhait/une prière d’être à la tête et non à la queue (שנהיה לראש ולא לזנב) [ce doit être pour cela qu’il y a un Minhag, au moins à Rosh Hashana où les Simanim sont importants, de faire des ‘Halot rondes, afin d’éviter de manger l’extrémité 😊].
On pourrait se demander pourquoi voir dans l’extrémité du pain sa fin et non son début, mais bon, ce n’est qu’un Siman (sans queue ni tête).
[Certains indiquent, pour éviter le Bal Tash’hit, de donner le croûton aux femmes, non concernées par l’interdit d’oublier la Torah.]

Le Zekher Assa (Ohev Tsion)(p.334 §149) considère qu’il n’y a pas de Bal Tash’hit mais que jeter des miettes amène la pauvreté (Tosfot Brakhot 52b selon ‘Houlin 105b).

Et pour ce qui est de Borer à Shabbat, c-à-d l’interdit de séparer le mauvais du bon, il n’est pas applicable pour deux raisons. D’abord cette partie n’est pas objectivement mauvaise, mais elle l’est « religieusement » (-et encore), sans cela, c’est exactement le même pain que le reste. (on trouve des discussions lorsqu’il s’agit d’un véritable et incontournable Issour, mais ici où il est assurément Moutar de manger ce bout de pain, on ne peut pas parler de Borer.)
Ensuite, comme il n’y a pas de quantité minimale à retirer, on enlèvera forcément toujours un peu de « bon » avec le mauvais, et ceci n’est pas interdit en tant que Borer puisque le tri n’est pas effectué.

En conclusion, que ceux qui ont ce Minhag le continuent, mais ceux qui ne l’ont pas n’ont pas à l’adopter.

Je ne me relis pas, veuillez excuser les fautes.
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