Citation:
je prie depuis des années en France dans un minian ashkénaze mis en place il y a plusieurs années et qui suit à dessein beaucoup des minhaguim des yeshivot d'erets israel: morid hatal en été, pas de tefilin hol hamoed, selihot et piyoutim raccourcis, dire tefila geshem/tal avant mousaf, les hoshanot à soukot après le hallel, redire barekhou après la tefila, ye'hadesheinou version longue lors de birkat ha'hodesh, etc.
j'en viens à la question: quels principes permettent d'importer des coutumes d'erets et de les appliquer en 'houts dans un nouveau minian ? les poskim parlent souvent de minhag 'houts laarets, notamment de pas dire morid hatal ou de mettre les tefilin à 'hol hamoed etc, mais cela semble s'estomper voir disparaitre avec ce que je décris, cela ne correspond plus.
Qu'est ce qui permet, si c'est permis, de modifier ce qui se faisait en 'houts (et qui était différenciant / caractéristique au point d'être appelé minhag 'houts laarets) pour appliquer d'autres usages dont ceux d'erets aujourd'hui dans une nouvelle kehila ashkénaze ?
Ce que vous
(et certains Poskim) appelez « Minhag ‘Houts Laarets » est, pour plusieurs des points cités, essentiellement le Minhag allemand et alsacien, disons le Minhag Yeke.
Quant à ce que vous qualifiez de « Minhag Erets Israel », ce n’est pas exclusif d’Erets Israel (pour plusieurs des points cités).
Les Polonais
(qui étaient nettement les plus représentés en nombre dans le monde juif pratiquant d’avant-guerre) disaient déjà Morid Hatal et ne mettaient pas les Tfilines durant ‘Hol Hamoed.
Si tous les juifs mettaient les Tfilines à ‘Hol Hamoed à l’époque du Talmud, depuis 7 siècles la coutume s’est répandue de ne pas les mettre durant la totalité de la fête.
Ce sont essentiellement les Allemands et les Alsaciens qui ont continué à mettre les Tfilines pendant ‘Hol Hamoed jusqu’à nos jours, demeurant hermétiques à toute idée kabbalistique.
Quant à écourter les Sli’hot et Piyoutim, là encore, il n’y a quasiment que les Yekes qui s’y sont refusés. Les Lituaniens le faisaient depuis bien longtemps (voyez ce que j’ai écrit ici :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=57656 ).
De manière plus générale, pour en venir à votre question, l’idée de décider de suivre tel ou tel minhag, quand bien même serait-il un « Minhag Erets Israel » que l’on voudrait importer en ‘Houts Laarets, tant que ça ne touche pas à la Halakha mais seulement à la liturgie, rien ne s’y oppose formellement.
Voyez ce qu’écrit le
Aroukh Hashoul’han (Hakdama de ‘Hoshen Mishpat, Daf 2b) concernant des changements dans le Nossa’h sur des petits points sans importance, comme dire Hodou avant ou après Baroukh Sheamar
(différence entre Ashkenaz et Sfard/Sfarade), ou encore dire Ahava Raba ou Ahavat Olam, il n’y a rien de grave et chacun peut décider de changer, si ce n’est qu’il ne convient pas de changer du Nossa’h de la communauté.
Mais si tout une communauté prie ainsi, c’est acceptable.
[Et même dans le cadre d’une communauté ou l’on prie autrement, l’individu qui souhaite prier à sa manière n’est pas répréhensible tant qu'il prie dans son coin. Le
‘Hatam Sofer qui, en réaction à la Réforme, était très à cheval sur les Minhaguim liturgiques, aimait bien malgré tout réciter parfois dans le désordre les Tehilim ajoutés aux Psoukei Dezimra du Shabbat matin
(Minhaguei Baal Ha’hatam Sofer §V, 20, p.23).]
Le problème du changement du nossa’h liturgique ne se pose essentiellement que sur les Brakhot, et même plus précisément sur la ‘Hatima des Brakhot. Mais ajouter des mots liés à l’esprit de la Brakha, tant que ce n’est pas dans la ‘Hatima, ça passe.
Par exemple, on parlera de
Meshané Mimatbéa Shétavou ‘Hakhamim si quelqu’un termine la Brakha de חונן הדעת en disant בא"י חונן לעמו ישראל דעת.
En revanche, les ajouts ou changements à l’intérieur de la Brakha, comme « ‘Hokhma Bina Vadaat » ou « Déa Bina Vehaskel », comme ce n’est pas dans la ‘Hatima, ça ne s’appelle pas changer le Matbéa.
Voyez à ce propos le
Shout Mishné Halakhot (VIII, §26) au nom du
Shout Harashba (I, §474) (et il s’étonne à ce propos des dires du
‘Hatam Sofer (§15-16) qui n’ont pas tenu compte du
Rashba. Voir aussi
Shevet Halévy VI, §59).
Déjà bien avant le
Mishné Halakhot, en se basant sur la même idée,
Rav David Friesenhausen (Mosdot Tevel III, §19 -daf 77b) défendait les changements de Nossa’h qu’avaient inaugurés les ‘Hassidim à son époque
(en se rapprochant du Nossa’h Sfarade) [bien que ces changements paraissent moins évident sur le plan halakhique aux yeux de Rav
Moshé Feinstein (Igrot Moshé O’’H II, §24)].
Et beaucoup plus tôt, avant qu’il ne soit question d’un Nossa’h ‘hassidique, le
Maharashdam (o’’h §35) écrivait qu’il n’y a pas de souci de
Al Titosh Torat Imekha sur un Minhag qui n’a rien de Halakhique comme un changement de Nossa’h. (Voir aussi
Shout Beit Its’hak Y’’D II, o’’h §88,3)
[Et même lorsqu’il y a un aspect halakhique dans une différence de Minhag, par exemple entre dire les Hoshanot avant ou après Moussaf
(que vous avez mentionné), si TOUT le Tsibour s’accorde à adopter un Minhag (existant), ils en ont le droit.
Ce qui serait problématique c’est de vouloir changer le Minhag local alors que la majorité du Tsibour tient à l’ancien minhag, voire même s’ils ne sont qu’une minorité à y tenir, leur ancienneté pourrait suffire à leur conférer la priorité selon plusieurs Rishonim, voyez
Shout Igrot Moshé (O’’H II, §21).
Mais dans votre cas, je suppose qu’il ne s’agit pas de changer le Minhag d’une synagogue contre la volonté de ses fidèles, mais de créer un NOUVEAU minian suivant les habitudes des Yeshivot, et libre à chacun d’y adhérer ou non, selon sa volonté.]
Voyez aussi ce qu’écrit l'excellent
Rabbi Yossef Messas dans
Otsar Hamikhtavim (III, §1774,5) pour qui la Pti’ha et la ‘Hatima des Brakhot doivent être préservées, mais le texte même de la Brakha (au milieu) a depuis toujours été reformulé au gré des souvenirs.
Il explique qu’au départ, durant des siècles, les Tfilot n’auraient pas été mises par écrit, ce qui aurait été entrepris seulement depuis l’époque de Rabbi Yehouda Hanassi. Et là, chacun mettait par écrit en fonction de ses souvenirs, d’où les divergences de Nossa’h ou les redondances…
[c’est discutable sur plusieurs points, bien entendu.]
Et tout ceci concerne les Brakhot de la Amida, mais s’il ne s’agit que de Piyoutim et d’autres petits ajouts, cela a encore moins d’importance.
Voyez le
Tour (O’’H §620) à propos des ajouts dans la ‘hazarat hashats de Yom Kipour, il écrit qu’ils ne sont pas obligatoires et qu’on peut aussi en ajouter ou en supprimer (ולא דבר קצוב הוא ולא חובה...ומה שירצו או להרבות או למעט הרשות בידם).
Quant à l’idée du
Arizal des 13 portiques, cf.
Maguen Avraham et
Mishna Broura (§68), c’est un autre sujet qui ne concerne pas directement votre question, voyez tout de même ce que j’ai écrit ici en tant que complément sur ce sujet :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=27981#27981
et aussi :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=48338#48338
et encore :
https://www.techouvot.com/viewtopic.php?p=43506#43506
En résumé :
-Les points purement liturgiques comme les Piyoutim, ainsi que les Minhaguim non liés à des notions halakhiques : aucun souci.
-Le Matbéa Hatfila concerne essentiellement la ‘Hatima des brakhot.
-Et pour les Minhaguim liés à des notions halakhiques, si c’est un Minian créé dans cette volonté, ou si tout le Tsibour d’un précédent Minian souhaite changer, c’est Moutar.
-Mais s’il s’agit d’imposer ces changements à un Minian existant, ils ne le peuvent pas (surtout si la majorité les refuse, mais même si c’est une minorité qui refuse, beaucoup pensent qu’ils ont l’avantage).
PS : je ne sais pas si j’ai été très clair, et comme je ne peux pas me relire, veuillez excuser les fautes et le manque de clarté, merci.