Citation:
Je connais deux cas de jeunes femmes non juives qui ont été converties en France dans les années 50 et 60:
-afin de se marier avec un juif
-leur futur mari était mechalel Shabat (et l’est resté toute sa vie)
-elles n’avaient aucune intention de pratiquer la Torah (et ne l’ont pas fait un instant)
-elles étaient totalement ignorantes des lois de la Torah
Je ne vais pas demander comment des Rabbins consistoriaux ont pu accepter de les convertir mais plutôt : sont-elles juives?
Igrot Moshe YD 1,157 dit clairement que si on peut témoigner que quelqu’un n’était pas sincère dans sa conversion, elle n’est pas valable.
אם אנן סהדי שאינו מקבל עליו באמת אינו כלום
Vous nous donnez déjà la réponse dans votre question, selon
R.M. Feinstein, ces personnes ne sont pas juives si elles n’ont absolument pas eu l’intention de prendre sur elles l’engagement des Mitsvot au moment de cette « conversion ».
Il y a toutefois actuellement un rabbin en Israël qui soutient que dans tous les cas, si le Beit Din qui convertit en est réellement un
(ce qui n’est pas toujours gagné), le converti est juif.
Il propose de déduire des mots du
Rambam que la Kabalat Mitsvot ne soit pas rédhibitoire, et surtout, il interprète plusieurs Rishonim en ce sens, Rishonim qui diraient qu’une conversion « pour se marier » serait valide, ou encore que l’absence de Kabalat Mitsvot ne serait pas un obstacle à la conversion.
Tout ceci se discute grandement, ses déductions me paraissent hâtives et fort discutables.
[Par exemple sa déduction des mots du
Rashbats. Lorsque le
Rashbats (III, §47) écrit que si le Guer a changé sa conduite (‘Hazar Lessouro) une heure (et même moins) après sa conversion, cela ne suffit pas pour l’invalider, mais il aura un statut de Meshoumad et ses Kidoushin seront contraignants, il n’y a pas lieu d’en déduire
(comme le fait cet auteur) que la Kabalat Mitsvot est superflue ou facultative, car il ne s’agit pas d’un candidat qui nous dit clairement qu’il ne prend
pas l’engagement de respecter les Mitsvot, mais au contraire, d’un candidat qui dit qu’il respectera les Mitsvot, seulement, peu de temps après on le voit les transgresser, donc on se demande s’il était sincère au moins au moment de la Guérout.
Mais notre auteur considère que même si l’on voit que le candidat ne VOUDRA Pas respecter les Mitsvot, s’il a été converti, Bediavad, c’est un bon converti.
Or, ce n’est pas déductible du
Rashbats qui ne parle pas d’un cas où l’on comprend AVANT de le convertir qu’il s’agit d’une supercherie.
[Ce qui change entre AVANT et APRES, même lorsqu'on parle de Bediavad, c'est que lorsque ça se voit AVANT, on peut considérer comme certain que le candidat n'avait pas l'intention de s'engager. Mais lorsqu'on doute APRES la conversion, alors qu'au moment de la conversion il a dit qu'il s'engageait, on ne peut pas avoir la certitude qu'il nous mentait.]
Cet auteur fait le même type de déduction à partir d’autres Sfarim, comme le
Shout Daat Cohen (§153) du
Rav Kook, ou encore à partir des écrits de
Rav Ye’hezkel Banet, du
Rav Herzog, et autres A’haronim.
Mais, à mon sens, il s’agit pour chacune de ces déductions d’un déplorable hors sujet.
Ce sefer que je ne nomme pas est un gros tome avec énormément de textes cités et référencés, mais ils sont souvent mal compris ou bien l’auteur extrapole de manière imprécise et discutable.]
Quoi qu’il en soit, son opinion n’est pas retenue, l’avis général suit globalement celui de
Rav Feinstein.
Et même si on accepterait Bediavad une conversion où le candidat s’était converti pour se marier (ou similaire), dans la mesure où il était sincère en disant accepter sur lui le joug des Mitsvot
(du moins les Mitsvot essentielles, s’il ignore la mitsva de Péter ‘Hamor, on s’en remettra), il reste juif, bien qu’il n’ait jamais pratiqué
(car il aurait changé d’avis quelques minutes après la conversion -c’est un cas d’école bien entendu).
Dans tous les cas, c’est une faute grave et impardonnable de la part du tribunal rabbinique qui aurait converti un candidat non sincère.
Ce qui est terrible, c’est que si ces femmes converties sans intention d’accepter les mitsvot ont eu un enfant, la pseudo-conversion de la mère ne suffira pas non plus à l’enfant pour être juif.
En d’autres termes, l’enfant n’est pas juif et doit lui aussi passer par une conversion pour le devenir.
En France (mais pas seulement en France), durant des décennies, le Consistoire convertissait des candidats qui affirment aujourd’hui qu’on ne leur a jamais signifié qu’il fallait s’engager à respecter les Mitsvot.
C’est une catastrophe.
Certains voulaient réellement adhérer au judaïsme, mais nombreux sont ceux qui voulaient simplement se marier avec un membre de la communauté juive et qui n’ont jamais accepté le joug des Mitsvot ni ne les ont pratiquées.
Il faut savoir que les différents présidents du Consistoire n’ont pas toujours été eux-mêmes très respectueux des Mitsvot.
Aujourd’hui, le président (Joël Mergui) est pratiquant, et le grand-rabbin de Paris (Rav Michel Gugenheim) est un Talmid ‘Hakham
(ça n’a pas toujours été le cas, ceux qui occupent ces postes ne sont pas toujours choisis parmi les plus pieux ni les plus érudits, d’autres critères prévalent, c’est comme pour le poste de grand-rabbin de France), c’est lui qui supervise et chapeaute les conversions pour le Beth Din de Paris, et forcément, ça change la donne.
Je ne sais pas à qui il convient d’imputer cette faute
(fréquente il y a encore quelques décennies), mais le fait est que de nombreux convertis l’ont été en contradiction avec la Halakha.
Il y a encore d’autres domaines halakhiques où le Consistoire a failli sur le plan religieux, notamment les mariages où les rabbins ne se souciaient pas de la pratique religieuse des témoins choisis
(si un des témoins ne respecte pas shabbat par exemple, le mariage est nul et non avenu. Il faut que les 2 témoins soient pratiquants pour « valider » le mariage).
Dans les années 50-60-70, c’était monnaie courante, souvent les témoins n’étaient pas pratiquants et les mariages invalides (et les Brakhot levatala).
Ça arrivait encore durant les années 80.
Pourtant, durant ces décennies, le grand-rabbin de France était un Rav Yeré Shamayim, le grand-rabbin Jacob Kaplan. Mais cela n'a pas suffi à éviter toutes ces erreurs des rabanim qui étaient "sur le terrain".
C’est stupéfiant, je sais, mais c’est ainsi.
On ne peut que se féliciter des progrès du Consistoire en matière de religion, mais nous vivons encore avec les dégâts qu’il a commis durant les dernières décennies, il faut le savoir et faire notre possible pour tenter de corriger ces méfaits lorsque c’est possible.
Nombreux sont les enfants de femmes converties au Beth Din de Paris qui, par la suite, à l’âge adulte, sont passés par un Guiyour Le’houmra (ne sachant pas si leur mère était vraiment sincère dans sa conversion, et ayant même de gros doutes à ce sujet).
Il y a aussi ceux qui ont refait une ‘Houpa et des Kidoushin, avec des témoins Kshérim cette fois.
Il y a de quoi méditer sur ces égarements du judaïsme en France. Si les points purement halakhiques sont souvent mieux connus et respectés aujourd'hui, il faut d'abord savoir que ce n'est pas toujours le cas même de nos jours, et ensuite, que sur le plan Hashkafique, il y a à notre époque des dérives majeures au sein des Kehilot.
Elles seront peut-être dénoncées dans 50 ans et paraitront absurdes et terrifiantes aux yeux du grand public à ce moment, comme nous paraissent les agissements de certains rabanim des années 60-70 sur le plan halakhique comme totalement irresponsables et égarés.